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Article publié par PREMIERE de juin 1996, page 45.



Premiers plans

Le grand "Léon" ou le vrai LUC

Vingt-cinq minutes d'amour en plus. C'est ce que LUC BESSON a ajouté à son "Léon", pour une version plus longue donc. Plus personnelle aussi.
Interview Kristina Larsen

Il avait presque sans le savoir, gardé ce côté enfantin qui tenait à la fois de la pureté et de la solitude. Il reconnaissait volontiers qu'il était misanthrope. Et dans un monde qu'il voyait bordélique et meurtrier, il avait construit une créature bicéphale, Léon-et-Mathilde, qui allumait une étincelle de vie sous nos yeux. Il avait cru à la possibilité, en cette fin de XXème siècle, de filmer cette histoire entre un homme de 40 ans et une fillette de 12 ans. Une histoire d'amour, évidemment, pas de sexe! Ce qui était peut-être moins évident. Et pour Luc Besson, c'est là que les choses avaient commencé à se gâter.

Les dessous de l'affaire

Été 94. Produit par Gaumont et distribué aux États-Unis par Columbia, Léon, cinquième film de Luc Besson, passe au crible de la censure puis du fameux screening test. Sept cents personnes de la banlieue de Los Angeles s'entassent pour la projection. "Le film coule tranquillement, raconte Besson. Je souris car je sais que les vingt dernières minutes fonctionnent. Je me sens presque sauvé. Presque seulement, car le drame arrive. Mathilde fait une vraie déclaration d'amour à Léon. Elle veut que Léon soit son premier amant. Léon est paniqué. Il refuse... C'est le tollé général. Les femmes s'indignent, les hommes ricanent bêtement : "Elle veut faire l'amour, c'est une chienne. Il hésite, c'est un sadique." (1) " Les résultats des tests sont sans équivoque : en supprimant la scène, le film passe de 19% à 31% d'opinions excellentes et d'une distribution de 100 à 1000 salles sur le territoire américain. C'est cette version écourtée qui devient la version internationale et remporte le succès qu'on lui connait.
Avril 96, presque deux ans plus tard. Luc Besson vit retranché aux britanniques mais néanmoins mythiques studios Pinewood, où il achève le tournage du Cinquième Élément. Look cottage de l'extérieur, bunker à l'intérieur : "Absolutely no admittance" préviennent plusieurs panneaux à l'entrée. À 6 h 45 du matin, les loges sont encore désertes. Seul signe de vie: la voix laser de Björk qui hurle It's Oh So Quiet, trahissant l'antre du réalisateur. Souriant, le regard clair mais l'air épuisé - cet homme, c'est sûr, ne dort jamais -, Luc Besson termine de prendre quelques notes. Au-dessus de son bureau, en juste place, la maquette de la nouvelle affiche de Léon, version longue, une photo tendre du couple Réno-Portman avec cette accroche : "Vous ne savez pas tout..."

