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La rentrée explosive des serial killers

par Michèle Stouvenot

JDD (Journal du Dimanche), dimanche 11 Septembre 1994


C'est le film-événement. Léon le tueur débarque et il flingue. Il n'est pas le seul : les écrans sont aujourd'hui éclaboussés de violence avec Killing Zoé et ses braqueurs fous, Pulp Fiction avec John Travolta qui tue par bêtise ou encore Tueurs Nés d'Oliver Stone avec Mickey et Malory, cinglés d'amour et de violence. Une nouvelle vision de l'enfer sous les rafales et les éclats de rire. L'enquête. Et la première interview de Luc Besson.

"Mais c'est une histoire d'amour..." Il est gentil, Luc Besson. Le regard doux, le sourire du bébé devant son ours en peluche. Oui, oui Léon est une superbe histoire d'amour. Entre un grand type et une petite fille. Léon et Mathilda. Charlot et le Kid version Luc Besson. Sauf que Léon ne chaparde pas, il flingue. Léon le "nettoyeur" nettoie. Comme le Victor de Nikita. Une différence, Victor nettoyait salement, Léon exécute ses contrats proprement. Les corps tombent, les mitraillettes mitraillent mais une fois le boulot accompli, Léon range soigneusement son fusil à lunette en son étui. Léon est le "Monsieur Propre" des serial killers.

Oui, oui, une superbe histoire d'amour. N'empêche qu'on en sort groggy. En se carrant dans son fauteuil, Michel Drucker n'a pas eu le temps de souffler : "Va falloir s'accrocher...", c'était parti. Sur l'écran, la musique d'Eric Serra explose, les têtes implosent. Les magnums claquent, les mitraillettes bégaient, les silencieux feulent, le sang gicle, la caméra zoome. C'est beau, le rai de lumière dans l'impact de la porte. Elle est esthétique l'hémoglobine, les effets spéciaux ont fait tellement de progrès. Luc Besson a tant de talent.

Oui, oui, une belle histoire d'amour. Léon n'oublie jamais de trimbaler entre deux chambres d'hôtel sordides sa plante, "sa seule amie parce qu'elle ne lui pose jamais de questions" qu'il arrose là encore avec soin. Il n'oublie jamais de gronder Mathilda quand elle fume une clope, en cachette. Seulement, il nettoie si bien Léon, que Mathilda dont toute la famille a été massacrée par d'autres serial killers - on est à New York - décide à son tour de devenir une nettoyeuse. Pour se venger. Léon cède. Elle est si mignonne. Alors tous les deux vont sur une terrasse qui domine Central Park. Léon a son fusil à lunette. Il apprend à Mathilda à cibler sa victime dans le viseur. Mathilda vise le coeur de l'inconnu. Appuie sur la détente. Feu. La balle est à blanc, Mathilda à cran : "La prochaine, tu promets, elle sera vraie."

[Note : La suite de l'article parle plus de la violence en général dans le cinéma américain. Vous pouvez sauter cette partie, pour retrouver uniquement Luc Besson parlant de LEON]

La violence ! Elle éclabousse l'écran. Killing Zoé, Tueurs Nés, Pulp Fiction, ce n'est plus une rentrée, c'est une boucherie. Le cinéma a ses nouveaux héros. Les serial killers. Ils s'éclatent, le cinéma aussi. Speedé, déjanté, camé, allumé, shooté, le serial killer est branché haute tension. Les doigts sur la prise et l'index sur la gâchette. Pas la prise de conscience. Il n'en a rien à faire de la morale. Il tue. Pour respecter son contrat comme Léon. Pour se défoncer comme les braqueurs fous de Killing Zoé, par bêtise comme John Travolta dans Pulp Fiction, par plaisir comme Mickey et Mallory Knox, les Tueurs Nés d'Oliver Stone. Le film sortira le 21. Alerte maximum. Le seul résumé du film suffit à donner le frisson : "Tueurs Nés, explique Oliver Stone, est la sanglante et hilarante épopée de Mickey et Mallory, deux serial killers fous d'amour et de violence qui semèrent la panique dans le Sud profond, tinrent en échec des centaines de policiers et d'agents fédéraux, affolèrent les médias, firent trembler et vibrer l'Amérique, tuèrent cinquante-deux personnes et devinrent l'espace de quelques semaines, les plus grands héros de leur génération."


