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Faut-il être pour ou contre le collège unique
? Dés qu’on pose une question dans ces termes, il y a de quoi se
méfier. Il est vrai qu’on adore, en France, les grands débats
de principe. On préfère discuter de totems symboliques plutôt
que de se pencher sur la réalité des problèmes. Pour
certains esprits, le collège unique serait ainsi par essence une
idée de gauche à défendre contre toute réaction,
ancienne ou nouvelle ! Le problème, c’est qu’un véritable
souci de l’égalité scolaire conduit à critiquer les
pratiques concrètes qui se cachent derrière le collège
unique.
Rappelons tout d’abord que celui-ci n’est pas historiquement
« de gauche » puisqu’il a été instauré
par la droite en 1975. Mais l’essentiel n’est pas dans ce débat
d’étiquettage idéologique. Il est que ce système ne
satisfait pas grand monde. Une récente enquête réalisée
par la Sofres pour le syndicat FSU a montré que les deux-tiers des
enseignants des collèges étaient opposés au système
actuel qui repousse à la fin de la troisième toute orientation
officielle. La FSU elle-même est partagée sur le sujet, sa
branche collèges et lycées se montrant désormais ouverte
à une révision du principe du collège unique. Les
parents d’élèves ne sont pas plus convaincus par les vertus
du système actuel. Selon une enquête Sofres datant de février
2001, 52% d’entre eux se déclaraient opposés au collège
unique, tandis que 66% souhaitaient son assouplissement.
Si le collège unique est aussi contesté, c’est
qu’il n’a pas tenu ses promesses de réduction des inégalités
sociales au sein du système scolaire. Dans les faits, il n’a d’ailleurs
jamais réellement existé. Les classes de niveaux, plus ou
moins clandestines, démentent cette homogénéité
fictive. Plus simplement encore, la forte disparité de niveaux entre
les établissements, selon les quartiers, interdit de parler d’un
collège identique pour tous. Les experts savent que le collège
unique n’est pas plus démocratique que l’ancien système.
Les échecs subis par les élèves les moins bien dotés
dans des classes très hétérogènes ont d’ailleurs
le grave inconvénient d’être vécus par eux comme un
signe d’incompétence personnelle – avec toutes les conséquences
que l’on imagine pour la suite de leur parcours scolaire.
C’est pourquoi un enseignement mieux adapté à
la diversité du public serait finalement plus égalitaire
et distributeur de chances que la fiction du collège unique. Le
socialiste Jean-Luc Mélenchon l’avait compris lorsqu’il était
ministre à l’enseignement professionnel. Contre l’avis de Jack Lang,
il s’était prononcé en faveur de classes de quatrième
et troisième technologiques. Luc Ferry s’inscrit dans la même
analyse lorsqu’il envisage une première orientation à la
fin de la cinquième avec la création de « classes de
découverte des métiers ». Attention simplement à
ne pas basculer d’un extrême à l’autre. Une professionnalisation
tardive s’est révélée catastrophique pour trop d’élèves.
Mais il serait absurde d’en revenir à une sélection excessivement
précoce enfermant chacun dans des filières étanches.
Il y a un domaine où l’Etat est dramatiquement impuissant,
sans que l’on puisse invoquer les contraintes économiques ou je
ne sais quelle mondialisation : c’est celui de la sécurité
routière. De l’insécurité sur les routes, plutôt,
puisque chacun sait que la France fait figure d’exception dans ce domaine
! Avec près de 8.000 morts par an, notre pays est la contrée
la plus dangereuse d’Europe, exception faite du Portugal. Pis encore, la
mortalité du bitume ne recule guère ces dernières
années.
Ces chiffres ne touchent peut-être pas l’opinion. Mais
celle-ci ne peut ignorer le chapelet d’accidents tragiques qui ensanglante
l’actualité. Vendredi dernier, c’est un notable lyonnais de 81 ans
qui, par son grave excès de vitesse, cause la mort de cinq pompiers.
Le 8 novembre, c’est le cocktail détonnant du brouillard et de la
vitesse qui supprime huit vies dans un carambolage sur l’autoroute A10.
Le 26 août, c’est un employé de banque en état d’ébriété
avancée qui fauche un jeune piéton dans les rues de Metz.
Dix jours auparavant et dans la même région, c’est un conducteur
de 19 ans qui perd le contrôle de sa BMW non assurée et tue
trois adolescents. Le 15 mai, enfin, c’est sous l’emprise du cannabis qu’un
multirécidiviste du volant écrase une fillette sur un passage
dit protégé en région parisienne.
Difficile de faire plus pour frapper les esprits ! Or il suffit
de prendre le volant pour constater que le code de la route est aujourd’hui
d’interprétation très libre. Par exemple, seuls les anticonformistes
s’arrêtent, aux feux rouges à Paris, passée une certaine
heure de la nuit…
La délinquance routière est bien un comportement
de masse. C’est sans doute pour cette raison que les pouvoirs publics n’ont
jamais vraiment osé s’y attaquer. Jacques Chirac a surpris les spécialistes
de la question, plutôt blasés, en proclamant, le 14 juillet,
cette cause « grand chantier » de son quinquennat. Un projet
de loi est d’ailleurs en préparation. Examiné le 12 décembre
en conseil interministériel, il devrait entériner un permis
probatoire pour les jeunes conducteurs et une automatisation des sanctions.
Fort bien. Peut-être serait-il aussi opportun de mettre en place
sur les routes une répression dynamique et intelligente. Avec, par
exemple, des voitures de polices banalisées qui interpelleraient
les conducteurs les plus dangereux.
Mais, au fond, la délinquance routière est révélatrice
d’un mépris des autres et d’une inconscience sur ses propres capacités.
On retrouve ici la figure très contemporaine d’un narcissisme qui
aspire à la toute-puissance. Il y a la mauvaise conduite de celui
qui se croît protégé par sa grosse cylindrée.
