LE TEMPS DE LA MISE A L'EPREUVE DU COUPLE
Nous avions vu au premier chapitre que le délai qui existait entre la première rencontre et lengagement véritable jouait en quelque sorte comme un troisième filtre. Cette entrée progressive permet, dune part, aux conjoints eux-mêmes de tester leur compatibilité et, dautre part, à la famille dinfluer sur le choix.
Dans ce chapitre nous aborderons ce temps de mise à lépreuve en nous intéressant plus particulièrement à la découverte de lautre, à linfluence de la famille et au rôle particulier quoccupe la sexualité dans cette période de test. Nous terminerons ce chapitre par un point sur lhistoire du couple dans lequel nous parlerons de sa dynamique.
1. LAPPROFONDISSEMENT DES JUGEMENTS
Si la rencontre physique joue un rôle confirmatif, elle ne scelle pas à elle seule le couple. En fait, il apparaît que ce sont les premières rencontres et le début de vie en couple qui permettent aux partenaires de se connaître mieux et de décider de la poursuite ou non de leur couple. C'est pendant cette période (commencée pour la plupart dès les rencontres virtuelles) que les partenaires se découvrent, apprennent davantage lun sur lautre et décident ou non de poursuivre la relation.
Ainsi, plusieurs interviewés nous ont parlé de ce temps de test durant lequel ils restaient prudents. Lhistoire de Marie et Sébastien illustre ce temps "dessai" puisquils envisagent maintenant de se fiancer et de vivre ensemble alors que cela fait trois ans quils se "fréquentent". Ils sont donc sûrs de vouloir vivre ensembles actuellement mais ce nétait pas le cas au début, du moins pour Marie qui a pris quelques mois avant de sinvestir vraiment dans la relation.
C'est le cas également de Taurus qui nous dit que pour le moment il préfère ne pas se précipiter (pour vivre avec son amie) afin de ne pas être déçu après :
« Nous sommes pas encore au stade de vivre ensemble car c'est encore récent et ce n'est pas dans nos caractéres de se précipiter au risque de sombrer dans une "désillusion" qui n'est pas à exclure. » (Taurus, homme, 30 ans, questionnaire)
Les interviewés nous ont ensuite parlé de cette période comme dun temps de découverte de lautre durant lequel ils ont appris à le connaître chaque jour un peu plus. Pour la plupart[1*], cette découverte a renforcé leur jugement positif et leur amour. Ainsi, la phrase de Philou résume assez bien ce que beaucoup nous ont dit :
« Plus je la connais, plus je laime » (Philou, homme, 42 ans, questionnaire)
Eric nous explique quil a appris à connaître son amie et que plus il en apprend, plus il est sûr que c'est elle la femme de sa vie :
« J'ai appris comme elle est réellement et j'ai appris à la connaître et elle a appris à me connaître, j'ai appris, on apprend tous les jours, elle a toujours quelque chose à mapprendre, je changerai plus, voilà c'est elle, pour moi en tout cas pour le moment et jespère que ça continuera, ce sera jespère toujours comme ça, c'est la fille que je cherchais quoi tout ce que je découvre me plaît, je veux dire y a aucun truc chez elle que je voudrais changer » (Eric, 29 ans, entretien)
Enfin, Taurus nous dit que c'est au fil des rencontres quils sont devenus plus complices et tendres :
« Au fil des rencontres, on s'est mieux rapproché. Nous avons communiqué sur nos projets divers et nos aspirations pour le couple sans toutefois parler de nous-même. Au fur et à mesure, complicité et tendresse ont apparu. » (Taurus, homme, 30 ans, questionnaire)
Parmi les personnes interrogées, seul Christophe a été plus critique vis-à-vis de sa partenaire (en pointant notamment la différence de niveau social entre eux) et a dailleurs mis fin à leur relation assez rapidement :
« Mes sentiment se sont etiolé, l'effet de surpise etant passe, au fil du temps, j'ai reussi a faire la difference entre l'aimer d'amour et d'amitie ( ) Nous ne nous sommes pas installe ensemble, mais le sfois ou nous avons passe nois nuits ensemble, ce qui etait le plus choquant etait le contraste de niveau de vie entre elle et moi.» (Christophe, 26 ans, questionnaire)
Les premiers temps des relations de couple sont donc bien loccasion pour chacun de découvrir un peu plus lautre, de le tester et de le juger et denfin décider sil est réellement la personne avec qui lon désire poursuivre une relation.
