grains 17 - accueil


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Nous sommes arrivés devant un gros bâtiment. C'est la prison d'Okkala. De la porte du fourgon à la porte d'entrée du bâtiment, une dizaine de policiers avec des carabines sont enlignés deux pas deux. Nous sortons à la queue leu leu. A ma droite, un mur très haut avec une tour où sont postés deux gardiens. C'est impressionnant. Plus près de moi, un mur grillagé qui se termine par des barbelés. A ma gauche, j'ai le temps de voir quelques maisons et une ferme. Dans un champ, des prisonniers habillés de blanc y travaillent. Ils sont surveillés par des gardiens armés.

A l'intérieur, nous suivons un long couloir qui débouche sur une grande salle. Des hommes habillés en civil et des policiers en uniformes vont et viennent. On sépare notre groupe. Nous sommes quatre prisonniers dans une cellule. Une heure d'attente et on nous emmène devant un comptoir. Un policier demande qu'on enlève notre ceinture de pantalon, bracelet, montre et bagues. Puis, il veut qu'on vide nos poches à l'envers. Pendant ce temps, un autre policier pose tout un tas de questions: nom, prénom, adresse... Un prisonnier à qui il a demandé qu'elle était sa profession, celui-ci a répondu "cambrioleur". On a tous rit. Pas le policier, qui est demeuré sérieux comme un pape.

Quand ce fut fini, nous sommes passés dans une autre salle où nous avons vu des hommes nus sous des douches. Un policier a crié “Déshabillez-vous!” On s'est regardés à tour de rôle. L'indécision se lisait sur nos visages. Quelqu'un a lancé une boutade du genre “You'd like to see my dick, right?” Puis tous les prisonniers se sont mis à parler en même temps. Moi, j'ai chanté la chanson Aline de Christophe. Lorsque j'ai entonné le refrain, “Et j'ai crié, crié Aline, pour qu'elle revienne...”, j'ai vu le policier se taper le front avec sa tablette. Alors sont arrivés six policiers en courant. Ils avaient des matraques dans les mains.

On s'est dépêchés de se déshabiller et se faufiler sous la douche. Fucking douche! Soit que l'eau est trop froide ou trop chaude. Ceux qui ont un penchant pour le corps de l'homme ont eu beau se rincer l'oeil. C'est très gênant.

Plus tard, on nous remet des vêtements de couleur bleu. Ce sont une sorte de jeans. On attache le pantalon avec une corde. Une corde qui n'est pas assez forte pour qu'on se pende avec. Ils ont pensé à tout. La chemise est tout simplement un long jeans qui descend jusqu'aux cuisses, avec deux poches larges sur les côtés. Le caleçon? Eh bien, je me perds dans le mien. J'ai les boules qui se promènent de gauche à droite et c'est agaçant. Il n'y avait rien à ma taille.

Puis on nous dirige vers les cellules. Le gardien dit qu'à partir de maintenant nos noms n'ont plus d'importance, que notre nom sera dorénavant celui de notre cellule. Un simple numéro donc. La mienne, ma cellule, se trouve au quatrième plancher et mon numéro est le treize. Une cellule pour moi tout seul. Il y a deux petits lits de fer, l'un posé sur le plancher et l'autre, juste au-dessus et retenu au mur par deux grosses chaînes. Le luxe, c'est qu'il y a un matelat. Dans l'instant qui suit mon entrée, on m'apporte des couvertures grises, un oreiller... et une cuiller à soupe. On me prévient de ne pas la plier, la briser ou la perdre, sinon je devrai m'en passer et manger avec mes doigts. Je suis le prisonnier numéro treize.

Je suis dans une cellule qui a une grandeur d'environ quatorze par vingt pieds. Je n'ai pas de lavabo. Par contre, il y a la toilette et, au mur, la radio. Le son sort par un grillage. Je ne peux pas changer le poste. Il n'y a pas le bouton du volume. Le seul bouton existant détermine si je veux ouvrir ou fermer le son.

La première journée fut celle de quelques découvertes. J'ai découvert la cour de récréation avec ses hauts murs et ses gardiens postés un peu partout... avec des carabines. Des prisonniers jouent à la balle molle et d'autres au ballon. Ceux que les sports de ce genre n'intéressent pas font la marche,se prélassent au soleil ou nourrissent les oiseaux. Dans la soirée, nous avons à nouveau sorti des cellules pour descendre au sous-sol où il y a une grande salle. On peut y regarder la télévision, jouer aux cartes ou faire la conversation.

Le troisième jour, j'ai reçu de la visite dans ma cellule. C'est le prêtre de l'Armée du Salut. Il m'a remit deux paquets de tabac à rouler et du papier de marque Vogue. Mais auparavant, j'ai dû répondre à des tas de questions du genre “Crois-tu en Dieu?, Vas-tu à l'église?,  Es-tu catholique?” J’ai fait comme d’autres prisonniers et j’ai menti en lui disant  que “Oui, je suis croyant”. Je me demande, comme ça en passant, si j’avais répondu que je suis athé, est-ce qu’il aurait repris les paquets de tabac?

La vie en cellule n'est pas si pire que ça quand on se soumet à la discipline qu'on nous impose. Le seul inconvénient, c'est d'être privé de sa liberté, de ne plus voir les arbres, les fleurs et les jolies filles. La punition du prisonnier, c'est d'être seul et n'avoir rien à faire. Le temps est long. Ce n'est donc pas le temps qui manque pour penser à mille et une choses.

