ENCORE LA MORTALITE ...
Les Grecs sont bien loin, n'est ce pas ?
D'Empédocle dont je vous parlais la dernière fois, il ne nous
reste que des fragments.
Mlle Agnès : Un bout de crâne
? Un tibia ?
Jackie : Ben. Je parle de son œuvre !
Quand nous les lisons, nous sommes comme des touristes visitants les
ruines d'Olympie ou d'Eleusis.
Mais qui est en ruines ?
Olympie ? Ou les touristes…Empédocle ? ou nous-mêmes…
Mlle Agnès : C'est très
mauvais de faire des reproches à tes contemporains, arrange-toi pour
qu'ils croient que tu parles de mes voisins !
Jackie : Ah ! Mais, ils le croiront, c'est
dans le comportement, ça s'appelle les défenses immunitaires.
Henri Miller, en visitant la Grèce, écrivait :
Extérieurement, Eleusis peut avoir l'air d'un vieux débris
tombant en miettes avec le passé.
En fait, Eleusis demeure intacte.
Les vieux débris, la dispersion, l'émiettement, la poussière…C'est
Nous.
Mlle Agnès : Tu te souviens quand on visitait les pyramides…t'avais ton lumbago…y'avait du soleil…Oh ! T'était une vraie ruine.
Mais Henri Miller ne visite pas la Grèce !
Il y fait une expérience ! C'est d'ailleurs pour cela qu'il n'y est
jamais retourné.
Mlle Agnès : Ah ! Moi, mes parents,
ils retournent tous les ans à Soulac sur mer !
Jackie : C'est pas à coté de
la Baule, ça ?
Mlle Agnès : Non…c'est un peu plus
bas…un peu plus bas…quand tu vas à…
Jackie : Ouais ! bon allez…
Mlle Agnès : Quoi ?
L'expérience d'Henri Miller peut valoir pour la philosophie antique…
Par exemple, Socrate…
Il a été condamné, il était accusé d'impiété
envers les Dieux de la cité, et par conséquent, de corrompre
la jeunesse.
Mlle Agnès : C'est peut-être ce qu'il va t'arriver ?
Deux questions se posent à propos de son procès.
D'abord, pourquoi a-t-il été condamné à mort
?
Pour un tel délit, il y avait à Athènes qu'une seule
condamnation possible : le bannissement.
Ensuite, pourquoi a-t-il bu la ciguë, le poison ?
Mlle Agnès : Oh ! Ben parce qu'il avait soif ?
Les portes de la prison étaient ouvertes, tout l'invitait à s'enfuir, à s'exiler…
Mlle Agnès : Va savoir ce qu'il leur passe par la tête à ces Grecs ! Regarde ! celui qui vends des sandwichs en bas de la maison…On sait jamais ce qui pense…
Socrate, lui-même, a répondu à la seconde question.
Ce serait commettre une injustice envers Athènes, c'est-à-dire
envers tous…que de soumettre à la peine infligée.
Socrate boit le poison par obéissance ! Par justice !
Toutefois, il ajoute une seconde raison…
Personne ne comprends pourquoi il choisit la Mort plutôt que l'exil…Tout
le monde, en effet craint la Mort.
Mais ! Qui sait ce qu'est la Mort ?
On ignore ce qu'elle est ! Pourquoi la craindre comme un mal ?
Alors qu'on sait que désobéir aux lois, est un mal ! Et l'on
ne craindrait pas, en fuyant, de la commettre ?
Mlle Agnès : Mais il est plein de bon sens ce Socrate !
La conduite de Socrate dépasse la question de savoir s'il était
coupable ou innocent.
Quelqu'un, aujourd'hui, par sa conduite, demande :
Est-ce Socrate ou nous qui sommes en ruines ?
Ce quelqu'un s'appelle Toni Negri.
Mlle Agnès : C'est pas un couturier ?
Il est philosophe, il a été incarcéré en 1979, accusé d'insurrection armée contre l'état italien, on lui reproche d'être l'instigateur occulte de l'enlèvement d'Aldo Moro…
Mlle Agnès : C'est pas un footballeur ?
Il a fait quatre ans de prison puis, député européen,
il s'est exilé en France ou il est resté treize ans…
En juillet dernier, il est rentré en Italie…Il est en prison,
sous le coup, comme beaucoup d'autres, d'une loi d'exception.
Comme pour la mort de Socrate, on peut se demander pourquoi Toni Negri est
rentré ?
Mlle Agnès : Nostalgie ?
Jackie : Non…y'a de très bons restaurants
italiens en France…non, c'est pas ça.
Negri le dit lui-même, il obéit à la loi pour la
faire changer.
Changer la loi, non pas seulement pour lui… Mais pour tous les autres.
Alors, disons de Toni Negri, ce qu'on a dit de Socrate :
" Il pensait qu'on ne peut pas être juste tout seul. Qu'à
l'être tout seul, on cesse de l'être. "