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Nous sommes arrivés devant un gros bâtiment.
C'est la prison d'Okkala. De la porte du fourgon à la porte d'entrée du
bâtiment, une dizaine de policiers avec des carabines sont enlignés deux pas
deux. Nous sortons à la queue leu leu. A ma droite, un mur très haut avec une
tour où sont postés deux gardiens. C'est impressionnant. Plus près de moi, un
mur grillagé qui se termine par des barbelés. A ma gauche, j'ai le temps de
voir quelques maisons et une ferme. Dans un champ, des prisonniers habillés
de blanc y travaillent. Ils sont surveillés par des gardiens armés. A l'intérieur, nous suivons un long
couloir qui débouche sur une grande salle. Des hommes habillés en civil et
des policiers en uniformes vont et viennent. On sépare notre groupe. Nous
sommes quatre prisonniers dans une cellule. Une heure d'attente et on nous
emmène devant un comptoir. Un policier demande qu'on enlève notre ceinture de
pantalon, bracelet, montre et bagues. Puis, il veut qu'on vide nos poches à
l'envers. Pendant ce temps, un autre policier pose tout un tas de questions:
nom, prénom, adresse... Un prisonnier à qui il a demandé qu'elle était sa
profession, celui-ci a répondu "cambrioleur". On a tous rit. Pas le
policier, qui est demeuré sérieux comme un pape. Quand ce fut fini, nous sommes passés
dans une autre salle où nous avons vu des hommes nus sous des douches. Un
policier a crié “Déshabillez-vous!” On s'est regardés à tour de rôle.
L'indécision se lisait sur nos visages. Quelqu'un a lancé une boutade du genre
“You'd like to see my dick, right?” Puis tous les
prisonniers se sont mis à parler en même temps. Moi, j'ai chanté la chanson
Aline de Christophe. Lorsque j'ai entonné le refrain, “Et j'ai crié, crié
Aline, pour qu'elle revienne...”, j'ai vu le policier se taper le front avec
sa tablette. Alors sont arrivés six policiers en courant. Ils avaient des
matraques dans les mains. On s'est dépêchés de se déshabiller
et se faufiler sous la douche. Fucking douche! Soit que l'eau est trop froide
ou trop chaude. Ceux qui ont un penchant pour le corps de l'homme ont eu beau
se rincer l'oeil. C'est très gênant. Plus tard, on nous remet des
vêtements de couleur bleu. Ce sont une sorte de jeans. On attache le pantalon
avec une corde. Une corde qui n'est pas assez forte pour qu'on se pende avec.
Ils ont pensé à tout. La chemise est tout simplement un long jeans qui
descend jusqu'aux cuisses, avec deux poches larges sur les côtés. Le caleçon?
Eh bien, je me perds dans le mien. J'ai les boules qui se promènent de gauche
à droite et c'est agaçant. Il n'y avait rien à ma taille. Puis on nous dirige vers les
cellules. Le gardien dit qu'à partir de maintenant nos noms n'ont plus
d'importance, que notre nom sera dorénavant celui de notre cellule. Un simple
numéro donc. La mienne, ma cellule, se trouve au quatrième plancher et mon
numéro est le treize. Une cellule pour moi tout seul. Il y a deux petits lits
de fer, l'un posé sur le plancher et l'autre, juste au-dessus et retenu au
mur par deux grosses chaînes. Le luxe, c'est qu'il y a un matelat. Dans
l'instant qui suit mon entrée, on m'apporte des couvertures grises, un
oreiller... et une cuiller à soupe. On me prévient de ne pas la plier, la
briser ou la perdre, sinon je devrai m'en passer et manger avec mes doigts.
Je suis le prisonnier numéro treize. Je suis dans une cellule qui a une
grandeur d'environ quatorze par vingt pieds. Je n'ai pas de lavabo. Par
contre, il y a la toilette et, au mur, la radio. Le son sort par un grillage.
Je ne peux pas changer le poste. Il n'y a pas le bouton du volume. Le seul
bouton existant détermine si je veux ouvrir ou fermer le son. La première journée fut celle de
quelques découvertes. J'ai découvert la cour de récréation avec ses hauts
murs et ses gardiens postés un peu partout... avec des carabines. Des
prisonniers jouent à la balle molle et d'autres au ballon. Ceux que les
sports de ce genre n'intéressent pas font la marche,se prélassent au soleil
ou nourrissent les oiseaux. Dans la soirée, nous avons à nouveau sorti des
cellules pour descendre au sous-sol où il y a une grande salle. On peut y
regarder la télévision, jouer aux cartes ou faire la conversation. Le troisième jour, j'ai reçu de la
visite dans ma cellule. C'est le prêtre de l'Armée du Salut. Il m'a remit
deux paquets de tabac à rouler et du papier de marque Vogue. Mais auparavant,
j'ai dû répondre à des tas de questions du genre “Crois-tu en Dieu?, Vas-tu à
l'église?, Es-tu catholique?” J’ai fait comme d’autres prisonniers et
j’ai menti en lui disant que “Oui, je suis croyant”. Je me demande,
comme ça en passant, si j’avais répondu que je suis athé, est-ce qu’il aurait
repris les paquets de tabac? La vie en cellule n'est pas si pire
que ça quand on se soumet à la discipline qu'on nous impose. Le seul
inconvénient, c'est d'être privé de sa liberté, de ne plus voir les arbres,
les fleurs et les jolies filles. La punition du prisonnier, c'est d'être seul
et n'avoir rien à faire. Le temps est long. Ce n'est donc pas le temps qui
manque pour penser à mille et une choses. Le quatrième jour, j'ai reçu la
visite de Donald. Il m'apporte du tabac... à rouler. Il dit que les visiteurs
n'ont pas le droit d'avoir "de vraies cigarettes toutes faites". Il
me dit aussi que je n'en ai pas pour très longtemps à moisir en dedans et il
me donne des nouvelles du centre-ville. Il n'a pas revu Ann depuis ma
niaiserie de ce soir-là. Il y a moins d'hippies qui fréquentent la
fountain et la rue Granville parce que les policiers sont très actifs à
ramasser tout le monde. Ils font le grand ménage. Les hippies ont maintenant
pris d’assault le parc Stanley. Quant à l'appartement qu'on devait se
trouver, c'est remis à plus tard pour quand je sortirai de prison. Il a fait
la connaissance d'un gars qui vient de Hull et qui s'appelle Denis. Il paraît
que sa femme fait le trottoir et qu'il a des relations du côté de la police.
