Présidentielles

Sommaire

Des dossiers éthiques qui embarrassent

Un pays lent à se réformer. Bloqué?

Chirac-Jospin: blanc bonnet et bonnet blanc?

Les dossiers des présidentielles i

Intégration-cohabitation

Un pays malade de son centralisme

Quelle place pour la France dans le monde?

Des dossiers éthiques qui embarrassent
BERNARD DELATTRE - Mis en ligne le 08/04/2002
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Sixième volet de notre série consacrée aux dossiers sur lesquels la présidentielle va se jouer

CORRESPONDANT PERMANENT À PARIS

Jusqu'à récemment, dans leur campagne, la plupart des candidats à l'Elysée avaient bien pris soin de ne pas évoquer la question des drogues douces - dossier sensible s'il en est. Une petite phrase de Lionel Jospin précipita toutefois le débat. `Fumer un joint chez soi est certainement moins dangereux que boire de l'alcool avant de conduire´, lâcha le Premier ministre. Ses propos firent sensation, venant qui plus est d'un homme notoirement mal à l'aise sur le sujet. Du coup, surpris lui-même par leur écho, Jospin en minimisa la portée, précisant qu'il était `moins dangereux de boire de l'alcool chez soi que de fumer un joint avant de prendre le volant´. Et de répéter son opposition au `signal permissif´ que constituerait une dépénalisation du cannabis.

Sur ce point, Jospin est à l'unisson avec l'opinion: on compte en France deux fois plus d'opposants (66 pc) que de partisans (32 pc) à la dépénalisation du cannabis. Mais parmi ces derniers, figurent une majorité de jeunes, qui veulent sortir de `l'hypocrisie´ actuelle. Officiellement, la loi de 1970 sur les stupéfiants punit tout usage de drogue de peines de prison et de fortes amendes. Mais en 1999, les parquets ont reçu instruction de ne pas poursuivre les simples usagers de drogues douces agissant dans le cadre privé. Cette dépénalisation de facto - et à géométrie variable selon les ressorts judiciaires - n'empêche toutefois pas que 100.000 arrestations aient lieu chaque année pour consommation de drogue et que 200 personnes dorment en prison pour usage de stupéfiants.

Après avoir longuement consulté, Chirac s'est opposé lui aussi à toute dépénalisation, assimilée à une `banalisation´ de la drogue.

EUTHANASIE: LA MEME PRUDENCE

La plupart des candidats sont sur la même longueur d'ondes, hormis le Vert Mamère et la radicale Taubira (qui prônent une `dépénalisation encadrée´ ), le libéral Madelin (qui veut un débat sur la question mais n'est guère suivi par ses troupes) et le trotskiste Besancenot (qui préconise même la dépénalisation des drogues dures) - sa corréligionnaire Laguiller condamnant tout `paradis artificiel´. Que se passera-t-il après les élections? Le ministre de la Santé Bernard Kouchner a promis un débat sur la question si la gauche remportait les présidentielles et les législatives.

Ce débat risque d'être aussi houleux que celui sur l'euthanasie. Ici aussi, c'est le flou artistico-juridique. L'euthanasie est pratiquée dans les hôpitaux mais elle est toujours interdite par le code pénal, qui l'assimile soit à un homicide, soit à de la non-assistance à personne en danger. Dernièrement, Kouchner a suscité l'émoi en admettant l'avoir pratiquée quand il était médecin. Mais le ministre souffle le chaud et le froid sur l'opportunité d'une législation en la matière et les différents candidats à l'Elysée sont très prudents voire muets sur la question. La France seule échappera-t-elle à un débat qui a eu lieu ou se profile dans tous les pays voisins? C'est la question.

