LES COMMENTAIRES d'Eric
Dupin
dans FRANCE-SOIR
du mois de novembre 1998
- Pauvre Assemblée à la Couardise Sidérante
(4 novembre)
- Quand le parti de l'éléphant fait
l'âne (5 novembre)
- La politique du rétroviseur (11 novembre)
- Le nouveau paysage syndical (13 novembre)
- Le Pen ou la peur de mourir (18 novembre)
- Sans-papiers: qui fait l'ange fait la bête
(20 novembre)
- La stratégie du cas par cas de Jospin
(25 novembre)
- Si on parlait vraiment de l'Europe ? (27
novembre)
Pauvre
Assemblée à la Couardise Sidérante
(4 novembre)
Peut-on dissoudre une usine à gaz
avec de l'eau bénite ? C'est l'interrogation que suggèrent
les étonnantes aventures parlementaires du PACS. Ce pacte à
géométrie complexe mérite sans doute d'être
comparé à une "usine à gaz" par le député
RPR Patrick Devedjian. Est-ce une raison pour lui opposer, au nom des valeurs
chrétiennes, la condamnation simpliste et outrancière dont
la député UDF Christine Boutin se fait le porte-drapeau ?
Le Pacte civil de solidarité
fut inspiré par le louable souci d'adapter la législation
aux moeurs afin de résoudre de réels problèmes de
vie commune. Hélas, l'avancement du projet a offert le spectacle
d'un festival de lâchetés et d'hypocrisies. A droite comme
à gauche.
La gauche n'a pas eu le courage de proposer
un statut pour les couples homosexuels. Une ouverture du concubinage à
ceux-ci, prônée par Robert Badinter comme par Patrick Devedjian,
aurait été une solution simple. Une adaptation du cadre juridique
du concubinage était même envisageable. Mais la hantise d'être
accusé d'instaurer un "sous-mariage homosexuel" a été
la plus forte. Elisabeth Guigou l'a implicitement reconnu en jurant, dans
le Journal du Dimanche, que le Pacs n'était "ni un mariage, ni même
un pas vers la reconnaissance du mariage homosexuel". Cette frilosité
n'est pas étrangère à la désertion du groupe
socialiste qui a provoqué le rejet de la proposition de loi, le
9 octobre, à l'Assemblée nationale.
Les mêmes craintes ont accouché
d'une double dénaturation du projet initial. Le PACS devrait être
signé dans un tribunal d'instance, et non plus en mairie. Toujours
pour en gommer toute parenté avec le mariage, son bénéfice
en serait étendu aux frères et soeurs... Ces concessions
ont ouvert à la voie à une prévisible contestation
de gauche. Communistes et écologistes rivalisent d'amendements pour
rétablir le PACS dans sa pureté originelle.
Ce fameux pacte divise toutefois au
moins autant la droite que la gauche. L'opposition n'a pas eu le courage
de résister à la démagogie. A l'orée du débat,
plusieurs de ses leaders - Edouard Balladur ou encore Alain Madelin - y
étaient favorables. Le Pacs a ensuite donné lieu à
une critique de droite intelligente où s'est illustré, entre
autres, le député DL Jean-François Mattéi.
Mais le poids des lobbies conservateurs
a fait basculer l'opposition dans l'hostilité virulente envers le
principe même d'une législation reconnaissant des couples
homosexuels. Bible en main, Christine Boutin a pris la tête de cette
croisade avec autant de conviction que de sectarisme. Ce faisant, la droite
adopte une attitude "réactionnaire" au sens vrai du terme. Elle
a certes le pape avec elle. Il y a cependant belle lurette que la hiérarchie
catholique est en décalage, sur les questions de société,
avec la grande majorité des Français.
En prenant position, les églises
sont parfaitement dans leur rôle. La classe politique, elle, démontre
son incapacité à vivre sereinement un débat portant
sur des valeurs. La droite protectrice des familles contre la gauche avocate
des homosexuels ? Posé en ces termes, le débat n'incite pas
à la réflexion. Mais aux réflexes conditionnés.
