Lundi 17 Juin 2002

*11h44*

On ne peut expliquer un paradoxe, non plus qu'un éternuement. D'ailleurs, le paradoxe n'est-il pas un éternuement de l'esprit?
- Emil Cioran -

*21h26*

Ici je parle parfois et depuis un certain temps maintenant de ce garçon à qui je n'ai pas trouvé de nom dans mon journal car pas de place dans ma vie. Ce garçon, chaque fois j'hésite à en parler. Parce qu'il y a toujours cette petite peine, cette petite honte, qu'il ne soit pas pour moi, trop jeune pour moi - si, vraiment, ce n'est rien je sais bien, mais vraiment, si, ça ne rend pas les choses faciles - que ses yeux aient le goût de l'interdit, et non, ce n'est pas pour ce goût-là que mon écriture en porte parfois l'empreinte. Chaque fois je voudrais ne pas l'écrire. Chaque fois j'y reviens. Et de plus en plus souvent maintenant. Et quand il est question de lui, c'est compulsif. Je reviens ici. Même si je reviens toujours ici. Parce qu'ici ce et ceux que je porte dans mon coeur, dans mon amitié ou dans mon estime sont toujours présents si j'ai besoin d'eux. Ce journal peut avoir mille visages, il aura toujours le visage de celui que j'aurais envie de voir. Alors c'est peut-être pour celà que je suis encore là. Je viens retrouver son visage.

La terrasse du café, moi le soleil dans les yeux, dans ma robe de printemps, faire semblant de rien. Allumer une cigarette la main tremblante. Trop tremblante. La flamme timide du briquet, le soubresaut tragique de mon coeur. Lui au fond, à droite, en un regard avec ce semblant d'assurance, ce que je reconnais pour être sa façade, un masque d'orgueil pour taire la surprise. Je ne sais pas grand chose, mais celà je ne peux que le savoir, ce ne peut être anodin, le retour à la présence de l'Autre, quel(le) qu'il(elle) soit, la présence, aussi éloignée soit-elle mais dans notre champs de vision, dans notre horizon, d'une personne que l'on a tenu dans ses bras si tendrement. Que l'on a quitté à contre-coeur parce qu'il le fallait. Parce qu'un jour il le fallait. Le silence entre ma table où je murmure mon état second, et la sienne où trop de jeunes filles rient aux éclats et se chamaillent. Entre ces quelques mètres, le silence, encore un fois. Comme trop d'autres fois, toujours. Entre lui et moi, à peine perceptibles nos conversations d'il y a trois ans. Entre lui et moi, à peine perceptible les regards que l'on voudrait se donner parce que. Parce que. Je sais bien, je sais bien mon ange que je ne peux être seule dans mon souvenir, tu ne peux me laisser seule dans cette envie folle, la même qu'il y a des années. Tu était celui qui regarde, celui qui observe, celui qui par défi, fascination ou séduction, ne baisse pas les yeux, celui qui n'aurait pas détourné son regard pour un peu plus de politesse, non. Tu avais ce regard, et tu me l'aurais imposé même s'il m'avait rendue timide et mal habile. J'avais appris par quoi passaient tes sentiments, et c'était par ces grands yeux-là.
Me voilà face à ce garçon dont la pensée me traque aux abords de chacun de mes sommeils, chaque nuit en clin d'oeil à ce que l'on voulait et que l'on savait que l'on n'aurait jamais, une nuit rien que pour nous. Une nuit sans se soucier des autres, sans se traîner dans le sommeil hors de l'autre pour s'allonger chacun dans un lit froid et solitaire. Me voilà avec dans mon champs de vision ce garçon que j'ose à peine regarder de peur d'être démasquée par son monde, si loin, si loin du mien. Me voilà obligée de mettre encore et encore des frontières à mes yeux alors qu'il se tient là à quelques mètres de moi, obligée de tourner la tête, obligée de faire semblant, faire semblant que ce garçon m'est inconnu et que jamais il n'a frappé à la porte de mon coeur. Et pourtant, cette porte, sans qu'il ne le sache je la lui ai ouverte, c'était il y a longtemps, et c'était il y a une heure.

hier