Un débat que l'on ne mènera sans doute pas, en revanche, c'est celui sur l'homoparentalité. Chirac et Jospin en tête - mais le PS, en tant que parti, juge le contraire...- , la plupart des candidats (hormis, ici encore, l'écologiste Mamère) refusent l'octroi aux couples homosexuels du droit à l'adoption. Ils ont d'ailleurs soupiré d'aise lorsque, récemment, la Cour européenne a refusé de condamner la France pour discrimination sur cette question. À de rares exceptions - l'ex-UDF Christine Boutin, qui en a fait son fond de commerce, ou l'extrême droite -, ce refus ne s'accompagne toutefois pas d'une remise en cause du Pacte civil de solidarité (Pacs). La droite, pourtant, avait accablé ce `sous-mariage gay´ lors de son vote à l'Assemblée nationale, à l'issue du débat le plus animé du septennat. Mais depuis, le Pacs est devenu populaire dans l'opinion, et il n'a pas empêché une explosion du nombre des mariages. Du coup, c'est la volte-face. Même le Président-candidat s'est choisi pour porte-parole de campagne la seule députée de droite ayant voté le Pacs: Roselyne Bachelot.

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Un pays lent à se réformer. Bloqué?
BERNARD DELATTRE - Mis en ligne le 09/04/2002

Septième volet de notre série consacrée aux dossiers sur lesquels la présidentielle va se jouer

CORRESPONDANT PERMANENT À PARIS

D'importantes réformes ont été mises en oeuvre en France lors du septennat écoulé: les 35 heures, l'armée de métier, le quinquennat, la parité, le Pacs, etc. De là à en déduire que la France est en chantier permanent, il y a un pas. Ainsi, le libéral Alain Madelin a recensé rien moins que 26 réformes de la santé, 8 réformes de l'Etat, 15 réformes de l'Education et 12 réformes des retraites à avoir échoué ces 25 dernières années! Si la réforme des retraites, dernière en date à avoir été reportée par Jospin, a d'ailleurs autant alimenté la campagne, c'est parce qu'on sait que ce dossier est suffisamment miné pour `faire tomber cinq ou six gouvernements´ - dixit Rocard - et qu'il empoisonnera la vie du prochain Président.

Un autre vaste chantier auquel peu de dirigeants ont osé s'attaquer est celui de la réforme de la fonction publique. Pourtant, avec 5,6 millions de fonctionnaires, la France est le pays d'Europe qui compte le plus de fonctionnaires par tête d'habitant. Près de la moitié (42 pc) du budget de l'Etat français va à la seule fonction publique, qui occupe 25 pc de la population active (13,2 pc en moyenne dans les autres pays du G 7). La machine étatique est tellement lourde que, l'autre jour, le ministre compétent eut cet aveu: `L'Etat ne sait pas suffisamment précisément combien il y a de fonctionnaires et où ils se trouvent´...

La plupart des tentatives pour dégraisser la fonction publique ont échoué. Trois personnes s'en souviennent bien. Christian Sautter, d'abord. L'ex-ministre de l'Economie s'attaqua vainement à la citadelle des Finances, autre exception française puisqu'on y trouve deux administrations fiscales: une qui calcule l'impôt, une autre qui le collecte. C'est pourquoi la France ne prélève pas l'impôt à la source: cela rendrait inutiles des milliers de fonctionnaires.

PEU DE PROJETS TRÈS NOVATEURS

Claude Allègre, ensuite. L'ex-ministre de l'Education, orfèvre en maladresses il est vrai, n'est jamais parvenu à réformer en profondeur son `mammouth´. L'animal, pourtant, coûte cher - 23 pc du budget national, record européen - et il ne marche pas toujours bien, à en juger les classements de l'OCDE. Surtout, il ne bouge guère: vient encore de le rappeler l'échec de la tentative de supprimer les cours du samedi. Alain Madelin, enfin, que Juppé éjecta manu militari de son gouvernement après qu'il eut envisagé de toucher aux privilèges de la retraite des fonctionnaires.

