Sur le plateau de télé...
Jackie : Bon ben là
je travaille ! ...
Mlle Agnès : Oui, attends...
Je me pousse...
Jackie : Distinguer le vrai du faux...
Non mais attends.. ...
VERITE
Distinguer le vrai du faux, c'est bien utile dans la vie et
même souvent très agréable...
M'aimes-tu vraiment ?
C'est vrai ce que tu racontes ?
Voilà des questions auxquelles nous aimons qu'on nous réponde
: Oui !
Même si nous ignorons, en fin de compte, ce que veut dire
aimer !
Même si nous ne pouvons vérifier ce qu'on nous raconte,
nous avons un certain goût pour la vérité
!
C'est évidemment beaucoup plus simple à vivre !
Mlle Agnès : (qui tire
sur ses cheveux) Tu sais qui parait que c'est de vrais implants
?
Jackie : Oh oui ben ça j'assume...
Ce que j'aimerais pas, c'est qu'on sache que c'est pas une vraie
tête !
Pour satisfaire ce goût, on mène parfois sa petite
enquête, ou bien on détecte, on cherche, on vérifie,
on certifie...
Nos gestes les plus banals sont placés sous le signe de
la vérité !
Mlle Agnès : C'est ici
qu'ils tournent le "Vrai Journal " de Karl
Zéro ?
Jackie : Ouais, mais il parait que
c'est pas le vrai Karl Zéro
!
Mlle Agnès : Toi, c'est de
vrais implants !
Comment refiler une fausse pièce de 10 Francs ?
Comment ne pas être trahi par la fausse pièce ?
C'est que nous pensons que la pièce de 10 Francs, par son
apparence, son poids, va dire à notre insu :
Voilà ! Je suis une vraie (ou une fausse) pièce
de 10 Francs !
... Comme ci la pièce de monnaie racontait quelque chose
sur elle-même !
Ce qui est ou n'est pas en elle !
Et même si nous ne sommes pas des faux monnayeurs, nous
sommes des faussaires lorsque nous refilons une fausse pièce,
puisque nous faisons passer le faux pour du vrai !
A la machine à café...
Mlle Agnès : Tu sais
que c'est du véritable potage à la tomate !
Jackie : Ben moi, ça me rassure
de le savoir ! ... ... Ben dis donc, pour en revenir à..
Mlle Agnès : A ... ?
Jackie : Ouais !
Mlle Agnès : Un vrai faux
cul !
La vérité donne donc aux choses une profondeur
derrière leur apparence matérielle, un arrière
plan, un rapport à elle-même, une dimension spirituelle...
Et les choses muettes semblent murmurer leur vérité
et leur fausseté !
Les choses deviennent des signes de leur vérité
et de leur fausseté !
Ce n'est évidemment pas par goût de la philosophie
que nous aimons la vérité !
Mais le plus souvent pour des raisons commerciales... Nous n'aimons
pas être volés !
Mlle Agnès : L'autre
jour, j'achète un fauteuil " Skaï véritable
"... Je fais venir un expert... Il était faux !
Jackie : Ben c'était quoi
?
Mlle Agnès : Du cuir !
Jackie : Ah ben il faut me le dire
quand tu veux acheter du vrai toc !
La vérité, dans ce cas, est une idole du forum
!
" Une idole du marché ", pour reprendre l'expression
de Francis Bacon.
Bacon, dans son " Novum Organum ", distingue quatre
illusions qu'il appelle idoles :
L'idole de la tribu, de la caverne, du marché et du théâtre...
L'idole du marché né du commerce des hommes...
Par conséquent, du langage !
L'idole du marché est l'illusion de prendre les signes
conventionnels des choses pour leurs essences !
Jackie : Ben comment ça,
ça marche plus ?
Mlle Agnès : (derrière
la camera) Ben non ! ... Je crois qu'y a plus d'essence !
Jackie : Ah ben c'est à toi
de vérifier ça !
Mlle Agnès : Oui ben écoute,
sur le compteur y'a marqué qu'il reste vingt litres ! ...
Alors bon...
De ce point de vue alors, la vérité serait la
plus grande illusion !
Rien n'exprime mieux l'idole du marché que notre plaisir
à voir ce qui se passe dans les coulisses, dans les cuisines...
C'est là, semble-t-il, le lieu de la vérité...
La vérité est nécessairement là...
Derrière... Cachée...
Voilà notre paranoïa quotidienne, ou notre banale
jalousie !
Savoir ce qui se passe là-bas derrière, satisfait
moins notre envie de vérité que les exigences de
l'idole du marché !
D'où les inénarrables avatars de l'idole du marché
:
Le Parler vrai ! ... Le fameux : " Je ne pratique pas la
langue de bois ! "
Mlle Agnès : Oui mais
disons les choses comme elles sont... Vous êtes un vrai
fumier, une belle ordure !
Jackie : Ah ben oui, appelons un
chat, un chat... Je crois qu'il n'y a pas plus crapule que moi
! Mais je peux pas me blairer !
Mlle Agnès : Ah ben alors,
si vous vous croisez, vous avez intérêt à
courir peut-être ?
Jackie : Puis je vous dis pas ce
qui arrivera si je me rattrape !
Dans certains cas quelqu'un nous dit, en effet, la vérité...
Alors, nous sommes apaisés...
Nous avons plus rien à comprendre...
L'autre devient transparent... Cristallin...
La vérité est, pour ainsi dire, la nudité
de l'esprit !
C'est qu'un esprit, une intelligence, une âme, nous n'avons
pas d'yeux pour les voir, ni d'oreille pour les entendre ! ...
Nous ne percevons que des mots, des gestes, des attitudes, des
signes...
Et ces mots, ces gestes, ces signes, il arrive que nous nous demandions
s'ils traduisent intégralement l'esprit, l'intelligence
ou l'âme que nous ne pouvons percevoir...
Souvent alors... ...
Jackie : ... ... Souvent alors,
l'esprit ressemble aussi à une arrière cuisine,
à des coulisses... ... Mais qu'est-ce tu fais ? ...
Mlle Agnès : Ben un petit
peu comme la vieille vaisselle que t'as dans ton esprit !
Jackie : Non mais attends... ...
T'as vu l'heure ! ...
Pourtant, rien ne lasse plus vite qu'une illusion !
Aussi faut-il en changer très vite !
Il n'est guère d'autre salut que de percevoir la mort des
anciennes idoles et la naissance des nouvelles idoles quotidiennes
du marché !
Les apparences toujours changeantes que prend l'illusion de la
vérité...
Nous autres, philosophes, détestons, avant tout, être trompés par la vérité...
... On est comme ça, nous autres !