Nouvelle loi relative au système judiciaire, au Conseil supérieur de la Magistrature et au statut des magistrats
Consolidation de la tutelle de l’exécutif et atteinte à la liberté d’association des juges
Le 4 août 2005, le Président Ben Ali a promulgué la loi relative au système judiciaire, au Conseil supérieur de la Magistrature et au statut des magistrats, après son adoption par la chambre des députés le 30 juillet.
Encore une fois, au travers de nouvelles dispositions juridiques et administratives, les autorités tunisiennes démontrent leur obstination à consolider leur tutelle sur le corps des magistrats et à museler toute expression d’indépendance de ses représentants.
Le Conseil National pour les Libertés en Tunisie constate que cette loi, amendant la loi du 14 juillet 1967, s’est concentrée sur les questions disciplinaires et a ignoré les revendications des magistrats à faire reconnaître expressément les garanties dues à leur fonction constitutionnelle, et n’a nullement tenu compte des aspirations sans cesse exprimées par leurs représentants.
Il est déplorable que le texte promulgué le 4 août 2005, formalise la négation aux juges du droit de contester les décisions de l’administration devant une instance judiciaire, droit pourtant reconnu aux citoyens tunisiens. Il nie le droit des juges à interjeter recours des sanctions disciplinaires auprès du Tribunal administratif - pourtant retenu par un premier projet - et le restreint à une requête adressée à une "commission des recours" issue du même Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui a prononcé la mesure (introduction d'un art 60 bis et amendement des art 55, 60 et 61). De même, la possibilité de contester les mesures de mutation arrêtées par le CSM est dorénavant du ressort d’une autre structure dépendant de la même instance (amendement de l'art 14.).
Dans de nombreux documents, les représentants des juges tunisiens avaient appelé à consacrer, par un dispositif précis, le principe de l’inamovibilité du juge. L’AMT avait surtout souligné, dans un mémorandum adressé aux autorités de tutelle le 31 mai 2005, l’urgence de réformer profondément le conseil supérieur de la magistrature (CSM), condition nodale pour l’institution d’un pouvoir judiciaire indépendant, en consacrant le principe du choix de la majorité de ses membres par voie d’élections.
Cette intransigeance des autorités tunisiennes a été aussi exprimée par de graves mesures de représailles ciblant des membres actifs de l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT), « coupables » d’avoir renouvelé leur attachement aux structures légitimes, au moment où elles résistaient à une manœuvre de déstabilisation fomentée par les caciques du pouvoir.
Au lendemain de l’adoption de la loi, le 1er août, une série de mutations disciplinaires ont ciblé les cadres les plus actifs de l’AMT, et particulièrement les femmes juges membres du bureau (4 sur 5 selon un communiqué du bureau). C’est ainsi que Mme Kalthoum Kennou, SG de l’AMT, a été mutée à Kairouan, (160 km de Tunis) et Mme Wassila Kaabi, membre du bureau, mutée à Gabès (420 km de Tunis) ; 15 membres de la commission administrative (sur un total de 38) ont été affectés dans de nouvelles juridictions de façon à leur faire perdre leur qualité représentative dans l’Association, provocant ainsi des vacances dans la composition de la CA ; 9 magistrats membres de la CA ont été mutés dans des provinces éloignées territorialement de leur juridiction d’origine ou ont été délestés de leurs attributions professionnelles.
Le CNLT qui considère l’indépendance de la justice comme la condition sine qua non d’un Etat de droit, s’inquiète de ces attaques en règle contre le corps de la magistrature, après celle qui a ciblé le barreau et s’interroge sur la bonne foi du discours officiel sur l’Etat de droit.
- Il demande l’abrogation de la nouvelle loi promulguée le 4 août. Il considère que le principe de l’inamovibilité du juge, garantie fondamentale de son indépendance, doit être consacré par la législation et clairement protégé par un dispositif précis.
- Il appelle à la mise en œuvre d’une réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature, favorisant la levée de toute tutelle de l’exécutif et privilégiant la composante élue de la représentation des juges. Il estime urgent de lui assurer les moyens budgétaires et organisationnels propres à garantir une saine gestion de son administration.
- Il condamne avec la plus grande vigueur l’instrumentalisation du mouvement de rotation des juges pour sanctionner leur activité syndicale ou toute manifestation de leur indépendance ; il exige l’annulation des mesures de mutation disciplinaire prises à l’encontre des membres de l’AMT.
- Il dénonce les entraves à l’activité de l’AMT ainsi que les manœuvres de déstabilisation menées à l’instigation du ministère de la Justice.
- Il estime que la voie du dialogue et de la concertation entre l’administration et les représentants élus des juges est la plus appropriée pour assurer une saine résolution des problèmes épineux que connaît la Justice tunisienne.
- Il assure l’AMT, représentée par son bureau élu, de son entière solidarité.
Pour le Conseil,
La porte-parole
Sihem Bensedrine
sbensedrine@cnlt98.org