Une version plus fidèle

"J'ai toujours tendance à préférer un peu court à un peu long, avoue Luc Besson, mais cette version est celle que j'avais envie de montrer." Vingt-cinq minutes supplémentaires, soit une dizaine de séquences pour tisser, plus méticuleusement encore, les rapports affectifs entre les deux personnages. Léon initiant Mathilde au maniement d'armes à feu de toutes sortes puis d'explosifs; Léon entraînant Mathilde à sa suite dans des opérations de nettoyage; Léon et Mathilde main dans la main dans les règlements de comptes, yeux dans les yeux au restaurant, puis allongé côte à côte le temps d'une nuit chaste... Autant de scènes inédites, dont certaines étaient parmi les préférées du réalisateur, et que seul le public français a le privilège de découvrir dans un nouveau film, disons, cette fois, un film de coeur.
"L'important dans un film, continue Luc Besson, c'est de rester fidèle à ce que tu veux. Ce qui compte à mes yeux, c'est donc l'honnêteté du metteur en scène. Il est rarement arrivé qu'on me demande de faire des changements mais il a parfois fallu que je dise : "Au revoir". Bien sûr, toute concession est mesurable. Dans la vie, si tu veux partir en vacances, qu'est-ce qu'il faut faire? Travailler! C'est une question de pragmatisme. Il faut seulement savoir quelles concessions il ne faut pas faire, c'est-à-dire les concessions trop bêtement commerciales.
"Pour la censure américaine, j'ai accepté de couper certaines scènes trop "sanguinaires". Mon but n'était pas de choquer les gens, seulement de montrer comment une petite fleur pouvait pousser sur le bitume dans un monde si noir. Après les screening tests, ce qui me gênait le plus, c'était l'idée que le public n'avait pas compris ce que je voulais lui dire. Était-ce que, instinctivement, je m'adressais à un public européen plus évolué ou y avait-il un vrai problème de compréhension dans les sentiments des deux personnages? Je n'ai pas pu organiser de test en France, et c'est dommage.
" J'ai dû enlever des scènes qui laissaient penser que Léon était malsain. La scène du dîner est pourtant un moment incroyablement tendre. Natalie avait 11 ans quand elle l'a tournée. Sa mère ne voulait pas qu'elle boive du champagne mais elle a voulu boire une coupe en cachette. On a commencé à tourner la scène et, tout à coup, elle est partie, comme ça, dans un grand éclat de rire! C'était comme du cristal. Ils ont décidé que c'était malsain... Quelle hypocrisie! Notre société est déréglée par l'amour et la sexualité. La modernité la pervertit. Des filles à poil, cette sexualité surabondante pour vendre n'importe quel shampooing, ça ne dérange personne, mais cette scène, si!
"Léon était fin, ils ont voulu voir un trait gras qui déborde, ils se sont laissé aller à leurs propres fantasmes, drapés qu'ils étaient dans leur puritanisme. Pourquoi un homme de 40 ans n'aimerait-il pas une fille de 12 ans? C'est un enfant lui aussi. Il aime une enfant comme un enfant. Léon est pur. Il est comme un garçon de 14 ans, il n'a aucune vie sexuelle, il manque d'affection, c'est lui qui le dit. C'est justement cet écart d'âge qui m'attirait, cette confrontation entre leur innocence respective qui devenait d'autant plus explicite que leur différence se voyait. Personnellement, j'avais envie de revaloriser le mot "aimer" ."

Retrouver l'innocence

"Quand il est question d'amour, on dirait que les gens ont du mal... Un homme aime une petite fille et on imagine tout de suite des choses dégueulasses. Mais celui qui aime son chien, personne ne lui pose de questions. Ma mère a un chien et il faut voir comment elle l'aime. Évidemment ça ne choque personne. Alors, qu'est-ce que les gens vont chercher à propos d'une enfant? L'amour et la sexualité sont deux choses bien distinctes. On peut très bien faire l'un et l'autre.
"Un petit garçon ou une petite fille, c'est touchant. La séduction chez une jeune fille, c'est émouvant. C'est un jeu que Mathilde joue, il n'y a rien de pervers là-dedans. C'est maladroit. Et rare... fugitif. Pour moi, une femme de 35 ans qui a pleinement conscience de sa séduction et qui en use, qui se sert de son corps selon une stratégie bien établie, qui s'habille avec tel ou tel vêtement parce qu'elle sait qu'il la met en valeur... c'est fini... C'est beaucoup moins... Ça m'ennuie, quoi... Je trouve ça triste. Ça manque de fraîcheur. C'est pas frais, voilà! J'aime l'innocence.
"Du coup, lors de sa sortie, j'ai souffert que le film ait été mal compris. D'autant que Léon a été largement attaqué à cause de la violence qu'il mettait en scène alors que la version que j'avais tournée était plus douce, marquée de beaucoup plus d'amour et de tendresse. Elle est un peu longue mais, en même temps, c'est celle que j'ai tournée. C'est en cela que je dis que c'est celle que j'avais envie de montrer. Elle sera pour les amoureux, les cinéphiles. Elle est destinée aux spectateurs spécialistes. Il faut la recevoir comme un clin d'oeil ou un cadeau."

(1) L'histoire de Léon, Luc Besson, collection Aventure et découverte d'un film, Intervista,140 FF.

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