CHAPITRE IV

LE TEMPS DE LA MISE A L'EPREUVE DU COUPLE

 

       Nous avions vu au premier chapitre que le délai qui existait entre la première rencontre et l’engagement véritable jouait en quelque sorte comme un troisième filtre. Cette entrée progressive permet, d’une part, aux conjoints eux-mêmes de tester leur compatibilité et, d’autre part, à la famille d’influer sur le choix.

Dans ce chapitre nous aborderons ce temps de mise à l’épreuve en nous intéressant plus particulièrement à la découverte de l’autre, à l’influence de la famille et au rôle particulier qu’occupe la sexualité dans cette période de test. Nous terminerons ce chapitre par un point sur l’histoire du couple dans lequel nous parlerons de sa dynamique.

 

1. L’APPROFONDISSEMENT DES JUGEMENTS

Si la rencontre physique joue un rôle confirmatif, elle ne scelle pas à elle seule le couple. En fait, il apparaît que ce sont les premières rencontres et le début de vie en couple qui permettent aux partenaires de se connaître mieux et de décider de la poursuite ou non de leur couple. C'est pendant cette période (commencée pour la plupart dès les rencontres virtuelles) que les partenaires se découvrent, apprennent davantage l’un sur l’autre et décident ou non de poursuivre la relation.

Ainsi, plusieurs interviewés nous ont parlé de ce temps de test durant lequel ils restaient prudents. L’histoire de Marie et Sébastien illustre ce temps "d’essai" puisqu’ils envisagent maintenant de se fiancer et de vivre ensemble alors que cela fait trois ans qu’ils se "fréquentent". Ils sont donc sûrs de vouloir vivre ensembles actuellement mais ce n’était pas le cas au début, du moins pour Marie qui a pris quelques mois avant de s’investir vraiment dans la relation.

C'est le cas également de Taurus qui nous dit que pour le moment il préfère ne pas se précipiter (pour vivre avec son amie) afin de ne pas être déçu après :

« Nous sommes pas encore au stade de vivre ensemble car c'est encore récent et ce n'est pas dans nos caractéres de se précipiter au risque de sombrer dans une "désillusion" qui n'est pas à exclure. » (Taurus, homme, 30 ans, questionnaire)

Les interviewés nous ont ensuite parlé de cette période comme d’un temps de découverte de l’autre durant lequel ils ont appris à le connaître chaque jour un peu plus. Pour la plupart[1*], cette découverte a renforcé leur jugement positif et leur amour. Ainsi, la phrase de Philou résume assez bien ce que beaucoup nous ont dit :

« Plus je la connais, plus je l’aime » (Philou, homme, 42 ans, questionnaire)

Eric nous explique qu’il a appris à connaître son amie et que plus il en apprend, plus il est sûr que c'est elle la femme de sa vie :

« J'ai appris comme elle est réellement et j'ai appris à la connaître et elle a appris à me connaître, j'ai appris, on apprend tous les jours, elle a toujours quelque chose à m’apprendre, je changerai plus, voilà c'est elle, pour moi en tout cas pour le moment et j’espère que ça continuera, ce sera j’espère toujours comme ça, c'est la fille que je cherchais quoi… tout ce que je découvre me plaît, je veux dire y a aucun truc chez elle que je voudrais changer » (Eric, 29 ans, entretien)

Enfin, Taurus nous dit que c'est au fil des rencontres qu’ils sont devenus plus complices et tendres :

« Au fil des rencontres, on s'est mieux rapproché. Nous avons communiqué sur nos projets divers et nos aspirations pour le couple sans toutefois parler de nous-même. Au fur et à mesure, complicité et tendresse ont apparu. » (Taurus, homme, 30 ans, questionnaire)

Parmi les personnes interrogées, seul Christophe a été plus critique vis-à-vis de sa partenaire (en pointant notamment la différence de niveau social entre eux) et a d’ailleurs mis fin à leur relation assez rapidement :

« Mes sentiment se sont etiolé, l'effet de surpise etant passe, au fil du temps, j'ai reussi a faire la difference entre l'aimer d'amour et d'amitie (…) Nous ne nous sommes pas installe ensemble, mais le sfois ou nous avons passe nois nuits ensemble, ce qui etait le plus choquant etait le contraste de niveau de vie entre elle et moi.» (Christophe, 26 ans, questionnaire)

Les premiers temps des relations de couple sont donc bien l’occasion pour chacun de découvrir un peu plus l’autre, de le tester et de le juger et d’enfin décider s’il est réellement la personne avec qui l’on désire poursuivre une relation.