Lui et Denis vont essayer de me faire sortir d'ici le plus vite possible. Notre conversation dure dix minutes.
Pas plus. Je dois retourner dans ma cellule. Je quitte la petite salle où
Donald et moi venons de converser. On s'envoie la main en guise d'aurevoir. Mais, il n'était pas fou le barbier.
Il a tout de suite compris quand il m'a vu arriver, avec l'eau qui
dégoulinait de partout. Il m'a fait un énorme sourire édenté et il a regardé
ses ciseaux, qu'il faisait sadiquement cliqueter entre ses doigts. Le gardien reste planté debout devant
la porte d'entrée. Il attend. Le barbier me présente la chaise. Je m'asseois.
Je lui dis de ne pas trop m'en enlever. Il répond que ce n'est pas moi qui
donne les ordres. Je ravale ma salive et me tais. Tous les barbiers sont des
bourreaux. Il commence à couper ici et là. Je
n'ose rien dire. C'est lui qui entame la conversation. Il demande ce que j'ai
pu faire pour aboutir ici. Je réponds, sans donner trop de détails. Il dit
qu'une semaine avant il a coupé les cheveux à un jeune hippie qui les avait
jusqu'au bas du dos. Intéressé, je lui demande de me décrire le type. Il me
donne alors la description exacte qui correspond à Ti-Pierre. Ma coupe de cheveux terminée, le
barbier prend un miroir et me montre le derrière de ma tête. “Pas mal du
tout”, que je dis, “mais j'aime mieux comme ils étaient auparavant”. Il
hausse les épaules. Au fond, il s'en fout que j'apprécie ou pas son travail. Je m'apprête à suivre le gardien. Un
son strident se fait entendre. C'est l'heure de la sortie dans la cour. On se
croirait à l'école s'il n'y avait pas les hauts murs et les barreaux pour me
rappeler que je suis en prison. Dans la cour, je ne fais confiance à
personne. Je ne parle que si on m'interpelle. De cette façon, je n'ai pas de
problèmes ni de soucis à me faire. Deux semaines se sont écoulées avant
qu'on ne m'appelle pour passer à nouveau devant un juge. Dans la salle, en attente de passer,
l'interprète est venu me parler à l'écart des autres prisonniers. D'après
lui, mon cas s'arrange et je sortirai probablement aujourd'hui. Je suis très
content. Cela me rassure et je le remercie. On se serre la main et il me
quitte pour d'autres causes à plaidoyer. Mais de quoi j'ai à me plaindre?
Beaucoup de robineux trouveraient que je suis choyé. On me sert trois repas
par jour, je suis à l'abri des intempéries, il y a la télévision le soir, des
films le dimanche après-midi et j'écoute la bonne musique du poste CKLJ-fm.
Causant musique, la station de radio a fait un spécial d'une heure l'autre
jour. C'était avec un certain Jimi Hendrix. Il paraît que c'est un Noir. En
tout cas, ce que j'ai entendu m'a laissé sans voix. Au début de l'émission,
je n'ai pas du tout aimé et je me suis demandé ce que c'était cette
cochonnerie de merde. Puis, lentement, j'ai commencé à apprécier et j'ai
retenu quelques titres: Hey Joe, Foxy Lady, Castles made of sand et The Wind
cry Mary. Quel guitariste! J'ai donc retrouvé ma cellule. Le
soir, je n'avais pas le goût de regarder la télé et je me suis plutôt
intéressé au jeu de cartes que jouaient les prisonniers à une table. C'est
bizarre ce qu'ils font. Ils jouent au poker avec des cure-dents. Chaque
cure-dent représente un certain montant d'argent. Les perdants devront
acquiter leurs dettes en espèces (cigarettes ou autres) ou... en nature. Quand Donald le peut, il me rend
visite. Ce n'est pas facile pour lui puisqu'il n'a pas de voiture et que Burnaby
est assez éloigné de Vancouver quand on fait le trajet en autobus. Il se
débrouille quand même assez bien. Récemment, il est venu me voir en compagnie
de Denis et de sa femme. Il m'a apporté du tabac. Le curé aussi, est venu me
voir pour une seconde fois. J'ai reçu deux livres de lecture en anglais et
que j'ai refilé à un autre prisonnier pour... du tabac. |