CHRONIQUES D'ERIC DUPIN SUR FRANCE CULTURE
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DECEMBRE 2002

La fiction du collège unique (2)

 Faut-il être pour ou contre le collège unique ? Dés qu’on pose une question dans ces termes, il y a de quoi se méfier. Il est vrai qu’on adore, en France, les grands débats de principe. On préfère discuter de totems symboliques plutôt que de se pencher sur la réalité des problèmes. Pour certains esprits, le collège unique serait ainsi par essence une idée de gauche à défendre contre toute réaction, ancienne ou nouvelle ! Le problème, c’est qu’un véritable souci de l’égalité scolaire conduit à critiquer les pratiques concrètes qui se cachent derrière le collège unique.
 Rappelons tout d’abord que celui-ci n’est pas historiquement « de gauche » puisqu’il a été instauré par la droite en 1975. Mais l’essentiel n’est pas dans ce débat d’étiquettage idéologique. Il est que ce système ne satisfait pas grand monde. Une récente enquête réalisée par la Sofres pour le syndicat FSU a montré que les deux-tiers des enseignants des collèges étaient opposés au système actuel qui repousse à la fin de la troisième toute orientation officielle. La FSU elle-même est partagée sur le sujet, sa branche collèges et lycées se montrant désormais ouverte à une révision du principe du collège unique. Les parents d’élèves ne sont pas plus convaincus par les vertus du système actuel. Selon une enquête Sofres datant de février 2001, 52% d’entre eux se déclaraient opposés au collège unique, tandis que 66% souhaitaient son assouplissement.
 Si le collège unique est aussi contesté, c’est qu’il n’a pas tenu ses promesses de réduction des inégalités sociales au sein du système scolaire. Dans les faits, il n’a d’ailleurs jamais réellement existé. Les classes de niveaux, plus ou moins clandestines, démentent cette homogénéité fictive. Plus simplement encore, la forte disparité de niveaux entre les établissements, selon les quartiers, interdit de parler d’un collège identique pour tous. Les experts savent que le collège unique n’est pas plus démocratique que l’ancien système. Les échecs subis par les élèves les moins bien dotés dans des classes très hétérogènes ont d’ailleurs le grave inconvénient d’être vécus par eux comme un signe d’incompétence personnelle – avec toutes les conséquences que l’on imagine pour la suite de leur parcours scolaire.
 C’est pourquoi un enseignement mieux adapté à la diversité du public serait finalement plus égalitaire et distributeur de chances que la fiction du collège unique. Le socialiste Jean-Luc Mélenchon l’avait compris lorsqu’il était ministre à l’enseignement professionnel. Contre l’avis de Jack Lang, il s’était prononcé en faveur de classes de quatrième et troisième technologiques. Luc Ferry s’inscrit dans la même analyse lorsqu’il envisage une première orientation à la fin de la cinquième avec la création de « classes de découverte des métiers ». Attention simplement à ne pas basculer d’un extrême à l’autre. Une professionnalisation tardive s’est révélée catastrophique pour trop d’élèves. Mais il serait absurde d’en revenir à une sélection excessivement précoce enfermant chacun dans des filières étanches.



La délinquance routière de masse (3)

 Il y a un domaine où l’Etat est dramatiquement impuissant, sans que l’on puisse invoquer les contraintes économiques ou je ne sais quelle mondialisation : c’est celui de la sécurité routière. De l’insécurité sur les routes, plutôt, puisque chacun sait que la France fait figure d’exception dans ce domaine ! Avec près de 8.000 morts par an, notre pays est la contrée la plus dangereuse d’Europe, exception faite du Portugal. Pis encore, la mortalité du bitume ne recule guère ces dernières années.
 Ces chiffres ne touchent peut-être pas l’opinion. Mais celle-ci ne peut ignorer le chapelet d’accidents tragiques qui ensanglante l’actualité. Vendredi dernier, c’est un notable lyonnais de 81 ans qui, par son grave excès de vitesse, cause la mort de cinq pompiers. Le 8 novembre, c’est le cocktail détonnant du brouillard et de la vitesse qui supprime huit vies dans un carambolage sur l’autoroute A10. Le 26 août, c’est un employé de banque en état d’ébriété avancée qui fauche un jeune piéton dans les rues de Metz. Dix jours auparavant et dans la même région, c’est un conducteur de 19 ans qui perd le contrôle de sa BMW non assurée et tue trois adolescents. Le 15 mai, enfin, c’est sous l’emprise du cannabis qu’un multirécidiviste du volant écrase une fillette sur un passage dit protégé en région parisienne.
 Difficile de faire plus pour frapper les esprits ! Or il suffit de prendre le volant pour constater que le code de la route est aujourd’hui d’interprétation très libre. Par exemple, seuls les anticonformistes s’arrêtent, aux feux rouges à Paris, passée une certaine heure de la nuit…
 La délinquance routière est bien un comportement de masse. C’est sans doute pour cette raison que les pouvoirs publics n’ont jamais vraiment osé s’y attaquer. Jacques Chirac a surpris les spécialistes de la question, plutôt blasés, en proclamant, le 14 juillet, cette cause « grand chantier » de son quinquennat. Un projet de loi est d’ailleurs en préparation. Examiné le 12 décembre en conseil interministériel, il devrait entériner un permis probatoire pour les jeunes conducteurs et une automatisation des sanctions. Fort bien. Peut-être serait-il aussi opportun de mettre en place sur les routes une répression dynamique et intelligente. Avec, par exemple, des voitures de polices banalisées qui interpelleraient les conducteurs les plus dangereux.
 Mais, au fond, la délinquance routière est révélatrice d’un mépris des autres et d’une inconscience sur ses propres capacités. On retrouve ici la figure très contemporaine d’un narcissisme qui aspire à la toute-puissance. Il y a la mauvaise conduite de celui qui se croît protégé par sa grosse cylindrée. Et puis celle du conducteur coupé du monde par l’absorption de substances psychoactives, licites ou non. Dans les deux cas, c’est hélas le « vivre ensemble » qui s’abîme parfois dans la mort.