Et puis celle du conducteur coupé du monde par l’absorption de substances
psychoactives, licites ou non. Dans les deux cas, c’est hélas le
« vivre ensemble » qui s’abîme parfois dans la mort.
Un an après la faillite d’Enron, le capitalisme américain
est en plein examen de conscience. On peut même parler de crise de
foi, de la foi en l’avenir d’un système qui domine pourtant le monde.
Les scandales d’entreprises se sont succédés à un
rythme haletant. De grosses sociétés, comme World Com ou
Global Crossing, on bu la tasse. La confiance des épargnants, déjà
affectée par les événements du 11 septembre, a été
atteinte.
Un mot revient constamment dans le monde des affaires américain,
celui d’éthique. « Un bon leader fait une chose juste quand
personne ne le regarde », affirme par exemple le patron d’Hewlett-Packard,
cité par l’éditorialiste John Plender dans le Financial Times.
Il est certain que les dirigeants du big business n’ont pas fait preuve
d’un excès de scrupules moraux dans la dernière période.
Les actionnaires ont quelque raison de douter de la sincérité
des comptes qui leur sont présentés. Le nombre de corrections
comptables a d’ailleurs cru dans des proportions remarquables.
Deux principaux sujets sont en débat. Le premier concerne
le contrôle des comptes des entreprises. Le célèbre
cabinet Arthur Andersen, qui était censé superviser l’activité
d’Enron, s’est rendu coupable d’abus tels qu’il s’est écroulé.
Demeure le problème de ces cabinets rémunérés
par les entreprises qu’ils contrôlent… D’aucuns préconisent
un système de financement par assurance ou carrément un contrôle
de nature publique.
Deuxième sujet de préoccupation : les effets
pervers d’un système où la rémunération des
dirigeants d’une entreprise dépend, pour les deux-tiers, du cours
de ses actions. D’où la tentation de gérer en cherchant la
maximisation boursière plutôt que le développement
à long terme de l’entreprise.
Par malheur, ces questions sont posées au moment où
les institutions de contrôle financier américain traversent
elles-mêmes une crise profonde. La SEC – l’équivalent de notre
COB – est toujours à la recherche d’un président depuis la
démission du très contesté Harvey Pitt, le 5 novembre.
Cette Commission de la sécurité et des échanges souffre,
en plus, d’un manque cruel de personnel et de moyens. Le nouveau Conseil
de surveillance des commissaires au comptes, créé en juillet,
est également sans tête après la démission d’un
premier président peu recommandable.
Reste enfin à savoir si le capitalisme américain
peut se moraliser sans changement de son échelle des valeurs. On
peut, bien sûr, prétendre que l’éthique est économique
rentable dans la mesure où la confiance entre contractants réduit
le coût des échanges. Ce raisonnement revient à refuser
de fonder l’éthique en elle-même. Ne dépendant que
de sa propre logique, le capitalisme ne pourra jamais prétendre
qu’à une moralité bien superficielle.
Je m’étais juré de ne pas en parler, mais le
débat assourdissant généré par le petit livre
de Daniel Lindenberg sur les « nouveaux réactionnaires »
est finalement assez révélateur. Révélateur
de l’état du débat intellectuel en France. Ce vrai-faux débat
est certes loin d’être inintéressant. Il pose, à sa
manière, de vraies questions. Par exemple, celle de l’évolution
vers des positions plus conservatrices d’une fraction du monde intellectuel.
Ou encore, celle de l’éternelle bonne conscience d’une certaine
gauche qui éprouve le besoin urgent de se réinventer des
ennemis pour se rassurer sur son identité brouillée après
le désastre du 21 avril…
Pour tout dire, ce débat typiquement français
est souvent amusant, mais parfois attristant. Attristant, en ce sens qu’il
illustre un certain nombre de tares du débat intellectuel dans notre
pays. J’en évoquerai rapidement quatre.
Primo, le nominalisme. C’est la maladie qui consiste à
préférer les mots aux choses, et à coller des étiquettes
à tour de bras sur le dos des gens, si j’ose m’exprimer ainsi. La
vieille injure de « réactionnaire » sert à nouveau
à disqualifier autrui. Le terme de « démocrate »
est utilisé comme bouclier de part et d’autre – certains ayant d’ailleurs
du mal à imaginer qu’on puisse être démocrate sans
être de gauche !
Secundo, le sectarisme. Il affleure – c’est un euphémisme
– dans nombre des prises de positions, quel qu’en soit le sens. Les jugements
excessifs, les caricatures de la pensée adverse et l’intolérance
de penseurs qui prêchent théoriquement la tolérance
laissent pantois.
Tertio, le campisme. Le « parti intellectuel »,
selon l’expression de Péguy, est décidément d’humeur
belliciste. La guerre idéologique, une guerre de tranchées,
l’emporte sur le véritable échange intellectuel. Et chacun
est sommé de se ranger dans un camp ou dans l’autre.
Le confusionnisme, enfin. Daniel Lindenberg pourfend ceux
qui sont « contre la culture de masse, contre les droits de l’homme,
contre 68, contre le féminisme, contre l’antiracisme, contre l’islam
». On admirera le crescendo, la critique de l’islam étant
apparemment le crime suprême ! Il est surtout assez étonnant
de faire l’amalgame entre des sujets aussi différents. En face,
on note une tentation symétrique.
Tout ceci est d’autant plus navrant que la réalité
du paysage intellectuel français vaut mieux que ces caricatures.
La diversité des réflexions et des opinions y est aujourd’hui
plus répandue que naguère. Mais cette incertitude idéologique
– qui touche particulièrement la gauche – créée justement
une angoisse conduisant les meilleurs esprits à s’accrocher à
ce qui leur reste de préjugés. Comme l’a remarqué
Rousseau, « si quelquefois les savants ont moins de préjugés
que les autres hommes, ils tiennent, en revanche, encore plus fortement
à ceux qu'ils ont ».