Quand
le parti de l'éléphant fait l'âne
(5 novembre)
Une robe souillée du
sperme présidentiel exhibée comme pièce à conviction.
Une confession vidéo diffusée à tous vents dans laquelle
le chef du plus puissant pays du monde explique, le rouge aux joues, qu'une
fellation n'est pas vraiment un acte sexuel. Un dossier de plusieurs milliers
de pages, jeté en pâture au voyeurisme du public, qui ne laisse
rien ignorer des détails les plus cocasses de la relation nouée
entre le président des Etats-Unis et une jeune stagiaire de la Maison
Blanche.
Tout cela pour rien ! Le
peuple américain, qui a voté mardi, n'a pas marché
dans le procès instruit contre Bill Clinton. C'est en pure perte
que ses inquisiteurs républicains ont dépensé, en
fin de campagne, dix milliards de dollars de publicité pour appeler
les électeurs à sanctionner un président volage et
menteur. Car la procédure de destitution engagée par le Congrès
sur l'initiative acharnée du procureur Kenneth Starr ne visait pas
seulement les escapades sexuelles d'un homme connu pour ses faiblesses
de chair. Comment aurait-il pu résister à la vue d'un string
dévoilé, un beau soir, par la coquine Monica Lewinsky? C'est
aussi et surtout le mensonge présidentiel qui risquait de provoquer
sa chute.
Le verdict des électeurs
a éloigné ce spectre. Pour la première fois depuis
1934, le parti qui occupe la Maison Blanche a gagné du terrain lors
des élections du milieu d'un mandat présidentiel. Un formidable
démenti pour tous ceux qui voient en l'Amérique un pays étroitement
puritain et moraliste. L'incroyable tohu-bohu politico-médiatique
provoqué par le scandale Lewinsky contraste avec la sérénité
populaire. Peu lui chaut que son président soit un chaud lapin,
pourvu que sa politique soit bonne. Or les Américains, satisfaits
des priorités sociales de Clinton, goûtent les fruits d'une
heureuse conjoncture économique. «Idiot, ce qui compte, c'est
l'économie», criait Bill Clinton à son adversaire George
Bush en 1992. C'est la même réponse que viennent d'adresser
les électeurs à l'obstiné Kenneth Starr.
Car l'Amérique se
recentre. L'époque où la droite républicaine la plus
dure engrangeait les succès électoraux est révolue.
La défaite d'un de ses représentants face au candidat démocrate
en Californie, l'Etat le plus peuplé et le plus riche du pays, est
révélatrice de l'isolement des conservateurs influencés
par les milieux religieux intégristes. A contrario, l'imposant score
obtenu au Texas par l'un des fils de l'ancien président Bush montre
que les Républicains peuvent gagner lorsqu'ils empruntent le chemin
de la modération.
Le parti de l'éléphant (les
Républicains) paie aujourd'hui sa défense d'une vision archaïque
de la société minoritaire dans un pays finalement tolérant.
Significativement, le parti de l'âne (les Démocrates) a conservé
le soutien des pauvres et des minorités ethniques tout en progressant
chez ceux qui engrangent plus de 100 000 dollars par an. Un phénomène
international : plus la gauche se modère et plus la droite risque
d'être déportée vers des thèses extrémistes
forcément minoritaires.
LA
POLITIQUE DU RETROVISEUR
(11 novembre)
Votre interlocuteur est-il de droite ou
de gauche ? Ne lui demandez pas ce qu'il convient de faire pour réduire
le chômage, assurer la sécurité ou combattre la misère.
Interrogez-le plutôt sur 1936. L'homme de droite se trahira en soupirant
sur les désordres provoqués par le Front populaire. L'homme
de gauche se révélera en célébrant avec émotion
le souvenir des premiers congés payés.
Dans notre "cher et vieux pays", comme
l'appelait Charles de Gaulle, la politique est dominée par l'histoire.
