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  JOLLIET
 

JOLLIET

Le grand fleuve dormait couché dans la savane.
Dans les lointains brumeux passaient en caravane
De farouches troupeaux d'élans et de bisons.
Drapé dans les rayons de l'aube matinale,
Le désert déployait sa splendeur virginale
Sur d'insondables horizons.

Juin brillait. Sur les eaux, dans l'herbe des pelouses,
Sur les sommets, au fond des profondeurs jalouses,
L'été fécond chantait ses sauvages amours.
Du Sud à l'Aquilon, du Couchant à l'Aurore,
Toute l'immensité semblait garder encore
La majesté des premiers jours.

Travail mystérieux! les rochers aux francs chauves,
Les pampas, les bayous, les bois, les antres fauves,
Tout semblait tressaillir sous un souffle effréné ;
On sentait palpiter les solitudes mornes,
Comme au jour où vibra, dans l'espace sans bornes,
L'hymne du monde nouveau-né.

L'Inconnu trônait là dans la grandeur première.
Splendide, et tacheté d'ombres et de lumière,
Comme un reptile immense au soleil engourdi,
Le vieux Meschacébé, vierge encoure de servage,
Déployant ses anneaux de rivage en rivage
Jusques aux golfes du Midi.

Echarpe de Titan sur le globe enroulée,
Le grand fleuve épanchait sa nappe immaculée
Des régions de l'Ourse aux plages d'Orion,
Baignant la steppe aride et les bosquets d'orange,
Et mariant ainsi dans un hymen étrange
L'Equateur au Septentrion.
Fier de sa liberté, fier de ses flots sans nombre,

Fier des grands bois mouvants qui lui versent leur ombre,
Le roi-des-Eaux n'avait encore, en aucun lieu
Où l'avait promené sa course vagabonde,
Déposé le tribut de sa vague profonde,
Que devant le soleil de Dieu!...

Jolliet! Jolliet! quel spectacle féerique
Dut frapper ton regard, quand ta nef historique
Bondit sur les flots d'or du grand fleuve inconnu!
Quel sourire d'orgueil dut effleurer ta lèvre!
Quel éclair triomphant, à cet instant de fièvre,
Dut resplendir sur ton front nu!

Le voyez-vous, là-Bas, debout comme un prophète,
L'oeil tout illuminé d'audace satisfaite,
La main tendue au loin vers l'Occident bronzé,
Prendre possession de ce domaine immense,
Au nom de Dieu vivant, au nom du roi de France,
Et du monde civilisé?

Puis, bercé par la houle, et bercé par ses rêves,
L'oreille ouverte aux bruits harmonieux des grèves,
Humant l'âcre parfum des grands bois odorants,
Rasant les îlots verts et les dunes d'opale,
De méandre en méandre, au fil de l'onde pâle,
Suivre le cours des flots errants!

A son aspect, du sein des flottantes ramures,
Montait comme un concert de chants et de murmures ;
Des vols d'oiseaux marins s'élevaient des roseaux,
Et, pour montrer la route à la pirogue frêle,
Dans le pli lumineux des eaux.

Et pendant qu'il allait vaguant à la dérive,
On aurait dit qu'au loin les arbres de la rive,
En arceaux parfumés penchés sur son chemin,
Saluaient le héros dont l'énergique audace
Venait d'inscrire encoure le nom de notre race
Aux fastes de l'esprit humain!

O grand Meschacédé! - voyageur taciturne,
Bien des fois, aux rayons de l'étoile nocturne,
Sur tes bords endormis je suis venu m'asseoir ;
Et là, seul et rêveur, perdu sous les grands ormes,
J'ai souvent du regard suivi d'étranges formes
Glissant dans les brumes du soir.

Tantôt je croyais voir, sous les vertes arcades,
Du fatal De Soto passer les cavalcades
En jetant au désert un défit solennel ;
Tantôt c'était Marquette errant dans la prairie,
Impatient d'offrir un monde à sa patrie,
Et des âmes à l'Eternel.

Parfois, dans le lointain, ma prunelle trompée
Croyait voir de La Salle étinceler l'épée,
Et parfois, morne essaim sortant je ne sais d'où,
Devant une humble croix - ô puissance magique!
De farouches guerriers à l'oeil sombre et tragique
Passer en pliant le genou!

Et puis, berçant mon âme aux rêves des poètes,
J'entrevoyais aussi de blanches silhouettes,
Doux fantômes flottant dans le vague des nuits:
Atala, Gabriel, Chactas, Evangeline,
Et l'ombre de René, debout sur la colline,
Pleurant ses éternels ennuis.

Et j'endormais ainsi mes souvenirs moroses...
Mais de ces visions poétiques et roses
Celle qui plus souvent venait frapper mon oeil,
C'était, passant au loin dans un reflet de gloire,
Cet hardi pionnier dont notre jeune histoire
Redit le nom avec orgueil.

Jolliet! Jolliet! deux siècles de conquêtes,
Deux siècles sans rivaux ont passé sur nos têtes,
Depuis l'heure sublime, où, de ta propre main,
Tu jetas d'un seul trait sur la carte de monde
Ces vastes régions, zone immense et féconde,
Futur grenier du genre humain!

Deux siècles sont passés depuis que ton génie
Nous fraya le chemin de la terre bénie
Que Dieu fit avec tant de prodigalité,
Qu'elle garde toujours dans les plis de sa robe,
Pour les déshérités de tous les points du globe,
Du pain avec la liberté!

Oui, deux siècles ont fui! La solitude vierge
N'est plus là! Du progrès le flot montant submerge
Les vestiges derniers d'un passé qui finit.
Où le désert dormait grandit la métropole ;
Et le fleuve asservi courbe sa large épaule
Sous l'arche aux piles de granit?

Plus de forêts sans fin! la vapeur les sillonne ;
L'astre des jours nouveaux sur tous les points rayonne ;
L'enfant de la nature est évangélisé ;
Le soc du laboureur fertilise la plaine ;
Et le surplus doré de sa gerbe trop pleine
Nourrit le vieux monde épuisé!

De plus purs dévouements merveilleuse semence!
Qui de vous eût jamais rêvé cette oeuvre immense,
O Jolliet, et vous, apôtres ingénus,
Vaillants soldats de Dieu, sans orgueil et sans crainte,
Qui portiez le flambeau de la vérité sainte
Dans ces parages inconnus?

Des volontés du ciel exécuteurs dociles,
Vous fûtes les jalons qui rendent plus faciles
Les durs sentiers où doit marcher l'humanité...
Gloire à vous tous! du Temps franchissant les abîmes,
Vos noms environnés d'auréoles sublimes
Ont droit à l'immortalité!

et toi, de ces héros généreuse patrie,
Sol canadien, qu'on aime avec idolâtrie,
Dans l'accomplissement de tous ces grand travaux,
Quand je pèse la part que le ciel t'a donné,
Les yeux sur l'avenir, terre prédestinée,
J'ai foi dans tes destins nouveaux!