Le quatrième jour, j'ai reçu la visite de Donald. Il m'apporte du tabac... à rouler. Il dit que les visiteurs n'ont pas le droit d'avoir "de vraies cigarettes toutes faites". Il me dit aussi que je n'en ai pas pour très longtemps à moisir en dedans et il me donne des nouvelles du centre-ville. Il n'a pas revu Ann depuis ma niaiserie de ce soir-là. Il y a moins d'hippies qui fréquentent la fountain  et la rue Granville parce que les policiers sont très actifs à ramasser tout le monde. Ils font le grand ménage. Les hippies ont maintenant pris d’assault le parc Stanley. Quant à l'appartement qu'on devait se trouver, c'est remis à plus tard pour quand je sortirai de prison. Il a fait la connaissance d'un gars qui vient de Hull et qui s'appelle Denis. Il paraît que sa femme fait le trottoir et qu'il a des relations du côté de la police. Lui et Denis vont essayer de me faire sortir d'ici le plus vite possible.

Notre conversation dure dix minutes. Pas plus. Je dois retourner dans ma cellule. Je quitte la petite salle où Donald et moi venons de converser. On s'envoie la main en guise d'aurevoir.

La semaine suivante, un gardien est venu me chercher pour aller voir le barbier de la prison. Je redoutais ce moment. Juste avant de l'accompagner, j'ai passé beaucoup d'eau dans mes cheveux et je me suis peigné avec les doigts en ramenant tout ça vers l'arrière... pour que ça paraisse moins long.

Mais, il n'était pas fou le barbier. Il a tout de suite compris quand il m'a vu arriver, avec l'eau qui dégoulinait de partout. Il m'a fait un énorme sourire édenté et il a regardé ses ciseaux, qu'il faisait sadiquement cliqueter entre ses doigts.

Le gardien reste planté debout devant la porte d'entrée. Il attend. Le barbier me présente la chaise. Je m'asseois. Je lui dis de ne pas trop m'en enlever. Il répond que ce n'est pas moi qui donne les ordres. Je ravale ma salive et me tais. Tous les barbiers sont des bourreaux.

Il commence à couper ici et là. Je n'ose rien dire. C'est lui qui entame la conversation. Il demande ce que j'ai pu faire pour aboutir ici. Je réponds, sans donner trop de détails. Il dit qu'une semaine avant il a coupé les cheveux à un jeune hippie qui les avait jusqu'au bas du dos. Intéressé, je lui demande de me décrire le type. Il me donne alors la description exacte qui correspond à Ti-Pierre.

Ma coupe de cheveux terminée, le barbier prend un miroir et me montre le derrière de ma tête. “Pas mal du tout”, que je dis, “mais j'aime mieux comme ils étaient auparavant”. Il hausse les épaules. Au fond, il s'en fout que j'apprécie ou pas son travail.

Je m'apprête à suivre le gardien. Un son strident se fait entendre. C'est l'heure de la sortie dans la cour. On se croirait à l'école s'il n'y avait pas les hauts murs et les barreaux pour me rappeler que je suis en prison. Dans la cour, je ne fais confiance à personne. Je ne parle que si on m'interpelle. De cette façon, je n'ai pas de problèmes ni de soucis à me faire.

Deux semaines se sont écoulées avant qu'on ne m'appelle pour passer à nouveau devant un juge.

Dans la salle, en attente de passer, l'interprète est venu me parler à l'écart des autres prisonniers. D'après lui, mon cas s'arrange et je sortirai probablement aujourd'hui. Je suis très content. Cela me rassure et je le remercie. On se serre la main et il me quitte pour d'autres causes à plaidoyer.

 

J'ai passé devant le juge, lequel dit avoir étudié mon cas. Malgré les belles paroles de mon avocat et interprète, on m'a remis dans le fourgon pour en direction de la prison d'Okkala. Il semblerait que je vais passer Noël en dedans. Saloperie de juge de merde!

Mais de quoi j'ai à me plaindre? Beaucoup de robineux trouveraient que je suis choyé. On me sert trois repas par jour, je suis à l'abri des intempéries, il y a la télévision le soir, des films le dimanche après-midi et j'écoute la bonne musique du poste CKLJ-fm. Causant musique, la station de radio a fait un spécial d'une heure l'autre jour. C'était avec un certain Jimi Hendrix. Il paraît que c'est un Noir. En tout cas, ce que j'ai entendu m'a laissé sans voix. Au début de l'émission, je n'ai pas du tout aimé et je me suis demandé ce que c'était cette cochonnerie de merde. Puis, lentement, j'ai commencé à apprécier et j'ai retenu quelques titres: Hey Joe, Foxy Lady, Castles made of sand et The Wind cry Mary. Quel guitariste!

J'ai donc retrouvé ma cellule. Le soir, je n'avais pas le goût de regarder la télé et je me suis plutôt intéressé au jeu de cartes que jouaient les prisonniers à une table. C'est bizarre ce qu'ils font. Ils jouent au poker avec des cure-dents. Chaque cure-dent représente un certain montant d'argent. Les perdants devront acquiter leurs dettes en espèces (cigarettes ou autres) ou... en nature.

Quand Donald le peut, il me rend visite. Ce n'est pas facile pour lui puisqu'il n'a pas de voiture et que Burnaby est assez éloigné de Vancouver quand on fait le trajet en autobus. Il se débrouille quand même assez bien. Récemment, il est venu me voir en compagnie de Denis et de sa femme. Il m'a apporté du tabac. Le curé aussi, est venu me voir pour une seconde fois. J'ai reçu deux livres de lecture en anglais et que j'ai refilé à un autre prisonnier pour... du tabac.

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