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Folies
(Fiction)
Patrick Labelle

Sale besogne. Ramasser les déchets d'un tas de fous. Écoeurant. Chaque jour, il fallait ramasser toutes ces ordures desséchées, collées au plancher. Avec comme résultat un salaire de crève-faim! Mais il fallait qu'il paie ses études. Alors, comme tous les étudiants, il prenait les emplois dont personne ne voulait. Comme ramasser la merde d'un tas de cinglés.

Il mit le masque qui servait à tout le monde et dans lequel on retrouvait parfois des cancrelats, les bottes tachées d'aliments et d'urine, les gants qui commençaient à être rongés par l'acide, et il pénétra dans ce qu'il se plaisait à appeler l'antichambre de l'enfer. Il fit signe à Scott qu'il le remplaçait et se mit à la tâche.

Ils se relayaient à toutes les demi-heures, histoire de laisser le temps à l'autre de fumer une cigarette et de se remettre de l'odeur dégueulasse qui semblait les imprégner jusque dans leurs âmes. De toute façon, ils n'avaient pas le choix car la porte blindée ne pouvait être déverrouillée que de l'extérieur, la surface intérieure de la porte ne possédant pas de poignée. Et ceci parce que avant d'être utilisée comme  chute à déchets,  l'antichambre de l'enfer avait servi de cellule capitonnée.

La chute à déchets n°3, l'antichambre de l'enfer, portait bien son surnom. Les restes des dîners donnés aux malades et les toilettes étaient évacués là. Un conduit vertical dans lequel on mettait les déchets y aboutissait. Ceux-ci descendaient à bonne allure avant de se retrouver dans la salle. Quelques fois les infirmiers prenaient la peine de mettre les détritus dans des sacs et quand ceux-ci étaient pleins, gare à vous lorsqu'ils arrivaient à une vitesse folle dans la pièce. En effet, le conduit bifurquait à sa fin de façon à ce que les déchets arrivent horizontalement à la hauteur d'une tête d'homme. Normalement les déchets étaient supposés n'être expédiés que le soir mais il arrivait souvent que c’était des patients qui faisaient le travail --- surtout le dimanche, comme ce jour-là, où à part Scott et lui, il n'y avait qu'un gardien dans l'établissement --- et ils étaient peu soucieux du règlement. L'étudiant qui avait eu l'emploi avant lui avait été retrouvé par son compagnon de travail la tête fracassée. Cela l'avait toujours obsédé. Il n'était pas capable de travailler vis-à-vis l'ouverture pour les déchets.

Le boulot consistait à ramasser les déchets jonchant le sol et à les entasser dans des sacs à ordures plus solides. Quand les détritus étaient trop collés au plancher ou aux murs, il fallait employer le «816», un acide très fort qui, non dilué, était capable de ronger leurs bottes. Des fois, il fallait s'aider d'un grattoir pour enlever les saletés profondément incrustées. Il comprenait qu'il était dans un assez vieil hôpital et que ce dernier était situé dans ce qu'il considérait la partie la plus campagne  de la ville, mais il n'était pas capable d'imaginer un travail plus sordide, plus dégoûtant. Lorsqu'il sortait le soir, ayant le goût de vomir, il avait envie de crier son dégoût au monde entier.

Il entendit la porte s'ouvrir et il se retourna. Il vit Scott qui lui fit signe que c'était à son tour de poursuivre le nettoyage. La demi-heure de travail était passée rapidement, mais la demi-heure de repos passa plus rapidement encore. De nouveau ce fut à son tour de se remettre au travail. Il y retourna. Il y avait encore la moitié de la pièce à nettoyer. Il commença par ramasser un tas de vomissures qui voisinaient une tomate pourrie. Elle l'était probablement déjà avant d'avoir été offerte aux patients pas assez conscients pour s'en apercevoir, pensa-t-il lugubrement.

Tout à coup, un bruit sourd parvint à ses oreilles. Il se plaqua au mur adjacent à la sortie de la chute à déchets en se couvrant la tête. Le bruit s'intensifia en un crescendo diabolique jusqu'à devenir in- supportable, puis un sac à déchets vert émergea à grande vitesse de la chute pour aller s'écraser en un fracas assourdissant sur le mur d'en face. Sous le choc de l'impact, le sac s'éventra pour répandre son contenu nauséabondes dans tous les directions.

Il demeura abasourdi quelques secondes. Il examina les déchets et il en était encore au stade de rager en pensant à la moitié de la pièce qu'il faudrait nettoyer à nouveau lorsqu'il se figea sur place. Il s'approcha d'un débris qui avait attiré son attention avant de s'arrêter net. Il ne s'était pas trompé. C'était bel et bien une main! Il s'agenouilla et l'examina plus attentivement avec un mélange de dégoût et de fascination. Puis il s'aperçut qu'elle était à moitié rongée. Il n'eut le temps que de dire «Oh mon Dieu!» avant de vomir à côté. Lorsqu'il se fut remis quelque peu de ses émotions, il alla jusqu'à la porte et cogna le plus fort qu'il put pour attirer l'attention de Scott.

Lorsque Scott lui ouvrit la porte, il fut un geste vague en direction du sac à déchets éventré en disant:

- Va voir ça. Je vais tenir la porte ouverte.

Scott se pencha au-dessus du sac puis il revint auprès de lui. Il était  blême et il lui sembla qu'il allait vomir lorsqu'il ouvrit la bouche.

- Mon Dieu! D'où ça semblait tomber?

- D'après la force de l'impact, du cinq ou du sixième étage.

- Nettoie ça pendant que je vais voir avec le gardien ce qui se passe là-haut.

Il s'apprêta à protester mais Scott était déjà sorti. Il se ravisa en songeant à ce que pourrait découvrir Scott. Il n'était pas sans ignorer que les pires cas étaient soignés au sixième niveau mais il n'avait jamais entendu parler de cas de mutilations ou de cannibalisme. Il sentit un long frisson le parcourir en y songeant.

Il ramasse la main à l'aide de son grattoir et il la porta dans le sac qu'il avait commencé à remplir. Dès que ce fut fait, il vomit à nouveau.

C'est pourquoi il n'entendit pas tout d'abord le bruit. Un bruit d'abord tout faible puis prenant de l'ampleur de plus en plus. Il perçut le son que lorsque ce dernier atteignit un niveau assez élevé. Il se leva brutalement et pendant un instant il demeura figé, croyant sa dernière heure venue, s'attendant chaque instant à ce que le sac de déchets émerge devant lui et vienne le percuter. Puis à la toute dernière seconde il se réveilla et il se jeta sur le côté, évitant de justesse le projectile mortel qui passa au-dessus de lui avant d'aller s'écraser sur le mur d'en face, répandant subitement son contenu un peu partout.

Alors il courut à la porte et il frappa.

Il frappa et il hurla.

Mais il n'y avait personne de l'autre côté de la porte.

Personne à part les fous qui, après les avoir coupées, avaient envoyé les deux choses qui étaient tombées près de lui.

Les deux choses rondes.

 

© copyright, Patrick Labelle & Carfax.
Parution: Carfax #2, été 1984.

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