L'intérêt de cet article est avant tout récapitulatif et doit servir à positionner une fois pour toutes des choses pour le moins flottantes en rapport avec la toute petite partie émergée en France (Ndlr: et au Québec) de l'énorme iceberg que représente le phénomène Perry Rhodan en Allemagne.
Quelques données historiques
Lorsque la parution de Perry Rhodan démarre en France en 1966, l'original allemand a déjà 5 ans d'existence et donc plus de 230 numéros puisque la publication des fascicules est hebdomadaire. Il faut rajouter à cela, depuis 1964, un livre de poche dit Roman planétaire par mois dont le contenu est une aventure dans le cadre de Perry Rhodan, illustrant un aspect particulier hors du cours de la série et renforçant donc la place d'un personnage, d'une race ou explicitant tel ou tel événement. Si l'on a à l'esprit que le volume 122 de l'édition française (juillet 1996) présente les épisodes des fascicules 269 et 270 (fin 1966), alors qu'en Allemagne on avait atteint le 1840 avec, en parallèle, plus de 400 Romans Planétaires, le déséquilibre est vite élucidé. Ce n'est pas notre propos de tenter de savoir pourquoi la France, via le Fleuve Noir, n'a pas mordu comme, par exemple, les Pays-Bas ou même le Japon; il faut tout de même garder ce retard en mémoire.
L'édition française de Perry Rhodan ne va partir ni des fascicules, ni, à plus fortes raisons, des Romans Planétaires lisibles de façon autonome. Elle va se baser sur de gros volumes reliés, couverture forte cartonnée et papier épais, appelés Livres de Prêt et spécialement destinés aux bibliothèques: un véhicule culturel qui existe dans le domaine de la littérature populaire allemande déjà depuis de très nombreuses années. Les éditeurs spécialisés sont en l'occurrence les maison Widukind et Balowa. Les Leihbücher présentent un contenu différent de celui des fascicules: condensé, avec des suppressions notables, et l'évacuation de certains épisodes. Peut-être l'homogénéité de l'ensemble, la cohérence sont-elles meilleures... La première traductrice pour le conte du Fleuve, Jacqueline H. Osterrath, va s'en tenir strictement à ces Livres de Prêt du no1, Opération Astrée, au no22, L'Amiral d'Arkonis, janvier 1973. Le résultat est bon, on ne remarque pas le moins du monde les manques.
À partir du no23, Le Sérum de survie, juillet 1973, la version française s'écarte du strict contenu des « Livres de Prêt » et se met à intégrer toujours davantage de fascicules. Il est quasi-impossible de discerner à quel moment exact l'abandon définitif des « Leihbücher » a eu lieu - quelque part entre les romans français no27 et 67, c'est-à-dire entre mai 1974 et janvier 1985. Le no68 sera la traduction des épisodes 153 et 154 et cela coïncide avec le passage sans retour aux fascicules: le no67 a en effet épuisé le fonds des 56 « Livres de Prêt » produits par les éditeurs spécialisés. À signaler que ces « Leihbücher » devenus rarissimes s'arrachent aujourd'hui en Allemagne à prix d'or...
Avantage de la technique du brassage des sources utilisées pour l'élaboration de la version française de Perry Rhodan, l'homogénéité plus grande: ainsi, les deux premiers romans de William Voltz, mettant en scène les Métamorphes, paraîtront chez nous ensemble. Inconvénient: certains épisodes essentiels sont écartés, comme ceux des fascicules 99 et 120. La mort de l'Arkonide Krest restera pour le lecteur francophone une énigme, et la découverte de la planéte Mécanica se fera par magie dans notre no52 - on y arrivera sans savoir comment elle a été trouvé! Le filtrage n'est pas toujours aussi neutre: l'épisode allemand 204, auquel les francophones n'auront pas droit, apportait les premiers éléments lourds de sens et d'implications futures à propos des Maîtres Insulaires par le biais d'une créature vivante, capable de communiquer d'une certaine façon - et point sous la forme de documents écrits muets. Regrettable.
Des autres éditions repérées (2e, « Marabout Poche 2000 » 3e, « Fleuve Noir Perry Rhodan » début des 1980; et 4e, « Fleuve Noir Perry Rhodan » à partir de 1989), il y a peu à dire en-dehors des différences d'apparence. On peut toutefois penser que l'édition 4 fait l'objet de quelques remaniements de temps à autre, avec par exemple des exclamations de Reginald Bull sortant tout droit de la prose de Seabury Quinn (« Par la barbe d'un petit bouc vert! », voir le vol.4, Bases sur Vénus). La couverture cite invariablement les auteurs Scheer et Darlton, pas un seul autre... Les vieux lecteurs des années 70-80 ont dû voir qu'ils n'étaient pas les responsables exclusifs de la série: titres originaux et noms des auteurs figuraient alors en page 6 et l'on voyait apparaître Kurt Mahr, Kurt Brand ou William Voltz. Pour le passé récent: le no87, mai 1990, présentait le premier épisode dû à un nouvel auteur, H.G. Ewers. Nous sommes heureux de vous l'apprendre 6 ans après!
