Canapé rouge...

 

PAS SI VITE

 

VOYAGES...

 

Canapé rouge... Apparitions... Mlle Agnès... Jackie...

Mlle Agnès : Où est-ce qu'on pourrait bien aller cette année ?
Jackie : On est pas bien ici ?

Les grands philosophes voyagent rarement, et le plus souvent ils sont célibataires !
Pris ensemble, ça parait contradictoire...
Certes, immédiatement, des voyages de philosophes viennent à l'esprit, Platon est allé en Sicile, Aristote un peu partout, Descartes en Suède... Chez Christine... La Reine... Diderot en Russie... Chez Catherine... La Grande... Et Derrida... A Greenwich village...
Mais ces voyages là ressemblent à des déménagements, à des missions !

Jackie : Et où y'a de l'exil, comme Rousseau... On brûlait ses livres sur le palais de justice, il a été obligé d'aller se réfugier chez Hume en Ecosse !
Mlle Agnès : Oh ben tu sais qui parait que c'est pas mal l'Ecosse !
Jackie : Oh ben... Pas l'exil !

Pourquoi les philosophes voyagent-ils rarement ?
On remontera plutôt des conséquences aux causes, si vous le permettez !

Mlle Agnès : Ca va, on le permet !
Jackie : Merci, c'est gentil !

Le philosophe passe son temps chez lui, dans sa maison ou dans un meublé de banlieue, comme Spinoza !
Son existence est domestique ou, au sens strict, économique !
Selon les époques, son existence ressemble à celle d'une femme à la maison ou à celle d'un mélancolique grabataire ou à celle d'un chômeur... Son horizon est donc limité !
Il n'est pas un géographe, ni un mondain...
Il n'est pas un témoin, ni un observateur...

Mlle Agnès : Quand je te dis que c'est pas la joie de vivre avec un philosophe !
Jackie : Oh ben te plains pas, tu aurais pu vivre avec un journaliste !

Du temps où les journalistes voyageaient pour des raisons moins obscures que de regarder CNN ailleurs que dans leurs living-rooms, on aurait pu dire que l'existence du philosophe s'oppose radicalement à celle du journaliste !
Tout lui est donc étranger ! ... D'une certaine façon, non, si par étranger on comprend ce qui rompt avec nos perceptions habituelles !

D'une certaine façon, tout lui est étranger, si par étranger on comprend ce qu'un esprit n'a pas encore produit !

Mlle Agnès : Ben, j'ai pas envie d'aller à l'étranger cette année !
Jackie : Ben t'as raison ! Y'a de très bons dancings et de très bons campings en France !

Les philosophes sont comme ce héros policier aveugle qui résolvait toutes les enquêtes criminelles sans sortir de chez lui !
Un voisin, une sœur, deux cousins germains, cela suffit pour faire un monde !
Quand il sort, le philosophe, c'est pour aller à coté, il ne va pas trop loin, dans la rue, sur la promenade, au café...
Il est donc urbain, il a besoin de sentir la rumeur autour de lui !
Sa maison n'est pas un refuge, une villégiature ou un splendide isolement, mais un milieu !
Dans un film d'Eric Rohmer, un personnage, professeur de philosophie à Orléans, disait qu'il rentrait à Paris tous les soirs !
On lui demandait pourquoi ? ... Pour sortir ? ... Voir des amis ? ...
Il répondait : Non ! Je reste souvent chez moi ! ... J'écoute la radio ! ...
On lui objectait : La radio, tu peux l'écouter à Orléans !
Il disait : C'est pas pareil !

Mlle Agnès : Pourquoi ? ... On reçoit mal la radio à Orléans ?...
Jackie : ...

D'une certaine façon, le philosophe tente de vivre exactement là où il travaille !

Mlle Agnès : A Orléans ! ...
Jackie : Non mais on peut penser que ce prof travaillait à Orleans mais philosophait chez lui, à Paris ! ...
C'est à dire que quand il enseignait la philosophie, il ne philosophait pas ! ...
Mlle Agnès : ......... Il travaillait !
Jackie : A Orléans ! .........

Il fait en sorte que l'existence et la philosophie coïncident en un même lieu !
Dehors et dedans n'ont pas le même sens pour lui que pour nous !
C'est comme ci, il avait besoin de monotonie et de répétition !
Un philosophe sait que l'esprit obéit à un mouvement monotone et que la répétition, justement c'est pas pareil !

Mlle Agnès : La répétition c'est pas pareil ? ...
La répétition c'est pas pareil ? ...
Et c'est ce qui est diffèrent qui est semblable ? ...
Jackie : Paradoxe ! ...
Mlle Agnès : C'est le monde à l'envers la philo quand même, un jour ils vont nous dire que peupler ça veut dire désert, et que travailler c'est être en vacances...
Jackie : Ben justement, il existe un beau livre sur le paradoxe, il faudra que j'en parle un jour ! ...

OLIVIER ABITEBOUL "LE PARADOXE APPRIVOISE " - Editions FLAMMARION

Ce n'est donc pas seulement par passion de l'universalité que le philosophe conjure les sollicitations multiples des sensations particulières !
Ce n'est pas, non plus, parce que tous les jours il produit et écrit une ligne, qu'il doit rester chez lui !
La vie de l'esprit requiert des conditions locales territoriales ou spatiales très strictes !

Mlle Agnès : Bref ! T'es encore entrain de me faire comprendre que je vais partir en vacances toute seule ? ? ?
Jackie (qui rêve) : .........Hein ? ...

C'est mystérieux ! ... Plutôt une question de rythme !
Le rythme de l'esprit qui réclame non seulement une unité de lieu, mais un lieu limité, restreint, obscur... Ou clair-obscur, car l'obscurité complète n'est pas monotone !

Cling ! La lumière s'éteint ! ...

Mlle Agnès : Hé ! ...
Jackie (qui se lève) : ...A.. Attends !...
Mlle Agnès : Je vois plus rien ! ...
Jackie : Merde ! ... (qui se casse la gueule...)

 

 


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