Alain Juppé n’aura pas mis beaucoup de temps à
gâcher son jeu. Le 17 novembre, on s’en souvient, le maire de Bordeaux
était sacré président de l’UMP , le nouveau grand
parti de droite. Certes, il n’était pas élu très brillamment
et de petits détails dénotaient que l’homme du célèbre
« droit dans ses bottes » n’avait pas changé. Juppé
s’était plaint, par exemple, que de mystérieux adversaires
avaient saboté son entrée en scène en poussant la
sono pour tarir les ovations qui auraient dû le soutenir jusqu’à
la tribune…
Il a suffi de trois semaines pour que le champion de l’union
de la droite se mue en son principal diviseur. Juppé a tout d’abord
réussi à rallumer la guerre latente avec son principal rival,
Nicolas Sarkozy, pourtant au mieux de sa forme. Il a provoqué la
colère du populaire ministre de l’Intérieur en refusant de
nommer un de ses proches, Brice Hortefeux, au secrétariat général
de l’UMP. A sa décharge, cet Hortefeux est apparemment un personnage
plutôt dangereux. A en croire les gazettes, ce serait le genre de
type à s’emparer des clefs de la maison dés qu’on le laisse
entrer ! Ce n’était pas une raison pour permettre à Sarkozy
de dénoncer publiquement le « sectarisme » de Juppé.
Celui-ci s’est, dans la foulée, lancé dans une
étrange chasse à l’UDF. Ce dimanche a lieu le premier tour
d’une élection législative partielle dans la bourgeoise circonscription
du Chesnay, dans les Yvelines. Il s’agit de remplacer la sortante UDF,
Anne-Marie Idrac, nommée à la présidence de la RATP.
Or l’UDF a eu précisément l’idée d’y soutenir un ancien
président de la RATP dénommé Christian Blanc. Rocardien
d’origine, celui-ci est devenu encore plus libéral que social. Il
s’est fâché avec les socialistes pour avoir voulu mettre en
place un service minimum à la RATP avant de prôner l’ouverture
du capital d’Air France. Détail intéressant, son nom fut
cité dans la presse comme celui d’un des possibles premiers ministres
d’un Chirac réélu !
Et voilà que le maladroit Juppé juge «
inacceptable » que le seul ministre UDF du gouvernement, Gilles de
Robien, apporte son soutien au candidat Blanc. Le président de l’UMP
est allé jusqu’à menacer Robien des foudres de son chef Raffarin
! De quoi justifier l’accusation de « caporalisme » lancée
immédiatement par François Bayrou contre Juppé. Sa
gestion interne et externe de l’UMP est effectivement préoccupante.
Malgré ses efforts d’humanisation, l’ancien chef de gouvernement
reste d’une rigidité propre à le disqualifier comme fédérateur
des droites.
Le contraste avec la souplesse féline de Jean-Pierre
Raffarin, expert dans l’art de déminer les conflits, est frappant.
Le premier ministre a d’ailleurs refusé de sermonner Robien. Concluons
par l’appréciation portée par Jacques Chirac qui aurait jugé
toutes ces polémiques d’un mot : « Lamentable ». Effectivement.
Les syndicats d’enseignants, qui ont manifesté hier,
insistent beaucoup sur les moyens. Ils auraient peut-être avantage
à se préoccuper un tout petit peu plus des fins de l’éducation.
Pour ce qui est des moyens, en tous cas, le problème posé
par le budget 2003 est très précis, il concerne la situation
inquiétante des surveillants et des emplois-jeunes de l’éducation
nationale.
C’est le seul domaine touché par l’effort de rigueur
budgétaire. Alors que les crédits de l’éducation de
2003 sont en augmentation d’environ 2%, ce sont les seuls postes globalement
menacés. Le ministère envisage de ne pas reconduire 5.600
postes de surveillants tandis qu’il prévoit de se passer de quelques
20.000 emplois-jeunes en fin de contrat dans l’éducation nationale.
En s’attaquant aux emplois-jeunes et aux pions, le pouvoir s’en prend à
des catégories vulnérables – précaires et peu syndiquées.
Ce choix gouvernemental est assez surprenant alors que les
établissements scolaires souffrent d’un climat de tension voire
de violence. Xavier Darcos, le ministre délégué auprès
de Luc Ferry, va jusqu’à préconiser la généralisation
de système de surveillance plus ou moins automatisés ! La
présence de jeunes adultes dans les établissements est pourtant
autrement plus efficace pour désamorcer les tensions…
En outre, le gouvernement ne semble pas très bien sur
quel pied danser pour répondre au problème ainsi posé.
Luc Ferry estime que le système des pions, qui date de 1937, est
désormais inadapté. Pourquoi pas. Il veut les remplacer par
des « assistants d’éducation » au statut encore très
flou. Dans un premier temps, il a été question d’embaucher
des retraités et des mères de familles pour surveiller les
élèves. L’idée est vite apparue saugrenue. Il est
désormais envisagé de faire appel en priorité à
des jeunes et à des étudiants – mais avec un statut bien
précaire : 3 ans maximum, de fréquents mi-temps, le tout
de préférence payé par les collectivités locales.
Le remplacement des emplois-jeunes est aussi obscur. Il est
vrai que le gouvernement Jospin ne s’était guère préoccupé
du sort à long terme de ces contractants pour cinq ans – pas même
de leurs droits au chômage. Dans l’éducation, ces emplois-jeunes
remplissent des rôles divers – et d’ailleurs diversement appréciés
! Mais leur suppression brutale serait évidemment dommageable. Le
gouvernement imagine de les remplacer par de nouveaux contrats baptisés
CIVIS. Après les TUC et les CES, ce nouveau sigle risque cependant
d’être une enième déclinaison de la précarité
de l’emploi des jeunes.