La France est une vieille nation tissée d'affrontements passés
qui ne passent jamais complètement. Non seulement les Gaulois ont
le chic pour se disputer mais ils répugnent à passer l'éponge
sur leurs querelles ancestrales. La surprenante polémique sur les
fusillés de 1917 qui oppose Jacques Chirac à Lionel Jospin
ne s'explique pas autrement.
Le premier ministre s'est contenté
de regarder la réalité en face. Ou plus exactement de rappeler
une vérité occultée par les discours officiels qui
marquent traditionnellement les cérémonies de commémoration
de l'armistice du 11 novembre 1918: dans ce cauchemar que fut la Grande
Guerre, le commandement militaire a parfois fait preuve d'une stupidité
génératrice de désobéissance. Jospin s'est
bien gardé de le dire ainsi. Son propos nuancé vaut reconnaissance
d'un fait historique mais ne saurait être interprétée
comme un "hommage" à ceux que l'on traite un peu rapidement de "mutins".
Le chef du gouvernement s'est limité à demander leur réintégration
dans la "mémoire nationale".
La réaction épidermique
du président de la République est de l'ordre du réflexe.
Pour le cœur de la droite, l'armée ne saurait avoir tort. Déjà,
pendant l'affaire Dreyfus, certains milieux conservateurs ne pouvaient
imaginer que le commandement militaire fautât. Encore moins que cela
soit reconnu. Comme si Chirac voulait, à son corps défendant,
donner raison à Jospin qui avait pêché par simplisme
historique, le 14 janvier 1998, en mettant en cause toute la droite au
sujet de l'affaire Dreyfus.
L'histoire a encore hanté plusieurs
manifestations du week-end dernier. Charles Millon, qui réunissait
son mouvement, a déclaré que la droite - la vraie - n'était
pas au pouvoir... depuis 1945. Est-ce à dire qu'elle dirigeait la
France sous Philippe Pétain ? Certains ultra-conservateurs iront
plus loin. Ils soutiendront que la droite authentique a perdu en 1789.
Une partie des manifestants anti-PACS de samedi le pensaient en leur for
intérieur. La Révolution n'a-t-elle pas sonné le glas
d'une "loi divine" qui guide toujours ceux qui condamnent pêle-mêle
le divorce, la contraception, l'avortement et l'homosexualité ?
Tout cela nous éloigne des enjeux
de cette fin de millénaire. "L'avenir est le sens que l'on donne
au passé", a justement écrit le sénateur RPR René
Trégouët. Assumer son passé est le meilleur moyen de
ne plus en être obsédé. Nos hommes politiques gagneraient
à confronter leurs propositions plutôt que de ressasser d'anciennes
disputes. Tant il est périlleux de conduire l'œil fixé sur
le rétroviseur.
LE
NOUVEAU PAYSAGE SYNDICAL
(13 novembre)
L'union fait la force. Cette vérité d'évidence
a souvent été oubliée par le syndicalisme français.
Raison de plus pour souligner les relations nouvelles qui se nouent entre
la CGT et la CFDT. Les dirigeants des deux principales confédérations
se sont rencontrés hier pour confronter leurs analyses. Le dossier
des 35 heures les rapprochent. Mais pas seulement.
Les cégétistes jurent qu'ils n'entendent pas
créer un "axe privilégié" avec les cédétistes.
Ils soulignent que tout le monde est invité au "bal" de l'unité
d'action syndicale, Force ouvrière comprise. La confédération
dirigée par Marc Blondel n'en boude pas moins ces retrouvailles,
non sans délectation. Comme son prédécesseur, l'actuel
chef de FO cultive l'originalité. A ce détail près
qu'André Bergeron pratiquait méticuleusement un syndicalisme
du compromis permanent tandis que Marc Blondel prône un syndicalisme
de résistance arc-bouté sur la défense des avantages
acquis.
