L’album collectif signé Tannred, Cabillaud, Aragorn, Sacha, Wilhelm, Konk, Ignace, Miège, Chard, soit des p’tits jeunes pas du genre à changer leur fusain d’épaule, et des vieux de la vieille qui n’ont plus rien à prouver, s’appelle : Les petits Mickey en bottes de saut (Present du 19 novembre).

On peut lire, à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme : « Tout individu a droit à la liberté d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété dans ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontière, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »

On a encore le droit — mais il faut en profiter car ça ne durera pas — de lire ce texte et de rigoler. N’empêche qu’on ne saurait trop conseiller à ces petits Mickey en botte de saut de l’apprendre par cœur pour pouvoir s’en réclamer. Au cas où…

Dans cette époque molle où le « politiquement correct » s’abat durement sur tous ceux dont les oreilles — de Mickey par exemple… — dépassent un peu trop, je ne suis pas sûr que cet album, qui pratique la salutaire vertu d’insolence, sera accueilli sans problème par les « flics de la pensée ».

On nous vante à longueur de pages et d’articles les dessins bien comme il faut, très recadrés, très aseptisés des Plantu, Cabu et autres Wilhem (qui fait dans Libération), comme le comble de l’audace. Signe des temps… Vous qui n’êtes pas dupes — la preuve, vous avez acheté cet album — savez que ceux-là et d’autres qui ont les faveurs de la « grosse presse » ont surtout les marques du collier autour du cou. Et qu’ils font là où on leur dit de faire.

Nos Mickey en bottes de saut, eux, tiennent plus du loup maigre que du chien gras. Et d’abord parce qu’ils ne sont jamais invités aux festins des maîtres et qu’ils s’en portent bien. Cette « frugalité » a cet avantage qu’elle délie leur esprit et leur talent. Libres dessinateurs, ils desssinent librement. Leurs traits sont des flèches. Leurs mots sont des traits. Et ils ne ratent jamais les cibles.

De Tannred (qui signe « Le Docteur en sociologie » et « Réunion funeste ») à Cabillaud (qui nous propose des « Fables charmantes ») en passant par Sacha (illustrateur talentueux de « Scythia ») — pour ne prendre que quelques exemples, on sent que ces gaillards n’ont peur que d’une chose : que le Ciel leur tombe sur la tête. Les chiens de garde du capital, les Frères-la-Gratouille, les dinosaures du marxisme-léninisme et ses rejetons, sont leur gibier ordinaire. Et ils ne se privent pas de les traquer. Mais, à la différence des dessinateurs officiels d’une-démocratie-comme-la-nôtre, ils ne sont jamais haineux. Ils ne louent ni ne blâment : ils racontent. Et comme un petit dessin vaut mieux qu’un long discours, ils en disent des choses en quelques planches !

Ecoutez par exemple la pintade de l’histoire intitulée : « Les Renards dans le poulailler » occupée à piailler sa tolérance : « Il y a suffisamment d’espace dans notre poulailler pour accueillir de nouveaux animaux. Nous pouvons très bien accepter une famille de renards et cohabiter avec elle. Ce sera un enrichissement pour tous. Le mélange d’animaux différents est source de richesses. Regardez : nous cohabitons bien entre chapons, dindons et pintades. Pourquoi rejeter le renard ? C’est un vertébré à sang chaud comme nous. Seul le pelage est différent. Peut-on rejeter un animal au seul motif qu’il ne porte pas de plumes ? Vive la diversité ! » On s’y croiraitdans le genre les heures-les-plus-sombres -de-basse-cour, non ?

Mais assez de mots et place aux desseins — pardon, aux dessins — de cette vaillante phalange unie comme… les doigts de la main. Cet album n’est pas de « bon ton » ? Non. Il n’a pas « bon chic, bon genre » ? Non. Et c’est tant mieux. Car il a quelque chose qui compte beaucoup plus : une « patte », une « French Touch », un punch qui conviennent aux temps que nous autres Français vivons.