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VERS UN CAPITALISME
BANCAIRE EUROPEEN |
Exposé de Pierre
Richard, Président de Dexia et du Crédit Local de France,
Déjeuner-débat du 22 octobre 1997
Première opération transnationale dans le secteur bancaire, Dexia
regroupe le Crédit local de France et le Crédit communal de Belgique. Créée
récemment, cette entreprise illustre la profonde nécessité de groupes puissants au sein
de l'Europe. Le conférencier reviendra plus loin sur cette idée et sur l'état actuel,
avant la création de la monnaie unique européenne qu'il appelle de ses voeux. Dexia est
à l'image du capitalisme européen en question, finançant les équipements collectifs de
tous pays, avec un en-cours de 100 milliards de francs dont 50% à l'international.
On assiste depuis peu à une évolution qui balaie un monde auquel on
était habitué. Quoi ! Mac Donald Douglas, un pilier de l'aéronautique disparaît en
quelques mois, happé par son concurrent Boeing...Partout des O.P.A. géantes défraient
la chronique. Nul ne peut prévoir dans quelques années, quelle sera la nomenclature des
entreprises ou la survivance de raisons sociales aux consonances familières. Ne
s'agirait-il que du monde anglo-saxon, et non de nos affaires françaises à l'abri dans
un cercle magique ? Il faut donc regarder de près "le capitalisme français" à
l'épreuve des réalités.
Situation du capitalisme français.
Les Français se voient volontiers différents des autres et ils
auraient même créé un capitalisme spécifique, avec une "harmonisation
préétablie" entre l'Etat, les banques, les entreprises nationales et les sociétés
privées. Au centre, les traditions jacobines nourrissent une philosophie
interventionniste efficace. Or l'examen critique du système amène à des conclusions
sévères. Formaliste, versatile, l'Etat laisse pourrir les situations, les évolutions
sont partout freinées." L'exception française, c'est la glaciation totale due à
l'Etat..." Les fonds de pension, fer de lance du capitalisme américain, sont chez
nous rejetés au profit d'une gestion paternaliste et la pratique des participations
croisées augmente le blocage. Dans un tel système, l'actionnariat individuel est faible
(20% de la bourse parisienne) et porte davantage à choisir d'obscures sicav plutôt que
des actions bien identifiées: les citoyens ne s'impliquent pas suffisamment dans
l'économie. Il est clair que le système français est en train de céder aux "coups
de boutoir" de l'économie mondiale et son sort est réglé si des solutions
nouvelles ne sont pas trouvées.
Quel capitalisme européen?
" Les étrangers ont envahi la bourse de Paris" dont-ils
détiennent 40%, notamment du fait des fonds de pension autorisés depuis peu à
rechercher tous placements rémunérateurs. Les capitaux circulent librement et peuvent
détruire une entreprise à la rentabilité insuffisante, enfin la globalisation ajoute
ses effets à la bousculade générale du rentier français ! Une fabuleuse souplesse
anime la finance américaine. Sur les cent premières entreprises, 50% sont américaines,
aucune n'est française. Face à la prééminence américaine, il n'existe, semble-t-il,
qu'une parade : un capitalisme européen, mais....
Il s'agit de sauvegarder la capacité européenne d'avoir une économie
à elle, avec ses centres de décision, des investissements, des plus values européens.
Si nous ne parvenons pas à sauver notre autonomie sur ce point, notre avenir se décidera
à New-York, Chicago, Seattle. ! Il conviendrait de créer un grand marché, comme l'ont
fait les Américains. Aucun des Etats de l'Europe ne peut subsister s'il ne crée avec ses
voisins un vaste ensemble où les investissements de toute nature se réaliseront sans
entrave, avec des entreprises dont la taille sera telle qu'elles se mettront à l'abri des
convoitises. La grande BNP en France est guettée par un groupe 10 fois plus grand à
New-York. Bien d'autres devront s'agrandir par fusion : l'exemple est donné par la
Grande-Bretagne qui ne possède que 5 ou 6 banques avec 240 milliards de dollars de
capitalisation boursière ( plus que la France et l'Allemagne réunies); Il faut donc un
marché plus large, des fusions transnationales en grand nombre dont l'exemple est déjà
donné par quelques grands groupes anglo-hollandais, germano-suisses et suédois...ou
Dexia précisément. L'importance de l'effort à fournir est illustré par deux chiffres :
l'Europe détient 30% du Pib mondial (US:27%) mais 19% du marché des capitaux (US: 50%),
les fonds de pension s'assignent 15% de rentabilité même s'il faut vivre chichement ; en
France nous avons 6 à 7%, et il faudrait atteindre 12% ( but que s'assigne AXA).
Une tâche immense possible grâce à l'euro.
Sans une monnaie unique, le capitalisme européen devrait renoncer. Les
événements qui vont survenir dans les années proches défieront l'imagination Avec
l'euro, les Européens disposeront d'un étalon simple et clair, ils pourront mesurer
leurs progrès ou leurs échecs Chacun prendra l'habitude de raisonner autrement. Le
capitalisme français devra se fondre dans un nouvel ensemble, plus européen. Les
opinions publiques suivront-elles ? Les salariés devront accepter le risque de changer
d'emplois et d'entreprises face à l'instabilité technologique mais on devrait créer des
"organismes de mutation" qui aideront ceux que le changement bouleverse.
Les Français, en particulier, se lanceront-ils dans l'aventure? On
remarquera qu'ils voyagent beaucoup et qu'ils ont compris l'affaire de France Telecom ;
des décideurs avisés émergent dans de grands groupes. Restent ceux chez qui, le terme
de capitalisme fait horreur, ceux que le "business" n'intéresse pas; les
angoisses et les refus ne peuvent être ignorés des économistes. Il y a aussi
l'administration française lourde, multiple, compliquée, des lois sociales stratifiées
au fil du temps, autant d'obstacles. Enfin, les fonds de pension américains ne devraient
pas devenir le seul leit-motif de nos réflexions.Il faut tenir un autre discours à notre
irrévérencieuse et sympathique jeunesse pour la convier à entrer dans une Europe
accueillante et moderne.
Notes de Henri Douard. Lettre d'Alerte aux
réalités internationales de décembre 1997
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