COMMUNIQUE DE PRESSE
Tunisie : Nouvelles “affaires de terrorisme”, actes de torture et restriction des droits de la défense
L’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) et le Conseil National pour les Libertés en Tunisie (CNLT), membre du réseau SOS-Torture, expriment leur plus vive inquiétude à l’égard de cinq nouvelles affaires judiciaires accusant 50 personnes de terrorisme, ainsi que de la restriction des droits de la défense et des actes de torture à l’encontre de ces personnes.
En effet, cinq nouveaux groupes, où sont impliquées 50 personnes accusées de terrorisme dans le cadre des affaires n° 694, 721, 810, 997 et 998, sont passés devant le juge d’instruction à Tunis. L’instruction de ces affaires a respectivement commencé les 30 avril, 5 mai, 12 mai et 23 juin, 1er juin et 2 juin 2005.
Les personnes accusées sont les suivantes :
- Affaire N° 694 : Mohamed Hmidi, 19 ans, Chouaib Joumni, 21 ans, Fayçal Ellafi, 26 ans, Ghaith Makki, 26 ans, Ezzeddine Abdellaoui, 20 ans, Wajdi Marzouki, 23 ans, Bilal Marzouki, 25 ans, Nizar Hasni, 22 ans, Tahar Bouzidi, 23 ans, Mounir Chraiet, 23 ans, Zied Fakraoui, 29 ans, et Haythem Fakraoui, 23 ans.
- Affaire N° 721 : Nader Ferchichi 24 ans, Mahjoub Zayani 23 ans, Abdelbari Al Ayeb 25 ans,
- Affaire N° 810 : Anis Krifi, Borhan Dridi, Sami Gharbi, Salah Chalghoumi, Ahmed Chabbi, Okba Ennasri, Houcine Ennasri, Hassen Ennasri, Mohamed Ayachi, Tarak Hammami, Sabri Mejri, Ali Ben Salem, Mohamed Zine Eddine, Mohamed Hammami, Yassine Ferchochi, Ridha Yahyaoui et Nizar Mernissi.
- Affaire N° 997 : Karim Belrabi Messoussi, Chouayeb Al Wafi et Zied Ghodhbane.
- Affaire N° 998 : Sami Souissi, Rajeb Nefzi, Mohamed Borni, Salaheddine Habourya, Nabil Rotbi, Seif Errayes, Walid Ben Hassen, Hosni Nasri, Abdelhalim Aroua, Mahfoudh Ayari, Zoubeir Karoui, Maher Chamam, Ghayeth Ghazouani, Anis Rafrafi et Maher Beziouech.
Les avocats des accusés ont déclaré s’être vus refuser un accès direct aux dossiers de leurs clients, et n’être autorisés qu’à prendre connaissance des photocopies de certaines pièces. De surcroît, les procès-verbaux ne font pas état du lieu de l’arrestation, alors que certains inculpés ont déclaré à leurs avocats qui ont pu les visiter en prison qu’au moins dix d’entre eux auraient été livrés par l’Algérie le 16 juin 2005.
Par ailleurs, tous les prévenus qui ont pu rencontrer leurs avocats ont déclaré avoir été soumis à des actes de torture afin de leur faire signer des aveux sur leur appartenance à un groupe terroriste qui préparerait des attentats en Tunisie et à l’étranger. Ainsi, selon les informations reçues, M. Salaheddine Habourya, 30 ans, diplômé des beaux arts, a été détenu dans les locaux de la sûreté de l’Etat du 17 mai au 2 juin 2005 et a subi plusieurs fois le supplice du Palanco (suspension nu à l’aide d’une grue et coups sur les parties sensibles du corps) jusqu’à l’évanouissement. De même, M. Anis Krifi, 25 ans, employé d’une société de transports, a été détenu du 17 au 23 juin 2005 dans les locaux de la sûreté de l’Etat où il a subi divers actes de torture. Il a eu entre autres les côtes fracturées. M. Nader Ferchichi, 24 ans, sans travail, a été arrêté à son domicile à Bizerte le 27 avril 2005 et détenu dans les locaux de la sûreté de l’Etat à Tunis durant dix jours. Il y a subi, après avoir été complètement dévêtu, divers supplices comme le “poulet rôti”, la baignoire, la privation de sommeil et l’aveuglement provoqué par quatre puissants projecteurs durant ses interrogatoires. M. Mahjoub Zayani, 23 ans, étudiant en 4ème année d’informatique, a été arrêté le 23 avril 2005 à Bizerte et détenu par la police politique, avant d’être transféré dans les locaux de la sûreté de l’Etat à Tunis. Il a déclaré avoir subi durant les douze jours de sa détention plusieurs formes de torture telles que l’assourdissement et la privation de sommeil au moyen d’une sonnerie ininterrompue. M. Abdelbari Al Ayeb, 25 ans, géomètre, a été arrêté à Bizerte le 24 avril 2005 puis détenu pendant onze jours dans les locaux de la sûreté de l’Etat à Tunis où il a été frappé, suspendu au plafond par les poignets et les chevilles et soumis au supplice de la baignoire. Les individus qui se sont relayés pour les torturer auraient utilisé les pseudonymes El Hadj, El Bacha, El Ghoul, Sharon.