Nous avons également remarqué que les caractéristiques du conjoint qui étaient évoquées durant cette période étaient à nouveau principalement dordre culturel (projets de vie, goûts et hobbies, valeurs, ) ou psycho-relationnel (peu de dispute, écoute, ). Mais nous remarquons que les personnes interrogées prennent davantage en compte les caractéristiques objectives tels que le niveau social, le niveau détude, lâge ou encore le lieu de résidence, afin de juger leur partenaire à ce moment de la relation. Ainsi, tout comme Christophe qui a été choqué par la différence de niveau de vie (voir ci-dessus), Marie a également eu quelques doutes au début de sa relation avec Sébastien quelle croyait dun niveau social supérieur, ce qui la gênait (cette impression sest effacée par la suite) :
« Quand je lai vu arriver vraiment, avec ses petites lunettes et tout, c'était oui fils à papa ( ) et puis tu vois la Mercedes c'était super technologie pour moi, tu vois jétais jamais rentrée dans une voiture aussi belle ( ) Donc jétais fort impressionnée, il mapparaissait riche aussi tu vois, plus élevé socialement que moi. Je vais dire que pour ça jétais un peu gênée. » et « entre parenthèses la maison enfin c'est une villa quils ont su faire construire grâce au grand-père qui avait fait des magouilles pendant la guerre et donc qui avait eu de largent. Donc la maison ça faisait aussi fort riche donc les premières impressions sont revenues que c'était des riches » (Marie, 22 ans, entretien)
Skate, pour prendre un dernier exemple, a quant à lui été gêné par la différence dâge entre lui et son amie (31 et 43 ans) :
« La différence d'age était un obstacle à mes yeux. » (Skate, homme, 31 ans, questionnaire)
2. LE ROLE LIMITE DE LA FAMILLE
1.1. Entre ce que les parents (ne) disent (pas)
Lorsque nous avons demandé aux personnes interrogées ce que leurs
parents avaient pensé de leur partenaire au début de la relation
et une majorité nous ont dit soit que leurs parents ne leur avaient rien
dit (ou pas grand chose), soit que l'opinion de ceux-ci ne les intéressaient
pas vraiment. Par exemple, Eric et Héléna nous ont répondu
que leurs parents ne leur avaient en tout cas rien dit :
« Ils ont lair de lapprécier ( ) en tout cas ils mont jamais rien dit. » (Eric, 29 ans, entretien)
« Mais bon, elle [ma mère] ne disait pas grand chose sur ce quelle en pensait aussi. » (Helena, 25 ans, questionnaire)
Et Sébastien nous a répondu que de toute façon sa mère navait rien à dire :
« Elle avait rien à dire, enfin je sais pas, de nos jours c'est comme ça quoi. » (Sébastien, 22 ans, entretien)
De la même façon, Philou nous a dit que dune part cela ne concernait pas ses parents et que dautre part il nattachait aucune importance à leur opinion :
« C'est pas leur problème » ou « je men fous complet » (Philou, homme, 42 ans, questionnaire)
Ces réponses nous suggèrent que les parents nont plus le droit de juger (du moins à haute voix) les partenaires de leur enfant. Selon les interviewés, même si les parents le voulaient, "ils nont rien à dire" et ce quils pensent nintéressent de toute façon pas les enfants, ou du moins c'est ce que les personnes interrogées nous disent. Ainsi, lexemple de Lucie, illustre le peu dimportance quaccordent les enfants à lopinion de leurs parents puisque pendant 9 ans elle a vécu avec un garçon qui ne "convenait" pas à ses parents. Malgré les remarques répétitives de ceux-ci, c'est manifestement[2*] de son propre chef quelle a mis fin à la relation.