Louis Fréchette
poème inséré dans La Légende d'un peuple.

Louis Jolliet
(1645-1700)
Explorateur, découvreur du Mississipi, cartographe du roi, professeur au collège des Jésuites de Québec, organiste, commerçant et seigneur, baptisé à Québec le 21 septembre 1645 1 , fils de Jean Jollyet, charron au service de la Compagnie des Cent-Associés, et de Marie d'Abancourt, décédé en Nouvelle-France en 1700.

L'historien peut-il ne pas déplorer la mauvaise fortune qui semble s'être attachée aux papiers personnels de Louis Jolliet et aux documents le concernant? Des accidents divers et omissions regrettables ont ménagé comme à plaisir, dans la carrière de ce grand Canadien, des zones de silence et d'obscurité. Ainsi en est-il déjà de sa naissance, dont on ignore le lieu et la date. Vit-il le jour à Québec, à la côte de Beaupré ou dans une des seigneuries avoisinantes, territoires qui dépendaient tous, en 1645, de l'église paroissiale de Québec où il fut baptisé? L'acte de baptême du 21 septembre 1645 ne fournit aucune précision là-dessus, non plus que la date de naissance de cet enfant "recens natum 2".

Louis Jolliet n'avait que cinq ans et demi lorsqu'il perdit son père, le 23 avril 1651. Sa mère se remaria dès le 19 octobre à Gefroy Guillot, qui se noya dans le St-Laurent à l'été de 1665. En troisièmes noces, le 8 novembre 1665, Marie d'Abancourt épousa en troisièmes noces Martin Prévost de Beauport, veuf de Marie Olivier, une femme indienne, et père de six enfants.

Vers l'âge de 11 ans, Jolliet entra au collège des Jésuites de Québec où il fit ses études classiques. Se destinant au sacerdoce, il reçut les ordres mineurs le 19 août 1662. A cette époques, Jolliet s'intéressait déjà à la musique et partageait avec Germain Morin le titre d'officier de musique du collège. Premier organiste de la cathédrale de Québec, semble-t-il, il y toucha l'orgue à partir de 1664 ; un document de 1700 affirme qu'il y "a joué des orgues" pendant "beaucoup d'année".

En 1666, Jolliet - que le recensement de cette année-là qualifie de "clerc d'église" - achevait ses études philosophiques. Le 2 juillet, en compagnie de Pierre Francheville, il soutenait une thèse de philosophie. Mgr de Laval, MM. de Prouville de Tracy, de Rémy de Courcelle et Talon étaient présents. "Mr. l'Intendant entr'autres y a argumenté très bien", note le Journal des Jésuites ; "Mons. Joliet & Pierre Francheville y ont très bien répondu de toutes la Logique." Cette "dispute", comme c'était l'usage, dut de dérouler en latin, langue que possédait bien Jolliet, qui y recourra du reste en 1679 à la Baie d'Hudson.

Ne se sentant plus d'attrait pour la vocation sacerdotale, Jolliet quitta le séminaire vers le mois de juillet 1667. En octobre, grâce à une somme de 587# prêtée par Mgr de Laval, il s'embarquait pour la France. Nous ignorons le but de ce voyage, durant lequel il séjourna à Paris et à La Rochelle, partageant son temps à peu près également entre les deux villes. Il dut réfléchir, cependant, sur l'orientation qu'il donnerait désormais à sa vie. A son retour à Québec, il était fixé: le 9 octobre 1668, il achetait de Charles Aubert de La Chesnaye une grande quantité de marchandises de traite. Jolliet serait trafiquant! Mais dans cet immense pays de la Nouvelle-France, aux rivières invitantes et aux mirages faciles, une tentation guettait trafiquants et voyageurs: l'exploration. Le ci-devant "clercq d'esglise" allait-il y succomber?

Bien que richement pourvu de marchandises, Jolliet ne serait pas parti pour l'Ouest à l'automne de 1668. Il était certainement à Québec le 14 octobre et, peut-être, au Cap-de-la-Madeleine le 9 novembre, dates bien tardives pour entreprendre un tel voyage ; sa présence est encore attestée à Québec le 13 avril 1669, trop tôt pour qu'il fût déjà de retour des Grands Lacs, à moins de supposer qu'il en est revenu avant la fonte des neiges et de la débâcle. Mais on peut difficilement admettre qu'un voyageur sans expérience comme l'était Jolliet se soit lancé dans une aventure que redoutaient les plus aguerris et les plus courageux coureurs de bois. Il est plus vraisemblable qu'il ait passé l'hiver à Québec. Comment disposa-t-il alors de ses marchandises de traite? Les réserva-t- il pour un voyage qu'il aurait fait en 1669-1670? Cela n'est pas impossible, quoique nous n'en possédions aucun indice. En 1669, il est vrai, un "sieur Jolliet" partait avec Jean Peré à la recherche d'une mine de cuivre au lac Supérieur ; mais on a pu démontrer qu'il s'agissait d'Adrien, le frère de Louis. Bref, il faut l'avouer, à l'exception de sa présence à Québec le 13 avril 1669, on ne sait rien de Louis Jolliet de l'automne de 1668 à l'été de 1670.

Le 4 juin 1671, au saut Sainte-Marie, quelques Français "qui étaient sur les lieux en traite" signaient l'acte de prise de possession des territoire de l'Ouest par Daumont de Saint-Lusson. Louis Jolliet était de ceux-là. Il avait vraisemblablement quitté Québec à l'automne de 1670 ; le 12 septembre 1671, il était de retour. On ignore à quoi il s'employa durant l'année qui précéda son départ pour le Mississipi, mais on est certain qu'il ne remonta pas dans l'Ouest.

Le Mississipi! Fleuve mystérieux qui, pendant près de 15 ans, aura hanté l'imagination des missionnaires et des explorateurs. En 1660 et 1662, sur la foi des Indiens, la Relation rapportait l'existence vers l'Ouest d'une belle rivière, grande, large, profonde, comparable à notre grand fleuve Saint-Laurent. Cette rivière, qui débouchait, croyait-t-on, dans le golfe du Mexique ou, du côté de la Californie, dans la mer Vermeille, n'était pas le Mississipi, dont le nom n'apparaîtra du reste (sous la forme Messipi) qu'en 1667 ; du moins les enquêtes des missionnaires sur ce cours d'eau les amenèrent-elles à la connaissance du Mississipi. En 1670, avec les seuls renseignements fournis par les Indiens, le jésuite Dablon en réussissait une bonne description. L'année suivante, les sulpiciens Dollier de Casson et Bréhant de Galinée s'intéressaient à leur tour au fleuve qu'ils nommaient Ohio ou Mississipi (Ohio, en langue iroquoise, et Mississipi, en langue outaouaise, signifient tous deux belle rivière). Ainsi donc, avant qu'aucun Blanc de la Nouvelle-France ne l'eût vu, et bien qu'il subsistât à son sujet quelques confusions inévitables, le Mississipi était en 1672 relativement bien connu des missionnaires qui, au contact des population indigènes des Grands Lacs, en avaient acquis certaines notions assez exactes. Restait néanmoins, entier et troublant, le secret de son embouchure: ce fleuve serait-il enfin le passage convoité vers la mer de Chine, hallucinant objet de rêves et des recherches toujours déçus de tant d'explorateurs?