La crise de foi du capitalisme américain (4)

 Un an après la faillite d’Enron, le capitalisme américain est en plein examen de conscience. On peut même parler de crise de foi, de la foi en l’avenir d’un système qui domine pourtant le monde. Les scandales d’entreprises se sont succédés à un rythme haletant. De grosses sociétés, comme World Com ou Global Crossing, on bu la tasse. La confiance des épargnants, déjà affectée par les événements du 11 septembre, a été atteinte.
 Un mot revient constamment dans le monde des affaires américain, celui d’éthique. « Un bon leader fait une chose juste quand personne ne le regarde », affirme par exemple le patron d’Hewlett-Packard, cité par l’éditorialiste John Plender dans le Financial Times. Il est certain que les dirigeants du big business n’ont pas fait preuve d’un excès de scrupules moraux dans la dernière période. Les actionnaires ont quelque raison de douter de la sincérité des comptes qui leur sont présentés. Le nombre de corrections comptables a d’ailleurs cru dans des proportions remarquables.
 Deux principaux sujets sont en débat. Le premier concerne le contrôle des comptes des entreprises. Le célèbre cabinet Arthur Andersen, qui était censé superviser l’activité d’Enron, s’est rendu coupable d’abus tels qu’il s’est écroulé. Demeure le problème de ces cabinets rémunérés par les entreprises qu’ils contrôlent… D’aucuns préconisent un système de financement par assurance ou carrément un contrôle de nature publique.
 Deuxième sujet de préoccupation : les effets pervers d’un système où la rémunération des dirigeants d’une entreprise dépend, pour les deux-tiers, du cours de ses actions. D’où la tentation de gérer en cherchant la maximisation boursière plutôt que le développement à long terme de l’entreprise.
 Par malheur, ces questions sont posées au moment où les institutions de contrôle financier américain traversent elles-mêmes une crise profonde. La SEC – l’équivalent de notre COB – est toujours à la recherche d’un président depuis la démission du très contesté Harvey Pitt, le 5 novembre. Cette Commission de la sécurité et des échanges souffre, en plus, d’un manque cruel de personnel et de moyens. Le nouveau Conseil de surveillance des commissaires au comptes, créé en juillet, est également sans tête après la démission d’un premier président peu recommandable.
 Reste enfin à savoir si le capitalisme américain peut se moraliser sans changement de son échelle des valeurs. On peut, bien sûr, prétendre que l’éthique est économique rentable dans la mesure où la confiance entre contractants réduit le coût des échanges. Ce raisonnement revient à refuser de fonder l’éthique en elle-même. Ne dépendant que de sa propre logique, le capitalisme ne pourra jamais prétendre qu’à une moralité bien superficielle.



Les tares du débat intellectuel français (5)

 Je m’étais juré de ne pas en parler, mais le débat assourdissant généré par le petit livre de Daniel Lindenberg sur les « nouveaux réactionnaires » est finalement assez révélateur. Révélateur de l’état du débat intellectuel en France. Ce vrai-faux débat est certes loin d’être inintéressant. Il pose, à sa manière, de vraies questions. Par exemple, celle de l’évolution vers des positions plus conservatrices d’une fraction du monde intellectuel. Ou encore, celle de l’éternelle bonne conscience d’une certaine gauche qui éprouve le besoin urgent de se réinventer des ennemis pour se rassurer sur son identité brouillée après le désastre du 21 avril…
 Pour tout dire, ce débat typiquement français est souvent amusant, mais parfois attristant. Attristant, en ce sens qu’il illustre un certain nombre de tares du débat intellectuel dans notre pays. J’en évoquerai rapidement quatre.
 Primo, le nominalisme. C’est la maladie qui consiste à préférer les mots aux choses, et à coller des étiquettes à tour de bras sur le dos des gens, si j’ose m’exprimer ainsi. La vieille injure de « réactionnaire » sert à nouveau à disqualifier autrui. Le terme de « démocrate » est utilisé comme bouclier de part et d’autre – certains ayant d’ailleurs du mal à imaginer qu’on puisse être démocrate sans être de gauche !
 Secundo, le sectarisme. Il affleure – c’est un euphémisme – dans nombre des prises de positions, quel qu’en soit le sens. Les jugements excessifs, les caricatures de la pensée adverse et l’intolérance de penseurs qui prêchent théoriquement la tolérance laissent pantois.
 Tertio, le campisme. Le « parti intellectuel », selon l’expression de Péguy, est décidément d’humeur belliciste. La guerre idéologique, une guerre de tranchées, l’emporte sur le véritable échange intellectuel. Et chacun est sommé de se ranger dans un camp ou dans l’autre.
 Le confusionnisme, enfin. Daniel Lindenberg pourfend ceux qui sont « contre la culture de masse, contre les droits de l’homme, contre 68, contre le féminisme, contre l’antiracisme, contre l’islam ». On admirera le crescendo, la critique de l’islam étant apparemment le crime suprême ! Il est surtout assez étonnant de faire l’amalgame entre des sujets aussi différents. En face, on note une tentation symétrique.
 Tout ceci est d’autant plus navrant que la réalité du paysage intellectuel français vaut mieux que ces caricatures. La diversité des réflexions et des opinions y est aujourd’hui plus répandue que naguère. Mais cette incertitude idéologique – qui touche particulièrement la gauche – créée justement une angoisse conduisant les meilleurs esprits à s’accrocher à ce qui leur reste de préjugés. Comme l’a remarqué Rousseau, « si quelquefois les savants ont moins de préjugés que les autres hommes, ils tiennent, en revanche, encore plus fortement à ceux qu'ils ont ».