De nos jours, les parents ne peuvent plus diriger la vie de leurs enfants. Dun rôle déducateurs ou de donneurs de leçons, les parents sont passés à un rôle daccompagnateur. Leur but nest plus "décrire" la vie des enfants à leur place, mais de les aider à mener leur propre vie comme ils lentendent (et surtout en ce qui concerne la vie intime). Ils nont donc pas à juger les conjoints de leurs enfants mais ils doivent simplement respecter le choix de ceux-ci :
« Ils ont eu la réaction typique des parents, c'est-à-dire queux auraient plutôt préféré ça mais ils sont avec toi dans ton choix. » (Fayçal, 28 ans, entretien)
Cette attitude doit être reliée aux évolutions générales de la famille contemporaine. Selon François de Singly[3], deux transformations majeures ont marqué la famille : lautonomisation de la famille par rapport à la parenté et lautonomisation de lindividu par rapport à la famille ; ces transformations entrent elles-mêmes dans une évolution globale de la société contemporaine qui valorise la liberté et lautonomie des individus. Dès lors, le principe le plus important qui régit les relations entre les générations est le principe dindépendance : chacun mène sa vie comme il lentend et les relations entre parents et enfants se déroulent dautant mieux que les premiers ninterviennent pas dans la vie des seconds (sauf si ceux-ci en font la demande). Ceci vaudra dautant plus en ce qui concerne le choix dun conjoint que les individus attachent aujourdhui beaucoup plus dimportance à la famille conjugale.
Nous lavons vu au cours du chapitre précédent, si lautonomie est à ce point valorisée dans la famille contemporaine, c'est parce quelle est vue comme nécessaire à la réalisation de soi, à lépanouissement personnel. Or, la famille actuelle joue un rôle déterminant dans la construction identitaire des individus[4]. C'est pourquoi, les parents (comme les conjoints) ont aujourdhui un rôle de "révélateurs" : par leur affection et les relations quils entretiennent avec leurs enfants, les parents vont aider leurs enfants à découvrir leur identité et vont donc les aider à construire leur vie. Comme lautonomie est désormais une valeur centrale, les parents devront jouer ce rôle en orientant le moins possible leurs enfants mais plutôt en les soutenant et en les aidant à "révéler" ce quils veulent et désirent eux-mêmes (et donc ce quils sont).
Ces différents éléments nous permettent de mieux comprendre cette attitude "silencieuse" des parents actuels : valorisant eux-mêmes lautonomie (et ce même pour les enfants), ils estiment ne pas avoir le droit démettre une opinion surtout si celle-ci soppose au choix de leurs enfants. De plus, en le faisant ils prennent le risque de "perdre" leurs enfants (puisque le couple prime sur les relations de parenté) ou plus simplement de nêtre pas écoutés.
1.2. (
) et ce qu'ils font.
Il faut cependant remarquer que si beaucoup de parents préfèrent
ne pas exprimer haut et fort leur opinion, celle-ci reste parfois décelable
dans leur comportement. En effet, ne rien dire n'équivaut pas à
ne rien penser ! Par exemple, le comportement des parents dEric sest
modifié positivement depuis quil a changé de partenaire.
Il voit dorénavant davantage ses parents ce qui pour lui signifie que
ceux-ci apprécient sa compagne actuelle :
« On a des invitations à dîner, des coups de téléphone, ils viennent ici alors quils venaient jamais. » (Eric, 29 ans, entretien)
Ainsi, si les parents nexpriment généralement pas leur opinion, leur comportement peut être un indice de ce quils pensent. Néanmoins, les enfants navouent pas davantage en tenir compte que dune opinion explicite (il sagit toujours de leur vie) et, au terme de nos observations, il nous est difficile de trancher : est-ce que les enfants nécoutent réellement pas leurs parents ou est-ce plutôt quil est difficile de reconnaître quils tiennent compte de leur opinion (même émise implicitement) à un époque où lautonomie est à ce point mise en avant ?
En effet, comme nous lévoquions ci-dessus à propos de lexemple de Lucie, il est plus que probable que lavis des parents (même sil se manifeste plus dans les gestes quen parole) fasse au moins réfléchir les enfants mais quil nest pas de bon ton de le reconnaître.
1.3. Quand les parents se choisissent un conjoint
A l'époque des familles recomposées, on ne peut limiter l'analyse
à ce que pensent les parents du choix de leurs enfants. Puisqu'il n'est
plus rare de refaire sa vie de famille, il devient courant que ce soient les
parents qui aient à se trouver un nouveau conjoint. Quel est le rôle
des enfants dans ce cas ?
