Cinéma de quartier... Le Balzac... A l'affiche : " ! "...
Jackie : C'est là !
Mlle Agnès : Ah oui...
Jackie : Ca a pas l'air mal, hein
?
Mlle Agnès : Ouais ! ... Ben
c'est courageux de programmer ça !
OBSCURITE...
L'air et la terre sont les deux matières de l'Art !
Il lui faut ces deux éléments, la lumière
est une affection de l'air.
Comme le son, mais l'air peut être silencieux comme il lui
arrive d'être obscur !
Aussi le silence et l'obscurité sont pour l'artiste comme
un matériau !
" L'obscur est la matière du peintre ! " Disait
Schelling.
Dira-t-on que le silence est la matière du musicien ?
Jackie : Bonjour !
La Caissière : Bonjour !
Jackie : 2 " !
"
Mlle Agnès : C'est pas commencé
?
La Caissière : Si, y'a une
minute !
Mlle Agnès : Ouh ! ....
Jackie : Ooh ! ...
Une matière pour un artiste, c'est tout de même
plus important qu'un sujet !
Un sujet ça ne manque pas, mais une matière ! ...
Tenais je vous ai apporté une carte postale, derrière
il y a écrit : " Elle s'appelle reviens ! ".
On me l'a prêtée, c'est un tableau d'Edward Hopper.
Comme vous voyez... Un cinéma... L'ouvreuse debout qui
s'ennuie... Et puis un bout d'écran et quelques spectateurs...
C'est le seul tableau que je connaisse dont le sujet soit un cinéma
!
Mlle Agnès... Jackie... Qui s'installent...
... Un seul spectateur dans la salle.
Mlle Agnès : Alors qu'il
y a pas mal de films sur la peinture !
Le Spectateur : Chuut ! ...
...Une façon pour que le sujet et la matière soit la même chose. Le cinéma est obscur, mais ici on sent que l'on est en semaine, l'après-midi, l'ouvreuse semble faire relâche... On le sent, mais on ne le voit pas !
Mlle Agnès : Ben, on
parle d'un tableau, on le voit pas !
Jackie : Ben c'est exprès,
c'est pour faire marcher l'imagination !
C'est d'ailleurs étrange une salle de cinéma,
rien ne transpire d'elle quand on est dehors !
Tandis qu'à l'intérieur...
L'extérieur... La rue... La lumière la pénètre
d'une certaine façon !
Close de l'extérieur, ouverte de l'intérieur !
Mais à quoi est-elle ouverte ?
A l'air que l'on vient de quitter... En tout cas, voilà
le pressentiment que nous donne Hopper...
Comment fait-il ?
Mlle Agnès : Il a du
faire des études, les beaux-arts... Quelque chose comme
ça ! ...
Jackie : ...
Le point de vue est oblique, c'est à peu près
celui d'un spectateur discret, dont le regard diverge, les yeux
un peu dans le vague...
Le film ne doit pas être fameux, ou bien encore ce point
de vue est soucieux, on sent que ce regard pense à autre
chose... Une inquiétude, une absence, un œil sur un
bout d'écran... L'autre vers la sortie... Vous voyez bien
qu'il s'agit de tout autre chose que de montrer un cinéma
!
Mlle Agnès : Heureusement
! Parce qu'aller au cinéma pour voir un tableau qui montre
un cinéma !
Jackie : C'est pour ça que
je ne l'ai pas montré !
L'obscur peut être la matière du peintre, comme
la pierre peut être celle du sculpteur...
Le peintre va alors travailler l'obscur, lui donner une forme...
L'obscur peut être le noir, l'absence de lumière...
Mais cela ne suffit pas ! ... C'est très difficile à
définir, l'obscur ! ...
Je veux dire à définir autrement que par rapport
à la lumière !
Mlle Agnès : Bon, tu
m'avais promis qu'on aurait Johnny Deep !
Jackie : Ben après ! ... Moi
je fais la première partie !
Mlle Agnès : Un peu comme
les pubs !
Jackie : Voilà !
Quelqu'un demandait à Thalès : Qu'est-ce qui est premier ? ... Le jour ou la nuit ?...
Mlle Agnès : Ben c'est
comme demander si le chaud est avant le froid !
Le Spectateur : Chuut ! ...
Thalès répondit : Et bien la nuit, c'est le jour
avant !
La nuit c'est le jour avant ? ...
Thalès voulait-il dire que la nuit est le pressentiment
du jour ? ...
Certains insomniaques le savent bien, ils ne peuvent fermer les
yeux !
L'insomnie est souvent une affaire d'optique, parce que lorsque
l'on se réveille le matin, on sort d'une double obscurité,
celle de la nuit d'une part, et celle de nos yeux fermés
d'autre part...
Une obscurité que l'on pourrait voir si on n'avait pas
fermé les yeux !
Mlle Agnès : Tu peux
pas faire venir l'ouvreuse avec sa lampe de poche... J'ai perdu
ma bague ! ...
Le Spectateur : Chuut ! ... Y'a pas
moyen de dormir ici ! !...
Jackie : Ooh... Ooh...
Mais c'est mathématique, quand on se réveille,
on sort d'une double obscurité pour ne voir qu'un seul
jour... On a donc laissé une obscurité en route
!
Le jour n'est plus alors que de l'obscur éclairé
!
Si la nuit est le pressentiment du jour, le jour n'est que la
nostalgie de la nuit !
Alors, quel est cet obscur dont le peintre fait sa matière
?
Est-ce celui de la nuit ? ...
Du noir descendu sur les choses ? ...
Est-ce celui de nos yeux fermés à cette nuit comme
à ce jour ? ...
Jackie... Mlle Agnès... Qui sortent du ciné...
Jackie : Ah ben, j'aurais pensé
que ça marcherait mieux que Titanic !
Mlle Agnès : Enfin... Ben,
c'est vraiment courageux de l'avoir programmé... Non ?
...
Ce cinéma d'Hopper retrouve l'obscurité que nous avons laissée en route en ouvrant simplement les yeux le matin au réveil !
Le Spectateur... Les yeux fermés...
Qui dort...