Nous avons également remarqué que les caractéristiques du conjoint qui étaient évoquées durant cette période étaient à nouveau principalement d’ordre culturel (projets de vie, goûts et hobbies, valeurs,…) ou psycho-relationnel (peu de dispute, écoute,…). Mais nous remarquons que les personnes interrogées prennent davantage en compte les caractéristiques objectives tels que le niveau social, le niveau d’étude, l’âge ou encore le lieu de résidence, afin de juger leur partenaire à ce moment de la relation. Ainsi, tout comme Christophe qui a été choqué par la différence de niveau de vie (voir ci-dessus), Marie a également eu quelques doutes au début de sa relation avec Sébastien qu’elle croyait d’un niveau social supérieur, ce qui la gênait (cette impression s’est effacée par la suite) :

« Quand je l’ai vu arriver vraiment, avec ses petites lunettes et tout, c'était oui fils à papa (…) et puis tu vois la Mercedes c'était super technologie pour moi, tu vois j’étais jamais rentrée dans une voiture aussi belle (…) Donc j’étais fort impressionnée, il m’apparaissait riche aussi tu vois, plus élevé socialement que moi. Je vais dire que pour ça j’étais un peu gênée. » et « entre parenthèses la maison enfin c'est une villa qu’ils ont su faire construire grâce au grand-père qui avait fait des magouilles pendant la guerre et donc qui avait eu de l’argent. Donc la maison ça faisait aussi fort riche donc les premières impressions sont revenues que c'était des riches » (Marie, 22 ans, entretien)

Skate, pour prendre un dernier exemple, a quant à lui été gêné par la différence d’âge entre lui et son amie (31 et 43 ans) :

« La différence d'age était un obstacle à mes yeux. » (Skate, homme, 31 ans, questionnaire)

 

2. LE ROLE LIMITE DE LA FAMILLE

1.1. Entre ce que les parents (ne) disent (pas)…
Lorsque nous avons demandé aux personnes interrogées ce que leurs parents avaient pensé de leur partenaire au début de la relation et une majorité nous ont dit soit que leurs parents ne leur avaient rien dit (ou pas grand chose), soit que l'opinion de ceux-ci ne les intéressaient pas vraiment. Par exemple, Eric et Héléna nous ont répondu que leurs parents ne leur avaient en tout cas rien dit :

« Ils ont l’air de l’apprécier (…) en tout cas ils m’ont jamais rien dit. » (Eric, 29 ans, entretien)

« Mais bon, elle [ma mère] ne disait pas grand chose sur ce qu’elle en pensait aussi. » (Helena, 25 ans, questionnaire)

Et Sébastien nous a répondu que de toute façon sa mère n’avait rien à dire :

« Elle avait rien à dire, enfin je sais pas, de nos jours c'est comme ça quoi. » (Sébastien, 22 ans, entretien)

De la même façon, Philou nous a dit que d’une part cela ne concernait pas ses parents et que d’autre part il n’attachait aucune importance à leur opinion :

« C'est pas leur problème » ou « je m’en fous complet » (Philou, homme, 42 ans, questionnaire)

Ces réponses nous suggèrent que les parents n’ont plus le droit de juger (du moins à haute voix) les partenaires de leur enfant. Selon les interviewés, même si les parents le voulaient, "ils n’ont rien à dire" et ce qu’ils pensent n’intéressent de toute façon pas les enfants, ou du moins c'est ce que les personnes interrogées nous disent. Ainsi, l’exemple de Lucie, illustre le peu d’importance qu’accordent les enfants à l’opinion de leurs parents puisque pendant 9 ans elle a vécu avec un garçon qui ne "convenait" pas à ses parents. Malgré les remarques répétitives de ceux-ci, c'est manifestement[2*] de son propre chef qu’elle a mis fin à la relation.