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SPIRALE TUANTE, SANGLANTE DE LA CAMERA
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Le film? Une longue tueurie. C'est tellement énorme qu'Oliver Stone prend la peine de zébrer les séquences de planches B.D. Tueurs Nés est d'autant plus frappant qu'Oliver Stone est un cinéaste qui a la caméra hystérique. Elle donne le vertige. Nous entraîne dans sa spirale tuante, sanglante. On en vient presque à admirer Mickey et Mallory, il faut dire qu'ils - Woody Harrelson, Juliette Lewis - sont beaux, jeunes, amoureux. Sympas. Ils ne nous encombrent pas avec leurs états d'âme. Ils n'en ont pas. Ce qui leur plaît, c'est de tuer alors ils tuent dans un grand éclat de rire. Des anonymes parce qu'ils ont une sale gueule, un journaliste télé parce qu'il s'est servi d'eux pour faire remonter son audience, un directeur de prison, en fait n'importe qui a le tort de se trouver sur leur chemin. Ils tuent non pas avec modération mais avec frénésie et jubilation. Dans le film un psy analyse : "Mickey et Mallory Knox savent faire la différence entre le bien et le mal. L'ennuyeux est qu'ils n'en ont rien à foutre." Là est la différence.

Autrefois, il y avait les méchants d'un côté, les bons de l'autre. Simple. Les méchants tuaient, les bons se vengeaient. On le voyait à leurs spasmes de souffrance que Stallone ou Bruce Willis tuaient à contre-coeur. Contraints. Forcés. Ils étaient absous. Le polar avait ses régles, les auteurs, une vision (Hammett), une morale (Chandler), parfois un désespoir. Aujourd'hui? Dieu a disparu des écrans et le serial killer s'éclate sans problèmes métaphysiques. Drogue, argent, sexe, le plaisir se doit d'être immédiat. Plus de garde-fous, plus de "happy-end", plus de moule. Les scénaristes ne respectent plus rien. Surtout pas la façon de narrer. Les cinéastes osent l'inconcevable. Le flash-back ne se faisait plus? Retour du flash-back. Aux longs dialogues. Aux plans hachés. Pourvu qu'on s'allume. Bref, si Léon nettoie, le cinéma américain lui, balaye. Les tabous, la censure, la morale, les convenances. Il dynamite non seulement Hollywood mais le "politiquement correct".

La faute à qui, cette folie? A Quentin Tarantino. Un fou de cinéma. Et le cinéma est fou de Tarentino. Trente et un ans, costard noir et rire sans complexe. Né dans le Tennessee, il a grandi à Los Angeles dans un de ces quartiers où il vaut mieux ne pas dire, quand on se rend aux toilettes "je vais me repoudrer le nez..." Ex-comédien, il a joué dans Le Roi Lear de Jean-Luc Godard dont il raffole avec Jean-Pierre Melville. C'est lui Quentin qui a écrit le scénario de Tueurs Nés, celui de Killing Zoé, réalise Réservoir dogs, le choc de Cannes en 92, Pulp Fiction, Palme d'or au dernier festival de Cannes. Une rafle. Rien que des films qui secouent et dérangent. Donnent un coup de vieux aux polars pourtant déglingués de David Lynch et Abel Ferrara.

Flinguage, humour noir, et la rage de filmer. Sans états d'âme. "Ma morale est simple, tout est bon. Les personnages ont tous les droits. Seule compte la tension du film. Et alors? Après tout, je suis un enfant de la télé, des jeux vidéo et de la bande dessinée." Quentin Tarantino s'est brouillé avec Oliver Stone." Je n'ai pas reconnu mes Mickey et Mallory." A Venise, pendant qu'Oliver Stone se faisait siffler, Tarentino et sa bande faisaient du vélo...

Pour se défendre, Oliver Stone attaque : "Du 17 février au 27 mai 1994, la télévision américaine a diffusé quarante-cinq émissions sur des meurtres dont 1) l'histoire d'un fou qui dans un fast-food avait tué six des consommateurs, 2) le drame d'une employée des postes égorgée par son compagnon, 3) la sanglante récidive d'un serial killer libéré sur parole, 4) une confrontation entre le meurtrier d'un enfant de trois ans et le père de la victime, sans compter les procès, les documents policiers tirés d'histoires vraies. Le public en redemande. Ces émissions ont-elles de l'influence? Des statistiques montrent que le crime n'a pas augmenté depuis les années 70. Cela dit, le traitement médiatique a pris des formes et une ampleur nouvelles. Arrêtons d'être hypocrite, le crime et la violence sont des sujets vendeurs que les chaînes de télévision s'arrachent. Je n'y peux rien si la violence est devenue le spectacle le plus séduisant des temps modernes. Nous sommes condamnés à cette nouvelle vision de l'enfer. Un perpétuel face à face entre ceux qui ont les honneurs de l'écran et ceux qui les regardent. Y a-t-il une issue? Je l'ignore. Je choque? J'alerte."


