INCERTITUDE...
Quelqu'un est venu l'autre jour à ma petite consultation
!
Il m'a demandé s'il fallait craindre de se tromper...
Je lui ai dit qu'il fallait, avant tout, se demander ce que voulait
dire cette question !
Et que tout dépendait des circonstances dans lesquelles
on la posait !
Regardez Descartes, par exemple...
D'un coté, il dit :
Puisque je me suis trompé une fois, je peux me tromper
toujours !
Et je dois redouter cette possibilité, sans quoi je ne
serais jamais certain de rien !
... Et cette crainte, il la transforme en doute !
Mlle Agnès : Vous êtes
sure ?
Jackie : Sans aucun doute !
... ... On se détend avec nous !
Mais d'un autre coté, le même Descartes dit que,
dans l'urgence de l'action, il ne faut pas craindre de se tromper
!
Si vous êtes perdus dans une forêt, n'importe quel
chemin sera le bon pour en sortir...
Tandis que si vous vous demandez :
Est-ce le bon chemin ?
... Si vous hésitez ! ... Vous n'en sortirez jamais !
Jackie : En semant des petits
cailloux, vous êtes sures de retourner à l'endroit
où vous étiez perdus !
Mlle Agnès : (rires)
Mon visiteur m'a écouté poliment !
Il m'a dit qu'il comprenait bien ce que disait Descartes...
Que dans l'ordre de la connaissance, la crainte de se tromper
était une vertu, une sorte de prudence !
Mais que dans l'ordre de l'action, ce pourrait être un défaut,
une indécision...
Il m'a dit qu'il lui était difficile de distinguer le vrai
du faux !
Par exemple, qu'il ne pouvait aller au musée sans se demander
si, ce qu'il voyait, était un original ou un faux !
Mlle Agnès : Il y aurait donc de faux musée !
Il a ajouté que quand il regardait la télé, il trouvait les images assez ressemblantes, mais comme il ne connaissait pas les modèles, il était bien avancé !
Jackie : Tristan Corbière,
poète breton...
Mlle Agnès : J'entends le
loup, le renard et la belette...
Jackie : ... Qui avait vu Le Vésuve
représenté sur des abat-jour et des devants de cheminée,
a dit quand il s'est trouvé au pied du volcan : Les autres,
plus petits, étaient plus ressemblants !
Voilà ce qu'il a dit ! ...
Mlle Agnès : J'entends le
loup et le renard chanter...
Je lui ai dit :
Non, c'est pas ça ! ... Je ne suis pas méfiant !...
Je ne crois pas qu'on veuille me mentir ou me tromper ! ...
Du moins, si l'on veut me tromper, c'est pour qu'après
je me trompe tout seul !
Le problème n'est pas le mensonge, mais l'ignorance !
Mlle Agnès : Et tu lui
as dit : Ah ! J'ignorais ! ... Vous êtes sure que vous ne
mentez pas ! ...
Jackie : Ben oui ! ... Comment tu
le sais ?
En plus, je lui demandais de me donner un exemple !
Il m'a dit qu'il en a de trop, qu'il ne sait pas lequel choisir,
mais qu'en général, il a l'impression que ceux qui
savent, ne savent rien ou pas grand chose !
Par exemple, quelqu'un lui donne une information...
On lui accorde qu'il la sait plus ou mieux que celui qui la reçoit
!
Mlle Agnès : Un chauffeur
de taxi m'a dit qu'il n'y avait plus de saison !
Jackie : Oh ben il doit avoir ses
sources !
On doit donc lui accorder qu'il se pose la question :
Faut-il craindre de se tromper ?
Or, il a remarqué, à quelques détails, qu'un
informateur ne savait pas grand chose et surtout qu'il n'était
pas habité par cette crainte... Et qu'il disait donc des
choses qu'il ne savait pas vraiment... Et que tout cela le plongeait
dans l'incertitude...
Mlle Agnès : Ben, ça
devrait plutôt le plonger dans la certitude que l'autre
parle sans savoir puisqu'il l'a vérifiée !
Jackie : Comment ?
Mlle Agnès : Ben, ça
devrait plutôt le plonger dans la certitude que l'autre
parle sans savoir puisqu'il l'a vérifiée !
Bien plus ! ... Me dit-il, cette incertitude me rend très
fragile...
IL y a, en dialectique, un argument que l'on appelle : Argument
d'autorité.
La version moderne de cet argument, c'est :
Puisque c'est la télé qui le dit ! ...
Mais, en fait, il ne s'agit pas de cela, me dit-il, l'argument
d'autorité revient à dire :
Puisque la télé le dit, alors on ne sait pas ! ...
Mlle Agnès : Faudrait
s'en assurer par la radio !
Jackie : Comment ?
J'allais lui répondre que tout cela était d'une
grande sagesse... Je n'ai pas eu le temps...
On ne me ment pas ! ... Comprenez-vous... On me rend incertain...
On me communique de l'incertitude...
Et le nouvel argument d'autorité, c'est :
Il ne peut pas y avoir de certitude ! ...
Qu'appelais-vous certitude ? ... lui ai-je demandé...
C'est, par exemple, quand je sais quelque chose et que je sais
que je le sais !
Ou quand j'ai compris quelque chose et que je sais que je l'ai
compris !
Ou encore quand je n'ai pas compris et que je suis certain de
ne pas avoir compris !
Ou enfin quand je ne sais pas et que je sais que je ne sais pas
!
Vous comprenez pourquoi je me demande s'il faut craindre de se
tromper !
Mlle Agnès : Et tu lui
as dit oui !
Jackie : Ben oui, je le comprenais...
Le faut-il par devoir ?
Est-ce que nous nous devons la vérité ?
Est-ce que nous la devons aux autres ?
Le faut-il par nécessité ?
Y a-t-il une sanction à l'erreur ?
C'est peut-être cela le Grand Secret du régime
démocratique !
Quel Secret ? ...
Le Grand Secret du régime monarchique, notait Spinoza,
est la superstition !
Le Grand Secret du régime démocratique serait l'incertitude
!
Vous voulez dire que nous serions gouvernés par l'incertitude
?
Exactement ! ... Si vous appelez incertitude l'insouciance de
la vérité !
J'allais lui demander de m'expliquer... Mais il est parti comme il était venu...
Mlle Agnès : Et voilà
! ... Encore un qui est parti sans payer !...
Jackie : Comment ?
... On se marre avec nous !