Talon lui-même n'avait pas échappé à la hantise générale. En 1670, par exemple, il avait chargé Daumont de Saint-Lusson de "rechercher soigneusement [...] quelque communication" avec la mer du Sud. Dès ce moment, l'intendant avait certainement entendu parler du Mississipi ; mais les renseignements supplémentaires apportés, dans le courant de 1671, par Saint-Lusson et par la Relation de 1669-1670 éveillèrent en lui un espoir nouveau. Il résolut d'envoyer quelqu'un "à la découverte de la mer du Sud, par le pays des Mashoutins [Mascoutens], et de grande rivière qu'ils appellent Michissipi qu'on croit se décharger dans le mer de Californie". Pour ce grand dessein, Talon choisit Louis Jolliet ; peu avant de s'embarquer pour la France, en 1672, il proposa son candidat à Frontenac qui agréa. La mission confiée à Jolliet n'était pas tant de découvrir le Mississipi que de constater dans quelle mer se décharge cette "belle rivière": golfe du Mexique ou mer Vermeille? C'était là l'énigme à débrouiller.

Pour le moment, l'explorateur affrontait d'autres problèmes. Talon l'avait prévenu que l'Etat ne subventionnerait pas son expédition, pas plus qu'il ne l'avait fait pour Saint-Lusson en 1670. Pour se procurer des fonds, Jolliet forma une société commerciale dont les revenus serviraient en particulier à défrayer sa découverte. Le 1er octobre 1672, François de Chavigny de la Chevrotière, Zacharie Jolliet, Jean Plantier, Pierre Moreau, Jacques Largilier, Jean Thiberge et Louis Jolliet convenaient, devant Gilles Rageot, de "faire ensemble le voyage aux Outaouas, [et de] faire traite avec les sauvages le plus avantageusement [qu'il se pourrait]". Le 3 octobre, les associés mettaient la dernière main aux préparatifs et réglaient quelques affaires chez le notaire Rageot. Ils quittèrent probablement Québec le lendemain, avec deux jours de retard par rapport à la date fixée.

Le 8 décembre 1672 3 , Jolliet arrivait à Michillimakinac 4 , à la mission de Saint-Ignace des Hurons 5 , donnée par le Père Jacques Marquette l'année précédente. Il avait fait un trajet de plus de trois cent cinquante lieues en canot d'écorce! Il y remit au père Jacques Marquette une lettre de Claude Dablon, supérieur des Jésuites de la Nouvelle-France, ordonnant au missionnaire de se joindre à l'expédition vers la mer du Sud. En 1670, Marquette avait été sur le point de se rendre, par le Mississipi, au pays des Illinois ; mais la détérioration soudaine des relations entre les Hurons, les Outaouais et les Sioux l'avait obligé à rompre son dessein. C'est avec enthousiasme et reconnaissance qu'il accepta d'accompagner Jolliet et de "chercher de nouvelles nations qui nous sont inconnues, pour leur faire connaître notre grand Dieu". Si Jolliet, envoyé officiel de l'Etat, représentait les visées économiques et politiques de la Nouvelle-France, Marquette en représentait les aspirations religieuses. Ainsi retrouve-t-on, heureusement conjuguées dans l'expédition de 1673, les deux grandes forces qui sont à l'origine de l'étonnante expansion territoriale de la colonie: les impératifs du commerce et le zèle apostolique.

Vers la mi-mai 1673, l'expédition se mettait en route 6 . Elle comptait sept hommes, dans deux canots. En plus de Jolliet et de Marquette, le groupe comprenait sans doute quelques associés de Jolliet. Parmi les découvreurs du Mississipi, deux seulement - Jolliet, le chef de l'expédition, et Marquette - sont connus avec certitude ; pour le reste, on peut à vrai dire jongler avec des probabilités, mais on n'en tirera jamais qu'hypothèses et conjonctures.

Sur le trajet des découvreurs, et davantage sur la chronologie, l'absence d'un journal de voyage laisse planer des doutes. Il semble à peu près sût toutefois que, de Michillimakinac, les explorateurs se dirigèrent vers l'Ouest, longeant la rive nord du lac Michigan, puis la rive occidentales de la baie des Puants (Green Bay) jusqu'à la mission Saint-François-Xavier (près de De Pere, Wisconsin) ; delà, ils empruntèrent la rivière aux Renards (Fox River) jusqu'au village des Mascoutens (près de Berlin, Wisconsin). Après une vingtaine de jours de navigation, l'expédition venait d'atteindre la limite des territoires connus. Des Mascoutens, les Français apprirent l'existence - à trois lieues seulement! - d'un affluent du Mississipi ; guidés par deux Indiens, ils firent un "portage de demi-lieue", passant de la rivière aux Renards à la rivière Wiskousing (Wisconsin). Le 15 juin, après un voyage de plus de 500 milles, dont 118 sur le Wisconsin, les canots débouchèrent enfin sur le Mississipi. Un sentiment extrême de joie et de triomphe saisit la petite troupe ; mais Jolliet se garda d'oublier que la découverte du Mississipi, si exaltante fût-elle, n'était qu'une étape de sa glorieuse mission et qu'il avait promis à Frontenac de voir l'embouchure de ce fleuve.

Poussant leur trouée sur le Mississipi, les Français s'émerveillaient des paysages nouveaux, si différents de ceux qu'ils avaient jusqu'alors connus ; bientôt apparurent des oiseaux étranges, des plantes exotiques et de formidables bisons, dont certains troupeaux comptaient plus de 400 têtes. D'indiens, cependant, on n'en voyait point. Pendant huit ou dix jours les rives restèrent obstinément désertes, jusqu'à l'embouchure de l'Iowa où, finalement, les découvreurs aperçurent un premier village d'Illinois, celui des Péorias. Ils y furent accueillis avec force gestes d'amitié et de bienvenue. Reprenant l'aviron, Jolliet et ses hommes poursuivirent leur voyage, que marquèrent encore deux étapes importantes: la rencontre du Missouri et de l'Ouabouskigou (Ohio), deux fleuve imposants qui se perdent dans le Mississipi. Nombreux dans cette région, les Indiens se montraient aussi hospitaliers que les Péorias. Parvenus à l'embouchure de l'Ohio, les Français avaient parcouru, depuis Michillimakinac, quelque 1200 milles. De nouveau, à mesure que l'on s'éloignait de l'Ohio, la nature et le climat se métamorphosaient rapidement ; de même les Indiens devenaient- ils plus méfiants, sinon hostiles ; Marquette, bien qu'il parlât six langues indigène, ne réussissait plus à se faire entendre. La petite troupe s'arrêta enfin au village des Kappas (Quapaws), à 450 milles environs de l'Ohio.