Il faut distinguer soigneusement trois espèces. Il y
a d’abord les simples hommes politiques, puis les animaux politiques –
déjà plus féroces – et enfin les bêtes politiques
– qu’on appelle aussi parfois les grand fauves. Nicolas Sarkozy appartient
bien évidemment à cette aristocratie de la jungle politique.
On sait que le pouvoir finit généralement par revenir à
ceux qui le désirent le plus. Or « Sarko » n’a jamais
caché qu’il avait, sur ce plan là, très faim. De mystérieuses
« humiliations d’enfance » seraient même à la
source de son activisme.
Quoi qu’il en soit, le ministre de l’Intérieur semble
doté de trois qualités qui, sans lui assurer de décrocher
un beau jour le gros lot élyséen, en font un redoutable compétiteur.
1/ L’expérience. Le jeune Nicolas s’est engagé
précocement en politique. Il avait à peine 20 ans quand il
a rejoint l’UDR gaulliste en 1974. Il a ensuite appris beaucoup de choses,
tout particulièrement l’art si utile de la trahison. A 28 ans, il
conquiert la mairie de Neuilly-sur-Seine en doublant son parrain Charles
Pasqua. Plus tard, il abandonnera Jacques Chirac pour suivre Edouard Balladur
dans sa quête du Graal élyséen. Et puis il fait alliance
avec Philippe Séguin pour s’emparer du RPR.
2/ Le courage. Sarko sait prendre des risques – et ceci dans
tous les domaines. On se souvient qu’il n’avait pas hésité
à intervenir directement dans la prise d’otage d’une école
maternelle de Neuilly en 1993. Son courage est aussi intellectuel. Ce «
fils d’immigré », qui est en fait originaire de l’aristocratie
hongroise, est l’un des premiers responsables de son camp à avoir
oser s’affirmer de droite.
3/ Le goût de l’action. Le brutal Sarkozy adore la bagarre,
mais il sait aussi que bien faire de la politique – ce « métier
très difficile et très respectable » comme il dit –
implique de résoudre les problèmes des gens. Ou, à
tout le moins, de les écouter ! D’où sa prédilection
pour les visites de terrain. Et sa jouissance à régler une
question – comme on l’a vu dans la délicate affaire de Sangatte.
Au ministère de l’Intérieur, il s’est acquis une popularité
exceptionnelle : sa cote de bonnes opinions Ipsos est passée de
29% en avril à 63% en novembre ! Mais c’est une popularité
basée sur son action – comme la baisse de la délinquance
– et pas seulement sur son image.
Car Sarkozy n’est pas spécialement « aimable
». En ce sens, on peut le comparer à François Mitterrand
qui fut comme lui avocat, expert en retournement d’alliances et ministre
de l’Intérieur. Comme l’ancien président, Sarko sait rebondir
après les échecs – qui se souvient des malheureux 12,8% recueillis
par sa liste aux européennes de 1999 ? Sans doute Chirac le considère-t-il
au fond comme plus proche de lui que ne l’est le cérébral
Alain Juppé. La droite n’est décidément pas prête
d’être débarrassée du tenace Sarkozy.
Avec environ 9% des salariés, le taux de syndicalisation
est, en France, le plus bas de tous les pays développés.
Il est d’ailleurs très différent selon le type d’entreprise
: plus fort dans le public que dans le privé, plus élevé
dans les grandes que dans les petites entreprises. Non seulement la faiblesse
syndicale affaiblit la position des salariés, mais elle creuse en
son sein des inégalités face au patronat. Celui-ci a, lui
aussi, quelques raisons de s’inquiéter d’une situation qui le prive
de vrais interlocuteurs. L’Etat lui-même devrait s’en préoccuper:
en l’absence de représentation forte des salariés, surgissent
inévitablement des « coordinations » plus ou moins spontanées
et plus ou moins contrôlées par des minorités.
Comment favoriser un renouveau syndical dans notre pays ?
Valéry Giscard d’Estaing dirait qu’il y a la grande solution et
la petite solution !
La grande solution est celle de l’unité syndicale.
Les pays où les organisations de salariés sont puissantes
sont ceux où une seule centrale les rassemblent. En France, comme
en
Italie, la division syndicale a été le sous-produit des clivages
politiques au sein du mouvement ouvrier. Mais cet âge est aujourd’hui
révolu. La scission de 1947 qui a donné naissance à
Force Ouvrière à partir de la CGT, en pleine guerre froide,
n’a plus de raison historique d’être depuis la disparition du communisme.
Les deux organisations ont certes forgé des cultures très
différentes, mais leurs évolutions récentes les rapprochent
objectivement : la CGT a mis beaucoup d’eau dans son vin rouge – au point
de devenir, en fait, un syndicat réformiste – tandis que FO, sous
la houlette de Marc Blondel, n’est plus l’interlocuteur complaisant des
patrons qu’elle était du temps d’André Bergeron. La spécificité
de la CFDT est, elle aussi, plus ancrée dans le passé que
dans le présent. Avec François Chérèque à
sa tête, la centrale cédétiste opère d’ailleurs
une sorte de virage à gauche par rapport à l’ère de
Nicole Notat.
Oui, mais voilà, le poids des clivages d’antan et des
sectarismes d’organisation est tel qu’il serait vain de croire à
une prochaine réunification syndicale. La division fait même
des progrès avec l’apparition de « syndicats autonomes »
ou estampillés « solidaires » (SUD). Ce qui nous amène
à la petite solution : renforcer le syndicalisme en changeant son
statut juridique de représentativité. Aujourd’hui encore,
c’est à partir d'une circulaire datant de 1946 que cinq confédérations
sont assurées de cet honneur : CGT, FO, CFDT, CFTC et CGC. Il est
temps de rebattre les cartes. La CGT et la CFDT en sont d’accord. On pourrait
imaginer, comme le suggèrent les cédétistes, des élections
de représentativité dans toutes les entreprises d’une même
branche le même jour. Et aussi soumettre, comme le préconisent
les cégétistes, tout accord d’entreprise au principe majoritaire.
