LE SCANDALE DU MONDIAL 2006
(écrit en juillet 2000)
Le choix de la FIFA
Dans sa session du 6 juillet 2000, le Comité exécutif de la FIFA a confié à l'Allemagne
l'organisation de la phase finale du Mondial 2006. Ce résultat a été acquis par 12 voix sur 24,
tandis que 11 voix se portaient sur l'Afrique du Sud et qu'un délégué - le néo-zélandais Charles
Dempsey - s'abstenait de voter.
Un vote d'autant plus surprenant que personne ne doutait du succès de l'Afrique du Sud.
En effet, de 1930 à 1998, la Coupe du Monde de football s'est toujours déroulée soit en Europe
(9 fois) soit en Amérique (7 fois); en 2002, elle sera disputée en Asie. En termes de morale et
de justice, c'était donc au tour du continent africain d'accueillir le football mondial. L'Afrique du
Sud remplit pleinement les conditions nécessaires à l'organisation d'un tel tournoi: infrastructure,
expérience, niveau sportif.
En outre, le Président de la FIFA, le Suisse Joseph Blatter, a toujours manifesté son soutien
à l'Afrique du Sud, cette prise de position lui ayant même valu d'être élu à la tête de
l'Organisation en 1998.
Le vote
A l'origine, cinq pays (Brésil, Afrique du Sud, Maroc, Allemagne, Angleterre) avaient fait acte
de candidature, puis le Brésil s'est désisté en faveur de l'Afrique du Sud quelques jours avant le
vote. Au premier tour de scrutin, l'Allemagne a recueilli 10 voix, l'Afrique du Sud 6, l'Angleterre
5 et le Maroc 3. Le Maroc se trouvant alors automatiquement éliminé, le deuxième tour a donné les
résultats suivants: Allemagne 11 voix, Afrique du Sud 11 voix, Angleterre 2 voix. Après
l'élimination de l'Angleterre, le troisième et dernier tour s'est donc soldé par la victoire
allemande (voir plus haut).
Bien que le scrutin se soit déroulé à bulletins secrets, on croit savoir - et personne n'a démenti
la chose - que les 12 voix recueillies par l'Allemagne lui viennent des 8 délégués européens
et des 4 représentants de l'Asie. Les 11 votes sud-africains se répartissent ainsi: Amérique
6 voix, Afrique 4 voix, Blatter 1 voix.
Les réactions en Allemagne
Comme on pouvait s'y attendre, elles ont été enthousiastes. Deux semaines après l'affligeante
débâcle du football allemand à l'Euro 2000 (élimination dès le premier tour) et
l'impitoyable chasse aux "responsables" qui a suivi l'effondrement, le pays refait surface.
La Grosse Fussball-Nation
jubile. Franz Beckenbauer, le prétendu "artisan de la victoire", est hissé au rang de héros
national.
Les medias se déchaînent. Des journaux dits sérieux oublient toute mesure. Le
quotidien économique Handelsblatt n'hésite pas à titrer: "L'Allemagne remporte le Mondial" (sic).
Les journaux "expliquent" à leurs lecteurs que l'Allemagne avait les meilleurs arguments et
que l'Afrique du Sud, synonyme de crime et de SIDA, ne pouvait pas l'emporter - comme si les
agressions et les crimes racistes n'avaient pas lieu quotidiennement dans cette Allemagne
"nouvelle" (surtout à l'Est) et comme si la maladie s'arrêtait aux frontières.
Il faut reconnaître cependant que les journalistes allemands ne font pas tous dans le chauvinisme à
outrance. Des voix se sont élevées avant le 6 juillet - dans le quotidien berlinois
Tagesspiegel par exemple - pour demander que la Fête du Foot de 2006 soit confiée à
l'Afrique du Sud. Mais elles restent l'exception qui confirme la règle. D'autres, sur le ton
de la plaisanterie, soulignent que l'attribution du Mondial à l'Allemagne a le mérite d'épargner au onze
germanique la très douloureuse et très aléatoire procédure de qualification.
Quoi qu'il en soit, l'écrasante majorité de la population allemande croit au bien-fondé et à la
régularité du vote de la FIFA.
Qu'est-ce au juste que la FIFA?
C'est une association de droit helvétique dont le siège se trouve à Zurich. Elle regroupe 203
fédérations nationales organisées au sein de six confédérations continentales. Le Congrès
(Parlement) de la FIFA désigne tous les quatre ans un Comité exécutif (Gouvernement) de 24 membres
ainsi qu'un Président. Au moment du vote du 6 juillet 2000, la composition du Comité exécutif
était la suivante:
- 9 délégués européens (UEFA), dont le Président Blatter
- 3 délégués nord-américains (CONCACAF)
- 3 délégués sud-américains (CONMEBOL-C.S.F.)