Ces 50 personnes sont essentiellement accusées sur le fondement des articles 12 (adhésion à ou soutien d’une organisation terroriste), 14 (recrutement ou entraînement de personnes en vue de commettre un acte terroriste sur ou en dehors du territoire tunisien), 15 (infractions terroristes contre un autre Etat), 18 (assistance à des personnes dans le cadre d’infractions terroristes) et 19 (financement de personnes, organisations ou activités en rapport avec des infractions terroristes) de la loi anti-terroriste du 10 décembre 2003.
L’OMCT et le CNLT s’inquiètent de ces pratiques et du fait que les autorités tunisiennes dénient une fois de plus les droits de la défense en ayant recours à la loi antiterroriste en vigueur depuis le 15 décembre 2003. Cette loi liberticide, promulguée le 10 décembre 2003, a institué une justice d’exception qui réduit les garanties des suspects et surtout adopte le principe de la justice préventive. Dans ce cadre, la police politique s’est vue reconnaître des pouvoirs exceptionnels en matière de police judiciaire, étendus à tout le territoire. L’anonymat a été garanti à ses agents, souvent mis en cause pour leur usage systématique de la torture. De plus, les droits de la défense ont été encore plus limités : désormais, se prévaloir du secret professionnel pour l’avocat peut être criminalisé dans les “affaires de terrorisme” (art. 22) et l’accès de la défense au dossier de leurs clients est restreint.
Par ailleurs, pour avoir critiqué dans une tribune les pratiques inhumaines et dégradantes dans les prisons tunisiennes, l’avocat M. Mohamed Abbou, figure éminente du combat pour les droits de l’homme en Tunisie, ancien dirigeant de l’Association des jeunes avocats (AJA), membre du CNLT, et de l’Association internationale pour le soutien des prisonniers politiques (AISSP), emprisonné depuis le 1er mars 2005, a été condamné, en appel, le 10 juin 2005, à trois ans et demi de prison ferme à l’issue d’une parodie de procès, sans interrogatoire ni plaidoiries, et où les observateurs et les avocats ont été évacués de la salle d’audience. Il a entamé le 25 juillet 2005 une grève de la faim pour protester contre cette condamnation inéquitable.
M. Eric Sottas, directeur de l’OMCT, tout en appelant à la libération sans conditions de Me Abbou, et à ce que son intégrité physique et psychologique soit garantie en toutes circonstances, “s’inquiète d’une recrudescence grave de la pratique de la torture quelques mois à peine avant le Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI), qui se tiendra à Tunis en novembre 2005. L’OMCT comme le CNLT avaient appelé les autorités tunisiennes au respect de leurs engagements internationaux à un moment où l’Etat tunisien est l’hôte d’une conférence devant garantir une meilleure liberté de l’information et de l’accès pour tous aux connaissances. L’incapacité du gouvernement de traiter démocratiquement les tensions existantes au sein de la société tunisienne contredit le discours officiel qui se veut tolérant sur le plan religieux et ouvert aux influences des autres cultures”.
Mme Sihem Bensedrine, porte-parole du CNLT, se dit quant à elle “préoccupée par l’encouragement à l’impunité que trouvent les tortionnaires auprès des autorités tunisiennes qui, prenant prétexte du nouveau contexte international de lutte contre le terrorisme, s’estiment déliées de leurs engagements à faire respecter les lois se rapportant à la répression de la torture”. Elle relève également “que dans les cas d’extraditions de ressortissants tunisiens vers leur pays d’origine, certains gouvernements européens se montrent peu respectueux de l’article 3 de la Convention internationale contre la torture et peu regardants sur les garanties préalables à exiger pour l’intégrité physique des personnes extradées”.
Pour plus d’informations, merci de contacter :
CNLT: + 216 71 24 09 07
OMCT : + 41 22 809 49 39