De nos jours, les parents ne peuvent plus diriger la vie de leurs enfants. D’un rôle d’éducateurs ou de donneurs de leçons, les parents sont passés à un rôle d’accompagnateur. Leur but n’est plus "d’écrire" la vie des enfants à leur place, mais de les aider à mener leur propre vie comme ils l’entendent (et surtout en ce qui concerne la vie intime). Ils n’ont donc pas à juger les conjoints de leurs enfants mais ils doivent simplement respecter le choix de ceux-ci :

« Ils ont eu la réaction typique des parents, c'est-à-dire qu’eux auraient plutôt préféré ça mais ils sont avec toi dans ton choix. » (Fayçal, 28 ans, entretien)

Cette attitude doit être reliée aux évolutions générales de la famille contemporaine. Selon François de Singly[3], deux transformations majeures ont marqué la famille : l’autonomisation de la famille par rapport à la parenté et l’autonomisation de l’individu par rapport à la famille ; ces transformations entrent elles-mêmes dans une évolution globale de la société contemporaine qui valorise la liberté et l’autonomie des individus. Dès lors, le principe le plus important qui régit les relations entre les générations est le principe d’indépendance : chacun mène sa vie comme il l’entend et les relations entre parents et enfants se déroulent d’autant mieux que les premiers n’interviennent pas dans la vie des seconds (sauf si ceux-ci en font la demande). Ceci vaudra d’autant plus en ce qui concerne le choix d’un conjoint que les individus attachent aujourd’hui beaucoup plus d’importance à la famille conjugale.

Nous l’avons vu au cours du chapitre précédent, si l’autonomie est à ce point valorisée dans la famille contemporaine, c'est parce qu’elle est vue comme nécessaire à la réalisation de soi, à l’épanouissement personnel. Or, la famille actuelle joue un rôle déterminant dans la construction identitaire des individus[4]. C'est pourquoi, les parents (comme les conjoints) ont aujourd’hui un rôle de "révélateurs" : par leur affection et les relations qu’ils entretiennent avec leurs enfants, les parents vont aider leurs enfants à découvrir leur identité et vont donc les aider à construire leur vie. Comme l’autonomie est désormais une valeur centrale, les parents devront jouer ce rôle en orientant le moins possible leurs enfants mais plutôt en les soutenant et en les aidant à "révéler" ce qu’ils veulent et désirent eux-mêmes (et donc ce qu’ils sont).

Ces différents éléments nous permettent de mieux comprendre cette attitude "silencieuse" des parents actuels : valorisant eux-mêmes l’autonomie (et ce même pour les enfants), ils estiment ne pas avoir le droit d’émettre une opinion surtout si celle-ci s’oppose au choix de leurs enfants. De plus, en le faisant ils prennent le risque de "perdre" leurs enfants (puisque le couple prime sur les relations de parenté) ou plus simplement de n’être pas écoutés.

1.2. (…) et ce qu'ils font.
Il faut cependant remarquer que si beaucoup de parents préfèrent ne pas exprimer haut et fort leur opinion, celle-ci reste parfois décelable dans leur comportement. En effet, ne rien dire n'équivaut pas à ne rien penser ! Par exemple, le comportement des parents d’Eric s’est modifié positivement depuis qu’il a changé de partenaire. Il voit dorénavant davantage ses parents ce qui pour lui signifie que ceux-ci apprécient sa compagne actuelle :

« On a des invitations à dîner, des coups de téléphone, ils viennent ici alors qu’ils venaient jamais. » (Eric, 29 ans, entretien)

Ainsi, si les parents n’expriment généralement pas leur opinion, leur comportement peut être un indice de ce qu’ils pensent. Néanmoins, les enfants n’avouent pas davantage en tenir compte que d’une opinion explicite (il s’agit toujours de leur vie) et, au terme de nos observations, il nous est difficile de trancher : est-ce que les enfants n’écoutent réellement pas leurs parents ou est-ce plutôt qu’il est difficile de reconnaître qu’ils tiennent compte de leur opinion (même émise implicitement) à un époque où l’autonomie est à ce point mise en avant ?

En effet, comme nous l’évoquions ci-dessus à propos de l’exemple de Lucie, il est plus que probable que l’avis des parents (même s’il se manifeste plus dans les gestes qu’en parole) fasse au moins réfléchir les enfants mais qu’il n’est pas de bon ton de le reconnaître.

1.3. Quand les parents se choisissent un conjoint
A l'époque des familles recomposées, on ne peut limiter l'analyse à ce que pensent les parents du choix de leurs enfants. Puisqu'il n'est plus rare de refaire sa vie de famille, il devient courant que ce soient les parents qui aient à se trouver un nouveau conjoint. Quel est le rôle des enfants dans ce cas ?

