[ mardi 3 septembre ][ 14:56 ][ parfums d'ici ]
Les mots ne me viennent plus. Ils se taisent, ils se cachent, ils sommeillent, ils étouffent, suffoquent peut-être sous le dernier soleil, je ne sais ce qu'ils font, lorsqu'ils ne viennent pas à moi. Les mots, les miens, ceux qui me réveillent parfois au milieu d'un songe, semblent disparaître et me laissent maintenant attendre en silence. Et rien ne sort. Je pourrais peut-être crier, je pourrais peut-être pleurer, je pourrais faire de grands gestes, courir, marcher, ou bien danser, pour exprimer ce que je ressens. Mais les mots me délaissent et moi je les cherche en vain.
Dans cette pièce j'attends. Je ne fais qu'attendre, encore et toujours, et encore attendre. Sagement, patiemment, que l'on m'emporte ailleurs. Bientôt. Je crève et encore les mots ne peuvent l'exprimer, j'ai peur, peut-être, et encore je ne sais comment l'admettre. J'attends en silence et regarde par la fenêtre. Mon regard s'attarde, mais déjà ce regard est vain. Je voudrais pouvoir entendre des voix familières, tant que je suis encore ici, je voudrais apercevoir une fois encore les silhouettes de ceux qui m'ont fait écrire les sourires, les déceptions, les douleurs, les rancoeurs, ces bouts de ma vie d'ici. Je voudrais pouvoir rien qu'une dernière fois scruter ces visages qui m'ont fait de la joie, qui m'ont fait de la peine, leur accorder un dernier signe de reconnaissance. Vous m'avez fait vivre, quoiqu'il m'en ait coûté. Toujours de temps à autre je me penche par la fenêtre, crois reconnaître une démarche, un reflet dans les cheveux, une main au loin. Je me penche et mes yeux implorent cette ville de me donner une dernière fois de quoi haïr, de quoi aimer, n'importe quoi pourvu que ce soit Vivre, me donner une dernière fois de quoi Ecrire. Ecrire encore la vie d'ici.
Mais septembre a balayé les rues de ces êtres espérés, aimés ou trompés, mais septembre balaie les dernières traces vivantes de mes souvenirs, les porte hors de mes yeux, hors de mes jours, hors de moi. Septembre leur fait emprunter d'autres chemins, d'autres détours, c'est aussi simple et facile que celà. Pourquoi devrais-je m'y attarder. Ce ne sont que des détails qui s'effacent, il ne me reste rien de plus ici à espérer, je dois me l'avouer. Il ne me reste rien de cette fenêtre à regarder, d'autres enfants ont pris nos places dans les rues pour y jouer. Il ne me reste rien, ici, ni à vivre ni à prouver.
Je vais quitter la ville, sans au revoir, sans faire frémir un coeur, autre que le mien, sans dire les dernières phrases, ces phrases que l'on dit toujours avant un départ parce qu'il faut bien parler, parce qu'il y a toujours un charme à rompre avec les armes qui l'ont lui-même créé, un charme à rompre avec des mots. Moi je n'en ferai rien de ces hypothétiques adieux. Moins de drames pour moins de larmes. Moins de passion pour moins de trahison. Celle que je n'ai eu de cesse de redouter quelles que soient les situations. Plus de trahison possible sans promesse. Sans un bruit. Sans se retourner.
Je vais quitter la ville, sans me jeter à corps perdu dans des bras rassurants qui ne m'attendront plus, je vais quitter la ville, sans revoir les yeux bleus qui au début de l'été m'ont fait perdre la tête, et le sud, et le sud, tout ce que je n'attends pas de ce sud. Je vais quitter la ville en les sachant vivants, quoiqu'il arrive toujours ici, où que j'aille toujours si expressément vivaces ici. Je vais quitter la ville, et quels que soient les foudres que je devrai combattre ailleurs, je les saurai à l'abri, à l'abri ici. Les bras de mes amis, les yeux de mes amants, et leurs discours sur le temps, la liberté, la jeunesse, l'ivresse, je les saurai à l'abri, ici. Si immensément là où je ne serai plus.