Introduction du livre d'Eric Dupin
"LE DISCIPLE" (Plon)

LA FILIATION OCCULTEE

"On paie mal un maître en ne restant toujours que l'élève".
Friedrich NIETZSCHE
"Ainsi parlait Zarathoustra".

"Comment s'appelle le chien qui mord son maître ? La gloire".
Christian BOBIN
"L'autre visage".

 Le destin de Lionel Jospin bascule le 17 juillet 1984. Ce jour-là, François Mitterrand choisit Laurent Fabius. Pour succéder à Pierre Mauroy à l'hôtel Matignon. Contre l'avis du premier secrétaire du PS de l'époque favorable à Pierre Bérégovoy. Cet épisode marque le début du processus d'éloignement entre Jospin et Mitterrand. Au fil des ans, le premier pardonne de moins en moins au second sa préférence marquée pour Fabius, tandis que le président s'irrite de plus en plus de la résistance de son successeur désigné à la tête du parti. Une mésentente qui culmine avec le psychodrame du tristement fameux congrès de socialiste de Rennes (mars 1990) et l'éviction de Jospin du gouvernement (avril 1992).
 Et si cette brouille progressive avait finalement été sa grande chance ? Le disciple Jospin s'est éloigné du maître Mitterrand pour mieux lui succéder. Risquons une hypothèse absurde de rétro-fiction. Imaginons que Mitterrand ait sacré Jospin premier ministre en 1984. Celui-ci ne serait certainement pas aujourd'hui chef du gouvernement. Jospin traînerait derrière lui la dramatique affaire du "sang contaminé", sans plus être coupable que ne l'est Fabius. Surtout, il serait estampillé, par l'opinion, comme un des principaux héros de l'aventure mitterrandienne. Son passé encombrerait tellement son présent que son avenir en serait sérieusement handicapé. Tel est aujourd'hui le sort peu enviable de son rival, philosophiquement perché à la présidence de l'Assemblée nationale. Mieux vaut, pour Jospin, que le hasard de la vie publique et les nécessités de son caractère l'aient éloigné de son père politique. Mitterrand a mal terminé son épopée. Heureux sont ceux qui ne l'ont pas servilement accompagné jusqu'à ses derniers errements.
 L'actuel premier ministre exploite consciemment cette image d'homme qui a su "rompre" avec l'ancien chef de l'Etat. C'est en prenant Mitterrand comme anti-modèle qu'il a construit son personnage de candidat à l'élection présidentielle de 1995. Au point que l'ancien président, quelque peu irrité, a ostensiblement voté Jospin sans passer par l'isoloir. Une manière de bien rappeler aux oublieux que le nouveau chef de file des socialistes avait été sa créature.
 En constituant son équipe gouvernementale, Jospin a d'abord rassemblé tous ceux qui, à un moment ou à un autre, on su dire "non" à Mitterrand. Cela vaut pour les "rocardiens", orphelins politiques particulièrement nombreux à être montés dans sa barque. Mais aussi pour des personnalités comme Jean-Pierre Chevènement, à la fois complice et adversaire historique de l'ancien président. Comme par hasard, le seul fabiusien appelé en juin 1997, Christian Pierret, n'avait jamais été ministre sous les septennat précédents. En raison d'une vieille et tenace rancune mitterrandienne... Dans la même logique, Jospin a soigneusement exclu de son gouvernement les mitterrandistes historiques restés jusqu'au bout fidèles au natif de Jarnac, de Jack Lang à Paul Quilès, en passant par Pierre Joxe.
 Jospin s'est soigneusement employé à définir le post-mitterrandisme. C'est le fameux "droit d'inventaire" revendiqué par lui pendant la campagne présidentielle de 1995. Les mitterrandistes pur sucre se sont indignés de ce que le candidat socialiste s'autorise à trier le bon grain de l'ivraie dans le long règne 1981-1995. Jospin n'a jamais caché qu'il préférait, de beaucoup, le premier septennat de Mitterrand - de tonalité réformiste - au second - englué dans l'immobilisme. Il explique volontiers à ses amis socialistes que s'il accepte 80% de l'œuvre mitterrandienne, il demeure allergique aux 20% restant. Le sacre ministériel de Bernard Tapie, en 1992, lui est resté en travers de la gorge, ainsi que certaines méthodes mitterrandiennes comme le goût prononcé pour les écoutes téléphoniques. Les révélations tardives sur le passé trouble de Mitterrand pendant l'Occupation n'ont rien arrangé. Jean Glavany n'en est pas moins fondé à s'étonner de la démarche jospinienne. Ce mitterrandiste de souche rappelle qu'un héritage s'accepte ou se refuse, sans la liberté de prendre les biens et d'ignorer les dettes.
 A Matignon, la stratégie de communication jospinienne s'est fondée sur le contraste supposé avec la pratique mitterrandienne du pouvoir. La personnalité et le style du nouveau premier ministre ont fortement contribué à asseoir cette différence. Les battements de paupières de l'élu de Château-Chinon et ses louvoiements sémantiques trahissaient le cynisme, et l'opportunisme. A l'opposé, le regard fixe et insistant du conseiller général de Cintegabelle sont perçus comme gages de sincérité et de probité. Mitterrand jouissait sans entraves de la monarchie élective instaurée par la Vème République. Jospin se drape dans une simplicité copiée explicitement sur les mœurs en vigueur en Europe du Nord. Il rêve d'un "gouvernement en bras de chemise" comme en voit en Israël, observe Jean-Jack Queyranne, secrétaire d'Etat à l'Outre-mer. Amateur de clair-obscur, l'ancien président décidait, par des voies tortueuses, entouré de cercles multiples aux responsabilités volontairement mal définies. Soucieux des prérogatives de chacun et respectueux du protocole, l'actuel chef du gouvernement met un soin maniaque à rendre la chaîne du pouvoir est plus collective et plus transparente.

