[ lundi 2 septembre ][ 11:15 ][ ramasser les armes ]

J'ai ramassé mes armes au sol, les ai remises à ma ceinture et contre ma poitrine comme des pièces manquantes, embriqués à ma peau les jupes et les chaussures à talons, le maquillage léger sur le visage, les pinces à cheveux et le sourire parfois, souvent, peut-être. D'autres pourraient le dire, car moi je ne sais pas.
Dans le silence les douleurs se sont aseptisées, le coeur ralenti, les poings déserrés. Ce matin c'est lundi, et je crois que j'ai aimé. Ce matin j'ai vu le soleil, et je crois que j'ai aimé. J'ai ri de choses appréciables. Appréciables les bouts de rien que je ne voyais plus. Ce matin je les vois, un peu plus clairement de secondes en minutes. J'ai repris les armes comme on reprend la mer, comme on espère. Vivre pour le meilleur, quel qu'il soit. Vivre pour le meilleur, pour tout ce que l'on ne connait pas, pas encore.

J'avais anticipé la dernière semaine. J'avais imaginé des attentes à des rendez-vous. Des retrouvailles-éclairs, des phrases éclairées. J'avais imaginé mon jeune amant du début de l'été, et son corps jusqu'à ma chambre entraîner. J'avais imaginé le souffle d'une dernière étreinte, sans sentiments démesurés. Avant de partir. Pour rire. Pour Vivre d'un sourire, d'un soupir, jusqu'à la dernière nuit de cette vie-là, ici, avant de partir.
J'avais rêvé, un rêve qui n'était pas idéal, même pas sur le point de le devenir, juste un rêve possible, tout ce que j'allais pouvoir faire - de bien - avant de partir.
J'aurais roulé jusque Paris. J'y aurais marché une dernière fois avant l'hiver, en souriant à mes plans à venir, encore invisibles, encore pas assez désirés.
J'aurais attaché mes cheveux en essayant d'être encore séduisante aux yeux d'un jeune homme que je voulais m'attacher. J'aurais un peu joué un rôle, celui de celle qui sait où elle va, celle qui ne désire que celà, pleine d'ambition mais surtout pleine d'espoirs prêts à se réaliser. J'aurais fait semblant d'être heureuse de m'en aller, de tout laisser, j'aurais dit que le meilleur m'attendait ailleurs. J'aurais dit qu'il y a toujours mieux ailleurs, tout ce dont je suis si peu sûre finalement. J'aurais parlé fièrement. En fumant une cigarette j'aurais un peu penché la tête, aurait sans doute pris une voix qui n'était pas vraiment la mienne pour murmurer des paroles d'un optimisme auquel je ne crois pas, pas vraiment. J'aurais exagéré les choses, j'en aurais fait cent fois trop, oui, je le sais, j'en aurais fait cent fois trop, pour donner de moi l'image d'une fille qui n'a pas peur puisqu'elle n'a rien à craindre. Surtout pas à craindre des autres, elle est bien trop forte pour celà, ni à craindre d'elle-même, elle n'est pas assez dérangée pour celà.

J'avais anticipé la dernière semaine comme une fête, joyeuse, effrénée, rieuse, ivre et plus vivante que vingt-trois années ici, plus passionante que l'année à venir là-bas. J'avais imaginé toutes ces choses qui ne tenaient qu'à moi.
Et puisqu'elles ne tiennent qu'à moi, je n'en ferai rien.

Je croiserai dans la rue, là, en bas, mon jeune amant du début de l'été, lui sourirai sans plus en dire, sans trop en faire. Les filles qui l'entourent nous regarderont, peut-être, partager d'un dernier regard le secret du début de l'été, et ça continuera de me faire sourire bien après cet instant achevé. Je continuerai ma route, ne chercherai rien de plus que de continuer ma route, et de le sentir faire demi-tour, s'en aller de mon souvenir et retourner à d'autres jeux, que sa jeunesse se passe, et que mes réels amours se tassent, et que la vie commence. Pour lui, pour moi, pour tous les autres qui jusqu'à ce jour ne savaient pas sur quelle pente glisser puisque ça glisse de tous les côtés, que la vie commence. Je ne chercherai pas à tout rattraper si les éléments du passé tombent un par un. Je ne ramasserai rien. Je n'avais que mes armes à ramasser. Des bouts de séduction, de rires de la plus pure authenticité. Je n'avais que ces armes-là à reprendre, et laisser les masques à terre.
Et l'Ami m'appelera, sans doute, en cette dernière semaine. Une dernière promesse à honorer. Je laisserai couler. Je laisserai tout sombrer. Je ne me battrai plus, contre vents et marées, je ne crierai plus à l'aide, je ne crierai plus à ses erreurs, à ses éphemères bonheurs, au nom de l'avenir que nous avons tous deux trahi à tour de rôle tout au long de l'histoire. Je laisserai les rêves choir au creux de mon départ. Je n'en aurai aucun regret. J'avais posé toutes mes cartes. J'ai ramassé tous les as, même si je me refuse encore à le croire, il faut que je m'en persuade, même si la reine est seule, les rois sortis du jeu.

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