06 Septembre 97 - POLITIQUE

France Télécom : Michel Delebarre préconise l'ouverture du capital

LE premier ministre a confirmé hier après-midi que Michel Delebarre proposait une ouverture du capital de France Télécom pour "lui permettre de rester l'un des tout premiers opérateurs mondiaux de télécommunications". Le député-maire socialiste de Dunkerque, chargé par Lionel Jospin le 17 juillet dernier d'une mission de consultation sur le devenir de l'entreprise publique, s'est rendu à 16 heures à l'Hôtel Matignon pour communiquer le contenu de son rapport.

L'ensemble des organisations syndicales reçues successivement avant la visite du rapporteur chez le premier ministre ont bénéficié de la primeur des grandes orientations préconisées par Michel Delebarre. Ce dernier propose au gouvernement l'ouverture, dans un premier temps, d'un tiers du capital de France Télécom, l'Etat conservant pour l'instant la maîtrise des deux autres tiers. Ces 33% devraient se répartir entre une mise en Bourse (environ 10%) et l'entrée de grands investisseurs institutionnels (Caisse des dépôts, EDF...). Les salariés se verraient réserver 10% de cette tranche, soit 3% du total du capital. Dans un deuxième temps, en 1998, Michel Delebarre avance l'idée d'une augmentation du capital pour permettre l'entrée de partenaires internationaux comme l'Allemand Deutsche Telekom. Le rapporteur se prononce pour un réexamen de la loi de réglementation votée en juin 1996. Sous le précédent gouvernement, la majorité parlementaire de droite avait adopté en juin 1996 une loi déréglementant le secteur des télécommunications dans la perspective de l'ouverture totale à la concurrence qui doit intervenir le 1er janvier 1998. Michel Delebarre propose aussi d'annuler la décision prise l'an passé d'arrêter toute embauche de fonctionnaires à partir de 2002.

Matignon précise dans un communiqué que 'le gouvernement indiquera dans les prochains jours les conclusions qu'il entend adopter au vu des orientations contenues dans ce rapport'. Il est également à noté que le premier ministre 'a été particulièrement sensible à l'approche globale retenue par Michel Delebarre (...) Cette démarche étant de nature à conférer à France Télécom les atouts nécessaires pour affronter les défis du futur'. Le ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, Dominique Strauss-Kahn, qui assistait à la remise du rapport, a indiqué que le gouvernement annoncerait sa décision 'en début de semaine' prochaine.

Les syndicats CGT et SUD, ont exprimé des critiques sévères à l'issue de leur rencontre avec Michel Delebarre, et envisagent des actions et des grèves.


                                                                        18 Septembre 97 - POLITIQUE

France Télécom: débat sur toute la ligne

Peut-on réellement penser qu'une mise sur le marché d'une partie, même minime, du capital de France Télécom conduit inévitablement vers la privatisation?.

Gérard Larcher: La langue française ne sait pas distinguer, au travers du mot privatisation, la possession majoritaire d'un capital par l'Etat et une réelle procédure de privatisation qu'est l'abandon d'une majorité puis, à terme, de la totalité du capital par l'Etat. Pour France Télécom, la loi a prévu de manière très claire que la majorité du capital doit rester entre les mains de l'Etat. C'est la loi qui le dit, ce n'est pas le rapport Delebarre. L'avis du Conseil d'Etat donné en 1993 dit ceci: les missions de service public doivent être clairement affichées et annoncées dans ladite société, et la majorité du capital doit être détenue directement ou indirectement par l'Etat. Nous avons voulu que ce soit directement par l'Etat, en refusant l'idée de faire appel à d'autres partenaires du type Caisse des dépôts. J'insiste donc, ce n'est pas une privatisation, nous avons avancé le mot de 'sociétisation'. Les Allemands, eux, ont programmé une privatisation, ils ont pour cela modifié leur Constitution, leur loi fondamentale. Je crois donc que le mot privatisation n'est pas exact. Et puis, vous savez bien que je fais partie, dans mon mouvement, de ceux qui croient que l'Etat a encore un grand rôle à jouer dans un certain nombre de secteurs. Mais il ne faut pas que l'Etat se conduise avec France Télécom comme il l'a fait avec les AGF, Bull ou Thomson, qu'il ne l'utilise pas comme un tiroir-caisse pour combler les trous. Là, je considère que l'Etat donne le mauvais exemple.

Michel Dauba : L'idée même de privatisation dépasse largement la seule question de la structure de propriété d'une entreprise publique. Nous pensons que si nous voulons sauvegarder le service public - droit d'accès de qualité pour tous, aménagement harmonieux du territoire... -, ce service public doit être mis à l'abri des contraintes engendrées par des forces dominantes dans l'économie à l'échelle nationale, européenne et mondiale. Ces contraintes, même à doses homéopathiques, qu'exercent les marchés financiers de manière générale. A partir du moment où la liberté est laissée à des détenteurs d'actions, ils exigent une rentabilité au moins égale à celle qu'ils trouveraient avec des placements financiers en jouant en Bourse. Donc, je crains que, pour France Télécom, la mise en Bourse d'une partie du capital ne finisse par peser sur les choix stratégiques et les décisions de l'entreprise. Pour nous, le problème n'est pas de savoir si c'est du 51% ou du 49%, mais bien de prémunir le service public contre cette contrainte de rentabilité. La loi dite de réglementation - nous parlons plus volontiers de loi de 'déréglementation' - a mis en face de France Télécom des opérateurs privés. Or, si le service public est pris, d'un côté, par la concurrence d'opérateurs privés, d'un autre, en interne, par des exigences de rentabilité, il y a de fortes chances pour que les affirmations de principe qui visent à préserver le service public s'avèrent peau de chagrin. Robert Hue a été amené, ces derniers jours, à préciser clairement notre position: nous sommes opposés à toute entrée de capitaux privés dans France Télécom.

Gérard larcher : A quelques pourcentages près, ce qui a été décidé par Lionel Jospin, correspond au souhait, peut-être pas du gouvernement Juppé, mais du rapporteur que je fus. Tout d'abord une mise sur le marché qui soit globalement limitée au départ aux capacités du marché. Je crois à l'actionnariat populaire. Nous avons milité pour que le personnel puisse, dans des conditions intéressantes, acquérir des actions de France Télécom. Troisième point: le rapprochement avec Deutsche Telekom. Non pour lui livrer France Télécom. Mais bien parce que nos frontières n'existent plus en matière de télécommunications. Un certain nombre d'alliances se font dans le monde. France Télécom avec Deutsche Telekom, c'est deux fois et demie British Telecom! C'est une fois et demie l'américain ATT. Si on veut défendre quelque part l'exception culturelle européenne et française, c'est par le canal des télécommunications.


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