Le meilleur héritier de Mitterrand
 Jospin est cependant tout sauf un anti-Mitterrand. Au-delà des apparences, dont il joue habilement, le premier ministre est même le meilleur élève de celui qui a dominé la gauche française pendant plus d'un quart de siècle. Les deux hommes ont un égal talent pour sentir leur époque. D'une plasticité légendaire, Mitterrand surfa sur le "sinistrisme" des années soixante-dix avant de se glisser dans le sillage du libéralisme des années quatre-vingt. En dépit de la rigidité de son masque, Jospin est tout aussi capable d'évolutions radicales: du tiers-mondisme de sa jeunesse, à la défense de la raison du pouvoir comme secrétaire du PS, jusqu'au pragmatisme actuel de "l'équilibre", le chemin est long. Dans les deux cas, ces évolutions ou involutions de discours sont plus ou moins consciemment refoulés. Comme Mitterrand naguère, Jospin ne supporte pas qu'on lui dise qu'il a changé. "Ce n'est pas de la faute des girouettes si le vent tourne", disait le subtil Edgard Faure. Ce serait faire un bien mauvais procès à Jospin que de l'assimiler à l'opportuniste politicien de la IVème République. Son réalisme foncier ne l'en conduit pas moins à s'adapter, plus qu'on ne l'imagine, aux changements de l'air du temps.
 La filiation mitterrandienne de Jospin est d'abord biographique. Non qu'il soit une pure créature de "Dieu". Sa formation politique et idéologique est bien antérieure à la rencontre avec Mitterrand. Issu d'une famille ancrée à gauche - son père appartient à la tradition socialiste pacifiste et anticommuniste - le jeune Jospin s'est tôt initié au militantisme. En 1956, avec le syndicat étudiant l'UNEF, il s'oppose à la guerre d'Algérie. Il assure avoir adhéré au PSU en 1960, ce que contestent certains anciens dirigeants de ce parti. Mais la principale zone d'ombre de la "bio" de Jospin concerne son engagement trostskiste dans la secte lambertiste du PCI (Parti communiste internationalise, devenu depuis Parti des travailleurs) en 1970. L'intéressé a toujours farouchement nié ce gauchisme de jeunesse en prétendant que la rumeur provient d'une confusion avec son frère Olivier, qui fut effectivement militant du PCI. Tous les connaisseurs de la gauche française en général, et de la trajectoire de Jospin en particulier, que nous avons interrogé sont cependant persuadés que l'actuel chef de gouvernement a effectivement un passé trotskiste. Ceci n'a rien de honteux en soi. L'inavouable vient simplement de ce que Jospin a certainement fait de l'entrisme lorsqu'il a adhéré au PS en 1971, officiellement parrainé par Pierre Joxe.
 Le camarade Jospin n'en est pas moins très rapidement devenu, au sein du PS, un agent de... Mitterrand. C'est auprès du champion de "l'union de la gauche" que le jeune homme à la tignasse bouclée a véritablement été saisi par la politique. "Il a beaucoup appris de Mitterrand, ce qu'il fallait faire, mais aussi ce qu'il ne fallait pas faire", dit très justement son ami Bertrand Delanoë. Jospin a été forgé par la culture mitterrandienne, même s'il l'a longuement redigérée pour l'expurger de certains de ses aspects les plus contestables.
 Rien ne valait, dans les années quatre-vingt comme formation de haut niveau, la participation aux petits déjeuners du mardi à l'Elysée. Autour d'un Mitterrand impérial devisaient alors le premier ministre, le secrétaire général de l'Elysée, le conseiller (très) spécial du président et le premier secrétaire du PS. Jospin participait également au déjeuner qui réunissait, pendant le premier quinquennat socialiste, les dignitaires du parti au pouvoir après le conseil des ministres. De 1981 à 1988, le numéro un socialiste fut ainsi étroitement associé aux décisions du chef de l'Etat. S'il ne se sentait nullement obligé de le suivre, Mitterrand recueillait presque toujours l'avis de Jospin, en qui il voyait un baromètre fiable des étranges humeurs socialistes. Celui que ses ennemis surnommaient alors le "premier sectaire du PS" s'enorgueillissait de défendre, devant un chef de l'Etat parfois abasourdi, l'orthodoxie de gauche...