En 1995, le même Juppé essaya de rationaliser le système de soins de santé: fierté nationale française mais qui se paie au prix fort (6 pc de croissance des dépenses l'an) et s'appuie sur une monumentale bureaucratie - il faut souvent des mois pour obtenir un remboursement de soins, des millions d'attestations étant en attente. Un rapport récent a encore rappelé que, faute de `réforme profonde´, ce système ne survivrait pas après 2010. Pendant la campagne, cependant, peu de candidats ont plaidé pour sa responsabilisation. Alors qu'il s'agit d'un des derniers en Europe à fonctionner largement sur le modèle de la liberté totale (peu de freins à la surconsommation, peu d'encadrement de la prescription, etc.). Alors aussi qu'il constitue un gouffre empêchant de rencontrer les besoins existant par ailleurs (généralistes, encadrement hospitalier, etc.).

En général, d'ailleurs, à l'une ou l'autre exception près (le libéral Madelin, à nouveau), la plupart des candidats à l'Elysée ont été assez flous sur leurs projets de réforme et en sont prudemment restés au constat quasi unanime (communistes et trotskistes exceptés) selon lequel la machine étatique est effectivement trop lourde, trop coûteuse et trop compliquée. La volonté de `moins d'Etat, mieux d'Etat´ s'est illustrée aussi dans des propositions visant à limiter le nombre de ministères, à simplifier les formalités administratives ou à mieux répartir les effectifs, afin de renforcer certains postes (police, justice, etc.).

Qu'adviendra-t-il de ces promesses? L'électeur, en tout cas, est partagé. Il juge que Lionel Jospin - ce `réformiste honteux´ décrié jadis par la syndicaliste Nicole Notat - est le plus apte à réformer le pays sur les terrains économique et social. Mais il fait plus confiance à Jacques Chirac pour les réformes institutionnelles et celles concernant les départements d'autorité.

© La Libre Belgique 2002

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Chirac-Jospin: blanc bonnet et bonnet blanc?
PAR MICHEL ALLÉ (*) - Mis en ligne le 12/04/2002

Dans trois semaines, un des trois plus grands pays de l'Union européenne aura élu son président. Pour beaucoup, les deux principaux prétendants français sont, en matière économique, deux frères siamois.

CHRONIQUE

Dans trois semaines à peine, un des trois plus grands pays de l'Union européenne aura élu son nouveau président. Tout comme l'élection des dirigeants allemands ou britanniques, le choix que feront les Français influencera l'avenir de tous les Européens pour la décennie à venir. Il suffit pour s'en convaincre de se rappeler le rôle déterminant que joua François Mitterrand dans l'ouverture du grand marché intérieur, en 1992, et dans la création de l'euro au tournant du millénaire.

De nombreux observateurs et beaucoup d'électeurs français semblent aujourd'hui croire que les programmes économiques des deux principaux prétendants sont ceux de frères siamois qui, à force d'une longue cohabitation en seraient venus à s'habiller l'un d'un blanc bonnet et l'autre d'un bonnet blanc.

Une rapide lecture de `l'engagement´ de l'un et `des engagements´ de l'autre conforte ce sentiment. Baisse d'impôts, réduction du chômage, protection des retraites... Un étrange sentiment de déjà vu s'installe pour le lecteur qui passe de l'un à l'autre.

L'économiste ne peut alors s'empêcher de vouloir aller plus avant et de décortiquer les engagements de Jacques Chirac et Lionel Jospin à la lumière des enjeux essentiels auxquels l'Europe est aujourd'hui confrontée, des choix difficiles qu'ils imposent et des ambitions que peuvent avoir les responsables politiques par rapport à ces enjeux et à ces choix.

Quels enjeux et quelles ambitions? Moderniser les Etats. Nos sociétés européennes, en particulier la France, comme l'Allemagne mais aussi la Belgique, ont des Etats inadaptés aux défis économiques et sociaux contemporains. Rigides, lourds, plus concernés par la survie de leur bureaucratie que par les besoins renouvelés des citoyens en matière de solidarité sociale, de régulation économique, d'éducation et d'environnement.