Alain Juppé, talon d’achille de la droite (6)

 Alain Juppé n’aura pas mis beaucoup de temps à gâcher son jeu. Le 17 novembre, on s’en souvient, le maire de Bordeaux était sacré président de l’UMP , le nouveau grand parti de droite. Certes, il n’était pas élu très brillamment  et de petits détails dénotaient que l’homme du célèbre « droit dans ses bottes » n’avait pas changé. Juppé s’était plaint, par exemple, que de mystérieux adversaires avaient saboté son entrée en scène en poussant la sono pour tarir les ovations qui auraient dû le soutenir jusqu’à la tribune…
 Il a suffi de trois semaines pour que le champion de l’union de la droite se mue en son principal diviseur. Juppé a tout d’abord réussi à rallumer la guerre latente avec son principal rival, Nicolas Sarkozy, pourtant au mieux de sa forme. Il a provoqué la colère du populaire ministre de l’Intérieur en refusant de nommer un de ses proches, Brice Hortefeux, au secrétariat général de l’UMP. A sa décharge, cet Hortefeux est apparemment un personnage plutôt dangereux. A en croire les gazettes, ce serait le genre de type à s’emparer des clefs de la maison dés qu’on le laisse entrer ! Ce n’était pas une raison pour permettre à Sarkozy de dénoncer publiquement le « sectarisme » de Juppé.
 Celui-ci s’est, dans la foulée, lancé dans une étrange chasse à l’UDF. Ce dimanche a lieu le premier tour d’une élection législative partielle dans la bourgeoise circonscription du Chesnay, dans les Yvelines. Il s’agit de remplacer la sortante UDF, Anne-Marie Idrac, nommée à la présidence de la RATP. Or l’UDF a eu précisément l’idée d’y soutenir un ancien président de la RATP dénommé Christian Blanc. Rocardien d’origine, celui-ci est devenu encore plus libéral que social. Il s’est fâché avec les socialistes pour avoir voulu mettre en place un service minimum à la RATP avant de prôner l’ouverture du capital d’Air France. Détail intéressant, son nom fut cité dans la presse comme celui d’un des possibles premiers ministres d’un Chirac réélu !
 Et voilà que le maladroit Juppé juge « inacceptable » que le seul ministre UDF du gouvernement, Gilles de Robien, apporte son soutien au candidat Blanc. Le président de l’UMP est allé jusqu’à menacer Robien des foudres de son chef Raffarin ! De quoi justifier l’accusation de « caporalisme » lancée immédiatement par François Bayrou contre Juppé. Sa gestion interne et externe de l’UMP est effectivement préoccupante. Malgré ses efforts d’humanisation, l’ancien chef de gouvernement reste d’une rigidité propre à le disqualifier comme fédérateur des droites.
 Le contraste avec la souplesse féline de Jean-Pierre Raffarin, expert dans l’art de déminer les conflits, est frappant. Le premier ministre a d’ailleurs refusé de sermonner Robien. Concluons par l’appréciation portée par Jacques Chirac qui aurait jugé toutes ces polémiques d’un mot : « Lamentable ». Effectivement.



Alerte à la surveillance dans l’éducation (9)

 Les syndicats d’enseignants, qui ont manifesté hier, insistent beaucoup sur les moyens. Ils auraient peut-être avantage à se préoccuper un tout petit peu plus des fins de l’éducation. Pour ce qui est des moyens, en tous cas, le problème posé par le budget 2003 est très précis, il concerne la situation inquiétante des surveillants et des emplois-jeunes de l’éducation nationale.
 C’est le seul domaine touché par l’effort de rigueur budgétaire. Alors que les crédits de l’éducation de 2003 sont en augmentation d’environ 2%, ce sont les seuls postes globalement menacés. Le ministère envisage de ne pas reconduire 5.600 postes de surveillants tandis qu’il prévoit de se passer de quelques 20.000 emplois-jeunes en fin de contrat dans l’éducation nationale. En s’attaquant aux emplois-jeunes et aux pions, le pouvoir s’en prend à des catégories vulnérables – précaires et peu syndiquées.
 Ce choix gouvernemental est assez surprenant alors que les établissements scolaires souffrent d’un climat de tension voire de violence. Xavier Darcos, le ministre délégué auprès de Luc Ferry, va jusqu’à préconiser la généralisation de système de surveillance plus ou moins automatisés ! La présence de jeunes adultes dans les établissements est pourtant autrement plus efficace pour désamorcer les tensions…
 En outre, le gouvernement ne semble pas très bien sur quel pied danser pour répondre au problème ainsi posé. Luc Ferry estime que le système des pions, qui date de 1937, est désormais inadapté. Pourquoi pas. Il veut les remplacer par des « assistants d’éducation » au statut encore très flou. Dans un premier temps, il a été question d’embaucher des retraités et des mères de familles pour surveiller les élèves. L’idée est vite apparue saugrenue. Il est désormais envisagé de faire appel en priorité à des jeunes et à des étudiants – mais avec un statut bien précaire : 3 ans maximum, de fréquents mi-temps, le tout de préférence payé par les collectivités locales.
 Le remplacement des emplois-jeunes est aussi obscur. Il est vrai que le gouvernement Jospin ne s’était guère préoccupé du sort à long terme de ces contractants pour cinq ans – pas même de leurs droits au chômage. Dans l’éducation, ces emplois-jeunes remplissent des rôles divers – et d’ailleurs diversement appréciés ! Mais leur suppression brutale serait évidemment dommageable. Le gouvernement imagine de les remplacer par de nouveaux contrats baptisés CIVIS. Après les TUC et les CES, ce nouveau sigle risque cependant d’être une enième déclinaison de la précarité de l’emploi des jeunes.