 Si Jospin n'est jamais entré dans le cercle intime de Mitterrand, il a noué avec l'ancien président une forte relation de connivence politique et intellectuelle. Leur rapport au pouvoir n'est d'ailleurs pas aussi différent que leurs styles respectifs pourraient le laisser croire. Comme Mitterrand, Jospin est persuadé de la prééminence du politique sur la société ou l'économie. L'un comme l'autre croient avant tout aux rapports de force, même si le "politisme" de celui-ci renvoie à un volontarisme fort éloigné du fatalisme de celui-là. L'art de manier un discours dans lequel coexiste l'émission des signes contradictoires leur est encore commun. Ici aussi, l'application diffère à partir d'une même inspiration. "Prince de l'équivoque", selon l'heureuse expression de Raymond Barre, Mitterrand distillait aux Français un double langage permanent qui lui ménageait une formidable liberté. Quoi qu'il arrive, l'avenir ne pouvait lui donner entièrement tort... Chez Jospin, la contradiction de la pensée et de l'expression est anoblie par la thèse de "l'équilibre", maître-mot de son vocabulaire et guide de son action. "Il théorise le non-choix, c'est assez fortiche", siffle avec un brin d'admiration quelqu'un qui le connaît trop pour être dupe. L'inventeur de la thèse de la "parenthèse", selon laquelle le changement de politique économique de 1983 n'en était pas vraiment un, a toujours su habiller de continuité discursive les ruptures imposées par la réalité.
 L'histoire réelle des relations entre le candidat de la gauche aux élections présidentielles de 1965, 1974, 1981 et 1988 et son homologue de 1995 est, au demeurant, moins simple qu'on ne l'a souvent dit. Mitterrand a certes bel et bien puni Jospin en le condamnant à la disgrâce ministérielle en avril 1992. Pour crime de flirt avec les rocardiens, aggravé par la motivation anti-fabiusienne de ces mauvaises fréquentations. Mais il ne l'a jamais répudié. Au soir de sa vie, Mitterrand a tenu à renouer le contact avec son ancien lieutenant. Au-delà des agacements que Jospin suscitait parfois chez lui, l'ancien président, contrairement à tant de ses proches, n'a jamais versé dans l'hostilité radicale à son endroit. Quand Jospin fut au plus bas, physiquement et politiquement, en 1993, il a eu la surprise de recevoir sa premier lettre de Mitterrand. Et le président a tenu à lui rendre visite à son domicile. Ce geste a touché Jospin, qui portait à l'ancien président une admiration affectivement plus chargée qu'il ne se l'avouait lui-même. "Jospin n'a pas tué le père, il s'est seulement éloigné de lui, ce n'est pas pareil", souligne Daniel Vaillant.
"Au fond, je crois qu'il n'avait pas vraiment choisi entre Fabius et Jospin", confie un ancien collaborateur éminent de Mitterrand. L'ancien chef de l'Etat pratiquait, avec quelque cruauté, une sorte de darwinisme politique. Il adorait mettre en situation de compétition plusieurs personnalités rivales. Que le meilleur gagne ! Mitterrand respectait, plus que tout, la féroce sélection naturelle qui désigne les vainqueurs dans la jungle politique. Il apprécia, en connaissance, le sens de l'opportunité dont fit preuve Jospin en 1995. Deux ans plus tard, Mitterrand n'était plus de ce monde pour assister à la victoire électorale de son successeur à la tête du PS. Mais la jeune Mazarine Pingeot, dépositaire du legs mitterrandien, s'en alla le saluer, au soir de son succès, lors de la réception organisée à la Maison de l'Amérique Latine. La fille de l'ancien président et le nouveau leader de la gauche échangèrent une timide poignée de main sous le crépitement des flashes. Cette présence symbolique n'a pas laissé Jospin insensible.