Citons d'abord ceux qu''il faut nommer par politesse, et qui sont à oublier au plus vite: Ferdinand Piesen, pire encore, Chris Emmensberger... Bourreaux stylistiques de la série, pourrait-on dire. Quand l'astucieux Franc-Passeur, ce marchand galactique retors, devient un SAUTEUR (traduction littérale du SPRINGER allemand), le reste du travail atteint des abîmes intergalactiques. Ni l'un ni l'autre n'ont exécuté longtemps leur sale métier, des personnalités comme Jacqueline H. Osterrath ou Marie-Jo Dubourg ont repris le flambeau et bien vite restauré la qualité d'origine - la Qualité Osterrath, pourrait-on dire.
Car l'éditrice de Lunatique avait su, dès le début, trouver le style et le vocabulaire qui convenaient à une version française satisfaisante de Perry Rhodan - et il aurait fallu qu''elle laisse un lexique à ses successeurs. Sens et tonalité parfaits donnaient à son travail un pattern unique qui devait quelque peu se perdre avec ses adieux définitifs en 1980. Marie-Jo Dubourg, qui la remplace de 1981 à la fin de
1988, fera presque aussi bien. Depuis 1989, trois traducteurs-adaptateurs se sont encore succédé: Ulrike Klotz-Eiglier pour les 5 parutions de 1989, puis en alternance avec Jean-Marc Oisel en 1990-1991, cédant la place à A.J. Thalberg de décembre 1991 à janvier 1997. Le jugement n'est pas négatif, bien au contraire, mais il manque avant tout le petit souci du détail et le sens global de l'homogénéité pour ce qui concerne en
premier lieu le vocabulaire technique. Ce sont toujours les mêmes et éternelles difficultés.
Commentaires libres
La partie de la série que le lecteur francophone découvre actuellement est le cycle dit des « Maîtres Insulaires », qui occupe les fascicules 200 à 299 de l'édition allemande. Une tranche de deux ans au rythme hebdomadaire, mais qui va durer entre 8 et 10 ans au cours ralenti du Fleuve. La perte en ligne est énorme et l'impression de piétinement difficile à supporter. De plus, insistons encore une fois sur le décalage temporel: c'est du Perry Rhodan vieux de 30 ans que nous lisons comme nouvelles parutions! Difficile d'admettre dans ces conditions l'auto- satisfaction dont témoigne le no100 paru en novembre 1994, « Spécial Anniversaire », dans un supplément qui ferait se tordre de rire tout lecteur allemand de moins de 15 ans... Il est certain que les informations divulguées sur l'historique de la série ne risquent pas de soulever les foules car rien ne leur est dit sur la vraie réalité du phénomène, ni sur son ampleur actuelle. À part Scheer et Darlton, les deux inséparables, personne d'autre parmi les auteurs n'est cité - on ne parle que du rédacteur de l'époque, Kurt Bernhard, responsable d'édition et coordinateur de la série. Une occasion ratée qui n'est un tant soit peu sauvée que par la chronologie récapitulative, intéressante, dans laquelle tous les événements connus du lecteur francophone sont repositionnés.
Guy Roger, l'illustrateur, réussit très bien les vaisseaux extraordinaires, mais a bien du mal avec les personnages humains, figés et puérils - et manque complètement avec une loutre ou otarie à
queue plate qui se voulait mulot-castor... L'Émir n'échappe pas à la folie de l'anniversaire.
Ce sera le mot de la fin: depuis 1961, toutes les couvertures des fascicules ont été assurées avec un talent parfois inégal par Johannes Bruck (Ndlr: toutes celles précédant son décès, évidemment) et, en Allemagne, elles contribuent largement à l'unité du phénomène Perry Rhodan. Bruck a su donner sa vraie apparence à l'Émir, cher à Clark Darlton, ou à rendre les Maaks aussi inquiétants que celui de Guy Roger paraît insignifiant (no102). Dans les progrès que nous avons …àfaire si nous voulons finir nos vies en meilleurs rhodanistes, incluons aussi la récupération des covers d'origine: elles en valent la peine.