Parmi nos interrogés, seules Cati et Loulou se sont trouvées dans cette situation. Même si leurs enfants étaient jeunes (6 et 11 ans), il semble qu’ils aient quelque peu influencé le choix. Ainsi, Loulou était contente que son fils et son compagnon s’entendent, ce qui a dû jouer en faveur de leur relation (même si celle-ci n’a pas perduré) :

« Mon fils a été sous le charme mon ami aussi. Ils s’entendaient à merveille » (Loulou, femme, 38 ans, questionnaire)

Par contre, Cati a été déçue lorsqu’elle a présenté son fils à son ami et que celui-ci a semblé plus que mal à l’aise. On peut se demander si cette gêne n’est pas en partie responsable de la rupture :

« Le seul point noir a été que mon fils (6 ans) s'est jeté sur lui avec son petit amour à donner et qu'il a paru se recroqueviller sur place, jusqu'à ce que je le rassure en lui disant qu'il était toujours ainsi en présence d'un homme, qui que ce soit. » (Cati, 31 ans, questionnaire)

Il semble que ces mères attachent une grande importance à l’opinion de leurs enfants et à l’attachement dont ils témoignent pour leurs compagnons ; elles ne semblent pas envisager la vie avec un homme qui ne plairait pas à leur jeune enfant.

En somme, nous ne pouvons à notre époque, ignorer le rôle que peuvent avoir les enfants dans le choix des partenaires de leurs parents. Cependant, comme notre enquête ne nous a pas permis de récolter suffisamment de données à ce sujet, il serait intéressant, dans de futures recherches, de mener une interrogation plus systématique auprès de familles recomposées afin de voir le rôle que peuvent jouer les enfants jeunes et moins jeunes dans le choix du conjoint de leurs parents et si la norme d’autonomie vaut autant pour les parents que pour les enfants.

 

3. LE ROLE DE LA SEXUALITE

Pour en terminer avec la mise à l’épreuve, nous allons faire un bref détour par l’importance que prend la qualité de la relation sexuelle dans les modalités de mise à l’épreuve et donc dans le choix du conjoint. La qualité de la relation sexuelle est mentionnée explicitement et spontanément comme atout dans leur relation ou au contraire comme motif de discordance, à cinq reprises, par les personnes interrogées. Ainsi, lorsque nous avons demandé à Cati ce qui la différenciait de son conjoint, elle nous a répondu que celui-ci avait, contrairement à elle, une vie sexuelle "anormalement vide" :

« J'aime la vie et ses plaisirs et ce, de plus en plus. J'avais l'impression que pour lui, ça n'était pas important. J'avais eu une vie sexuelle assez bien remplie et satisfaisante, lui, c'était anormalement vide. » (Cati, 31 ans, questionnaire)

Dans ce premier exemple, la différence de comportement sexuel aurait donc pu (si la relation avait duré) devenir une source de conflit entre les partenaires. On peut en effet supposer que si au bout d’une semaine Cati pointe le peu d’attente en matière sexuelle de son conjoint, c'est qu’elle y attache de l’importance pour sa réalisation personnelle et celle de son couple et qu’elle n’aurait sans doute pas manqué d’attirer l’attention de son conjoint sur ce point.

A l’opposé, lorsque nous demandons à Philou ce qu’il apprécie chez sa compagne, il termine sa réponse en mentionnant leur bonne entente "au lit" :

« Elle est vaguement belle, intelligente, gentille, adorable, avec du caractére. Et pour couronner le tout, on s'entend bien dans un lit. » (Philou, homme, 42 ans, questionnaire)

La sexualité est donc à nouveau mentionnée mais ici d’une manière positive. La bonne entente sexuelle des partenaires est clairement évoquée comme une des raisons pour lesquelles Philou apprécie "de plus en plus" sa compagne.