Une bête politique nommée Sarkozy (10)

 Il faut distinguer soigneusement trois espèces. Il y a d’abord les simples hommes politiques, puis les animaux politiques – déjà plus féroces – et enfin les bêtes politiques – qu’on appelle aussi parfois les grand fauves. Nicolas Sarkozy appartient bien évidemment à cette aristocratie de la jungle politique. On sait que le pouvoir finit généralement par revenir à ceux qui le désirent le plus. Or « Sarko » n’a jamais caché qu’il avait, sur ce plan là, très faim. De mystérieuses « humiliations d’enfance » seraient même à la source de son activisme.
 Quoi qu’il en soit, le ministre de l’Intérieur semble doté de trois qualités qui, sans lui assurer de décrocher un beau jour le gros lot élyséen, en font un redoutable compétiteur.
 1/ L’expérience. Le jeune Nicolas s’est engagé précocement en politique. Il avait à peine 20 ans quand il a rejoint l’UDR gaulliste en 1974. Il a ensuite appris beaucoup de choses, tout particulièrement l’art si utile de la trahison. A 28 ans, il conquiert la mairie de Neuilly-sur-Seine en doublant son parrain Charles Pasqua. Plus tard, il abandonnera Jacques Chirac pour suivre Edouard Balladur dans sa quête du Graal élyséen. Et puis il fait alliance avec Philippe Séguin pour s’emparer du RPR.
 2/ Le courage. Sarko sait prendre des risques – et ceci dans tous les domaines. On se souvient qu’il n’avait pas hésité à intervenir directement dans la prise d’otage d’une école maternelle de Neuilly en 1993. Son courage est aussi intellectuel. Ce « fils d’immigré », qui est en fait originaire de l’aristocratie hongroise, est l’un des premiers responsables de son camp à avoir oser s’affirmer de droite.
 3/ Le goût de l’action. Le brutal Sarkozy adore la bagarre, mais il sait aussi que bien faire de la politique – ce « métier très difficile et très respectable » comme il dit – implique de résoudre les problèmes des gens. Ou, à tout le moins, de les écouter ! D’où sa prédilection pour les visites de terrain. Et sa jouissance à régler une question – comme on l’a vu dans la délicate affaire de Sangatte. Au ministère de l’Intérieur, il s’est acquis une popularité exceptionnelle : sa cote de bonnes opinions Ipsos est passée de 29% en avril à 63% en novembre ! Mais c’est une popularité basée sur son action – comme la baisse de la délinquance – et pas seulement sur son image.
 Car Sarkozy n’est pas spécialement « aimable ». En ce sens, on peut le comparer à François Mitterrand qui fut comme lui avocat, expert en retournement d’alliances et ministre de l’Intérieur. Comme l’ancien président, Sarko sait rebondir après les échecs – qui se souvient des malheureux 12,8% recueillis par sa liste aux européennes de 1999 ? Sans doute Chirac le considère-t-il au fond comme plus proche de lui que ne l’est le cérébral Alain Juppé. La droite n’est décidément pas prête d’être débarrassée du tenace Sarkozy.



Comment resyndicaliser la France (11)

 Avec environ 9% des salariés, le taux de syndicalisation est, en France, le plus bas de tous les pays développés. Il est d’ailleurs très différent selon le type d’entreprise : plus fort dans le public que dans le privé, plus élevé dans les grandes que dans les petites entreprises. Non seulement la faiblesse syndicale affaiblit la position des salariés, mais elle creuse en son sein des inégalités face au patronat. Celui-ci a, lui aussi, quelques raisons de s’inquiéter d’une situation qui le prive de vrais interlocuteurs. L’Etat lui-même devrait s’en préoccuper: en l’absence de représentation forte des salariés, surgissent inévitablement des « coordinations » plus ou moins spontanées et plus ou moins contrôlées par des minorités.
 Comment favoriser un renouveau syndical dans notre pays ? Valéry Giscard d’Estaing dirait qu’il y a la grande solution et la petite solution !
 La grande solution est celle de l’unité syndicale. Les pays où les organisations de salariés sont puissantes sont ceux où une seule centrale les rassemblent. En France, comme en Italie, la division syndicale a été le sous-produit des clivages politiques au sein du mouvement ouvrier. Mais cet âge est aujourd’hui révolu. La scission de 1947 qui a donné naissance à Force Ouvrière à partir de la CGT, en pleine guerre froide, n’a plus de raison historique d’être depuis la disparition du communisme. Les deux organisations ont certes forgé des cultures très différentes, mais leurs évolutions récentes les rapprochent objectivement : la CGT a mis beaucoup d’eau dans son vin rouge – au point de devenir, en fait, un syndicat réformiste – tandis que FO, sous la houlette de Marc Blondel, n’est plus l’interlocuteur complaisant des patrons qu’elle était du temps d’André Bergeron. La spécificité de la CFDT est, elle aussi, plus ancrée dans le passé que dans le présent. Avec François Chérèque à sa tête, la centrale cédétiste opère d’ailleurs une sorte de virage à gauche par rapport à l’ère de Nicole Notat.
 Oui, mais voilà, le poids des clivages d’antan et des sectarismes d’organisation est tel qu’il serait vain de croire à une prochaine réunification syndicale. La division fait même des progrès avec l’apparition de « syndicats autonomes » ou estampillés « solidaires » (SUD). Ce qui nous amène à la petite solution : renforcer le syndicalisme en changeant son statut juridique de représentativité. Aujourd’hui encore, c’est à partir d'une circulaire datant de 1946 que cinq confédérations sont assurées de cet honneur : CGT, FO, CFDT, CFTC et CGC. Il est temps de rebattre les cartes. La CGT et la CFDT en sont d’accord. On pourrait imaginer, comme le suggèrent les cédétistes, des élections de représentativité dans toutes les entreprises d’une même branche le même jour. Et aussi soumettre, comme le préconisent les cégétistes, tout accord d’entreprise au principe majoritaire. Voilà qui revigorerait assurément la vie syndicale en France.