C'est bien à un rapprochement entre la CGT et la CFDT
que l'on assiste aujourd'hui. Un événement notable. Ces deux
centrales, qui rassemblent 58% des voix aux élections prud'hommales,
s'étaient méchamment brouillées après une longue
période d'"unité d'action" dans les années soixante-dix.
Le mérite en revient d'abord à la confédération
de Louis Viannet. Avec des hauts et des bas, en dépit de sérieuses
résistances internes, la CGT a entrepris un réel effort d'adaptation.
Grâce à ce travail sur elle-même, la CGT a échappé
à la marginalisation qui a frappé le PCF. Avec 33% des voix
aux élections de décembre 1997, elle reste - de loin - le
premier syndicat du pays. Elle veut désormais incarner un syndicalisme
constructif de propositions. Son congrès de l'année prochaine,
qui verra Bernard Thibault, la figure de la grève des cheminots
de décembre 1995, succéder à Louis Viannet rajeunira
singulièrement son image.
La direction de la CFDT a su, pour sa part, stopper une dangereuse
dérive "droitière". Le soutien courageux mais abrupt de Nicole
Notat au plan Juppé, en 1995, a laissé de vilaines cicatrices.
La contestation interne à la confédération cédétiste
a créé un climat malsain tandis que les militants qui avaient
quitté la CFDT pour créer des syndicats SUD reprenaient du
poil de la bête. Or cette confédération peut, à
bon droit, faire valoir une antériorité dans la réflexion
sur un nouveau syndicalisme non plus grincheux mais positif.
Les retrouvailles entre la CGT et la CFDT sont ainsi le fruit
de profondes maturations. Elles tranchent avec une période récente
qui a vu le syndicalisme français s'émietter plus encore,
notamment avec l'éclatement de la Fédération de l'Education
Nationale. Les chances d'un "syndicalisme plus rassemblé" demeurent
toutefois fragiles. Les contentieux noués ces dernières années
ne fondront pas comme neige au soleil. Et, surtout, les divisions syndicales
ne sont pas seulement là où on le croît. Le salariat
souffre aussi des égoïsmes corporatistes où chacun défend
son territoire sans égard pour le voisin. Et le syndicalisme éprouve
le plus grand mal à défendre l'ensemble du monde du travail,
salariés précaires et chômeurs inclus. Le chantier
du nouveau syndicalisme s'annonce ardu.
LE
PEN OU LA PEUR DE MOURIR
(18 novembre)
Ne pas disparaître. A soixante-dix ans, le baroudeur Jean-Marie
Le Pen est obsédé par sa survie. Sa volonté farouche
d'être, d'une manière ou d'une autre, présent au combat
des prochaines élections européennes tient à sa hantise
de quitter la scène. Pour les grand fauves de la vie publique, la
mort politique n'est jamais très loin du décès physique.
François Mitterrand a succombé huit mois après son
départ de l'Elysée, Charles de Gaulle a tenu un an et demi.
Georges Marchais a illustré, jusqu'à la caricature, l'extrême
difficulté des leaders à décrocher de l'action politique.
Malgré plusieurs accidents cardiaques, il a régné
près d'un quart de siècle sur le PCF et s'est éteint
trois ans seulement après avoir dételé.
Le cas Le Pen est aggravé par le violent désir
de ne pas se laisser déposséder de sa propre création.
Le Front national, qu'il a fondé en 1972, est incontestablement
le succès personnel de sa carrière politique. L'ancien député
poujadiste a réussi l'exploit de rassembler sous sa houlette tous
les courants d'une extrême-droite incroyablement bigarrée.
Le FN a attiré à la fois les catholiques ultra-traditionnalistes
et les adeptes d'un paganisme celtique, des libéraux enragés
comme des protectionnistes paranoïaques. Du haut de son charisme,
le chef a su, jusqu'à présent, gérer ces contradictions
et éviter qu'elles ne dégénèrent en luttes
fratricides.
Après avoir été le grand rassembleur
de l'extrême-droite, Le Pen va-t-il en devenir le premier diviseur?