Ces deux exemples illustrent donc le rôle que peut jouer l’entente ou la mésentente sexuelle des partenaires dans la formation du couple et plus particulièrement dans la mise à l’épreuve du couple naissant. Ce nouveau rôle de la sexualité dans le choix d’un conjoint doit être comprise en lien avec la nouvelle place qu’occupe la sexualité dans la construction du soi et de la conjugalité : "La sexualité apparaît désormais comme une expérience personnelle, fondamentale dans la construction du sujet, au cœur d’un domaine qui s’est développé et a pris un poids considérable au fil des siècles, la sphère de l’intimité et de l’affectivité."[5]

Ainsi, pour Michel Bozon ce qui fait la spécificité du couple contemporain, ce n’est pas seulement la référence constante à l’amour ou encore la mise en avant des intérêts individuels de chacun des partenaires mais c'est aussi "le rôle inédit que la sexualité assume désormais dans la constitution puis dans l’entretien de la relation conjugale."[6] En fait, nous avons assisté à un renversement de rapport entre sexualité et conjugalité : alors qu’auparavant c'était le mariage qui donnait droit à l’activité sexuelle légitime, on peut dire qu’aujourd’hui c'est la sexualité qui est le moteur du couple. Dès lors, la sexualité qui était auparavant un aboutissement (les premiers rapports se faisaient suite au mariage ou peu avant), apparaît, depuis les années 1970, dès les débuts d’un couple. En outre, ce renversement du rapport entre conjugalité et sexualité fait qu’un couple n’est aujourd’hui plus concevable sans activité sexuelle entre les conjoints. En effet si autrefois il n’était ni rare ni problématique de vivre en couple sans activité sexuelle, cette absence serait désormais considérée comme le reflet de problèmes pouvant mener à la séparation du couple.

La sexualité ne peut donc plus être vue comme un détail ; au contraire elle fait partie intégrante de la vie du couple et est un des éléments cruciaux autour duquel les partenaires construisent leur conjugalité. L’entente sexuelle est donc un des éléments nécessaires à la naissance d’un couple mais aussi à sa continuation. En outre, la fidélité qui est une valeur dominante de nos jours, renforce ce besoin d’entente sexuelle dans la mesure où la sexualité doit se réaliser dans le couple. Dans ce domaine, on constate d’ailleurs une évolution auprès des femmes : alors qu’en 1970, une majorité de femmes auraient accepté une relation extra-conjugale de la part de leur époux, en 1992 une majorité de femmes (ayant acquis leur autonomie) considèrent que cela est inacceptable[7]. Cette mise en avant de la fidélité rend davantage nécessaire l’adéquation sexuelle des conjoints qui ne peuvent pas espérer avoir de relations sexuelles ailleurs, sans mettre en péril leur couple.

Il nous semble donc important, pour de futures recherches portant sur le choix du conjoint, d’attacher davantage d’importance au rôle de la sexualité dans la naissance des couples contemporains. En outre, si l’on accorde ce rôle central à la sexualité, il serait également intéressant d’approfondir la question des liens entre les comportements sexuels et les caractéristiques sociales et culturelles des individus. Michel Bozon[8] montre par exemple que le calendrier de l’initiation sexuelle diffère selon les classes sociales ou selon la religion, l’âge au premier rapport étant, par exemple, plus précoce dans les classes populaires. Il suggère également que "les pratiques sexuelles peuvent être en partie analysées comme des pratiques culturelles"[9*]. On pourrait donc analyser les goûts en matière sexuelle comme des goûts culturels et voir dans les affinités sexuelles un indice d’une homogamie culturelle et peut-être sociale. Il serait donc intéressant de creuser plus avant cette composante culturelle des comportements sexuels.

 

4. LA DYNAMIQUE DU COUPLE

Avant de conclure, nous aimerions soulever le problème de la dynamique du couple, dynamique qui est généralement prise en compte dans les enquêtes sur le choix du conjoint, sous l’angle de la difficulté méthodologique qu’elle entraîne. Parmi les couples que nous avons interrogés, nous avons remarqués qu’au moins trois d’entre eux ont évolué pour devenir plus homogames (au moins culturellement) au fil du temps. C'est par exemple le cas du couple de Marie qui nous dit que depuis qu’elle connaît Sébastien, les différences entre eux ce sont atténuées. Marie nous explique que depuis qu’elle est avec Sébastien, elle a évolué, elle a acquis plus de confiance en elle, elle est plus épanouie au niveau culturel et logique et elle ne croit plus en Dieu rejoignant alors Sébastien qui était déjà athée au moment de leur rencontre :