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LA MORT EN DIRECT POUR L'AUDIMAT
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L'autre soir, le magazine 52 sur la Une a diffusé un reportage sur les Vampires de l'Info. Les journalistes jaunes comme on les appelle, en clin d'oeil à ces journaux qui imprimaient leurs nouvelles macabres en jaune pour mieux racoler le lecteur. Ron, un télé-reporter qui filme Los Angeles la nuit, perpétuellement à la chasse au scoop sanglant, a tranquillement expliqué : "Je filme la mort en direct, parce que le sang, ça fait grimper l'audimat. Le mieux, c'est l'incendie où il y a des morts. L'enfant qui pleure n'est pas mauvais non plus. Des états d'âme? L'excitation. La fascination. Et le besoin de fric..."

Des excès dont se défend Luc Besson. Il tient tout de suite à le préciser : "Mon film n'a rien à voir avec Killing Zoé ou Tueurs Nés. Eux ne m'intéressent pas du tout. Oliver Stone a beaucoup de talent. Mais je me méfie des phénomènes de mode. Cella là me paraît un peu trop médiatique. Une mode de papier. Quentin Tarantino a de l'amour en lui on le sent bien mais qu'il nous le montre! Killing Zoé, en France, marche moins bien que La fille de d'Artagnan ou que Quatre mariages et un enterrement. C'est réconfortant!"

Léon est lui aussi un serial killer. Le résumé du film tel que l'a rédigé Luc Besson raconte : "Léon est un tueur. Un de la pire espèce. Il est introuvable, indétectable, pire qu'un sous-marin. Son ombre est comme une menace permanente sur New York." Besson ne nie pas. "La violence de Léon n'est pas une violence gratuite. Elle est un des éléments forts du scénario mais elle n'est là que pour servir l'histoire. Si j'ai donné à Léon la profession de tueur, c'est d'abord un clin d'oeil. Je voulais écrire un rôle pour Jean Reno. Il était formidable dans Nikita. En Victor le nettoyeur. Qu'il soit Léon le nettoyeur m'est venu naturellement. Et puis, si je lui ai donné ce métier c'est parce qu'il est un métier extrême." Le cinéma de Luc Besson est lui aussi un cinéma, comme on dit du sport, extrême. Comme si entre la tendresse du Grand Bleu et les tueries de Léon, il ne connaissait pas de milieu. Il l'avoue : "Je n'aime que le cinéma sous haute tension." Dans son bureau, il a écrit cette phrase sur une feuille collée au mur : "J'ai toujours adoré ces petits moments de calme avant la tempête..."

Elle risque fort, mercredi, jour de la sortie du film de se déchaîner. Il s'en moque. " J'ai écrit ce film comme je l'entendais. Je me fiche que Léon soit un succès ou un bide. Le succès du Grand Bleu m'a bien davantage perturbé que l'échec d'Atlantis . Un échec tout relatif. Et français. Le film a cartonné au Japon, en Allemagne. Tant que j'ai de l'énergie, ce ne sont pas les entrées qui vont changer quelque chose. Atlantis m'aura au moins appris ça, en France, on méprise le film populaire. On préfère les intellos. J'en ai connu des intellos. Il y a de vrais auteurs, il y a encore plus d'escrocs. Moi, j'aurais pu faire Nikita 2, Le Grand Bleu 2. Je préfère faire mon travail."

Il ne trouve pas curieux que le cinéma s'éclate au moment où les Américains réclament une censure à la télé? "Une hypocrisie monumentale. Ce n'est pas la fiction qui est responsable du malaise de la jeunesse - un malaise qui ne date pas d'hier - c'est le manque d'affectif. Où ils sont les parents? S'ils s'occupaient mieux de leurs enfants, il y aurait moins d'ados killers. Le coeur, là est le problème. Un enfant qui pleure parce qu'il a demandé un vélo le jour de son anniversaire et ne l'a pas obtenu me parait plus grave qu'un type de quarante-cinq ans qui a perdu son emploi. Ce sont les adolescents qui se suicident, pas les parents qui ne comprennent rien et de toute façon ne cherchent pas à comprendre. La violence, elle aussi a toujours existé. Au cinéma, dans les westerns, Autant en emporte le vent accumule les cadavres. Les familles de Roméo et Juliette s'entre-tuent. Et alors? Quand un enfant voit Schwarzenegger flinguer tout ce qui bouge, il sait que c'est du cinéma. Tandis que ce qu'il voit chaque soir au journal télévisé, ça il sait aussi que ce n'est pas du cinéma mais que c'est la vie. Et qu'elle est effrayante. Bien plus perturbante que n'importe quel film. Arrêtons de fermer les yeux."

