France Telecom      – Le rôle de la gauche n’est pas de participer à la libéralisation de l’économie.

A Gauche N° 656 11 Septembre 97

C’est avec vigueur que le parti socialiste s’était opposé à la transformation, en 1996, de France Telecom en Société Anonyme ainsi qu’à l’ouverture du capital début 97. Paul Quilès déclarait à l’Assemblée : « Vous ouvrez la voie à la prochaine étape, qui risque fort d’être la privatisation complète ». Une motion de censure était déposée, le Président du groupe et du Parti s’engageant à replacer France Telecom dans le secteur public si la gauche revenait au pouvoir. Lionel Jospin signait la pétition des syndicats contre la privatisation.

  Le retournement soudain du Parti Socialiste est donc loin d’être anodin. C’est ce que nous explique Harlem Désir, Secrétaire National du PS.

Libération : Pourquoi vous opposez-vous à l’ouverture du capital ?

Harlem Désir : Rien ne justifie la poursuite du plan de privatisation d’Alain Juppé. Je renouvelle mon soutien à des personnels en majorité opposés à ce plan, soutien que les socialistes leur apportaient constamment avant ce revirement. France Télécom est une entreprise performante. Son statut public ne l’a empêchée ni de conquérir des marchés, ni de nouer des alliances. L’argument de Michel Delebarre sur la stratégie internationale ne tient pas, puisqu’il dit lui-même qu’il est urgent d’attendre la mise au point d’une stratégie commune avant d’échanger des participations avec Deutsche Telekom ! La vraie raison est budgétaire : on vend l’argenterie pour boucler les fins de mois, et on démantèle des éléments de régulation sociale.

Libération : « Quelles conséquences sociales aurait l’ouverture du capital ? »

Harlem Désir : « Dès que des investisseurs privés vont entrer dans le capital, la gestion sera assujettie à des impératifs de rentabilité immédiate. L’affaire de Vilvorde montre bien que quand l’Etat ouvre le capital, il laisse la gestion aux actionnaires et à la bourse. Les missions de service public considérées comme non rentables seront réduites à la portion congrue. Pour baisser les tarifs des entreprises, on augmentera encore le prix de l'abonnement, qui représente déjà souvent la moitié de la facture des particuliers !

« N'êtes-vous pas isolé au sein du Parti Socialiste ? »

Harlem Désir : Le Parti Socialiste s'était engagé très fortement contre la privatisation, et je crois que de nombreux socialistes n'accepteront pas ce reniement. Le rôle de la gauche n'est pas de participer à la libératisation de l'économie, mais d'impulser un nouvel équilibre entre le secteur public et les marchés. Il s'agit là d'une question emblématique, sur laquelle le Parti Socialiste va être jugé.

Interview de Harlem Désir parue dans Libération du 8 septembre 1997 Propos recueillis par Juliette Bénabent


La  C.G.T                       France Télécom, la chronique d’une privatisation annoncée

Entretien avec Alain Gautheron (CGT  PTT)

Les dessous d’une déréglementation qui n’a rien d’inéluctable. L’occasion d’une réflexion sur le sens du service public et le rôle des fonctionnaires.

Jean-Claude Oliva : Vous dénoncez les menaces de privatisation, de déréglementation qui pèsent sur France Télécom et sur la poste. De quoi s’agit-il au juste ?

Alain Gautheron : Privatiser c’est mettre les actionnaires privés directement aux commandes des services qui étaient publics. Déréglementer, ce n’est pas "  désétatiser "  ou limiter l’édition de règles pour retrouver la "  liberté du marché " , c’est remettre en cause le monopole public et la péréquation tarifaire pour permettre aux multinationales de piller les fragments des réseaux de communication à haute valeur ajoutée.

Jean-Claude Oliva : Quelles seraient les conséquences pour le personnel ?

Alain Gautheron : Aucun doute n’est possible ! Cela signifierait une amplification brutale de tous les aspects nocifs de l’actuelle politique de personnel: suppressions d’emplois, restructurations, mobilités, fermetures de services, abandons d’activités, fusions-concentrations, développement de la précarité, de l’insécurité, de la flexibilité, remise en cause des droits syndicaux, autoritarisme...

C’est parce qu’il sait tout cela que le personnel se bat avec autant d’acharnement. Une fois de plus, le gouvernement compte sur la division et la résignation pour aboutir puisqu’il dit: "  ceux qui le voudraient pourraient rester fonctionnaires.

Il espère que les fonctionnaires, contre le maintien hypothétique de leurs droits, abandonnent à l’arbitraire patronal les contractuels (déjà plus de 120 000) et les futurs recrutés.