Les Kappas habitaient sur la rive droite du Mississipi, un peu en deçà de la frontière actuelle de l'Arkansas et de la Louisiane, à 34 40'. Là devait se terminer le voyage de Jolliet. L'hostilité croissante des Indiens, le danger de tomber bientôt entre les mains des Espagnols avec lesquels les nations de l'Arkansas avaient commerce, la certitude acquise auprès des indigènes qu'ils n'étaient plus qu'à 50 lieues de la mer - en réalité, ils en étaient éloignés de 700 milles - et la crainte de compromettre les résultats de l'expédition décidèrent Jolliet et ses compagnons à rebrousser chemin. Dans la seconde quinzaine de juillet, les canots étaient lancés à contre-courant dans le Mississipi ; le voyage de retour s'effectua par la rivière des Illinois, le portage de Chicago et le lac Michigan jusqu'à la baie des Puants et descendirent à la mission Saint-François-Xavier, qu'ils atteignirent vers la mi-octobre.

Louis Jolliet avait rempli sa mission. Il n'avait pas vu l'embouchure du Mississipi, mais suffisamment progressé vers le sud pour acquérir la certitude que le fleuve se déchargeait dans le golfe du Mexique. Cette nouvelle déçut profondément tous ceux qui croyaient déjà tenir le passage vers la mer de Chine ; à ce point qu'on ne sut pas toujours évaluer à son juste prix l'apport très important de Jolliet à la connaissance de la géographie nord-américaine et à l'expansion territoriale de la Nouvelle-France. Mais la hantise de l'Ouest était si fortement enracinée et les espoir si vivaces que l'on se remit aussitôt à rêver d'un autre passage, cette fois par l'un des affluents du Mississipi.

Jolliet passa l'hiver de 1673-1674 au saut Sainte-Marie occupé à faire des copies de son journal de voyage et de la carte qu'il avait dressée au cours de son expédition. Vers la fin de mai 1674, laissant à la garde des Jésuites les doubles de ces précieux documents, il s'embarquait pour Québec. Arrivé au saut Saint-Louis, vers la fin de juin, il fit naufrage: deux Français et un petit esclave illinois qu'on lui avait donné lors de la descente de Mississipi se noyèrent ; Jolliet, seul survivant, fut sauvé de justesse "après avoir été quatre heures dans l'eau" ; la cassette qui renfermait son journal, sa carte et ses papiers personnels disparut dans les flots. Le découvreur n'en fut pas quitte pour autant: les copies de son journal et de sa carte laissées au saut Sainte-Marie furent détruites dans une incendie ; et pour boucler le cercle de malchance, le journal de Marquette ne nous est pas parvenu. Nous n'avons donc, sur la découverte du Mississipi, que les renseignements fournis de mémoire par Jolliet et de seconde main, en particulier le récit de Dablon.

De retour du Mississipi, Jolliet songeait à se fixer. Le 1er octobre 1675, il signait un contrat de mariage avec Claire-Françoise Byssot, âgée de 19 ans, fille de François Byssot et de Marie Couillard, laquelle venait d'épouser en secondes noces (7 septembre 1675) Jacques de Lalande. La cérémonie religieuse fut célébrée dans la cathédrale de Québec le 7 octobre. L'année suivante Jolliet demanda à Colbert la permission de s'établir, avec 20 hommes, au pays des Illinois qu'il avait découvert. La réponse, datée du 23 avril 1677, fut négative: "Sa Majesté ne veut point accorder au sieur Jolliet la permission qu'il demande de s'aller establir avec vingt hommes dans le pays des Illinois. Il faut multiplier les habitants du Canada avant de penser à d'autres terres et c'est ce que vous devez avoir pour maxime, à l'égard des nouvelles descouvertes qui sont faites."

En donnant cette réponse, le roi et son ministre se montraient simplement conséquents avec eux- mêmes. Dès l'année 1666, Colbert avait écrit à Talon: "Le Roy a approuvé que vous avez fait poser ses armes aux extrémités de l'estendue du Canada, et que vous vous prépariez en mesme temps à dresser auusy des procez-verbaux de prise de possession, parce que c'est toujours estendre sa souveraineté, ne doutant pas que vous n'ayez en cette occasion fait réflexion, avec M. de Tracy et les autres officiers, qu'il vaudroit mieux se restreindre à un espace de terre que la colonie sera elle-mesme en estat de maintenir, que d'en embrasser une trop vaste quantité dont peut-estre on serois un jour obligé d'abandonner une partie avec quelque diminution de la réputation de Sa Majesté et de cette couronne." A mainte reprise, par la suite, le roi avait fait connaître son désir que l'on s'appliquât exclusivement à la colonisation de proche en proche. Le résultat fut la formation d'une colonie homogène, compacte et durable. L'éparpillement des forces de la colonie, auquel on consentit plus tard, par la création d'un certain nombre de forts érigés ça et là, entre le lac Ontario et la Louisiane, fut une faute politique dont les conséquences furent précisément celles que l'on appréhendait dès 1666 et dont l'éventualité était signalée par Louis XIV.

Ce refus ne prit pas Jolliet au dépourvu. Dès sa rentrée du Mississipi, il était revenu à son activité commerciale ; mais, à la suite de son mariage avec Claire Byssot - dont le père avait trafiqué dans la région de Sept-Iles où la famille avait encore des intérêts - , Jolliet délaissa les pays d'en haut pour la côte nord du St-Laurent. Le 23 avril 1676, il joignait la société formée de Jacques de Lalande, son beau-père, de Marie Laurence, veuve d'Eustache Lambert, et de Denis Guyon ; le 2 mai, les associés louaient la barque de Guyon pour les besoins de la traite aux Sept- Iles. Jolliet et Lalande ne tardèrent pas, toutefois, à se procurer leur propre bateau: le 2 novembre 1676, ils achetaient de Michel Leneuf de la Vallière une caiche à bord de laquelle ils firent le voyage aux Sept-Iles le printemps suivant.