Au prix d'un travail patient, Bruno Mégret s'était profilé
comme son successeur naturel. Populaire chez les militants et les cadres
du Front, soucieux de leur carrière, celui-ci incarne une stratégie
de "discipline nationale" qui a déjà fait des dégâts
dans le camp conservateur et qui pourrait être encore plus fructueuse
à long terme pour le FN.
Mais Le Pen est bien résolu à ne point passer
le relais à Mégret. Les deux hommes ne sont pas mus par les
mêmes ressorts. Le "maire consort" de Vitrolles veut hisser le FN
au pouvoir sur les décombres d'une droite déchirée.
Le bateleur de Saint-Cloud recherche avant tout l'aventure, la gloire,
les honneurs. Son tempérament jouisseur est comblé lorsqu'un
de ses fameux "dérapages" créé scandale. Le Pen demeure
un provocateur. Mégret est un calculateur. Mitterrand le savait:
l'ancien président de la République a joué avec le
feu frontiste avec d'autant plus de bonne conscience qu'il n'a jamais pris
au sérieux un Le Pen en qui il voyait toujours le puéril
agitateur de la Corpo des étudiants de droit qu'il fut dans les
années cinquante. Mégret est certainement beaucoup plus dangereux.
Tout son être pousse Jean-Marie Le Pen a mener un combat
de trop. Comme s'il préférait prendre le risque de casser
son jouet plutôt que de le donner à son jeune camarade. En
engageant une croisade anti-mégrétiste, le président
du FN expose son parti à un danger mortel: celui de voir l'extrême-droite
retomber dans les haines intestines qui sont dans sa tradition. D'ores
et déjà, la presse de cette famille politique résonne
d'échos divergents. Le Pen laissera-t-il l'extrême-droite
dans l'état dans laquelle il l'avait trouvée ?
"SANS
PAPIERS": QUI FAIT L'ANGE FAIT LA BETE
(20 novembre)
Immigration, que de méchancetés et d'imbécillités
proférées en ton nom ! L'extrême-droite diabolise l'étranger,
dénoncé comme voleur d'emploi et violeur d'identité
nationale. Le gauchisme réplique en l'idéalisant comme victime
exemplaire de l'ordre social. Que la gauche se sente solidaire des immigrés,
faibles et démunis, est naturel. Mais les bons sentiments font rarement
une bonne politique. Un gouvernement de gauche ne peut distribuer sans
fin des "papiers" aux irréguliers.
Qu'on le veuille ou non, la pression migratoire en provenance
des pays pauvres est telle que toute vague de régularisation provoque
un nouvel "appel d'air". L'exemple de l'Italie est frappant. Dés
qu'il a annoncé la régularisation de 32000 clandestins, ce
pays a connu la bousculade à ses frontières. Loin de se réduire
aux mauvaises lois de Charles Pasqua et Jean-Louis Debré ou aux
frilosités supposées de Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement,
le problème est international. Les occupations d'églises
se multiplient en Belgique. "La limite du supportable pour l'Allemagne,
en matière d'immigration, est atteinte", a lâché le
nouveau ministre de l'Intérieur, Otto Schily.
Des mots malheureux car ils assimilent l'immigré à
un fardeau. Mais qui renvoient à un vrai problème. Les défenseurs
systématiques des "sans papiers" oublient qu'une mauvaise maîtrise
des flux migratoires générerait, dans les pays riches, un
sous-prolétariat corvéable à merci. Elle s'accompagnerait
inévitablement du démantèlement de notre système
d'aide sociale. Ou, à tout le moins, de sa limitation aux seuls
nationaux. Une immigration mal contrôlée créerait de
véritables ghettos urbains ruinant les chances d'intégration
des étrangers et de leurs enfants. Les écologistes le souhaitent-ils
? Assurément non. Qu'ils réfléchissent alors au lieu
de succomber à la démagogie. Régulariser 60 000 immigrés
? Une paille, nous explique Daniel Cohn-Bendit, puisque cela ne ferait
que "deux par commune". Mathématiquement, c'est à peu près
exact. Sociologiquement, c'est assez ridicule: les nouveaux régularisés
ont peu de chances de se fixer à Neuilly-sur-Seine ou en Lozère...