Nous ne nous y résignerons jamais. Le combat syndical repose sur la solidarité entre les individus et les générations. Solidarité de lutte qui fait partie de la culture du personnel.

Jean-Claude Oliva : Quelles seraient les conséquences de la privatisation pour les usagers ?

Alain Gautheron : 92% des usagers de France Télécom et 80% de ceux de la poste considèrent que ces services publics fonctionnent bien (sondage SOFRES des 8 et 9 septembre 1995).

Avec la privatisation, les usagers satisfaits deviendraient des clients mécontents, la péréquation tarifaire est un des principes, certes malmené, sur lequel repose le service public. Elle consiste à dissocier le tarif du service de son coût. Elle a, ou pourrait réellement avoir, trois rôles principaux: l’aménagement équilibré du territoire (le tarif du timbre ou du raccordement téléphonique est partout le même); des transferts entre catégories sociales pour contribuer à la solidarité; des transferts dans le temps puisque les usagers d’aujourd’hui financent les services de demain.

Les "  managers "  d’une entreprise privée n’auraient qu’un objectif, la rentabilité financière maximale et le plus vite possible. Avec eux, l’accès aux services serait soumis à la sélection impitoyable par l’argent. Les grandes entreprises, grâce au volume de leurs communications, négocieraient avantageusement les tarifs, les autres, les plus nombreux, les petits consommateurs verraient augmenter leur tarif d’abonnement et des communications locales augmenter.

Quant au développement du réseau c’est l’anarchie qui le guette. La recherche de rentabilité entraînerait une surabondance d’offres dans le centre des grandes villes et sur les axes les reliant, tandis que certaines banlieues et l’espace rural seraient un peu plus abandonnés. L’exclusion aurait de beaux jours devant elle.

Jean-Claude Oliva : Peut-on garder un service public en France quand les autres pays font le choix de la déréglementation et de la privatisation ?

Alain Gautheron : Rien n’est inéluctable. Tout dépend de la capacité des hommes et des femmes à se rassembler et à agir.

A la loi du fric nous opposons la réponse aux besoins. La communication n’est pas une marchandise mais un droit. Ce qu’il faut, ce n’est pas la guerre économique, c’est la coopération entre les peuples respectant l’identité de chacun. Le service public fait partie de notre identité. Il est porteur d’avenir.

Jean-Claude Oliva : Service public d’accord, mais pourquoi monopole ?

Alain Gautheron : C’est une question que nous considérons comme essentielle. Nous lui donnons une bonne place dans l’ouvrage que nous venons de publier.

Aujourd’hui, le monopole de droit se justifie d’abord pour des raisons économiques. Le monopole public garantit ce que les économistes appellent des "  économies d’échelle " : on ne finance pas plusieurs fois des réseaux concurrents, ce qui permet de garantir les péréquations tarifaires et la cohérence nationale de l’offre (un même service offert partout). Car une offre unifiée permet de baisser les coûts et d’offrir des tarifs abordables.

Il permet même des "  économies dites d’envergure " , c’est-à-dire la possibilité d’offrir une gamme élargie de services, car les services rentables financent les services "  moins rentables " .

Le monopole public se justifie ensuite pour des raisons stratégiques, en donnant à chaque nation la maîtrise publique et nationale de ses réseaux de communication. C’est un acteur d’indépendance nationale et même de sécurité pour un peuple.

Enfin, il faut bien réfléchir à l’échelle de la collectivité nationale pour choisir entre disposer de monopoles publics nationaux ou subir la loi de quelques monopoles privés multinationaux. Si la logique déréglementaire se poursuivait à la sauce maastrichienne, il n’y aurait à terme sur la planète entière que quatre ou cinq grands coursiers mondiaux américano-australiens et cinq ou six grands opérateurs de télécoms nord-américains. La domination du globe passerait par ces réseaux privés: les Etats et les gouvernements seraient dominés par ces quelques multinationales.

Le monopole public n’est donc pas "  ringard " , comme s’acharnent à le faire croire les "  Eurocrates "  et le gouvernement, mais il est la condition d’exercice des missions du service public: péréquations tarifaires, aménagement du territoire, maîtrise et cohérence des réseaux. C’est la "  concurrence "  qui est aussi vieille que le capitalisme. La "  concurrence "  libère les forts, le monopole public protège les faibles. Pour que la société d’information bénéficie à tous les usagers, il faut un monopole de droit renforcé.


Pendant ce temps les salariés sont éjectés, mutés, pressés, stressés, redéployés, restructurés, éliminés, par contre, les Kapos et les "chéfaillons" se reproduisent comme des lapins :                                        

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