Voilà qui revigorerait assurément la vie syndicale en France.
C’est dans une splendide indifférence qu’avance le projet
de loi constitutionnelle sur la décentralisation. Le Sénat
a adopté hier un texte conforme à celui voté par l’Assemblée
nationale le 4 décembre. On s’achemine donc paisiblement vers une
modification de la Constitution en janvier prochain.
Mais le grand dessein de Jean-Pierre Raffarin semble s’être
transformé en réforme honteuse. S’il y a un sujet sur lequel
l’actuel Premier ministre est lesté par de fortes convictions, c’est
bien la décentralisation. Girondin expérimenté, l’ancien
président de la région Poitou-Charente était bien
décidé, à l’automne, de faire de la deuxième
étape de la décentralisation sa grande affaire personnelle.
Il est vrai qu’il y a de quoi agir. Les réformes des années
80 ont laissé ce processus au milieu du gué. La France demeure
trop centralisée. Elle est surtout mal décentralisée.
Une pyramide invraisemblable d’échelons de décision conduit
à d’obscurs enchevêtrements de compétence. Il est donc
urgent de simplifier la règle du jeu si l’on veut rapprocher effectivement
les citoyens des décisions qui les concernent.
Hélas, ce n’est pas du tout l’objet du texte constitutionnel
en débat. Celui-ci se contente d’abord d’affirmer le grand principe
que l’organisation de la République est « décentralisée
». Il donne aussi au Sénat la priorité pour l’examen
des texte relatifs à l’organisation des collectivités territoriales.
Une disposition plus lourde de conséquences donne à ces collectivités
une droit d’expérimentation législatif et réglementaire
– d’ailleurs encadré par une lourde phraséologie juridique.
C’est également dans une certaine confusion que le législateur
organise l’action commune de différents acteurs locaux.
On comprend que cette loi-cadre – au demeurant issue de discussions
parlementaires laborieuses – ne parle pas aux Français. Jacques
Chirac l’avait lui-même reconnu en plein conseil des ministres. Elle
a, un temps, inquiété Jean-Louis Debré qui y voyait
les prémisses d’un « intégrisme décentralisateur
» ou François Fillon qui a parlé de « girondisme
extravagant ». Plus récemment, c’est le socialiste Arnaud
Montebourg qui a dénoncé une « stratégie de
démantèlement de l’Etat ».
Voilà qui est bien excessif. En réalité, tout
dépendra des transferts de compétences qui seront ensuite
réalisés par le biais de lois organiques dont on ignore aujourd’hui
à peu près tout. C’est peut-être l’astuce secrète
de Raffarin dans ce dossier : faire avaler une loi constitutionnelle obscure
avant de passer aux choses sérieuses.
A l’heure où « l’Europe d’en haut » songe
à son élargissement, « l’Europe d’en bas » demeure
perplexe. Rien n’illustre mieux la fragilité de la construction
européenne que la difficulté de ses peuples à s’approprier
mentalement leur monnaie commune. L’euro est plus facilement entré
dans les poches que dans les têtes. Jean-Louis Ezine citait hier,
dans sa revue de presse, un sondage montrant que 62% des Français
restaient attachés à feu le franc. La nostalgie pour les
anciennes monnaies nationales, un an après leur disparition, existe
dans tous les grands pays européens : une très forte minorité
choisiraient de revenir en arrière si la possibilité leur
en était offerte. C’est le cas, selon une enquête internationale
Ipsos, pour 48% des Allemands, 47% des Français, 43% des Espagnols
ou encore 41% des Italiens. Le camp des euroconvaincus est toujours majoritaire
– mais de très peu et grâce aux jeunes ainsi qu’aux catégories
sociales les plus favorisées.
L’euro a beau faire jeu égal avec le dollar – après
une phase de faiblesse – ses capacités d’attraction restent limitées.
Seule une minorité de Britanniques seraient disposés à
abandonner la livre sterling. En Suède aussi, malgré les
dispositions du gouvernement, la majorité est hostile à l’euro.
Bien sûr, beaucoup de peuples est-européens rêvent,
quant à eux, de rejoindre la zone euro. Mais ce ne sont pas précisément
les plus attendus au club…
L’euro doit faire face à un reproche précis
: celui d’avoir permis aux prix de s’envoler. Le contraste entre les perceptions
subjectives et les réalités objectives –telles que les statistiques
les cernent – est tout à fait spectaculaire. L’immense majorité
des européens sont convaincus que le passage à l’euro, arrondis
à la hausse aidant, a gonflé les prix. Les Grecs ont même
fait une grève de la consommation pendant quatre jours pour protester
contre la valse des étiquettes. L’impact du changement de monnaie
sur la hausse des prix a pourtant été officiellement évalué
à seulement 0,1 ou 0,2% ! La Banque centrale européenne reconnaît
quand même implicitement l’existence d’un problème lorsqu’elle
envisage – sous la pression des Italiens et des Grecs – de créer
un billet d’un euro afin de lutter contre l’inflation.
Aussi concrète soit-elle, la création d’une
monnaie commune ne suffit pas à ancrer une conscience européenne.
Ceux qui voyagent au sein de la zone euro restent minoritaires. A un tout
autre niveau, l’euro n’a toujours pas connu son heure de vérité
– la crise violente d’un des pays membres qui éprouverait la solidité
des mécanismes de la monnaie unique. Pour l’heure, constatons simplement
que les difficultés économiques restent la source de conflits
entre partenaires. Mardi soir, Jean-Pierre Raffarin accusait l’Allemagne
de fragiliser la croissance européenne par sa politique d’austérité.
L’euro est un instrument d’échange, mais toujours pas le vecteur
d’une politique économique.