La décentralisation en catimini (12)

 C’est dans une splendide indifférence qu’avance le projet de loi constitutionnelle sur la décentralisation. Le Sénat a adopté hier un texte conforme à celui voté par l’Assemblée nationale le 4 décembre. On s’achemine donc paisiblement vers une modification de la Constitution en janvier prochain.
 Mais le grand dessein de Jean-Pierre Raffarin semble s’être transformé en réforme honteuse. S’il y a un sujet sur lequel l’actuel Premier ministre est lesté par de fortes convictions, c’est bien la décentralisation. Girondin expérimenté, l’ancien président de la région Poitou-Charente était bien décidé, à l’automne, de faire de la deuxième étape de la décentralisation sa grande affaire personnelle. Il est vrai qu’il y a de quoi agir. Les réformes des années 80 ont laissé ce processus au milieu du gué. La France demeure trop centralisée. Elle est surtout mal décentralisée. Une pyramide invraisemblable d’échelons de décision conduit à d’obscurs enchevêtrements de compétence. Il est donc urgent de simplifier la règle du jeu si l’on veut rapprocher effectivement les citoyens des décisions qui les concernent.
 Hélas, ce n’est pas du tout l’objet du texte constitutionnel en débat. Celui-ci se contente d’abord d’affirmer le grand principe que l’organisation de la République est « décentralisée ». Il donne aussi au Sénat la priorité pour l’examen des texte relatifs à l’organisation des collectivités territoriales. Une disposition plus lourde de conséquences donne à ces collectivités une droit d’expérimentation législatif et réglementaire – d’ailleurs encadré par une lourde phraséologie juridique. C’est également dans une certaine confusion que le législateur organise l’action commune de différents acteurs locaux.
 On comprend que cette loi-cadre – au demeurant issue de discussions parlementaires laborieuses – ne parle pas aux Français. Jacques Chirac l’avait lui-même reconnu en plein conseil des ministres. Elle a, un temps, inquiété Jean-Louis Debré qui y voyait les prémisses d’un « intégrisme décentralisateur » ou François Fillon qui a parlé de « girondisme extravagant ». Plus récemment, c’est le socialiste Arnaud Montebourg qui a dénoncé une « stratégie de démantèlement de l’Etat ».
Voilà qui est bien excessif. En réalité, tout dépendra des transferts de compétences qui seront ensuite réalisés par le biais de lois organiques dont on ignore aujourd’hui à peu près tout. C’est peut-être l’astuce secrète de Raffarin dans ce dossier : faire avaler une loi constitutionnelle obscure avant de passer aux choses sérieuses.



Les fragilités de l’euro (13)

 A l’heure où « l’Europe d’en haut » songe à son élargissement, « l’Europe d’en bas » demeure perplexe. Rien n’illustre mieux la fragilité de la construction européenne que la difficulté de ses peuples à s’approprier mentalement leur monnaie commune. L’euro est plus facilement entré dans les poches que dans les têtes. Jean-Louis Ezine citait hier, dans sa revue de presse, un sondage montrant que 62% des Français restaient attachés à feu le franc. La nostalgie pour les anciennes monnaies nationales, un an après leur disparition, existe dans tous les grands pays européens : une très forte minorité choisiraient de revenir en arrière si la possibilité leur en était offerte. C’est le cas, selon une enquête internationale Ipsos, pour 48% des Allemands, 47% des Français, 43% des Espagnols ou encore 41% des Italiens. Le camp des euroconvaincus est toujours majoritaire – mais de très peu et grâce aux jeunes ainsi qu’aux catégories sociales les plus favorisées.
 L’euro a beau faire jeu égal avec le dollar – après une phase de faiblesse – ses capacités d’attraction restent limitées. Seule une minorité de Britanniques seraient disposés à abandonner la livre sterling. En Suède aussi, malgré les dispositions du gouvernement, la majorité est hostile à l’euro. Bien sûr, beaucoup de peuples est-européens rêvent, quant à eux, de rejoindre la zone euro. Mais ce ne sont pas précisément les plus attendus au club…
 L’euro doit faire face à un reproche précis : celui d’avoir permis aux prix de s’envoler. Le contraste entre les perceptions subjectives et les réalités objectives –telles que les statistiques les cernent – est tout à fait spectaculaire. L’immense majorité des européens sont convaincus que le passage à l’euro, arrondis à la hausse aidant, a gonflé les prix. Les Grecs ont même fait une grève de la consommation pendant quatre jours pour protester contre la valse des étiquettes. L’impact du changement de monnaie sur la hausse des prix a pourtant été officiellement évalué à seulement 0,1 ou 0,2% ! La Banque centrale européenne reconnaît quand même implicitement l’existence d’un problème lorsqu’elle envisage – sous la pression des Italiens et des Grecs – de créer un billet d’un euro afin de lutter contre l’inflation.
 Aussi concrète soit-elle, la création d’une monnaie commune ne suffit pas à ancrer une conscience européenne. Ceux qui voyagent au sein de la zone euro restent minoritaires. A un tout autre niveau, l’euro n’a toujours pas connu son heure de vérité – la crise violente d’un des pays membres qui éprouverait la solidité des mécanismes de la monnaie unique. Pour l’heure, constatons simplement que les difficultés économiques restent la source de conflits entre partenaires. Mardi soir, Jean-Pierre Raffarin accusait l’Allemagne de fragiliser la croissance européenne par sa politique d’austérité. L’euro est un instrument d’échange, mais toujours pas le vecteur d’une politique économique.