- 4 délégués africains (CAF)
- 4 délégués asiatiques (AFC)
- 1 délégué océanien (OFC)
On voit donc que l'UEFA est surreprésentée au sein de la FIFA. Quel que soit le
critère de comparaison (nombre de fédérations nationales, de clubs, de licenciés...), le poids
excessif de l'Europe est flagrant. Il s'exerce au détriment des
continents ayant une tradition footballistique plus récente. En l'an 2000, il est injustifié
et injustifiable. Une démocratisation, plus que jamais nécessaire, s'avère pourtant impossible
car elle exigerait une modification des statuts (Constitution) de la FIFA, impliquant une
majorité de 75 %.
De quels pays viennent les délégués, qui sont-ils?
- UEFA: Suisse (Blatter, Président de la FIFA), Suède (Johansson, Président de l'UEFA), Italie,
Ecosse, Belgique, Norvège, Turquie, Espagne, Malte
- CONCACAF: Trinité-&-Tobago (Warner, Président de la CONCACAF),
USA (Blazer, Secrétaire général de la CONCACAF), Costa-Rica
- CONMEBOL: Paraguay (Leóz, Président de la CONMEBOL), Brésil, Argentine
- CAF: Cameroun (Hayatou, Président de la CAF), Tunisie, Botswana, Mali
- AFC: Corée du Sud (Chung), Arabie Saoudite, Qatar, Thaïlande
- OFC: Nouvelle-Zélande (Dempsey)
Quand ils ne sont pas dirigeants de leur confédération, les membres du Comité exécutif président
leur fédération nationale respective. Parfois ils cumulent ces fonctions -
on n'est jamais si bien servi que par soi-même.
Le délégué écossais, lui, représente les arbitres.
Le rôle de l'UEFA
Si l'UEFA a un poids décisif au sein la FIFA, l'organisation européenne est elle-même dominée
par l'Allemagne et son tout-puissant DFB. Bien que le football allemand ne représente plus
grand-chose aujourd'hui au niveau international, ses dirigeants et fonctionnaires
(Braun, Aigner, Mayer-Vorfelder...) font la pluie et le beau temps sur les rives du lac Léman
(l'UEFA a son siège à Nyon).
Ils contrôlent ou influencent une quarantaine de fédérations (sur 51), en particulier celles
des petits pays, des états scandinaves et des nouveaux venus de l'Europe de l'Est - "aide au
développement" oblige. Ainsi aucune décision importante ne se prend sans le DFB, et encore moins contre lui.
Le Comité exécutif de l'UEFA compte 7 membres: un Allemand (Gerhard
Mayer-Vorfelder), un Norvégien, un Hollandais, un Cypriote, un Maltais, un Anglais et un
Français (Claude Simonet).
Faire basculer l'Asie
A la FIFA, le lobby pro-germanique pouvait, en dernière instance, compter sur la loyauté de tous les
délégués européens (excepté Blatter). Il lui fallait donc capter ou neutraliser les voix
de 5 autres représentants pour s'assurer la majorité absolue, puisqu'en cas
d'égalité (12:12), la voix du président est prépondérante.
Les quatre pays asiatiques offraient les meilleures chances de succès.
Le délégué coréen, Chung
Mong-Joon a un compte à régler avec Joseph Blatter dont il brigue le poste.
Le Suisse étant un adversaire déclaré de la candidature allemande, c'est l'adage "les
ennemis de mes ennemis sont mes amis" qui a joué. Pour faciliter les choses, le chancelier fédéral
allemand s'est massivement engagé afin de faire aboutir un joint venture germano-coréen entre
les groupes DaimlerChrysler et Hyundai - affaire très prometteuse pour les Coréens (il faut savoir que
le groupe Hyundai se trouve aux mains de la famille Chung).
L'enjeu est donc considérable: il ne s'agit pas là de quelques billets glissés dans une enveloppe
- le milliardaire Chung n'en a nul bessoin - mais bien de corruption à grande échelle et au plus haut
niveau.
Quant aux trois autres pays, ils étaient a priori peu enclins à suivre les recommandations de
Joseph Blatter à qui ils reprochent d'avoir manqué de solidarité à leur égard en 1999, lorsque
l'AFC a revendiqué pour l'Asie une place supplémentaire au tournoi de 2002,
à savoir 5 qualifiés fermes au lieu de 4. (Finalement, elle n'en a obtenu que 4 1/2.)
Vis-à-vis de ces pays, les "arguments" économiques et financiers du candidat allemand ne manquaient
pas. La Thaïlande est une proie facile, reconnaissante envers quiconque l'aide à surmonter les
difficultés qui l'accablent depuis quelques années. Qatar et l'Arabie Saoudite sont sans doute
plus sensibles à des livraisons de matériel militaire sophistiqué - ce qui, bien
entendu, n'exclut pas contrats lucratifs et petits cadeaux personnels. Al Dabal, riche
homme d'affaires saoudien et membre du Comité exécutif de la FIFA, doit être bien placé
pour le savoir.
