Electre, Texte #5 : Commentaire

 

 

INTRODUCTION

 

Dans ce dialogue tendu entre Égisthe et Électre, nous voyons s'affronter deux morales irréconciliables:

 

*morale pragmatique: doctrine qui donne la valeur pratique comme critère de la vérité.

 

& Lecture &

 

On pourra analyser successivement :

I. Une morale pragmatique,

II. Une morale absolue.

 

 

  1. Une Morale Pragmatique

 

Égisthe se fait ici le défenseur d'une morale relative qui a sa cohérence. Il considère avant tout l'urgence de la situation : il doit repousser l'invasion des Corinthiens avant qu'Argos ne succombe.

Au discours enflammé d'Électre il oppose un point de vue pragmatique et concret.

 

  1. Le pragmatisme d’un homme d’Etat
  2.  

    Depuis son illumination sur la colline (acte II, sc. 7), Égisthe se sent investi d’une mission. Comme il le rappèle à Électre : "j’ai à sauver la ville". Il exagère quelque peu son importance. En fait l’ennemi est lui même grec. Ms l’on peut considérer qu’en empêchant Corinthe, cité grecque d’écraser une autre cité grecque, il préserve l’unité fragile de la patrie Hélène.

    Quoi qu’il en soit, son point de vue est ici celui d’un homme d’état : il veut défendre ce qu’il considère comme son bien (Argos) et cela signifie sauver les habitants du massacre. Ce pragmatisme de responsable politique se fonde sur un sens de la relativité: à la vérité unique et absolue qu’Électre prétend représenter, celle d’une justice supérieure, Égisthe oppose des vérités.

    Dans la même perspective, il relativise les convictions d’Électre en lui disant, non sans quelque ironie, " ta vérité... si elle l’est " .

    Egisthe se méfie de ces idées abstraites qui peuvent tuer un peuple. Sa morale, à lui, est fondée sur du concret.

     

  3. Une morale concrète.

 

Entre Égisthe et Électre, l’affrontement se manifeste par le vocabulaire: la jeune fille emploie des mots abstraits auxquels l’homme mur substitue un vocabulaire concret.

C’est ainsi qu’Électre, tout au long de ce passage, parle du regard des habitants d’Argos, qui est " terne et veule " d’après elle, et qu’elle veut sauver. Le regard chez les anciens grecs était en quelques sortes la lumière de l’âme; or le regard des Argolides est obscurcie comme leurs âmes par le fait qu’ils sont passivement complices du meurtre de leur ancien roi Agamemnon.

Électre veut rendre à l’âme de son peuple l’état de sa pureté. Or Égisthe, subtilement, lui répond en parlant des yeux des habitants d’Argos qui seront autant d’yeux glacés et de prunelles éteintes.

Autre manifestation de cette morale concrète, Égisthe, dans son argumentation contre Électre, pose la vie comme valeur suprême. À quoi bon la vertu, la justice, sans la vie ?

Il va même jusqu’à un marchandage humiliant avec Électre la suppliant de lui accorder une seule journée de répit, le temps de sauver toutes les vies en péril. Mais Électre place ses propres valeurs absolues au dessus de la vie.

 

II. Une Morale Absolue

 

Aux yeux d’Électre, la vérité et la justice priment toute autre considération. La vie n’a pas de valeur en elle-même ni pour elle-même lorsqu’elle est souillée par un crime abjecte dont on est coupable ou complice.

Aux répliques brèves, concises d’Égisthe, répondent des tirades plus longues et fort éloquentes de la jeune fille pur qui la morale consiste à dire non à toute compromission.

 

  1. Des tirades éloquentes.
  2.  

    Électre, lorsqu’elle parle, est pareille à une prophétesse inspirée. Ses discours mettent en place une logique implacable, développée avec force et poésie. On voit par là que le style des deux interlocuteurs reflète la philosophie respective.

    En effet, au style assez plat, direct qu’emploie Égisthe dans cet extrait, Électre oppose une rhétorique très noble, reflet de son idéalisme. L’imparfait du subjonctif dans la tournure " plût au ciel que ce fût le sort d’Argos " place très haut la tonalité de son discours digne de la tragédie classique.

    Dans la phrase qui suit, la répétition de " depuis que "... confère à l’ensemble un balancement oratoire impressionnant.

    De même, elle s’exprime volontiers en style gnomique, c’est à dire proverbial. Plusieurs de ces phrases ont une résonance de vérité générale universelle.

     

  3. La force de dire non.

 

La moralité d’Électre est une morale négative en ce sens qu’elle mentionne les jeunes filles qui n’ont su dire non à temps et se sont condamnées à toutes les compromissions qu’on leur a imposées.

Symbole classique de la pureté, ces vierges se sont flétries comme les vérités qu’on a pas implacablement défendues.

Profondément pessimiste sur le monde et l’humanité, cette morale considère comme " inutile " de vivre sans un honneur parfait.

 

 

 

Conclusion

 

Ce débat duel entre les deux personnages illustre un dilemne bien connu entre l’idéalisme et le pragmatisme. Jean Anouille traite du même sujet dans " Antigone ".

 

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