Situons-nous, enfin et surtout, par rapport aux formidables
déséquilibres de richesse de la planète. L'émigration
est-elle la bonne solution? Il est facile de se donner bonne conscience
en accueillant sa part de la "misère du monde". De préférence
chez le voisin. Mais n'oublions pas les déchirures humaines du déracinement.
Et les brutales désillusions de tant de candidats au grand voyage.
Au mieux, l'aventure migratoire offre un salut individuel aux plus débrouillards.
Quitte à ce que les pays pauvres soient privés de leurs éléments
les plus dynamiques. Au pire, le système de l'émigration
massive favorise - comme au Mali - le maintien de structures économiques
et sociales archaïques qui bloquent le développement.
Faire parler son cœur suppose d'être attentif à
certains cas dramatiques. Mais n'interdit pas de faire fonctionner sa tête.
Qui fait l'ange fait la bête.
LA
STRATEGIE DU CAS PAR CAS DE JOSPIN
(25 novembre)
Où nous mène Lionel Jospin ? Politiquement, où
il veut. Rarement, sous la Vème République, un premier ministre
n'aura été aussi libre de ses mouvements. Jospin n'est guère
gêné par un président de la République très
affaibli. Il l'a reconnu implicitement hier soir. Au PACS près,
l'hôte de Matignon est à peine plus entravé pas une
droite qui n'a toujours pas recouvré sa crédibilité.
Le chef du gouvernement sait-il cependant où conduit
son action ? La constance avec laquelle il barre son "gouvernement au long
cours" rassurera certains. D'autres s'inquiéteront de l'absence
confirmée d'un projet de société. Pétri d'équilibres,
le jospinisme est tout sauf un grand dessein. Cette humilité est
toutefois dans l'air du temps. Quelque peu désabusés par
des alternances en cascade qui n'ont pas changé leur vie, les Français
n'attendent plus des lendemains qui chantent. Jospin serait au demeurant
bien en peine de leur servir de grands discours: la doctrine socialiste
est gravement malade.
La prudence jospinienne risque néanmoins de se heurter
à l'attente de résultats concrets des électeurs. En
réhabilitant, au moins partiellement, la dignité de l'action
politique, le premier ministre a ravivé un désir d'efficacité.
C'est précisément là que le bas risque de blesser.
Le chef du gouvernement est trop conscient de la "difficulté
du réel" pour l'ignorer. Il parie d'abord, de son propre aveu, sur
la croissance. C'est la reprise qui sert de justification à l'abandon
de l'engagement en faveur d'une réglementation plus stricte des
licenciements économiques. Un retournement toujours possible de
conjoncture déstabiliserait dangereusement sa stratégie.
Mais le péril est aussi et surtout social. Jospin a
lié, à juste titre, la montée d'une pauvreté
de masse avec le développement de la précarité. Il
n'est cependant pas allé au-delà de l'évocation d'un
vague mécanisme de lutte contre l'abus du travail précaire
par les entreprises. Le premier ministre établit avec pertinence
une relation entre la logique du libéralisme économique et
la prolifération d'une misère sociale minoritaire mais choquante.
Mais son souci de "cohérence" ne va pas jusqu'à en tirer
toutes les conséquences.
Sa "démarche réformatrice" apparaît soigneusement
auto-limitée. Tout se passe comme si Jospin prenait acte de ce que
nous vivons dans une société où "les idées
dominantes" demeurent celles du "libéralisme". Le pouvoir de gauche
ne peut dés lors que limiter les dégâts provoqués
par l'implacable loi du plus fort de la jungle économique.
