L'histoire contemporaine semble en avoir terminé avec le
cas de Paolo Uccello, du moins provisoirement.
Après Berenson, Longhi, Pope-Hennessy, la conclusion s'impose
: Uccello est un peintre "énigmatique",
et les nombreuses questions que soulève son uvre resteront
sans doute sans réponse. Il y a cinq siècles,
Vasari, son seul biographe remarquait déjà chez le
personnage des bizarreries, des négligences, des obsessions, mais
il estimait qu'il méritait de figurer parmi les plus «
eccellentissimi » créateurs de son temps.
Les cubistes, puis les surréalistes, l'adoraient ; son succès
s'étend aujourd'hui à un très large public.
Alors que les uns essaient de sonder les mystères de sa création,
les autres y trouvent un plaisir esthétique immédiat, sans
problèmes apparents d'interprétation. La peinture d'Uccello
est un sujet riche à tous points de vue, et contradictoire aussi
: elle ne se séparera jamais vraiment de la tradition dont elle
est issue, celle des primitifs florentins, tout en y intégrant une
foule impressionnante d'innovations plastiques dans des paramètres
aussi fondamentaux que la lumière, le mouvement et la maîtrise
de l'espace. Uccello connaissait le traité d'Alberti sur la perspective,
mais pas celui de Piero Della Francesca, plus complet et plus opérationnel
aussi.
Le Mazocchio, qu'il peint souvent, et dont il a si bien étudié
l'incidence de la lumière sur les facettes,
est-il une préfiguration de Vasarely ? Le dédoublement
des personnages, des cavaliers et des lances qui synthétisent le
temps et le mouvement en une image unique et figée, n'est-il pas,
déjà une anticipation
des expériences de Marey ou de Muybridge ? Et cette rumeur
persistante, qui voudrait qu'Uccello ait conçu
le premier tableau abstrait, et dont on ne retrouve jamais la source
exacte ?
Entouré de mythes et de spéculations, le cycle des
Batailles est une forteresse d'hypothèses.
Il faut une certaine audace et beaucoup de détermination
pour s'attaquer à un sujet d'une telle complexité,
mais avant tout, une méthode. Dans son mémoire, Annabel
Vergne aborde "le cas Uccello" comme un détective privé
et discret qui, sans mandat ni commission rogatoire, va déterrer
un vieux dossier classé, pour tester la validité de ses pièces,
pour ouvrir de nouvelles pistes, dont la plupart révéleront
des éléments surprenants,
parfois inédits, parce que perçus par l'œil et la
sensibilité du plasticien et scénographe,
qui d'ailleurs ne prétend nullement parvenir à une
théorie globalisante.
Romano Prada, juin 1996. |