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"Un esprit branché
sur le fantastique, un autodidacte, âme culturelle d'une région,
une communication instantanée avec les poètes, une sensibilité
avant-voureuse, un détecteur de densité : voilà
Henry Lejeune, vieux frère de la côte.
Sa peinture, c'est la recherche à l'état pur, un regard
particulier ..., un phare qui éclaire un horizon de songe, quelque
chose de merveilleusement nocturne ..., la quête d'un homme isolé,
écorché vivant, compagnon permanent de la solitude, un
homme qui ne doit rien à personne, qui a tout tiré de
sa lente et personnelle maturation..."
Julos Beaucarne
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Les anges déchus et les démons,
les lémures et les fées Carabosse qui hantent l'atelier
d'Henry LEJEUNE se livrent depuis des années à de bien
étranges et parfois cruels ébats.
*
Il évoque d'une main qui ne tremble pas une engeance que son
inconscient peuple de monstres et de déités, tout en tarières
et en pointes ; de figures acérées, torturées-torturantes
; d'un bestiaire monstrueux, diabolique. Les mots, les adjectifs surtout,
ne manquent pas pour qualifier les hôtes de ces demeures infernales,
où notre artiste puise à pleines mains.
*
Cependant, pour le peu que j'en ai vu, ses uvres semblent aujourd'hui
plus apaisées : la bogue se fend et laisse voir la peau marron
si douce au toucher. Mais les couleurs et le trait ne changent guère.
L'on retrouve les rouges brûlants, les orangés incandescents,
les violacés et les bleus profonds, les jaunes sulfureux
Et les noirs et les blancs cernent toujours avec assurance des couples
qui s'épousent et s'épuisent en lumineuses fusions.
*
Il promène dans le monde sa longue et paisible silhouette mais
le regard semble ailleurs (une uvre qui s'ébauche ? Un
projet à concrétiser ? Un ami à revoir ?) Sous
son apparence tranquille brûle une fournaise, un athanor, car
Henry est plus alchimiste que nécromancien. Cet écorché
qui se consumerait s'il ne maîtrisait pas les hôtes qui
l'habitent, ce tourmenté, je l'ai rarement vu perdre son sang-froid.
Il est d'une grande gentillesse, d'un dévouement extrême
: son attitude envers Armand Simon le prouve à suffisance.
*
Sa remarquable fécondité ne se limite pas à son
uvre peinte : il " lança " de nombreuses revues,
anima des rencontres, mit en chantier plusieurs expositions de groupe
Je retiendrai toujours -incurable égotiste- avec nostalgie, celles
du Manoir d'Ecaussinnes, et les deux " Exposition Inutile "
où il accueillit quelques-unes de mes uvres peintes.
*
André BRETON l'eût sans doute intégré à
l'un des cercles de l'enfer surréaliste. Edouard JAGUER l'a compris
et Henry LEJEUNE fut le bienvenu dans le groupe PHASES dont le but est
La quête du principe de liberté. Evidemment suspect à
certains roquets du " Surréalisme belgicain ", il s'en
soucie comme d'une guigne.
Adoubé par Armand Simon, le chevalier noir et blanc du Groupe
Surréaliste du Hainaut trouva dans son émule d'Ecaussinnes
un admirateur fervent et dévoué.
*
Il revient de l'ancienne Tchécoslovaquie, où il a pu exposer
une grande partie de son uvre, ses démons et ses merveilles
,
aux Musées d'Ostrava et de Trebic. Sur place, il a trouvé
non seulement des admirateurs mais aussi de jeunes émules. Ainsi
va le monde mais tout le monde n'a pas comme Henry LEJEUNE les doigts
agiles du charmeur de serpents.
Claude Haumont
Bruxelles, 22 novembre 2000.
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Entre ses rouges qui montent vers Soutine
et ses bleus qui descendent de Chagall, je vois toutes sortes de tonalités
immigrées ou apatrides, natives de la " noirceur secrète
du lait " comme disait Audiberti. En fait, Lejeune est un coloriste
de l'inconscient, pas à la manière surréaliste,
non, à la manière Lejeune. Les régions où
ses pinceaux se meuvent que fait danser sa Muse ont hérité
de l'abysse ses flottantes compositions, ses figures changeantes, tirées
à hue par le végétal, à dia par l'animal,
et dubitativement arbitrées par quelque vision anthropomorphique
du Vivant, à tendance monstrueuse.