Les raisons d'une dissimulation
 Pourquoi Jospin s'efforce-t-il de gommer sa filiation mitterrandienne?
Les socialistes ont gardé en mémoire la sécheresse analytique de sa réaction publique, le 8 janvier 1996, jour de la mort de François Mitterrand. Le premier secrétaire du PS d'alors salue plus l'homme disparu que son œuvre politique. Il ose même l'évoquer de manière contrastée, avec ses aspects positifs mais aussi négatifs. Funèbre droit d'inventaire. Les mitterrandistes historiques en furent choqués.
 Ceux qui connaissent Jospin savent qu'il a horreur qu'on interprète ses faits et gestes à la lumière des pratiques de son ancien mentor. "Je connais son nerf sensible, c'est de le prendre en défaut de sincérité, de le placer en contradiction avec lui-même", s'amuse un ancien ministre. Jospin ne supporte pas que l'on suspecte sa cuirasse morale de cacher quelque inavouable calcul. Rien de tel, pour l'énerver, que de suggérer -  par exemple - qu'il joue à son tour, dans la lignée de Mitterrand, du Front national à des fins stratégiques.
 Son occultation des origines politiques n'est pas étrangère au processus de renaissance quasi-miraculeux qu'a vécu l'actuel chef du gouvernement. En son temps, Fabius s'est moqué de la "traversée du bac à sable" d'un Jospin qui démissionna du bureau exécutif du PS en avril 1993, après sa défaite législative, pour reprendre sa place dés le mois d'octobre. De 1992 à 1995, Jospin n'en a pas moins enduré un terrible passage à vide, où se cumulèrent les effets de la maladie et de l'isolement politique. Rares furent les socialistes qui pariaient alors sur son avenir. Jospin a gardé de la reconnaissance pour tous ceux qui, comme Chevènement, ont maintenu le contact avec lui pendant cette noire période.
 Quand Jospin est politiquement ressuscité, par la grâce des errements de Michel Rocard puis des lâchetés de Jacques Delors, il a pu se glisser dans la peau d'un personnage neuf. Le miraculé de Cintegabelle n'est pas peu fier de s'être "refait tout seul". Cette mue lui a permis de quitter, dans le malheur, sa vieille peau mitterrandienne. C'est sans doute ainsi qu'il faut comprendre son étonnante affirmation du 28 juin 1995. "Je suis Zeus", lança-t-il aux responsables socialistes estomaqués rassemblés à Marne-la-Vallée. Traduction libre: je ne me suis pas laissé dévorer par Mitterrand. Jospin lui a échappé à temps.