« On a aplanit les différences, si on veut. » et «Franchement depuis que je suis avec lui, j'ai appris autant que pendant toutes mes secondaires je parie, tu vois des trucs, bon qui sont pas forcément utiles quoi, mais ça me fait plaisir parce que j'ai vraiment évolué grâce à lui : quand je revois celle que j’étais, je suis plus la même… et alors aussi, ah oui ça c'est énorme comme changement, du point de vue de la confiance en moi, il m’a vraiment donné confiance en moi, il m’a fait m’accepter quoi, donc vraiment il m’a épanoui si on veut, donc du point de vue culturel et logique, enfin j'ai plus réfléchi et donc c'est notamment en partie grâce à lui et je dis grâce à lui que je ne crois plus en Dieu parce que je m’étais pas posée la question avant » (Marie, 22 ans, entretien)

Fayçal nous explique également que Lucie a quelque peu évolué depuis qu’ils sont ensembles : elle est devenue végétarienne et a arrêté de fumer :

« Elle reste toujours assez fidèle à elle-même, mis à part comment dire, oui elle a adopté enfin elle a compris 2-3 trucs que je faisais comme être végétarien par exemple, …le fait que je la pousse et sa famille aussi pour qu’elle arrête de fumer, y eu cette évolution là » (Fayçal, 28 ans, entretien)

Enfin, Eric nous dit que son amie lui a fait découvrir la danse et qu’il découvre donc grâce à elle "des choses qu’il ne soupçonnait pas en lui" :

« Y a des choses qu’elle me fait découvrir, maintenant on va sûrement aller faire des cours de danse, je me soupçonnais pas avoir, je ne soupçonnais pas que ça pouvait me plaire mais oui effectivement, ça me plait donc voilà, c'est des choses comme ça que je découvre et que je ne soupçonnais pas en moi. » (Eric, 29 ans, entretien)

Nous pouvons tirer deux constats de ces observations. Ces exemples confirment tout d’abord qu’aujourd’hui le couple apparaît bien comme un lieu de révélation de l’identité puisque ces personnes disent avoir évolué et construit petit à petit leur identité "au contact" de leur conjoint. Mais ce que ces extraits nous indiquent surtout, c'est que le couple n’est pas une entité stable. Tout comme les individus qui le composent, le couple change et évolue au fil du temps, le couple a une histoire. Dès lors, un couple hétérogame au début de la relation pourra progresser et devenir homogame quelques temps plus tard, et vice-versa.

Ces observations rejoignent ce que nous suggère François de Singly dans son article critiquant les thèses sur l’homogamie : "les contraintes propres aux exigences de la vie conjugale peuvent produire de l’homogamie ou de l’hétérogamie"[10] or comme nous le dit l’auteur, aucune enquête sur le choix du conjoint et l’homogamie n’a étudié ces possibles modifications.

Ainsi, si nos exemples nous montrent un renforcement de l’homogamie culturelle, François de Singly remarque que bien souvent le mariage et les enfants ont pour effet une mobilité descendante de la femme et une mobilité ascendante de l’homme et que bien souvent des couples homogames d’un point de vue professionnel au début de la vie de couple, deviennent hétérogames plus tard.

Que le couple devienne plus homogame ou plus hétérogame, l’important se situe dans l’évolution du couple : un couple vit et évolue et il serait donc nécessaire d’en tenir compte dans de futures recherches sur l’homogamie.

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[1*] En effet, la plupart des personnes interrogées sont encore en couple ou auraient aimé l’être et pensent en général du bien de leur (ex-)conjoint

[2*] « Manifestement » car il est possible que l’opinion négative des parents ait influé sur la rupture : soit que Lucie en ait tenu compte quasi inconsciemment, soit qu’elle ne puisse l’avouer du fait de la norme d’autonomie dont nous allons parler, ou les deux.

[3] De Singly François, Sociologie de la famille contemporaine , Paris, Nathan, coll. 128, n°37, 1993.

[4] De Singly François, Le soi, le couple et la famille, Paris, Nathan, coll. Essais et Recherches, 1997.

[5] Bozon Michel, Sociologie de la sexualité, Paris, Nathan, coll. 128, n°268, 2002, p. 31.

[6] Ibidem, p. 36.

[7] Ibidem, p. 44.

[8] Ibidem, pp. 78-80.

[9*] Ibidem, p. 79. L’auteur montre par exemple, que la masturbation ou la sexualité orale sont davantage pratiquées dans les couches supérieures de la population.

[10] De Singly François, Théorie critique de l’homogamie , L’année sociologique, n°37, 1997, p. 202.

 

 

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