Parmi nos interrogés, seules Cati et Loulou se sont trouvées dans cette situation. Même si leurs enfants étaient jeunes (6 et 11 ans), il semble quils aient quelque peu influencé le choix. Ainsi, Loulou était contente que son fils et son compagnon sentendent, ce qui a dû jouer en faveur de leur relation (même si celle-ci na pas perduré) :
« Mon fils a été sous le charme mon ami aussi. Ils sentendaient à merveille » (Loulou, femme, 38 ans, questionnaire)
Par contre, Cati a été déçue lorsquelle a présenté son fils à son ami et que celui-ci a semblé plus que mal à laise. On peut se demander si cette gêne nest pas en partie responsable de la rupture :
« Le seul point noir a été que mon fils (6 ans) s'est jeté sur lui avec son petit amour à donner et qu'il a paru se recroqueviller sur place, jusqu'à ce que je le rassure en lui disant qu'il était toujours ainsi en présence d'un homme, qui que ce soit. » (Cati, 31 ans, questionnaire)
Il semble que ces mères attachent une grande importance à lopinion de leurs enfants et à lattachement dont ils témoignent pour leurs compagnons ; elles ne semblent pas envisager la vie avec un homme qui ne plairait pas à leur jeune enfant.
En somme, nous ne pouvons à notre époque, ignorer le rôle que peuvent avoir les enfants dans le choix des partenaires de leurs parents. Cependant, comme notre enquête ne nous a pas permis de récolter suffisamment de données à ce sujet, il serait intéressant, dans de futures recherches, de mener une interrogation plus systématique auprès de familles recomposées afin de voir le rôle que peuvent jouer les enfants jeunes et moins jeunes dans le choix du conjoint de leurs parents et si la norme dautonomie vaut autant pour les parents que pour les enfants.
3. LE ROLE DE LA SEXUALITE
Pour en terminer avec la mise à lépreuve, nous allons faire un bref détour par limportance que prend la qualité de la relation sexuelle dans les modalités de mise à lépreuve et donc dans le choix du conjoint. La qualité de la relation sexuelle est mentionnée explicitement et spontanément comme atout dans leur relation ou au contraire comme motif de discordance, à cinq reprises, par les personnes interrogées. Ainsi, lorsque nous avons demandé à Cati ce qui la différenciait de son conjoint, elle nous a répondu que celui-ci avait, contrairement à elle, une vie sexuelle "anormalement vide" :
« J'aime la vie et ses plaisirs et ce, de plus en plus. J'avais l'impression que pour lui, ça n'était pas important. J'avais eu une vie sexuelle assez bien remplie et satisfaisante, lui, c'était anormalement vide. » (Cati, 31 ans, questionnaire)
Dans ce premier exemple, la différence de comportement sexuel aurait donc pu (si la relation avait duré) devenir une source de conflit entre les partenaires. On peut en effet supposer que si au bout dune semaine Cati pointe le peu dattente en matière sexuelle de son conjoint, c'est quelle y attache de limportance pour sa réalisation personnelle et celle de son couple et quelle naurait sans doute pas manqué dattirer lattention de son conjoint sur ce point.
A lopposé, lorsque nous demandons à Philou ce quil apprécie chez sa compagne, il termine sa réponse en mentionnant leur bonne entente "au lit" :
« Elle est vaguement belle, intelligente, gentille, adorable, avec du caractére. Et pour couronner le tout, on s'entend bien dans un lit. » (Philou, homme, 42 ans, questionnaire)
La sexualité est donc à nouveau mentionnée mais ici dune manière positive. La bonne entente sexuelle des partenaires est clairement évoquée comme une des raisons pour lesquelles Philou apprécie "de plus en plus" sa compagne.