Ce week-end pluvieux a été spécialement
maussade pour feu la gauche plurielle. Les socialistes, les communistes
et les Verts ont réuni, chacun de leur côté, leurs
responsables nationaux. Chacun à sa manière, les trois principaux
partis de l’ancienne majorité ont manifesté un état
de santé inquiétant. Avec comme point commun une forme de
régression identitaire.
La situation la plus pathétique est évidemment
celle des écologistes. Une fois de plus, les Verts ont manifesté
leur immaturité politique et leur sectarisme interne – les uns parlant
de « putsch », les autres de « majorité imbécile
». Leur incapacité à élire une direction est
cependant moins grave que l’orientation de la nouvelle majorité
qui s’est affirmée à Nantes. Celle-ci associe, dans une alliance
plutôt contre nature – ce qui est un comble pour des Verts – deux
courants qui incarnent les deux maladies infantiles de l’écologisme
: la tentation gauchiste qui écarterait ce parti de toute vocation
gouvernementale et la dérive environnementaliste qui voit tout au
travers du seul prisme écologique. Significativement, la nouvelle
majorité interne au Verts a été rejointe par un petit
courant dont la dénomination est tout un programme : « L’utopie
ou rien ». Cela risque d’être rien…
Du côté du PCF aussi, le vent qui souffle est
celui d’un certain fondamentalisme. La tentative cahotique de « mutation
» conduite par Robert Hue est bel et bien enterrée. Chez les
communistes, le vrai débat oppose désormais des orthodoxes
nostalgiques de l’ère Marchais aux tenants d’un « pôle
de radicalité » où le PCF marcherait main dans la main
avec la LCR. Un peu ballottée par ces événements,
Marie-Georges Buffet se laisse elle-même aller à une surenchère
« radicale ». Il est tout de même assez troublant d’entendre
la principale dirigeante communiste partir en guerre contre ce qu’elle
appelle le « populisme » !
Naturellement, François Hollande a eu beau jeu de dénoncer
hier le « repli sur soi » de ses partenaires. Mais le premier
secrétaire du PS n’a pas précisément donné
l’exemple de l’ouverture. Soucieux d’esquiver le débat de fond,
il a fixé à son parti un objectif très politicien
: gagner plus de 30% des voix. Sur quelle orientation précise ?
Personne ne le sait encore. En posant ainsi la question de la rénovation
du PS, Hollande trahit, lui aussi, une forme de régression identitaire
: celle qui réduit le courant socialiste à un électoralisme
sans contenu.
Décidément, le choc du 21 avril n’a toujours
pas été surmonté par les différentes composantes
de la gauche. Il est vrai que, dans un premier temps, le retour dans l’opposition
favorise plus les crispations que les remises en cause. Souhaitons tout
de même que la gauche quitte, sans trop tarder, le stade des réflexes
pour celui de la réflexion.
Tout le monde se souvient du scandale provoqué par l’annonce
d’un plan de licenciements et de fermeture de deux usines Lu, pourtant
rentables, de Danone en janvier 2001. Un plan baptisé « plan
social » alors qu’il vaudrait mieux parler de « plan économique
» dans la mesure où ce sont les exigences de la compétitivité
internationale qui justifiaient ces décisions. Cette affaire a eu
de nombreuses conséquences politiques : mobilisation autour d’un
mot d’ordre inédit de boycott des produits Danone tout d’abord,
vote d’une loi d’encadrement des licenciements économiques ensuite,
face à face fameux entre les « Lu » et Lionel Jospin
en pleine campagne présidentielle enfin. L’agacement du candidat
socialiste face aux salariés mécontents avait produit un
vilain effet.
Il n’est donc pas inintéressant de se demander, près
de deux ans plus tard, où en sont les quelques 800 salariés
dont l’emploi était condamné à Calais et à
Evry. « Le Parisien » a eu la bonne idée d’enquêter
là-dessus. Il en ressort qu’en dépit des efforts incontestables
de Danone, seulement la moitié des intéressés, ont
retrouvé un emploi stable. Beaucoup ont préféré
rester dans le groupe, quitte à déménager. Très
peu ont accepté les propositions de reclassements externes qui leur
ont été faites. Les rémunérations offertes
et surtout le changement de type de travail en ont dissuadé plus
d’un. Pas question, par exemple, de travailler dans un poulailler industriel
après avoir œuvré dans l’industrie du biscuit ! Pis encore,
pas mal de salariés qui s’étaient recasés ailleurs
ont rapidement décroché – certains accusant même ces
entreprises de ne les avoir embauchés que pour toucher la prime
offerte par Danone…
Cet exemple illustre la difficulté des reclassements.
Ce n’est hélas pas la loi dite de modernisation sociale, votée
par une gauche désireuse de donner une réponse législative
à cette affaire, qui règle vraiment la question. Une loi
critiquée par de nombreux syndicalistes et d’abord motivée
par des considérations polico-symboliques. La droite a entrepris
d’en suspendre bon nombre de dispositions au moyen d’une nouvelle loi discutée
aujourd’hui même par le Sénat après un vote à
l’Assemblée nationale.
Le gouvernement aurait toutefois grand tort de se contenter
d’une attitude réactionnaire – au sens étymologique du terme.
Il ferait mieux de s’inspirer du rapport sur les mutations industrielles
remis récemment par Jean-Pierre Aubert, ancien syndicaliste CFDT,
au Premier ministre. Soulignant que 60% des licenciés économiques
restent au chômage au bout d’un an, il propose de créer un
véritable droit au reclassement qui remplacerait progressivement
le droit du licenciement économique. On risque cependant d’attendre
longtemps les suites de ce rapport commandé en mars 2000… – devinez
par qui – Lionel Jospin.
Je voudrais aujourd’hui saluer le courage d’un élu socialiste,
Manuel Valls, le maire d’Evry. Ce garçon a beau avoir été
membre du cabinet de Lionel Jospin à l’hôtel Matignon, il
sait agir sur le terrain. Car il sait que l’action politique est un étrange
mélange où doivent se conforter mutuellement des gestes concrets
et des positions symboliques.