Tel est à mes yeux l'univers de l'artiste, plus ventral que cérébral.
S'il s'avisait de vouloir peindre la flore intestinale, il nous la rendrait
visible à l'il nu, augmentée d'une faune et d'un
satyre. Avec lui, tout est possible, y compris que nous reconnaissions
pour nôtre cette mythologie organique, bien à lui, dont
il a le secret, dont il " écrit " les frasques.
Devant ses tableaux, je ne puis démordre de l'idée qu'il
est son propre Haruspice. Il lit dans ses entrailles des choses sur
lesquelles le Ciel ne peut que rester muet, faute de compétence,
d'imagination ou
de Dieu. Et foin des astrologues ! Le désastrologue,
lui, a rabattu dans son corps les étoiles illusoires. C'est de
là qu'il les observe autrement, malléables, déformables,
intériorisées à l'envi, et pour la bonne cause
: le déchiffrement de soi.
Digérées, ces constellations du tragique font lumière,
en l'homme et sur le papier à dessin. Une luisance supérieure.
Recrachées, elles s'éteignent, inexplicablement.
Mais Lejeune ne recrache jamais. Il se les garde, ces phénomènes,
pour en envelopper, en escorter, voire en nourrir les enfants nés
de son divorce d'avec la trompeuse réalité, ou la raison
fallacieuse. Ces enfants en savent plus long sur l'insomnie que sur
le sommeil, sur le désir que sur les assouvissements. Funambules
et somnambules se partagent leur seul territoire connu : le fil d'Ariane.
Enfants étranges s'il en en est : une fratrie protéiforme
de personnages sans loi, durcis au feu de la poésie libertaire.
Voilà un art qui nous renvoie, à coups de fulgurances,
au fin fond de nos forces obscures. Souvent, c'est là que notre
complexité en exil attend désespérément
du monde extérieur qu'il lui accorde un droit au Sens, ou une
parcelle de légitimité, convulsive avec bonheur, voyante
à grandes enjambées.
Ainsi, Lejeune est de ceux qui s'attellent à la belle et forte
et folle tâche de donner chair, parole et représentation
aux derniers habitants de la dernière de nos îles immergées
: notre Atlantide rêveuse mais tressaillante, bandée de
démesure.
Avec toi, Henry.
Marcel Moreau
Décembre 2000
Les nouvelles céramiques d'Henry Lejeune
Si ses scupltures en terre cuite sont
si peu exposées, voire ignorées, c'est qu'Henry Lejeune
appartient à la lignée des francs-tireurs de la céramique.
Certes l 'oeuvre sur papier connaît une reconnaissance qui s'en
va croissante, et nous la voyons à présent classique et
novatrice. Mais ce juste succès occulte une part non moins essentielle
des créations de ce touche à tout surdoué : l'art
césame, où par des formes sensuelles et douces, il confronte
avec une irrépressible sincérité mesure et vision
intérieure, cependant de manière plus épurée
qu'en ses oeuvres graphiques.
Cet art s'éloigne volontairement des éffigies populaires
et figuratives, de la vaisselle en tout genre, de la poterie émaillée,
à décor, des faïences, des hauts reliefs, normes
habituelles des céramistes. Donc, point d'assiettes, de gobelets,
de pichets décorés selon ses humeurs graphiques.
Ici, il y a des filiations, des affinités électives qui
relient le dessinateur, le peintre au sculpteur, sans jamais basculer
dans l'esbroufe, la ficelle ou l'anecdote.
Henry intérroge la forme qui émerge de sa pensée
et la replace dans l'espace.
Il s'agit avant tout d'un langage plastique créateur et personnel,
de sculptures poétiques ne faisant appel qu'aux seules lignes
et courbes développées par un imaginaire toujours à
l'unisson des mystères de l'univers et de la sensualité
humaine.
Lejeune travaille une terre choisie, importée d'Allemagne, que
l'on porte ensuite à température de 1160°, pas au-delà,
car à 10° près en trop cuisant la terre se déforme.
Pas en-deçà, car outre ses qualités physiques de
résistance, l'artiste n'obtient pas la teinte qu'il affectionne.
Des soins particuliers apportés à la façon, au
modelé et à la cuisson, résultent des oeuvres mystérieuses,
parfois lyriques, et imposent toujours leurs originales présences,
où prédominent surfaces galbées sombres et sobres,
aux matités presque noires
Michel Hallers
Août 2004
"Le déraciné" n° 32
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