La troisième gauche au pouvoir
 "Jospin, c'est à la fois Mitterrand et Mendès-France, si ce type n'arrive pas un jour à l'Elysée !", s'exclame un beau jour du printemps 1998 son vieil ami Bertrand Delanoë, président du groupe socialiste au Conseil de Paris. Les esprits chagrins ajoutent qu'il y a aussi du Guy Mollet dans cet homme-là. D'autres se rappellent, à son propos, de Michel Rocard. Comme si Jospin synthétisait, dans sa propre personne, les quatre principaux leaders de la gauche française de l'après-guerre.
 Au-delà de ce jeu sans fin des ressemblances, il ne fait guère de doute que l'actuel chef du gouvernement un véritable "produit de synthèse". En ce sens, il préside naturellement aux destinées de la "troisième gauche" actuellement au pouvoir. Cette expression peut d'abord s'entendre chronologiquement. La législature issue de la dissolution hasardeuse de 1997 est la troisième à majorité socialiste, après les quinquennats 1981-86 et 1988-93. Cette troisième "expérience", pour reprendre le vocabulaire en usage au début des années quatre-vingt, s'inspire à sa manière des deux précédentes. Jospin s'efforce de marier l'ambition réformatrice de la période 1981-83 avec le sérieux gestionnaire de l'ère 1983-93. En tentant de se garder des illusions de la première comme des enlisements de la seconde. L'équilibre, encore et toujours.
 "L'invention du possible" à laquelle s'attelle Jospin s'inscrit dans la volonté de dépasser l'antagonisme historique entre "première gauche" mitterrandienne et "deuxième gauche" rocardienne. Un conflit qui culmina au congrès de Metz (1979), mais qui a empoisonné, jusqu'à une date récente, les débats internes au PS. D'autant plus que ce clivage plonge ses racines dans de vieilles divisions de la gauche française, qui a toujours vu cohabiter "jacobins" et "girondins". La sortie de scène de ses deux leaders historiques, Mitterrand et Rocard, a facilité ce processus de réconciliation. Le syncrétisme jospinien a permis aux ex-rocardiens de survivre à l'effacement de leur inspirateur. "Jospin a hérité de la deuxième gauche la méthode du dialogue et du mitterrandisme l'habileté politique", se réjouit Alain Bergounioux, secrétaire national du PS à la formation. "Metz, aujourd'hui, c'est vraiment fini, soupire-t-il, et il fallait, pour clore ce chapitre, quelqu'un qui vienne du mitterrandisme". Jospin aurait pris le meilleur chez les deux principaux rivaux du socialisme récent, l'écoute de la société chez Rocard et l'art du pouvoir chez Mitterrand ? Ce serait trop beau. A moins d'imaginer que l'on puisse copier des qualités en les expurgeant des défauts qui en sont la contrepartie logique. Et de croire naïvement que Jospin se situerait à équidistance entre Mitterrand et Rocard.
 Il y a pourtant une mixité idéologique fondamentale dans le "jospinisme". Celle-ci interdit de classer simplement une action gouvernementale où le calcul se marie en permanence avec l'improvisation. Jospin appartient à une étrange espèce, celles des psychorigides pragmatiques. Au fond de lui-même, il est persuadé qu'il incarne la Gauche et la Vérité en cette fin de siècle. Mais cette haute conscience de sa mission ne l'empêche pas d'être lourdement lesté par ce qu'il nomme le "principe de réalité". D'où un ligne politique qui mêle prudence et audace. Des actions en demi-teinte dont les couleurs précisent varient au gré de la conjoncture. "Jospin est un type de gauche classique mais pas dogmatique", a découvert Yves Cochet. Le député Vert considère le premier ministre comme "un intuitif" prompt à saisir la chance qui passe: "C'est une sorte de possibiliste mais, parfois, il tranche et il fonce". Une qualité le rapproche autrement plus du talent mitterrandien que de la balourdise rocardienne. Le disciple Jospin a appris de son ancien maître une vérité toute simple mais fort méconnue:  la meilleure stratégie est encore celle qui se réécrit tous les jours. Si le calcul est inhérent au jeu politique, vaine est l'élaboration de savants scénarios. Tant il est vrai que la politique est plus un art d'exécution que de conception.


LE PREMIER CHAPITRE DE CE LIVRE SE TROUVERA AUSSI SUR LE SITE DE "LIBERATION"

UNE INTERVIEW EXCLUSIVE D'ERIC DUPIN

RETOUR VERS "LES PETITS CAILLOUX D'ERIC DUPIN"