La régression identitaire de la gauche (16)

 Ce week-end pluvieux a été spécialement maussade pour feu la gauche plurielle. Les socialistes, les communistes et les Verts ont réuni, chacun de leur côté, leurs responsables nationaux. Chacun à sa manière, les trois principaux partis de l’ancienne majorité ont manifesté un état de santé inquiétant. Avec comme point commun une forme de régression identitaire.
 La situation la plus pathétique est évidemment celle des écologistes. Une fois de plus, les Verts ont manifesté leur immaturité politique et leur sectarisme interne – les uns parlant de « putsch », les autres de « majorité imbécile ». Leur incapacité à élire une direction est cependant moins grave que l’orientation de la nouvelle majorité qui s’est affirmée à Nantes. Celle-ci associe, dans une alliance plutôt contre nature – ce qui est un comble pour des Verts – deux courants qui incarnent les deux maladies infantiles de l’écologisme : la tentation gauchiste qui écarterait ce parti de toute vocation gouvernementale et la dérive environnementaliste qui voit tout au travers du seul prisme écologique. Significativement, la nouvelle majorité interne au Verts a été rejointe par un petit courant dont la dénomination est tout un programme : « L’utopie ou rien ». Cela risque d’être rien…
 Du côté du PCF aussi, le vent qui souffle est celui d’un certain fondamentalisme. La tentative cahotique de « mutation » conduite par Robert Hue est bel et bien enterrée. Chez les communistes, le vrai débat oppose désormais des orthodoxes nostalgiques de l’ère Marchais aux tenants d’un « pôle de radicalité » où le PCF marcherait main dans la main avec la LCR. Un peu ballottée par ces événements, Marie-Georges Buffet se laisse elle-même aller à une surenchère « radicale ». Il est tout de même assez troublant d’entendre la principale dirigeante communiste partir en guerre contre ce qu’elle appelle le « populisme » !
 Naturellement, François Hollande a eu beau jeu de dénoncer hier le « repli sur soi » de ses partenaires. Mais le premier secrétaire du PS n’a pas précisément donné l’exemple de l’ouverture. Soucieux d’esquiver le débat de fond, il a fixé à son parti un objectif très politicien : gagner plus de 30% des voix. Sur quelle orientation précise ? Personne ne le sait encore. En posant ainsi la question de la rénovation du PS, Hollande trahit, lui aussi, une forme de régression identitaire : celle qui réduit le courant socialiste à un électoralisme sans contenu.
  Décidément, le choc du 21 avril n’a toujours pas été surmonté par les différentes composantes de la gauche. Il est vrai que, dans un premier temps, le retour dans l’opposition favorise plus les crispations que les remises en cause. Souhaitons tout de même que la gauche quitte, sans trop tarder, le stade des réflexes pour celui de la réflexion.



Pour un droit au reclassement économique (17)

 Tout le monde se souvient du scandale provoqué par l’annonce d’un plan de licenciements et de fermeture de deux usines Lu, pourtant rentables, de Danone en janvier 2001. Un plan baptisé « plan social » alors qu’il vaudrait mieux parler de « plan économique » dans la mesure où ce sont les exigences de la compétitivité internationale qui justifiaient ces décisions. Cette affaire a eu de nombreuses conséquences politiques : mobilisation autour d’un mot d’ordre inédit de boycott des produits Danone tout d’abord, vote d’une loi d’encadrement des licenciements économiques ensuite, face à face fameux entre les « Lu » et Lionel Jospin en pleine campagne présidentielle enfin. L’agacement du candidat socialiste face aux salariés mécontents avait produit un vilain effet.
 Il n’est donc pas inintéressant de se demander, près de deux ans plus tard, où en sont les quelques 800 salariés dont l’emploi était condamné à Calais et à Evry. « Le Parisien » a eu la bonne idée d’enquêter là-dessus. Il en ressort qu’en dépit des efforts incontestables de Danone, seulement la moitié des intéressés, ont retrouvé un emploi stable. Beaucoup ont préféré rester dans le groupe, quitte à déménager. Très peu ont accepté les propositions de reclassements externes qui leur ont été faites. Les rémunérations offertes et surtout le changement de type de travail en ont dissuadé plus d’un. Pas question, par exemple, de travailler dans un poulailler industriel après avoir œuvré dans l’industrie du biscuit ! Pis encore, pas mal de salariés qui s’étaient recasés ailleurs ont rapidement décroché – certains accusant même ces entreprises de ne les avoir embauchés que pour toucher la prime offerte par Danone…
 Cet exemple illustre la difficulté des reclassements. Ce n’est hélas pas la loi dite de modernisation sociale, votée par une gauche désireuse de donner une réponse législative à cette affaire, qui règle vraiment la question. Une loi critiquée par de nombreux syndicalistes et d’abord motivée par des considérations polico-symboliques. La droite a entrepris d’en suspendre bon nombre de dispositions au moyen d’une nouvelle loi discutée aujourd’hui même par le Sénat après un vote à l’Assemblée nationale.
 Le gouvernement aurait toutefois grand tort de se contenter d’une attitude réactionnaire – au sens étymologique du terme. Il ferait mieux de s’inspirer du rapport sur les mutations industrielles remis récemment par Jean-Pierre Aubert, ancien syndicaliste CFDT, au Premier ministre. Soulignant que 60% des licenciés économiques restent au chômage au bout d’un an, il propose de créer un véritable droit au reclassement qui remplacerait progressivement le droit du licenciement économique. On risque cependant d’attendre longtemps les suites de ce rapport commandé en mars 2000… – devinez par qui – Lionel Jospin.