Pour ce qui est du chef du gouvernement allemand, il maîtrise d'ailleurs à la perfection l'art de la persuasion
sonnante et trébuchante. Une semaine à peine après l'affaire de la FIFA, il a su convaincre
plusieurs de ses adversaires politiques lors d'un vote décisif du Bundesrat sur la
réforme fiscale qui lui tient à coeur. Le prix du ralliement, entre autres choses: la
rénovation complète, aux frais de l'Etat fédéral, du stade olympique de Berlin où, précisément,
doit se jouer la finale de la Coupe 2006. Un symbole...
Le cas Dempsey
Le Néo-Zélandais avait reçu de sa confédération un mandat impératif: voter pour l'Angleterre
tant que celle-ci serait en lice, puis reporter sa voix sur l'Afrique du Sud. Prétextant des pressions
et des menaces dont il aurait été l'objet (de la part de qui?), Dempsey s'est abstenu au
moment décisif. On
connaît le résultat. Confronté à un torrent de protestations, l'homme par qui est venu le scandale,
a dû présenter sa démission. On ne saura sans doute jamais quel profit il a tiré de cette
ignominie. Quoi qu'il en soit, la biographie du personnage éclaire quelque peu son comportement.
Dempsey (78 ans, né en Ecosse) s'est toujours senti très proche de l'Europe. Une amitié de
longue date le lie à Lennart Johansson, la marionnette suédoise que le DFB a placée à la tête
de l'UEFA. La petite-fille de Dempsey, Anne King, travaille d'ailleurs pour l'organisation
européenne, tandis que sa mère - la fille de Charles Dempsey - est Secrétaire Générale de l'OFC.
(Ce n'est pas seulement en Syrie et en Corée du Nord que les fonctions importantes sont
héréditaires.)
Depuis des décennies, Dempsey joue un rôle important au sein de la fédération néo-zélandaise et
de l'OFC - dont il est le président depuis 1982. Dans les années 60, alors que l'apartheid
sévissait en Afrique du Sud, l'homme était opposé à toute sanction contre le régime raciste,
une équipe white only étant sans doute plus à son goût.
Une révision est-elle possible?
L'Afrique du Sud a annoncé qu'elle envisageait d'intenter une action en justice afin d'obtenir
un nouveau vote. Diverses autres voix se sont élevées dans le même sens, en Nouvelle-Zélande
notamment, où l'on estime que le scrutin n'est pas valide puisque l'OFC n'a pas eu l'occasion
d'exprimer son choix. En Afrique même, certains ont exigé un boycott du Mondial 2006 ou un
arrêt du tournoi de qualification pour la Coupe 2002.
Il ne semble pas cependant que mouvement de protestation ait beaucoup de chances d'aboutir.
La résistance reste assez molle et ne dépasse guère le stade de l'agitation verbale.
Tandis que l'homme de la rue à Johannesbourg fustige les voleurs de la "THIEFA", ses porte-parole
le consolent en lui faisant signer une pétition revendiquant le Mondial... pour 2010.
Bien que n'ayant rien obtenu, l'Afrique aurait-elle quelque chose à perdre?
Blatter, quant à lui, ne remet pas le vote en question, au contraire. Qui l'a vu
et entendu annoncer la victoire allemande le 6 juillet à Zurich ("And the winner is...
Deutschland !"), n'a pu croire un instant que le Président de la FIFA était disposé à s'engager
plus avant. Sa stratégie reposait entièrement sur le Mondial sud-africain. Après son échec, il
n'ignore pas que ses chances de réélection sont pratiquement nulles et refuse de se lancer
dans un conflit à l'issue incertaine.
D'autres délégués ayant soutenu l'Afrique ne semblent pas non plus très surpris ou déçus par
le résultat du vote. L'Argentin Grondonna a si chaleureusement félicité Beckenbauer du
succès allemand qu'on éprouve quelque difficulté à croire qu'il s'est prononcé contre lui.
Quoi qu'il en soit, l'enjeu financier de la Coupe du Monde est trop considérable pour que
quiconque soit a priori à l'abri de la tentation. Ce qui vaut pour le Comité Olympique
International vaut aussi pour les organes dirigeants du football international. Atlanta,
Salt Lake City, Munich: même combat, même chanson...
P.S.
Janvier 2002: on efface tout et on recommence.
Dix-huit mois après sa quasi-faillite, Blatter pense qu'il a quelques chances être réélu à la tête de la FIFA. Il annonce
donc aux Africains qu'ils auront le Mondial 2010 - juré, promis, cochon qui s'en dédit. A mourir de rire...
Mai 2002: élections à la présidence de la FIFA. Le Coréen Chung ayant retiré sa candidature, les délégués avaient le choix
entre Blatter et le Camerounais Hayatou. Blatter a été réélu à une large majorité, malgré une campagne de presse et
des intrigues visant à le disqualifier. Mines renfrognées du côté de chez Johansson, qui avait lancé et soutenu le candidat
Hayatou. Le clan DFB semble avoir été lâché par une partie de l'UEFA. A suivre...

www.oocities.org/foot2002mondial/
|