Ces deux exemples illustrent donc le rôle que peut jouer lentente ou la mésentente sexuelle des partenaires dans la formation du couple et plus particulièrement dans la mise à lépreuve du couple naissant. Ce nouveau rôle de la sexualité dans le choix dun conjoint doit être comprise en lien avec la nouvelle place quoccupe la sexualité dans la construction du soi et de la conjugalité : "La sexualité apparaît désormais comme une expérience personnelle, fondamentale dans la construction du sujet, au cur dun domaine qui sest développé et a pris un poids considérable au fil des siècles, la sphère de lintimité et de laffectivité."[5]
Ainsi, pour Michel Bozon ce qui fait la spécificité du couple contemporain, ce nest pas seulement la référence constante à lamour ou encore la mise en avant des intérêts individuels de chacun des partenaires mais c'est aussi "le rôle inédit que la sexualité assume désormais dans la constitution puis dans lentretien de la relation conjugale."[6] En fait, nous avons assisté à un renversement de rapport entre sexualité et conjugalité : alors quauparavant c'était le mariage qui donnait droit à lactivité sexuelle légitime, on peut dire quaujourdhui c'est la sexualité qui est le moteur du couple. Dès lors, la sexualité qui était auparavant un aboutissement (les premiers rapports se faisaient suite au mariage ou peu avant), apparaît, depuis les années 1970, dès les débuts dun couple. En outre, ce renversement du rapport entre conjugalité et sexualité fait quun couple nest aujourdhui plus concevable sans activité sexuelle entre les conjoints. En effet si autrefois il nétait ni rare ni problématique de vivre en couple sans activité sexuelle, cette absence serait désormais considérée comme le reflet de problèmes pouvant mener à la séparation du couple.
La sexualité ne peut donc plus être vue comme un détail ; au contraire elle fait partie intégrante de la vie du couple et est un des éléments cruciaux autour duquel les partenaires construisent leur conjugalité. Lentente sexuelle est donc un des éléments nécessaires à la naissance dun couple mais aussi à sa continuation. En outre, la fidélité qui est une valeur dominante de nos jours, renforce ce besoin dentente sexuelle dans la mesure où la sexualité doit se réaliser dans le couple. Dans ce domaine, on constate dailleurs une évolution auprès des femmes : alors quen 1970, une majorité de femmes auraient accepté une relation extra-conjugale de la part de leur époux, en 1992 une majorité de femmes (ayant acquis leur autonomie) considèrent que cela est inacceptable[7]. Cette mise en avant de la fidélité rend davantage nécessaire ladéquation sexuelle des conjoints qui ne peuvent pas espérer avoir de relations sexuelles ailleurs, sans mettre en péril leur couple.
Il nous semble donc important, pour de futures recherches portant sur le choix du conjoint, dattacher davantage dimportance au rôle de la sexualité dans la naissance des couples contemporains. En outre, si lon accorde ce rôle central à la sexualité, il serait également intéressant dapprofondir la question des liens entre les comportements sexuels et les caractéristiques sociales et culturelles des individus. Michel Bozon[8] montre par exemple que le calendrier de linitiation sexuelle diffère selon les classes sociales ou selon la religion, lâge au premier rapport étant, par exemple, plus précoce dans les classes populaires. Il suggère également que "les pratiques sexuelles peuvent être en partie analysées comme des pratiques culturelles"[9*]. On pourrait donc analyser les goûts en matière sexuelle comme des goûts culturels et voir dans les affinités sexuelles un indice dune homogamie culturelle et peut-être sociale. Il serait donc intéressant de creuser plus avant cette composante culturelle des comportements sexuels.