La lutte contre les ghettos urbains (18)

 Je voudrais aujourd’hui saluer le courage d’un élu socialiste, Manuel Valls, le maire d’Evry. Ce garçon a beau avoir été membre du cabinet de Lionel Jospin à l’hôtel Matignon, il sait agir sur le terrain. Car il sait que l’action politique est un étrange mélange où doivent se conforter mutuellement des gestes concrets et des positions symboliques.
 L’affaire du Franprix hallal du quartier des Pyramides d’Evry montre ce qu’un élu peut faire pour donner l’alerte contre les dérives communautaristes qui conduisent tout droit aux ghettos urbains. On sait que les repreneurs de ce magasin ont décidé, suivant les préceptes islamiques, de ne vendre ni porc ni alcool. Le problème, c’est que ce Franprix est le commerce alimentaire central du quartier. Au nom de sa mixité sociale, déjà fortement menacée, le maire a donc intimé l’ordre aux gérants de revenir à de meilleurs sentiments généralistes.
 Or Manuel Valls est du genre têtu. Et il n’a pu qu’être encouragé à poursuivre son combat en apprenant que les nouveaux propriétaires de ce Franprix s’étaient apparemment rendus coupables de discrimination raciale. Ils n’ont pas repris les cinq anciens salariés du magasin et les ont remplacés par cinq personnes de confession musulmane ! Les licenciés ont d’ailleurs entamé une action devant les prud’hommes…
 Avec 9000 habitants appartenant à 22 nationalités, le quartier des Pyramides offre un exemple saisissant de concentrations des difficultés. 60% des familles qui y vivent sont sous tutelle ! Le collège du quartier a connu, à la rentrée, plusieurs grèves d’enseignants qui demandaient plus de moyens et s’inquiétaient de la « loi du silence » qui y règne. Le maire a osé lutter contre un véritable trafic d’appartements, quitter à s’affronter à des associations comme le DAL qui défendaient, par principe, les squatters. Le retour à une mixité sociale dans ce quartier un travail de titan. Sa réputation ne favorise pas les choses – d’autant qu’elle s’appuie sur de vrais phénomènes. Il y a les trafics en tous genres. Et aussi des guerres de bandes, comme celle qui a opposé des jeunes des Tarterêts à ceux des Pyramides…
 On le voit, l’action des élus locaux ne peut suffire à empêcher la constitution des ghettos qui déchirent littéralement le territoire. Elle est néanmoins importante en ce qu’elle manifeste une volonté et un refus de baisser les bras. Mais c’est bien à une politique de mixité sociale plus large, portant notamment sur le logement, qu’il faudrait faire appel. La loi SRU votée par la gauche constituait un premier pas dans ce sens en obligeant toutes les communes à construire des logements sociaux. Mais la droite tente aujourd’hui d’en atténuer les obligations. Une vraie lutte contre l’insécurité passe pourtant aussi par une politique volontariste du « vivre ensemble » contre les logiques ségrégationnistes.



Le retour de la peur du chômage (19)

 Une sorte de décalage est en train de se créer entre la politique du gouvernement Raffarin et les soucis des Français. C’est sur le terrain de la sécurité que l’action du pouvoir est la plus visible. Mais si cette question a effectivement dominé la dernière bataille présidentielle, elle n’est plus aussi prioritaire dans les esprits qu’il y a quelques mois. Dans un contexte économique décidément maussade, les préoccupations liées à l’emploi font un retour remarqué. D’après le dernier baromètre Sofres-Figaro Magazine, la lutte contre le chômage fait désormais presque jeu égal avec la lutte contre l’insécurité en tant que priorité souhaitée par les Français.
 La crainte de perdre son emploi se répand à nouveau. Elle est remontée à 52% des salariés du secteur privé, selon une autre enquête récente de la Sofres. Et il faut reconnaître que ce sentiment d’insécurité économique est, lui aussi, fondé sur de solides réalités. Le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 5,4% en un an. La progression est même du double pour les hommes de moins de 25 ans. Avec un taux de chômage de 9%, selon les critères du Bureau international du travail, la France se situe toujours parmi les pays développés où la situation de l’emploi est la plus sombre. Ce taux de chômage grimpe à 22% chez les plus jeunes ! Au total, quelques 2,3 millions de personnes sont officiellement à la recherche d’un emploi à temps plein. Si l’on ajoute à ce chiffre les chômeurs à temps partiel, ceux qui sont en préretraite, ceux qui sont en formation ainsi que les « contrats emploi solidarité », on aboutit à 4 millions et demi de personnes victimes du sous-emploi dans notre pays !
 Cette situation n’a pas seulement pour inconvénient de creuser les déficits de l’UNEDIC. Avec le cortège de drames humains qu’il entraîne, le chômage devrait être au cœur des préoccupations des pouvoirs publics. Pendant les dernières années de croissance, ceux-ci ont un peu eu tendance à parier sur une sorte de baisse tendancielle du taux de sous-emploi. Mais aujourd’hui, la politique du gouvernement Raffarin n’apparaît pas à la hauteur du retournement de conjoncture. Le Premier ministre a certes exhorté les chefs d’entreprises à recruter des jeunes le 22 septembre. Un volontarisme verbal qui risque d’en laisser plus d’un sceptique. Les initiatives du gouvernement dans ce domaine crucial ne sont pas impressionnantes. On relève la création de nouveau contrats-jeunes dans les entreprises ou bien le doublement des zones franches dans les quartiers en difficulté. C’est peu. Même si l’on se garde d’oublier que l’habile Raffarin s’est résolu à reconduire la prime de Noël offerte aux chômeurs par le gouvernement précédent…



La longue marche de l’islam de France (20)