Sans doute un peu trop confiant dans le soutien que lui manifestent
les sondés, le premier ministre garde fermement son cap. Il ne se
lancera pas dans un vibrant appel à la mobilisation de la société
sur elle-même contre les maux qui la rongent. Jospin préfère
le traitement des problèmes au cas par cas et à son rythme.
C'est peut-être la voie de la sagesse. A moins que les mécontentements
qui s'expriment ici et là ne se coagulent un jour en une véritable
bourrasque sociale. Dans cette tourmente protestataire, demeurer un "premier
ministre équilibré" relèverait de la gageure.
SI
ON PARLAIT VRAIMENT DE L'EUROPE ?
(27 novembre)
A un mois du lancement de la monnaie unique, le débat européen
reste d'une affligeante pauvreté. C'est dans l'indifférence
générale que les députés ont voté, dans
la nuit de mercredi à jeudi, la révision constitutionnelle
ouvrant la voie à la ratification du traité d'Amsterdam.
Par sa complexité, le sujet est impropre à émouvoir
les foules. Il n'en va pas moins de la future architecture de l'Europe.
L'amendement soumettant au contrôle du Parlement les textes européens
de portée législative n'est pas un détail anodin.
Mais l'opinion, comme la classe politique elle-même,
semble lassée par les éternels arguments que s'opposent partisans
et adversaires des traités de Maastricht et d'Amsterdam. Le camp
hostile à l'euro et au "pacte de stabilité" verse dans le
fatalisme de ceux qui se consolent de leur défaite en annonçant
des lendemains funestes. Les harangues d'un Charles Pasqua ou d'un Philippe
de Villiers sont trop caricaturales pour convaincre. De leur côté,
les communistes ont du mal à se faire entendre dés lors qu'ils
se veulent "euroconstructifs". Quant à Jean-Pierre Chevènement,
avant même son accident de santé, il avait déclaré
forfait en expliquant que le traité d'Amsterdam était trop
"nul" pour valoir une bataille.
Le ministre des Affaires européennes, en son for intérieur,
n'est pas loin de penser la même chose que le miraculé de
Belfort de la qualité de cet accord négocié par Jacques
Chirac. Si Pierre Moscovici défend vigoureusement Amsterdam, c'est
en mettant en avant les inconvénients de sa non-ratification. Rien
d'étonnant, dans ces conditions, que le mot d'ordre de "référendum"
tombe à plat: personne n'a vraiment envie de rejouer la pièce
de la consultation européenne du 20 septembre 1992.
Il est bien difficile de discuter réellement de l'Europe
en France. Tête allemande d'une liste française aux prochaines
élections européennes, Daniel Cohn-Bendit a théoriquement
tout pour en parler sérieusement. Il préfère, jusqu'à
présent, mettre son "bagout" au services d'autres causes que celle
de l'Union...
Trop souvent, le débat est présenté comme
une bataille rangée entre "pro" et "anti-européens". Les
partisans des traités de Maastricht et d'Amsterdam vont jusqu'à
se présenter carrément comme les "européens". Leurs
contradicteurs seraient-ils "eurasiatiques" ? Un autre cliché très
répandu oppose les "euro-enthousiastes" aux "euro-sceptiques". Comme
si l'attitude vis-à-vis de la construction européenne relevait
d'un pur acte de foi. Il y aurait les dévots qui croient au ciel
européen et les mécréants qui n'y croient pas !
Ces balivernes ne sauraient masquer la vraie question: quelle
Europe est-on en train de bâtir ? En souhaitant, dimanche 22 novembre,
que l'Union économique et monétaire ne soit pas obnubilée
par la stabilité des prix mais veille à la croissance et
à l'emploi, les ministres socialistes des Finances ont reconnu que
l'euro ne devrait pas être géré n'importe comment.
Cela ne plaît guère aux gardiens du temple monétariste.
Jean-Claude Trichet a d'ores et déjà mis en garde contre
toute pression visant la future Banque centrale européenne. Il a
la lettre des traités pour lui...
LES COMMENTAIRES
D'OCTOBRE 1998
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