Rapidement, Jolliet compta parmi les marchands importants. Le 20 octobre 1676, par exemple, il était au nombre des habitants réunis par Duchesneau pour fixer le prix du castor. Deux ans plus tard, le 26 octobre 1678, il était l'un des notables de la colonie consultés par Frontenac sur la traite des boissons enivrantes. L'opinion nuancée de Jolliet fut celle qu'adopta Louis XIV dans l'ordonnance du 24 mai 1679 permettant la traite de l'eau-de-vie à l'intérieur de la colonie, mais l'interdisant dans les bois.

Avec l'agrément de Frontenac, au printemps de 1679, Josias Boisseneau, agent des fermiers de la Traite de Tadoussac, et Charles Aubert de La Chesnaye chargèrent Jolliet de faire la visite des nations et des terres du domaine du roi en ce pays". En vertu de sa commission, l'explorateur allait se rendre jusqu'à la baie d'Hudson. Il est difficile cependant, de dire avec précision le but de ce voyage ; mais on peut supposer que Jolliet se vit assigner un double objectif: évaluer l'influence anglaise sur les peuplades du bassin hudsonien et, peut-être, jeter les bases d'une alliance commerciale avec les indiens du Nord. Selon le père Crespeil, qui travaillait dans la région du Lac St-Jean en 1679, le rôle de Jolliet était d'"establir la Traitte et la Mission de St-François- Xavier a Nemiskau". Ce témoignage n'infirme pas la double hypothèse formulée plus haut ; il semble assuré, en effet, que la tâche confiée à Jolliet ne concernait pas uniquement le poste de traite - ou la mission - de Nemiskau, qui ne fut qu'une étape dans son expédition.

Le voyage de 1679 n'en était pas un de découverte. Après trois tentatives infructueuses des Français pour atteindre la baie d'Hudson par mer (Jean Bourdon en 1657) et par terre (Michel Leneuf de La Vallière, Claude Dablon et Gabriel Druillettes en 1661 ; Guillaume Couture en 1663), le jésuite Charles Albanel, accompagné de Paul Denys de Saint-Simon et de Sébastien Pennasca, avait en effet touché l'embouchure de la rivière Nemiskau en juin 1672. Le jésuite refit le voyage en 1674. Ces précédents n'atténuaient pas pour autant la terrible difficulté des chemins: "Il y a, affirmait Albanel, 200 sauts ou chutes d'eau, et partant 200 portages [...] ; il y a 400 rapides".

Le 13 avril 1679, Jolliet s'embarquait à Québec avec huit hommes, dont son frère, Zacharie. Deux Indiens, qui leur servirent de guides, se joignirent à eux probablement en cours de route. L'expédition adopta, semble-t-il, l'itinéraire suivant: Saguenay, lac St-Jean, rivière et lac Mistassini, rivière à la Marte (Marten) jusqu'à Nemiskau, et rivière Nemiskau, qui débouche dans la baie de Rupert au sud de la baie James. Le voyage, estimait Jolliet, avait été de 343 lieues, "à cause des détours". Dans la baie, l'explorateur rencontra des Anglais qui l'accueillirent avec beaucoup de civilités et, en particulier, le gouverneur Charles Bayly qui lui donna des galettes et de la farine pour le retour. Bayly avait entendu parler de Jolliet et de sa découverte du Mississipi ; il complimenta le Canadien, l'assurant que "les Anglais font état des découvreurs". Après avoir complétée ses renseignements et repoussé une offre alléchante du gouverneur qui l'invitait à se mettre au service des Anglais, Jolliet prit congé de ses hôtes. Il revint par les rivières Nemiskau et de la Marte, traversa les lacs Mistassini et Albanel et, par la rivière Temiscamie, passa dans la Péribonka, le lac St-Jean et le Saguenay. Le 25 octobre, il rentrait à Québec.

Au cours de son voyage, Jolliet avait acquis la certitude que les Anglais faisaient à la baie d'Hudson "le plus beau commerce du Canada". Ils "cueillaient" le castor "tant qu'ils voulaient" et espéraient même "rendre cet établissement plus considérable à l'avenir". Le cercle de leur influence s'élargissait sans cesse et chaque printemps, les rivières du bassin hudsonien charriaient vers les postes anglais les canots lourdement chargés de nations aussi nombreuses qu'éloignées. "Il n'y a point de doute que si on laisse les Anglais dans cette baie, [ils] ne se rendent maître de tout le commerce du Canada en deçà de six [dix?] ans." Les Outaouais, en effet, qui sont les fournisseurs des Français "ne font point de castor, mais les vont quérir aux nations de la baie des Puants ou celles des alentours du lac Supérieur" ; or, il est à craindre que ces nations ne préfèrent porter leurs fourrures directement aux Anglais, ainsi que certaines ont commencé de le pratiquer et Jolliet d'inviter discrètement Sa Majesté à "faire sortir les Anglais de cette baie" ou, tout au moins, à "les empêcher de s'établir plus loin, sans les chasser ni rompe avec eux".

Conscient des suites désastreuses qu'aurait, sur la Traite de Tadoussac, une poussée anglaise à la baie d'Hudson, Jolliet savait aussi combien son propre commerce sur la côte nord était menacé. Son intérêt dans cette région contiguë au Domaine du roi était d'autant plus vif que le 10 mars 1679, l'intendant Duchesneau lui avait concédé, en copropriété avec Jacques de Lalande, les îles et îlets de Mingan. Voici ce titre, ratifié par le roi le 29 mai 1680:

Concession des îsles et les îslets de Mingan

"Jacques Du Chesneau, chevalier, conseiller du Roy, en ses conseils, intendant de justice, police et finances en Canada, Acadie, Terre-Neuve et autres pays de la France Septentrionale.

A tous ceux qui ces présentes verront, salut:

Sçavoir faisons que sur la requête à nous présentée par sieurs Jacques de Lalandre et Louis Jolliet, demeurants à Québec, à ce qu'il nous plust leur vouloir accorder en titre de fief, seigneurie, haute, moyenne et basse justice, les isles et islets appelés Mingan, estant du costé du nord, et qui se suivent jusques à la baye appelée l'Anse-aux-Espagnols, auxquels lieux ils désireroient faire des établissement de pesche de molue et loups-marins ; Nous, en vertu du pouvoir à nous donné par Sa Majesté conjointement avec monsieur de Fronctenac, conseiller du roy en ses conseils, gouverneur et lieutenant général pour Sa Majesté en ce pays, avons aux dits sieurs Lalande, fils, et Jolliet donné, accordé et concédé, donnons, accordons et concédons, par ses présentes, les dites isles et islets de Mingan, étant du costé nord et qui se suivent jusques à la baye appelée l'Anse-aux-Espagnols ; pour en jouir par eux, leurs hoirs et ayans cause à l'avenir, en titre de fief et seigneurie, haute et moyenne et basse justice, à la charge de la foy et hommage que les dits sieurs de La Lande et Jolliet, leurs dits hoirs et ayans cause, seront tenus de porter au château Saint-Louis de Québec, duquel ils releveront aux droits et redevances accoutumées et au désir de la Coutume de la prévosté et vicomté de Paris, qui sera suivie pour cet égard par provision, en attendant qu'il en soit autrement ordonné par sa Majesté, et que les appellations du juge qui pourra estre estably au dit lieu ressortiront par devant le lieutenant général de Québec, en attendant qu'il en soit estably un plus proche des dites isles et islet de Mingan ; comme aussi qu'ils tiendront et feront tenir feu et lieu par leurs tenanciers sur les concessions qu'ils leur accorderont, faute de ce faire qu'ils renteront de plein droit en possession d'icelles et concerveront, les dits sieurs de Lalande et Jolliet, et feront concerver par leurs tenanciers les bois de chesne qui se trouveront propres pour la construction des vaisseaux dans l'estendue des isles et islets, et qu'ils donneront incessamment avis au roy ou à nous des mines, minières ou minéraux, sy aucuns s'y trouvent, et laisseront, le tout sous le bon plaisir de Sa Majesté, de laquelle ils seront tenus de prendre la confirmation des présentes dans un ans.

En témoin de quoy nous avons signé ces présentes, à icelles fait apposer le sceau de nos armes et contresigner par notre secrétaire.

Donné à Québec le dixième jour de mars mil six cent soixante et dix-neuf. Duchesneau"

"Registré suivant l'arrêt du conseil le vong quatrième octobre mil six cent quatre vingt, intervenu en conséquence d'arrest du conseil d'état du roy donné à Fontainebleau, le vingt neuviesme May au dit an, portant confirmation de la concesssion cy dessus, par moy, greffier en chef du dit conseil, soussigné.

Peuvret"

Jolliet, cependant, ne manquait ne d'ambition ni d'optimisme, comme à Mingan, des pêcheries de morues, de loups marins et de baleines et par ce moyen [de] commercer en ce païs et dans les Isles de l'Amérique".

Cette seconde concession valut à Jolliet l'opposition farouche de Josias Boisseau, agent du Domaine du roi, qui venait de se brouiller avec Aubert de La Chesnaye, oncle de Jolliet. Lalande et Jolliet auraient, par le commerce qu'ils entretenaient avec les Indiens des Sept-Iles, porté préjudice aux fermiers du Domaine de Sa Majesté. Comptant sur l'appui de Frontenac, Boisseau exigea en vain l'annulation de la concession d'Anticosti et de certaines permissions d'aller en traite accordées par Duchesneau à Jolliet et ses associés. L'agent du Domaine fit beaucoup de bruit, lança des accusations non fondées et se livra à de tels excès de langage et de conduite qu'à l'été de 1681 il fut destitué et rappelé en France.

En dépit des réclamations intempestives et frasques de Boisseau, Jolliet poursuivit son commerce sur la côte nord. A cause de la rareté des documents le concernant pendant les année 1680-1693 - en 1682, ses papiers brûlèrent dans un incendie -, on sait peu de choses de l'activité de Jolliet entre ses voyages à la Baie d'Hudson (1679) et au Labrador (1694). Il exploitait ses pêcheries de Mingan et d'Anticosti 7 ; mais il est impossible de dire s'il trafiqua dans les Iles d'Amérique. Au cours de ses fréquents déplacements, Jolliet avait mis au point une carte du fleuve et du golfe du Saint-Laurent, qui fut envoyée au ministère en 1685. A cette occasion, Brisay de Denonville sollicita pour Jolliet la charge de professeur de navigation. Cette récompense ne lui fut pas accordée. En 1690, une flotte commandée par l'amiral Sir William Phipps composé de trente- quatre vaisseaux partit de Boston, s'engagea dans le golfe et le fleuve Saint-Laurent, et vint, le 16 octobre, s'arrêter en face de Québec, alors peu préparé à soutenir un siège. En 1690 comme au siècle suivant (en 1711 et en 1759), les ennemis détruisirent tous les établissements du bas du fleuve qu'ils purent atteindre, sur la côtes ou dans les îles. C'est ainsi que le fort de Jolliet, à Anticosti, fut incendié, de même que son établissement des îles de Mingan. Les Anglo-Américains eurent eux-mêmes à regretter cet inutile vandalisme, car, quatre ou cinq semaines plus tard, après l'échec subi par Phipps devant Québec, un de leurs vaisseaux, un brigantin commandé par le capitaine John Rainsford, vint s'échouer sur la pointe ouest d'Anticosti (la Pointe-aux-Anglais), et ceux des naufragés qui ne furent pas engloutis dans les îlots endurèrent beaucoup de froid et de misère faute d'abri et de secours d'aucune sorte.

En remontant le Saint-Laurent, non loin de Tadoussac, le vaisseau amiral rencontra une barque venant de Québec, dans laquelle se trouvaient Madame de LaLande, sa fille Madame Louis Jolliet, et Monsieur de Grandville s'empara de la barque de Jolliet, confisqua des marchandises évaluées à 10 ou 12000# et fit prisonnières la femme et la belle-mère du découvreur et celle-ci assistèrent à bord du Six Friends au bombardement de Québec, et, finalement, à la déroute des assiégeants.

Dans sa relation du siège de Québec de 1690, Charlevoix dit que les ennemis, découragés et humiliés, se décidèrent, le 23 octobre, à s'en retourner à Boston. "Sur le soir, la flotte leva les ancres et se laissa dériver à la marée. Le vingt-quatre elle mouilla à l'Arbre Sec (île d'Orléans) ; elle emmenait un grand nombre de Français qui avaient été faits prisonnier en différentes rencontres, et, entre autres, le sieur Trouvé, prêtre, que Phipps avait détenu depuis la prise de Port-Royal, M. de Grandville , Marie Jolliet et madame de LaLande. Cette dernière, voyant qu'on ne parlait ni de rançon, ni d'échange, demanda à l'amiral s'il n'aimerait pas mieux retirer les Anglais prisonniers en Canada que d'emmener à Boston des Français dont il serait embrassé, et s'offrit d'aller faire, de sa part, au comte de Frontenac, la proposition d'un échange où les deux nations trouveraient également leur avantage. Son offre fut acceptée ; elle fut conduite à Québec et eut encore moins de peine à résoudre le gouverneur-général à entrer en négociations sur cet article avec l'amiral anglais. M. de Fronctenac lui envoya même son capitaine des gardes, chargé d'un plein pouvoir, et, comme le nombre de prisonniers était à peu près égal de part et d'autre, le traité fut conclu sans aucune difficulté et exécuté de bonne foi. Parlant de ce qui advint après la déroute de Phipps, Cotton Mather, dit que quatre vaisseaux de la flotte firent naufrage, et que l'un d'eux fut jeté, le 28 octobre (d'après le calendrier julien, ce qui correspondait au 7 novembre du calendrier grégorien), sur ce qu'il appelle l'île "désolée et hideuse" d'Anticosti... ; deux ans plus tard, deux navires anglais saccagèrent et brûlèrent ses établissements de Mingan et d'Anticosti. Jolliet était ruiné.