Il s'en doute, on va lui reprocher de faire esthétisant avec le sang qui coule. "Alors que je ne connais rien de plus beau qu'un corps de femme et rien de plus fascinant qu'un homme qui dans la rue court après la femme qu'il aime..."


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LE TUEUR ETAIT UN FRAGILE
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Léon est un tueur mais pas n'importe quel tueur à l'américaine. "Je l'ai appelé Léon parce que Léon, c'est un nom désuet. J'aime bien ce côté ringard. Léon est en dehors du temps, il porte des costards démodés, un bonnet, dans sa chambre un maillot de corps. Léon et son "marcel". Il vit dans des chambres minables. Il n'est pas avide, il ne sait même pas ce que lui rapportent ses contrats. Il ne pose pas de questions, il nettoie là où son patron lui dit de nettoyer. Il a quand même sa morale, il nettoie tout sauf les femmes et les enfants. Il lui faut bien survivre. Il ne sait pas lire. Il est seul. Perdu. Il donne la mort mais pour lui la mort n'a pas d'importance. Elle est quotidienne. Elle fait partie de la vie. Il tue comme les enfants s'amusent à jouer à la mort. Léon s'est gardé de grandir. Lui aussi est mort. Comme il arrive à chacun de nous. On déprime le matin, le soir on est heureux. Pourquoi? C'est ça que j'ai voulu montrer, ces moments où l'on fait du sur-place. Qu'est-ce qui nous redonne de l'énergie? L'envie de revenir à la vie?"

L'amour. C'est une petite fille, Mathilda, onze ans et demi, la frange à la Louise Brooks, les yeux noirs, adorable dans son caleçon à fleur - prodigieuse Nathalie Portman - qui va piéger Léon l'indestructible. Le tueur était un fragile. "C'est celle fragilité et en même temps cette force - il l'aime au péril de sa vie - qui en fait un héros." Il craque. Superbe Jean Reno qui, sans un mot, le visage impavide, le regard inexpressif sous les petites lunettes d'acier réussit à nous émouvoir. Il y a aussi dans Léon un flic dézingueur, Gary Oldman, le Dracula de Coppola. " Il est complétement allumé. On a dîné ensemble. De 20 heures jusqu'à quatre heures du matin. Il m'a épaté. J'ai dû le freiner." Ce flic est lui aussi un tueur. Luc Besson supplie : "Ne révélez pas la fin. Il faut garder le désir intact. Ca me rendait furieux quand on me racontait le films que j'avais envie de voir."

Ce qui le rend furieux aussi, c'est que Léon pour le CNC ne soit pas un film français. Sous le prétexte qu'il a été tourné à New York, en anglais, le film n'a pas de nationalité. "Il est apatride. Je suis pourtant un réalisateur français, mon équipe technique est française. Je n'engagerai pourtant pas la polémique. Mon film n'a pas de pays et alors? Le spectateur n'en a rien à foutre. Quand il voit La leçon de piano, il se fiche que le film soit néo-zélandais. Cela dit, c'est un peu lamentable cette frilosité..."

S'il a choisi New-York, c'est parce que la ville est "extrême". "Je l'ai découverte à 17 ans. Un choc. La ville a un côté impersonnel, elle ressemble à un vaisseau-fantôme. Pas facile à filmer. Elle est toute en hauteur. Il a fallu aussi négocier avec les syndicats, composer avec la chaleur moite, il faisait quarante degrés, mais bon, tourner un film a toujours demandé une formidable énergie. Et New-York a cette énergie qu'a su si bien capter Nougaro dans sa chanson New-York." En revanche, il n'a pas eu à choisir Eric Serra : Eric le compositeur, c'est l'ami, le frère de toujours. Du premier au dernier film. " On évolue ensemble." Comment? Il dit : "J'ai plus d'humour. Je travaille davantage mon scénario, je fouille mes personnages. Léon, je l'ai écrit comme le peintre son tableau. Avec des couleurs, par touches. Peu à peu, il a grandi, il s'est imposé à moi. Il a pris cette densité, cette épaisseur que Jean Reno a dans la vie. Ensuite est venue Mathilda. Trente jours d'écriture."

Léon est interdit aux moins de douze ans. Furieux? Luc Besson s'en réjouit. "C'est bien. Le film est trop fort pour eux. On leur interdit bien les plages quand les vagues sont trop grosses..."

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