L’affaire du Franprix hallal du quartier des Pyramides d’Evry
montre ce qu’un élu peut faire pour donner l’alerte contre les dérives
communautaristes qui conduisent tout droit aux ghettos urbains. On sait
que les repreneurs de ce magasin ont décidé, suivant les
préceptes islamiques, de ne vendre ni porc ni alcool. Le problème,
c’est que ce Franprix est le commerce alimentaire central du quartier.
Au nom de sa mixité sociale, déjà fortement menacée,
le maire a donc intimé l’ordre aux gérants de revenir à
de meilleurs sentiments généralistes.
Or Manuel Valls est du genre têtu. Et il n’a pu qu’être
encouragé à poursuivre son combat en apprenant que les nouveaux
propriétaires de ce Franprix s’étaient apparemment rendus
coupables de discrimination raciale. Ils n’ont pas repris les cinq anciens
salariés du magasin et les ont remplacés par cinq personnes
de confession musulmane ! Les licenciés ont d’ailleurs entamé
une action devant les prud’hommes…
Avec 9000 habitants appartenant à 22 nationalités,
le quartier des Pyramides offre un exemple saisissant de concentrations
des difficultés. 60% des familles qui y vivent sont sous tutelle
! Le collège du quartier a connu, à la rentrée, plusieurs
grèves d’enseignants qui demandaient plus de moyens et s’inquiétaient
de la « loi du silence » qui y règne. Le maire a osé
lutter contre un véritable trafic d’appartements, quitter à
s’affronter à des associations comme le DAL qui défendaient,
par principe, les squatters. Le retour à une mixité sociale
dans ce quartier un travail de titan. Sa réputation ne favorise
pas les choses – d’autant qu’elle s’appuie sur de vrais phénomènes.
Il y a les trafics en tous genres. Et aussi des guerres de bandes, comme
celle qui a opposé des jeunes des Tarterêts à ceux
des Pyramides…
On le voit, l’action des élus locaux ne peut suffire
à empêcher la constitution des ghettos qui déchirent
littéralement le territoire. Elle est néanmoins importante
en ce qu’elle manifeste une volonté et un refus de baisser les bras.
Mais c’est bien à une politique de mixité sociale plus large,
portant notamment sur le logement, qu’il faudrait faire appel. La loi SRU
votée par la gauche constituait un premier pas dans ce sens en obligeant
toutes les communes à construire des logements sociaux. Mais la
droite tente aujourd’hui d’en atténuer les obligations. Une vraie
lutte contre l’insécurité passe pourtant aussi par une politique
volontariste du « vivre ensemble » contre les logiques ségrégationnistes.
Une sorte de décalage est en train de se créer
entre la politique du gouvernement Raffarin et les soucis des Français.
C’est sur le terrain de la sécurité que l’action du pouvoir
est la plus visible. Mais si cette question a effectivement dominé
la dernière bataille présidentielle, elle n’est plus aussi
prioritaire dans les esprits qu’il y a quelques mois. Dans un contexte
économique décidément maussade, les préoccupations
liées à l’emploi font un retour remarqué. D’après
le dernier baromètre Sofres-Figaro Magazine, la lutte contre le
chômage fait désormais presque jeu égal avec la lutte
contre l’insécurité en tant que priorité souhaitée
par les Français.
La crainte de perdre son emploi se répand à
nouveau. Elle est remontée à 52% des salariés du secteur
privé, selon une autre enquête récente de la Sofres.
Et il faut reconnaître que ce sentiment d’insécurité
économique est, lui aussi, fondé sur de solides réalités.
Le nombre de demandeurs d’emploi a augmenté de 5,4% en un an. La
progression est même du double pour les hommes de moins de 25 ans.
Avec un taux de chômage de 9%, selon les critères du Bureau
international du travail, la France se situe toujours parmi les pays développés
où la situation de l’emploi est la plus sombre. Ce taux de chômage
grimpe à 22% chez les plus jeunes ! Au total, quelques 2,3 millions
de personnes sont officiellement à la recherche d’un emploi à
temps plein. Si l’on ajoute à ce chiffre les chômeurs à
temps partiel, ceux qui sont en préretraite, ceux qui sont en formation
ainsi que les « contrats emploi solidarité », on aboutit
à 4 millions et demi de personnes victimes du sous-emploi dans notre
pays !
Cette situation n’a pas seulement pour inconvénient
de creuser les déficits de l’UNEDIC. Avec le cortège de drames
humains qu’il entraîne, le chômage devrait être au cœur
des préoccupations des pouvoirs publics. Pendant les dernières
années de croissance, ceux-ci ont un peu eu tendance à parier
sur une sorte de baisse tendancielle du taux de sous-emploi. Mais aujourd’hui,
la politique du gouvernement Raffarin n’apparaît pas à la
hauteur du retournement de conjoncture. Le Premier ministre a certes exhorté
les chefs d’entreprises à recruter des jeunes le 22 septembre. Un
volontarisme verbal qui risque d’en laisser plus d’un sceptique. Les initiatives
du gouvernement dans ce domaine crucial ne sont pas impressionnantes. On
relève la création de nouveau contrats-jeunes dans les entreprises
ou bien le doublement des zones franches dans les quartiers en difficulté.