En 1689 peut-être, Jolliet avait fait, si l'on en croit un document de 1693, un voyage au Labrador. Il rêvait d'y retourner, mais avait besoin d'une subvention que la cour semblait peu disposée à lui accorder. Heureusement, un commerçant de Québec, François Viennay-Pachot, vint à la rescousse et accepta de défrayer l'entreprise. Plusieurs explorateurs - Davis, Wasymouth, Kinght, Jean Bourdon, Chouart Des Groseilliers et Radisson - avaient déjà navigué sur les côtes du Labrador, mais aucun n'en avait rapporté une description un peu précise ou même une carte. Le premier, Jolliet allait révéler le secret de cette région qui s'étendait de la rivière Saint-Jean (15 milles à l'ouest de Mingan) à l'actuel Zoar, situé par 56 8' de latitude.

A Québec, le 28 avril 1694, Jolliet s'embarquait sur un vaisseau armé de 6 pierriers et de 14 canons et appartenant à Pachot ; l'équipage comprenait 18 personnes, dont un récollet. On mouilla d'abord à Mingan, où Jolliet séjourna plus d'un mois pour faire la traite et reconstruire les bâtiments incendiés par les Anglais, le 9 juin, on mettait à la voile pour le Labrador. Jolliet longea la côte, qu'il décrivit et cartographia systématiquement, tout en trafiquant au hasard des rencontres. Peu après le 9 juillet, le navire franchissait la pointe du Détour (cap Charles) et entrait dans les eaux non connues. Poursuivant sa lente navigation, Jolliet cartographia le littoral et décrivit les Esquimaux avec qui il entrait en relations. A la hauteur de Zoar, l'explorateur décéda de rebrousser chemin. La saison était avancée et le navire, pourvu de mauvais cordages, n'aurait pas supporté les gros temps de l'automne ; par ailleurs, le commerce avec les rares Esquimaux de la côte ne pouvait "payer ce que le vaisseau coûtait tous les jours" ; enfin, le navire transportait du sel "qu'il fallait employer en morue". Le 15 août, Jolliet prenait le chemin du retour. Il atteignit Québec vers la mi-octobre, après avoir fait la pêche et s'être vraisemblablement arrêté à Mingan pour embarquer sa femme et ses enfants qui y avaient passé l'été.

Jolliet se hâta de mettre au point son journal de voyage 7 . Ce document relativement considérable comporte, outre une description des côtes du Labrador et de leur habitants, 16 croquis cartographiques 8 . C'est la première relation du littoral compris entre le cap Charles et Zoar, d'où son importance historique ; de plus, c'était en 1694 la peinture la plus complète et la plus précise qui eût été faite des Esquimaux. Quant aux territoires visités, Jolliet en trouve la terre ingrate et les habitants rares ; il note la disparition rapide de la morue dès qu'on procède vers le Nord ; le seul trafic possible avec les Esquimaux est celui des huiles de baleine et de loup marin, mais encore faudrait-il compter sur la morue "pour payer une partie des frais". Jolliet n'est pas rebuté pour autant: il sollicite le privilège - qui ne lui sera pas accordé - de trafiquer seul, pendant 20 ans, avec les Esquimaux du Labrador.

En automne 1695, parce que la saison était avancée et la navigation dangereuse dans le fleuve et le golfe, il fut désigné par le gouverneur et l'intendant pour piloter la Charente: il était "peut-être le seul dans ce pays, selon Frontenac, capable de se bien acquitter de cet emploi". Pour cette tâche, Jolliet reçu 600#. Il passa l'hiver en France et rentra à Québec avant le 13 juin 1696 avec promesse de sa nomination - confirmé le 30 avril 1697 - à la charge d'hydrographe. Dans un document de 1692, déjà, on avait donné à Jolliet le titre de maître d'hydrographie: était-ce un lapsus, ou bien Jolliet enseignait-il l'hydrographie au collège des Jésuites, sans en avoir officiellement la charge? Quoi qu'il en soit, durant ces années, il fut souvent question de Jolliet et des cartes qu'il pouvait faire pour assurer la navigation dans le fleuve et le golfe. Une de ces rares cartes nous est parvenue, datée de 1698.

Le 30 avril 1697, Jolliet avait reçu de Frontenac et Bochart Champigny un petit fief sur la rivière Etchemins, qu'il n'eut pas le temps de mettre en valeur. L'hiver, il enseignait au collège des Jésuites ; l'été, il résidait vraisemblablement à l'île Anticosti ou à Mingan. Malheureusement, les trois dernières années de sa vie se perdent dans l'incertitude. Est-ce dans ses circonstances restées inconnues, à l'été de 1700? On n'en sait rien et, malgré d'actives recherches, on n'a pas encore découvert le lieu de sa sépulture 9 .

Ainsi prit fin, entre le 4 mai et le 15 septembre 1700, la remarquable carrière de cet explorateur ; son éducation poussée, sa culture, la variété de ses talents autant que son courage et son ambition ont fait de lui l'un des fils les plus grands et les plus illustres de son pays. Né en Nouvelle-France, formé dans ses institution, Jolliet connut, de son vivant, une renommée internationale: En France, en Espagne, en Italie, en Hollande, en Allemagne, en Angleterre, des ouvrages célébrèrent son nom et la découverte du Mississipi. Sans conteste, Louis Jolliet est l'un des plus authentiques et des plus parfaites réussites de cette bâtisseuse d'hommes que fut la Nouvelle-France.

Louis Jolliet - Claire Bissot
(Mariage 10 , le 7 octobre 1675, à Notre-Dame de Québec)
Louis Jolliet 11 , fils de Jean et de Marie d'Abancourt.

Claire Bissot 12 , fille de François et de Marie Couillard.