Moderniser les relations sociales. Les relations sociales françaises illustrent aussi bien des blocages européens entre un patronat rêvant d'un modèle de laisser-faire vieux de deux siècles et des syndicats dont la rigidité a plutôt pour logique de freiner le développement économique et de protéger les privilèges acquis par quelques-uns alors que tous ont à gagner de relations sociales qui libèrent les énergies et promeuvent de nouvelles solidarités.

Permettre aux marchés de mieux fonctionner sans exacerber les inégalités. Nul doute que plus de marché dans l'économie permettra de créer plus de richesse. Mais nul doute aussi que le réveil sera douloureux si ces nouvelles richesses ne profitent qu'à une minorité, comme l'acceptent, voire le revendiquent, les partisans les plus radicaux de l'économie de marché. Et le paradoxe actuel de l'Europe, qui a beaucoup avancé sur le chemin du libéralisme, est qu'il y a aujourd'hui à la fois croissance faible et aggravation des inégalités.

Concilier croissance économique et développement réellement durable. Le monde avance à marche forcée sur un chemin de croissance qui conduit inéluctablement à l'impasse les générations futures sous le double impact de la dégradation de l'environnement et de l'épuisement des ressources non renouvelables. L'Europe n'a pas su dans ce domaine amener les Etats-Unis, le plus riche et le plus égoïste, à plus de clairvoyance ou de raison. Et le temps presse...

Promouvoir une mondialisation dont tous profitent. La même impasse et la même impuissance de l'Europe à convaincre les Etats-Unis à plus de lucidité, caractérisent la difficile recherche d'une mondialisation qui saurait faire profiter tous d'échanges libérés et de mise en commun de ressources et de savoir-faire.

Sous l'éclairage de ces enjeux, les deux programmes apparaissent alors plus différents même s'ils laissent, l'un et l'autre, le lecteur sur sa faim.

Moderniser l'Etat. Absent chez Chirac. Presque absent chez Jospin (`défendre et moderniser les services publics´).

Moderniser les relations sociales. Presque absent chez Chirac (`libérer l'entreprise des carcans dans lesquels l'État l'a enfermée´). Presque absent chez Jospin (`favoriser la négociation sociale´).

Plus de marché sans exacerber les inégalités. Absent chez Chirac (de nouveau `libérer l'entreprise des carcans dans lesquels l'Etat l'a enfermée´). Présence lucide chez Jospin même si l'Etat semble toujours devoir être le moteur de la croissance.

Développement durable. Court slogan chez Chirac, sans contenu concret. Long slogan chez Jospin sans reconnaître toutefois la difficulté des arbitrages à faire pour concilier développement et durabilité.

Mondialisation équitable. Court slogan chez Chirac. Présence lucide chez Jospin même si cette lucidité conduit à de biens modestes objectifs.

Au bilan de Jacques Chirac, un engagement riche de quelques slogans sympathiques, n'abordant pas au fond les blocages de la société française et bien loin des ambitions gaulliennes dont il se réclamait encore lors qu'il fût élu en 1995.

Au bilan de Lionel Jospin, une vision lucide, sauf sur les blocages de la société française, réaliste dans ses analyses et modeste dans ses ambitions.

Leur modestie commune est bien honorable et, à première vue, rassurante car elle témoigne de la lucidité de nos responsables politiques sur l'impact de leurs actions dans le domaine économique.

Elle incite pourtant à les interpeller tous deux sur leur ambition pour l'Europe seul lieu où la politique peut encore peser sur l'économie: ne serait-il pas temps, là, pour les citoyens de retrouver l'ambition d'influencer le cours du monde?

(*) Professeur d'économie et de finance à l'ULB.

© La Libre Belgique 2002


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