C’est peu. Même si l’on se garde d’oublier que l’habile Raffarin
s’est résolu à reconduire la prime de Noël offerte aux
chômeurs par le gouvernement précédent…
Le château de Nainville-les-Roches, domaine de la République
situé dans l’Essonne, peut être un lieu propice aux compromis
difficiles. C’est là que se sont préparés, en 1983,
les accords pacificateurs de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce même
château, les principaux représentants attitrés de l’islam
sont réunis en conclave depuis hier pour dessiner les contours d’un
futur « Conseil français du culte musulman ». L’enjeu
est de doter enfin la deuxième religion de France – environ cinq
millions
de fidèles, d’ailleurs de plus en plus pratiquants selon toutes
les enquêtes – d’une instance représentative. Cela fait longtemps
que les ministres de l’Intérieur – qui sont aussi chargés
du culte – s’y emploient. Mais la diversité assez déroutante
de l’islam, tel qu’il est pratiqué dans notre pays, a jusqu’à
présent empêché ce projet d’aboutir.
Le fougueux Nicolas Sarkozy a donc surpris son monde en annonçant,
récemment à la télévision, qu’il avait réussi
à arracher un accord entre trois des parties en cause : la Mosquée
de Paris, proche de l’Algérie, l’UOIF, proche des « Frères
musulmans », et la FNMF, liée au Maroc. Naturellement, tous
ceux qui n’en étaient pas partie prenante ont protesté. Le
grand mufti de Marseille a pesté contre le privilège accordé
aux « intérêts politiques ». Une certaine «
Coordination nationale des musulmans de France » a dénoncé
« le conclave des intégristes islamiques et des supplétifs
de l’islam de l’étranger ». Betoule Fekkar-Lambiotte, la seule
femme associée au processus de Consultation initié par Jean-Pierre
Chevènement en 1999, a également condamné le sacrifice
des « anticommunautaristes sur l’autel de la République ».
Une chose est sûre : fidèle à son tempérament,
et soucieux de son image, Nicolas Sarkozy est passé en force. L’accord
du 9 décembre comporte même des dispositions très contestables.
Il ferait la part belle à l’UIMF (Union des organisations islamiques
de France), le réseau apparemment le plus puissant par son maillage
associatif mais qui traîne une réputation de fondamentalisme
– même si la réalité est plus ambiguë.
Les intégrismes de la laïcité s’étonneront
que la République arbitre entre des tendances d’une religion. Les
mêmes s’inquièteront aussi des contre-parties de l’accord
en gestation. L’Etat financera-t-il la construction de mosquées
?
On répondra qu’il vaut peut-être mieux que ce
soit la France que des intérêts étrangers. La grande
mosquée de Lyon a été financée à 90%
par le roi Fayd d’Arabie Saoudite. Et que répondre aux musulmans
de Corbeil-Essonne qui voient la construction de leur mosquée bloquée
faute de fonds ? Rappelons que sur 1500 lieux de culte musulmans qui existeraient
en France, on ne compte que 5 mosquées construites à cet
effet !
Le pari de constitution d’un islam de France vaut d’être
tenté – même au prix d’actes volontaristes. C’est un pari
en ce sens que l’on peut et doit espérer que l’apparition d’un islam
français institutionnalisé favorisera l’intégration
de la communauté musulmane. Et contribuera à marginaliser
les courants qui, comme le salafisme, représentent un vrai danger.
Si vous vous apprêtez à offrir à un enfant
un chien robot, sachez que vous n’êtes plus du tout dans le coup.
Ce sont les peluches interactives et même les antiques poupées
chiffon qui ont le vent en poupe en ce Noël 2002 ! Question poupées,
l’influence de la télévision se fait également terriblement
sentir. Pour parler clair, il est généralement apprécié
qu’elles ressemblent à des filles de « Pop stars » ou
– ce qui ne change pas grand chose – de « Star Academy »…
Evidemment, les parents ou grand-parents que vous êtes
peut-être auront sans doute été assaillis par la demande
la plus banale : celle d’un jeu vidéo. Leurs ventes représentent
plus du quart du marché du jouet français. Chaque année,
l’amusement électronique gagne du terrain. Le marché du jouet
traditionnel n’a progressé que de 1% en 2001 tandis que celui des
jeux vidéo a bondi de 54% en un an !
Cette évolution ne fait naturellement pas l’affaire
des industriels français. Car notre pays n’est pas un producteur
de jouets négligeable : le secteur ferait vivre quelques 20.000
personnes. La région la plus versée dans la fabrication de
jouets est la Franche-Comté. Mais la France construit d’abord des
jouets sportifs et de plein air. Ces dernières années, c’est
dans le domaine des jeux de construction, de reconnaissance et de puzzle
que la production nationale s’est le plus développée.
D’où un réel dynamisme à l’exportation
: quelques 600 millions d’euros de jouets vendus à l’étranger
l’année dernière – essentiellement à destination de
l’Union Européenne. Hélas, ce chiffre doit être comparé
aux 2 milliards d’euros d’importations – où les produits vidéo
pèsent lourd. Les jouets venus d’ailleurs sont issus, pour les deux
tiers, du Sud-Est Asiatique – la Chine assurant à elle seule 44%
de nos importations !
Si vous apercevez l’étiquette « made in China
» sur un cadeau glissé sous le sapin de Noël, soyez discret.
Pour ne pas gâcher la joie des enfants, il vaut mieux ne pas leur
parler de ses conditions de production. La Chine exporte la moitié
du volume de la production mondiale de jouets. Le secteur emploie 1,2 millions
personnes, d’abord dans la province côtière du Guangdong.
Leurs conditions de travail sont généralement
épouvantables. L’organisation américaine National Labor Committee
a récemment publié un rapport édifiant. En saison
de pointe, les jeunes ouvrières du jouet travaillent parfois jusqu’à
15 heures par jour. Souvent rémunérées à la
pièce, elles ne gagnent quotidiennement que 2 à 3 dollars.
Une jeune fille de 19 ans, Li Chunmein, est ainsi morte d’épuisement
l’année dernière dans la période d’avant-Noël.
Les Chinois appellent cela « guolaosi » - je ne garantis pas
la prononciation – ce qui veut dire à peu près « mort
par excès de travail ». Rappelons que la Chine se prétend
« communiste »… Enfin, joyeux Noël quand même et
surtout bon amusement aux enfants !