 Le château de Nainville-les-Roches, domaine de la République situé dans l’Essonne, peut être un lieu propice aux compromis difficiles. C’est là que se sont préparés, en 1983, les accords pacificateurs de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce même château, les principaux représentants attitrés de l’islam sont réunis en conclave depuis hier pour dessiner les contours d’un futur « Conseil français du culte musulman ». L’enjeu est de doter enfin la deuxième religion de France – environ cinq millions de fidèles, d’ailleurs de plus en plus pratiquants selon toutes les enquêtes – d’une instance représentative. Cela fait longtemps que les ministres de l’Intérieur – qui sont aussi chargés du culte – s’y emploient. Mais la diversité assez déroutante de l’islam, tel qu’il est pratiqué dans notre pays, a jusqu’à présent empêché ce projet d’aboutir.
 Le fougueux Nicolas Sarkozy a donc surpris son monde en annonçant, récemment à la télévision, qu’il avait réussi à arracher un accord entre trois des parties en cause : la Mosquée de Paris, proche de l’Algérie, l’UOIF, proche des « Frères musulmans », et la FNMF, liée au Maroc. Naturellement, tous ceux qui n’en étaient pas partie prenante ont protesté. Le grand mufti de Marseille a pesté contre le privilège accordé aux « intérêts politiques ». Une certaine « Coordination nationale des musulmans de France » a dénoncé « le conclave des intégristes islamiques et des supplétifs de l’islam de l’étranger ». Betoule Fekkar-Lambiotte, la seule femme associée au processus de Consultation initié par Jean-Pierre Chevènement en 1999, a également condamné le sacrifice des « anticommunautaristes sur l’autel de la République ».
 Une chose est sûre : fidèle à son tempérament, et soucieux de son image, Nicolas Sarkozy est passé en force. L’accord du 9 décembre comporte même des dispositions très contestables. Il ferait la part belle à l’UIMF (Union des organisations islamiques de France), le réseau apparemment le plus puissant par son maillage associatif mais qui traîne une réputation de fondamentalisme – même si la réalité est plus ambiguë.
 Les intégrismes de la laïcité s’étonneront que la République arbitre entre des tendances d’une religion. Les mêmes s’inquièteront aussi des contre-parties de l’accord en gestation. L’Etat financera-t-il la construction de mosquées ?
 On répondra qu’il vaut peut-être mieux que ce soit la France que des intérêts étrangers. La grande mosquée de Lyon a été financée à 90% par le roi Fayd d’Arabie Saoudite. Et que répondre aux musulmans de Corbeil-Essonne qui voient la construction de leur mosquée bloquée faute de fonds ? Rappelons que sur 1500 lieux de culte musulmans qui existeraient en France, on ne compte que 5 mosquées construites à cet effet !
 Le pari de constitution d’un islam de France vaut d’être tenté – même au prix d’actes volontaristes. C’est un pari en ce sens que l’on peut et doit espérer que l’apparition d’un islam français institutionnalisé favorisera l’intégration de la communauté musulmane. Et contribuera à marginaliser les courants qui, comme le salafisme, représentent un vrai danger.



Ce que la classe politique a retenu du 21 avril (23)
Chronique sans texte préparatoire (voir les archives sonores du site de France Culture)

Les jouets à l’heure de la mondialisation (24)

 Si vous vous apprêtez à offrir à un enfant un chien robot, sachez que vous n’êtes plus du tout dans le coup. Ce sont les peluches interactives et même les antiques poupées chiffon qui ont le vent en poupe en ce Noël 2002 ! Question poupées, l’influence de la télévision se fait également terriblement sentir. Pour parler clair, il est généralement apprécié qu’elles ressemblent à des filles de « Pop stars » ou – ce qui ne change pas grand chose – de « Star Academy »…
 Evidemment, les parents ou grand-parents que vous êtes peut-être auront sans doute été assaillis par la demande la plus banale : celle d’un jeu vidéo. Leurs ventes représentent plus du quart du marché du jouet français. Chaque année, l’amusement électronique gagne du terrain. Le marché du jouet traditionnel n’a progressé que de 1% en 2001 tandis que celui des jeux vidéo a bondi de 54% en un an !
 Cette évolution ne fait naturellement pas l’affaire des industriels français. Car notre pays n’est pas un producteur de jouets négligeable : le secteur ferait vivre quelques 20.000 personnes. La région la plus versée dans la fabrication de jouets est la Franche-Comté. Mais la France construit d’abord des jouets sportifs et de plein air. Ces dernières années, c’est dans le domaine des jeux de construction, de reconnaissance et de puzzle que la production nationale s’est le plus développée.
 D’où un réel dynamisme à l’exportation : quelques 600 millions d’euros de jouets vendus à l’étranger l’année dernière – essentiellement à destination de l’Union Européenne. Hélas, ce chiffre doit être comparé aux 2 milliards d’euros d’importations – où les produits vidéo pèsent lourd. Les jouets venus d’ailleurs sont issus, pour les deux tiers, du Sud-Est Asiatique – la Chine assurant à elle seule 44% de nos importations !
 Si vous apercevez l’étiquette « made in China » sur un cadeau glissé sous le sapin de Noël, soyez discret. Pour ne pas gâcher la joie des enfants, il vaut mieux ne pas leur parler de ses conditions de production. La Chine exporte la moitié du volume de la production mondiale de jouets. Le secteur emploie 1,2 millions personnes, d’abord dans la province côtière du Guangdong.
 Leurs conditions de travail sont généralement épouvantables. L’organisation américaine National Labor Committee a récemment publié un rapport édifiant. En saison de pointe, les jeunes ouvrières du jouet travaillent parfois jusqu’à 15 heures par jour. Souvent rémunérées à la pièce, elles ne gagnent quotidiennement que 2 à 3 dollars. Une jeune fille de 19 ans, Li Chunmein, est ainsi morte d’épuisement l’année dernière dans la période d’avant-Noël. Les Chinois appellent cela « guolaosi » - je ne garantis pas la prononciation – ce qui veut dire à peu près « mort par excès de travail ». Rappelons que la Chine se prétend « communiste »… Enfin, joyeux Noël quand même et surtout bon amusement aux enfants !


Cette chronique est en vacances, avec reprise le 6 janvier.

Les chroniques écrites de janvier 2003
Les chroniques écrites de novembre 2002

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