Les enfants:
Louis (1676) né en 1676 ; mort célibataire ;
Charles (1678) né en 1678 ; connu sous le nom de Jolliet d'Anticosti. Epouse Jeanne Lemelin le 7 novembre 1714, ancêtre d'une branche de la famille Caron ;
François (1679) né en 1679 ; connu sous le nom de Jolliet d'Abancourt, mort célibataire ;
Marie-Geneviève (1681) née à l'Islet le 12 janvier 1681, baptisée le 17 du même mois. Le 30 avril 1696,âgée de quinze ans et quelques mois, épouse, à Québec, le sieur Jean Grignon, jeune négociant natif de La Rochelle, en France, dont le père avait établi des relations commerciales avec le Canada. Une fille, Louise Grignon épousa le baron de Castelneau. Le nom de la baronne de Castelneau figure avec ceux des héritiers de Louis Jolliet et de Jacques de LaLande dans un acte de foi et hommage relatif à l'île d'Anticosti, aux îles et îlets de Mingan, etc., portant la date du 28 mai 1781 ;
Anne (1682) née en 1682 ;
Jean-Baptiste (1683) né en 1683 ; connu sous le nom de Jolliet de Mingan. Epouse Marie Mars le 11 novembre 1708. Sa fille Marie- Anne épousa Jean Taché, premier du nom au Canada, armateur, négociant, prévost et notaire ;
Claire (1685) née en 1685. Cette dernière épouse, le 11 mai 1702, Joseph Fleury de la Gorgendière, sieur d'Eschambault, dont elle eut dix-sept (17) enfants. Parmi lesquels figure Marie-Claire, qui épousera Thomas-Jacques Taschereau, le premier ancêtre canadien du cardinal et de toute la famille Taschereau.

Notes:
  • 1- Acte de baptême de Louis Jolliet (21 septembre 1645), Notre-Dame de Québec. Louis Joliet.- Anno Domini 1645, die 21 sept. Ego Bartholomeus Vimont, Societatis Jesu, Vices argens Parochi hugus Ecclisiae Conceptionis Immaculate B.M. Quebeci, baptisavi in eadem Ecclissia Infantim recens natum ex Joanne Joliet et Maria d'Abancourt, conjugibus, cui nomen impositum est Ludovicus. Patrini fuerunt Ludovicus Maheu et Francisca Giffart, parochiae de Québec.-

  • 2- Adrien Pouliot et T.-Edmond Giroux, Où est né Louis Jolliet? BRH, LI 91945 : 334-346, 359- 363, 374.

  • 3- Le jour de l'Immaculée-Conception de la sainte Vierge, que j'avais toujours invoquée depuis que je suis en ce pays des Outaouacs pour obtenir de Dieu la grâce de pouvoir visiter les nations qui sont sur la rivière Mississipi, fut justement celui auquel arriva M. Jolliet". (Récit du P. Marquette, édition Douniol).

  • 4 -Cette mission était "sise non pas dans l'île de ce nom, mais sur le côté nord à l'opposite". "Michillimakinac est une Isle fameuse en ces contrées, de plus d'une lieue de diamètre, et escarpée en quelques endroits de si hauts rochers qu'elle se fait descouvrir de plus de douze lieus de loing. Elle est placée justement dans le détroit pasr lequel le Lac des Hurons et celui des Illinois (Michigan) ont communication. C'est la clef et comme la porte pour tous les peuples du Sud, comme le Sault, (entre le lac Huron et le lac Supérieur) l'est pour ceux du Nord, n'y ayant en ces quartiers que ces deux passages par eau, pour un très grand nombre de nations... si elles veulent se rendre aux habitations françoises." (Relat. des Jésuites, anné 1671, page 36). Les eaux de Michillimakinac étaient réputées les plus poissonneuses de tous ces pays.

  • 5- Les Hurons de la nation du Pétun. (Les Etiontates.)

  • 6-Voici les premières lignes du récit du Père Marquette, tel que publié par Thévenot en 1681: "Je m'embarquay avec sieur Jolliet, qui avait esté choisi pour conduire cette entreprise, le treize May 1673, avec cinq autres François, sur deux canots d'écorce, avec un peu de bled d'Inde et quelques chairs boucanées pour toute provision. L'on avait eu soin de tirer des Sauvages tout ce qui s'éstoit pu tirer de lumière de ces pays, l'on en avait mesme tracé une carte sur leur récit, les rivières y estoient marquées, le nom des Nations que nous devions traverser et les [rums] de vent que nous devions suivre dans ce voyage. La première nation que nous rencontrasmes fut cette de la Folle Avoine. J'entray dans leur rivière pour aller visiter ces peuples, auxquels nous avons presché l'Evangile..." [Rums: Un rum de vent (ordimairement rumb: pron. ronb') est l'espace angulaire compris entre deux des trente-deux aires de vent d'une boussole.]

  • 7- Ernest Gagnon, Louis Jolliet, découvreur du Mississipi et du pays des Illinois, premier seigneur de l'île d'Anticosti (Montréal, 1946).

    [Louis Jolliet], Journal de Louis Jolliet allant à la découverte de Labrador, 1694, éd. Jean Delanglez, RAPQ, 1943-44: 147-206.

  • 8- P.-G. Roy, Inventaire de pièces sur la côte de Labrador conservées aux Archives de la province de Québec (2 vol., Québec, 1940-42), I:3-9.

  • 9- Où est mort Louis Jolliet? BRH, VIII (1902): 277-279.

  • 10- Le septième jour du mois d'octobre de l'année mil six cens soixante-quinze, après la publication d'un ban de mariage d'entre Louis Jolliet, fils de deffunt Jean Jolliet et de Marie d'Abancourt, ses père et mère, de cette paroisse, d'une part, et Claire Françoise Bissot, fille de deffunt François Bissot et de Marie Couillart, ses père et mère, deumeurant à la base ville de Québec, d'autre part, Monseigneur l'Evesque les ayant dispensé des deux autres bans, et ne s'estant découvert aucun empeschement, Nous Henri de Bernières, propre vicaire général de mon d. Seigneur et cur de cette Eglise paroissiale, les y avons solennellement mariés et donné la bénédiction nuptiale selon la forme prescrite par le Ste Eglise, en présence des sieurs Juchereau de la Ferté, Charles Maquart, etc. H. de Bernières

  • 11- Le septième jour du mois d'octobre de l'année mil six cens soixante-quinze, après la publication d'un ban de mariage d'entre Louis Jolliet, fils de deffunt Jean Jolliet et de Marie d'Abancourt, ses père et mère, de cette paroisse, d'une part, et Claire Françoise Bissot, fille de deffunt François Bissot et de Marie Couillart, ses père et mère, deumeurant à la base ville de Québec, d'autre part, Monseigneur l'Evesque les ayant dispensé des deux autres bans, et ne s'estant découvert aucun empeschement, Nous Henri de Bernières, propre vicaire général de mon d. Seigneur et cur de cette Eglise paroissiale, les y avons solennellement mariés et donné la bénédiction nuptiale selon la forme prescrite par le Ste Eglise, en présence des sieurs Juchereau de la Ferté, Charles Maquart, etc. H. de Bernières

  • 12 - Née le 3 avril 1656.


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