Dimanche 16 Juin 2002

*21h36*

On ne gouverne pas une nation éclairée par des demi-mesures; il faut de la force, de la suite et de l'unité dans tous les actes publics.
-Napoléon Ier-
[Et ce sera tout pour ma conscience politique ce soir...]

Lorsque je ne me sens pas belle, je ne me sens pas de prendre le train, d'accepter la fatigue des longs voyages, d'accepter un rendez-vous, de me convaincre que ce sera bien. Lorsque je ne me sens pas belle, je n'ai pas envie de sortir, là, dehors, dans cette course, à corps perdu, perdue d'avance, vers l'Autre, quel qu'il soit. Lorsque je ne me sens pas belle, j'attends avec impatience l'instant d'après, j'attends tout de lui, qu'il me ramène un peu de clarté, un peu de fraîcheur, un peu de couleur aux joues. J'attends tout du futur immédiat, tout en n'y croyant que si peu.
Je peux tout juste me reposer à l'ombre et me laisser bercer par la lourdeur de l'air et trouver encore certaines choses très bonnes, certaines scènes très belles, si je m'oublie.
Que cette semaine était limpide. Pleine de bons sentiments, ou presque. Pleine d'une diversité chaleureuse de mes états d'âmes et de mes états de foudre et de fougue. Pleine de vie, la vie comme elle ne m'a pas tant malmenée cette semaine. Je me souviens, il y a quelques semaines, ce sentiment que la vie m'échappait... Aujourd'hui tout est fluide, et presque harmonieux, si je m'oublie.
Trois ou quatre entrées cette semaine, et aucune qui ne ressemble à la précédente. Trois mondes, trois angles différents, trois dimensions qui s'imbriquent les unes aux autres pour faire de moi ce que je suis. Et ce n'est que le début, mes mondes parallèles se multiplient, et j'apprécie beaucoup. Laisser mon coeur déambuler aux quatre coins des possibles, m'arrêter sur un personnage, tourner la page, y revenir, changer de livre, changer de rôle, m'arrêter sur un discours, et sur un geste d'un autre, et encore me laisser porter par ces possibles... Coeur racoleur, prêt à tout dévorer de la vie et de ses passions. Je ne change pas. Je reste ainsi. Légère. Si je m'oublie.

J'attends le train. Je suis encore à la maison, et j'ai encore une épreuve à passer, et encore quatre jours à voir passer, et pourtant de ma chambre au deuxième étage ce soir dans la pénombre désirée j'attends le train. Dans cette certitude surprenante que je vais vers une autre étape de mes jours, presque de mon existence. Dans cette certitude que je prends la bonne route, que je ne peux me tromper si je vais par là. Parce l'homme s'est éloigné de mes priorités, et que désormais j'ai atteint ce haut niveau de persuasion que je n'y vais que pour moi, que je n'y vais pas pour lui. Il n'est que le prétexte qui m'a montré la voie, qui a ouvert la porte à mon départ. Mais lorsqu'il n'est pas près de moi, il n'est plus que ça. Il s'éloigne avec le temps, et pas tant avec la distance... Certitude que la réduction des distances n'y changera rien. S'il n'est pas tout près de moi, il existe à peine, et je me sens bien comme ça, je me sens bien ainsi. Libre dans ma tête. Il n'y a qu'ainsi que l'on peut savoir que ce sera bien. Parce que ça ne tient qu'à moi. Ca ne tient pas à lui, à sa présence, à sa force, à sa faiblesse. Mes départs ne sont pas dépendance, ne sont que liberté.

La seule ombre est que sans lui je ne m'oublie pas. Je n'oublie pas mon reflet que je déteste puisque c'est ce reflet qui va décider du reste, de mon rapport aux autres. Hors de cette histoire rassurante qui me fait m'oublier lorsque l'on est ensemble, j'ai conscience de mon image dans la glace, mon ennemie. Lorsque lui et moi étions ensemble, à rire, à sourire, à s'aimer, à se regarder droit dans les yeux sans crainte aucune, cette image de moi dans la glace s'effaçait pour laisser place à une image de nous, peut-être abstraite, mais tellement plus proche de ce que je voulais voir de moi. Et durant les semaines où il n'est pas là, durant ces semaines où je bouffe ma liberté avec enthousiasme pourtant, il demeure cette ombre au tableau: il ne reste que mon reflet, brut, et violent parfois, je n'oublie pas ce que je n'aime pas chez moi. Je ne peux oublier. Ces chutes de confiance qui font mal, et qui sont pourtant nécessaires. Nécessaires parce qu'elles naissent de la solitude, solitude nécessaire car c'est elle qui me donne les moyens de rendre possible des rencontres, des voyages sans frontière, des conversations sans limite. Nécessaire pour grandir, évoluer, encore découvrir, d'autres gens, d'autres lieux, d'autres vies.

J'ai apprécié. Cette semaine. L'après-midi après la foudre, m'éveiller nouvelle, avoir la preuve que j'en suis encore capable, que l'âme de ma jeunesse ne m'abandonne pas, ma belle imagination qui me porte à créer d'un rien un conte pour enfants pas sages. Et puis l'odeur des champs, en voiture la vitre ouverte, me souvenir qu'enfant l'espace de chaque été j'étais un petit rat des villes laché en pleine campagne, dieu comme je l'avais oublié... Et puis une ville en mouvement les soirs de canicule, son bourdonnement, son ivresse lumineuse à la tombée de la nuit. Et encore la présence tranquille de mon ami, présence confortable lorsque je me surprendrais presque à faire fi des conventions et m'en reposer les pensées aux creux de son épaule, me dire comme quoi la vie me réserve encore des centaines de surprises. Et encore et toujours l'élan généreux d'un rendez-vous improvisé hier soir devant l'écran, avec ce personnage d'un été dont la deuxième rencontre m'attire et m'effraie, et c'est pour bientôt. Et enfin ce soir. La fenêtre ouverte, je voudrais pour toujours. Dans quelques heures m'endormir dans la coquetterie de cette chambre mêlée à la gravité glacée de l'obscurité citadine, laisser entrer son âme, sans la laisser me rafraîchir. L'air est bien trop lourd. Et j'aime ça. J'ai apprécié chacun de ces moments, cette semaine. Je goûte au renouveau de mon existence, un peu plus chaque jour. Avec encore des doutes, mais qui s'amenuisent à vue d'oeil. Et puis avec l'amour, qui, s'il n'est pas présent, prend forme derrière chacune de mes émotions, sensations, derrière chacune de mes envies, chacune de mes volotontés.
Je pourrais m'allonger déjà, et rêver un peu ce soir. Ca ne m'est pas souvent donné, de m'abandonner sans crainte à l'immobilité et à l'obscurité. Sans crainte, non, c'est une chose qui ne m'est pas souvent donnée.

avant