4. LA DYNAMIQUE DU COUPLE
Avant de conclure, nous aimerions soulever le problème de la dynamique du couple, dynamique qui est généralement prise en compte dans les enquêtes sur le choix du conjoint, sous langle de la difficulté méthodologique quelle entraîne. Parmi les couples que nous avons interrogés, nous avons remarqués quau moins trois dentre eux ont évolué pour devenir plus homogames (au moins culturellement) au fil du temps. C'est par exemple le cas du couple de Marie qui nous dit que depuis quelle connaît Sébastien, les différences entre eux ce sont atténuées. Marie nous explique que depuis quelle est avec Sébastien, elle a évolué, elle a acquis plus de confiance en elle, elle est plus épanouie au niveau culturel et logique et elle ne croit plus en Dieu rejoignant alors Sébastien qui était déjà athée au moment de leur rencontre :
« On a aplanit les différences, si on veut. » et «Franchement depuis que je suis avec lui, j'ai appris autant que pendant toutes mes secondaires je parie, tu vois des trucs, bon qui sont pas forcément utiles quoi, mais ça me fait plaisir parce que j'ai vraiment évolué grâce à lui : quand je revois celle que jétais, je suis plus la même et alors aussi, ah oui ça c'est énorme comme changement, du point de vue de la confiance en moi, il ma vraiment donné confiance en moi, il ma fait maccepter quoi, donc vraiment il ma épanoui si on veut, donc du point de vue culturel et logique, enfin j'ai plus réfléchi et donc c'est notamment en partie grâce à lui et je dis grâce à lui que je ne crois plus en Dieu parce que je métais pas posée la question avant » (Marie, 22 ans, entretien)
Fayçal nous explique également que Lucie a quelque peu évolué depuis quils sont ensembles : elle est devenue végétarienne et a arrêté de fumer :
« Elle reste toujours assez fidèle à elle-même, mis à part comment dire, oui elle a adopté enfin elle a compris 2-3 trucs que je faisais comme être végétarien par exemple, le fait que je la pousse et sa famille aussi pour quelle arrête de fumer, y eu cette évolution là » (Fayçal, 28 ans, entretien)
Enfin, Eric nous dit que son amie lui a fait découvrir la danse et quil découvre donc grâce à elle "des choses quil ne soupçonnait pas en lui" :
« Y a des choses quelle me fait découvrir, maintenant on va sûrement aller faire des cours de danse, je me soupçonnais pas avoir, je ne soupçonnais pas que ça pouvait me plaire mais oui effectivement, ça me plait donc voilà, c'est des choses comme ça que je découvre et que je ne soupçonnais pas en moi. » (Eric, 29 ans, entretien)
Nous pouvons tirer deux constats de ces observations. Ces exemples confirment tout dabord quaujourdhui le couple apparaît bien comme un lieu de révélation de lidentité puisque ces personnes disent avoir évolué et construit petit à petit leur identité "au contact" de leur conjoint. Mais ce que ces extraits nous indiquent surtout, c'est que le couple nest pas une entité stable. Tout comme les individus qui le composent, le couple change et évolue au fil du temps, le couple a une histoire. Dès lors, un couple hétérogame au début de la relation pourra progresser et devenir homogame quelques temps plus tard, et vice-versa.
Ces observations rejoignent ce que nous suggère François de Singly dans son article critiquant les thèses sur lhomogamie : "les contraintes propres aux exigences de la vie conjugale peuvent produire de lhomogamie ou de lhétérogamie"[10] or comme nous le dit lauteur, aucune enquête sur le choix du conjoint et lhomogamie na étudié ces possibles modifications.
Ainsi, si nos exemples nous montrent un renforcement de lhomogamie culturelle, François de Singly remarque que bien souvent le mariage et les enfants ont pour effet une mobilité descendante de la femme et une mobilité ascendante de lhomme et que bien souvent des couples homogames dun point de vue professionnel au début de la vie de couple, deviennent hétérogames plus tard.
Que le couple devienne plus homogame ou plus hétérogame, limportant se situe dans lévolution du couple : un couple vit et évolue et il serait donc nécessaire den tenir compte dans de futures recherches sur lhomogamie.
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[1*] En effet, la plupart des personnes interrogées sont encore en couple ou auraient aimé lêtre et pensent en général du bien de leur (ex-)conjoint
[2*] « Manifestement » car il est possible que lopinion négative des parents ait influé sur la rupture : soit que Lucie en ait tenu compte quasi inconsciemment, soit quelle ne puisse lavouer du fait de la norme dautonomie dont nous allons parler, ou les deux.
[3] De Singly François, Sociologie de la famille contemporaine , Paris, Nathan, coll. 128, n°37, 1993.
[4] De Singly François, Le soi, le couple et la famille, Paris, Nathan, coll. Essais et Recherches, 1997.
[5] Bozon Michel, Sociologie de la sexualité, Paris, Nathan, coll. 128, n°268, 2002, p. 31.
[9*] Ibidem, p. 79. Lauteur montre par exemple, que la masturbation ou la sexualité orale sont davantage pratiquées dans les couches supérieures de la population.
[10] De Singly François, Théorie critique de lhomogamie , Lannée sociologique, n°37, 1997, p. 202.