Grigory Efimovitch est né le 10 janvier 1869 dans le village de Pokrovkoie en Sibérie. Son père, Efimy Rasputin était un fermier dont l'épouse lui avait donné un fils précieux: Dimitri. Alors qu'il avait 8 ans, Grigory Efimovitch jouait avec son frère quand ce dernier tomba dans un étang et se noya. À 12 ans, Rasputin se gagna une renommée de médium en identifiant un voleur de chevaux. Une fois adolescent, il alla visiter le monastère de Verkhouturye où il fit la connaissance de sectes hérétiques telles les Khlysty et les Shoptsy. Ces sectes implantèrent en lui l'idée qu'on ne pouvait atteindre Dieu qu'à travers le péché et le repentir qui s'en suit, cette doctrine, Rasputin allait plus tard la prêcher parmi ses disciples à St-Petersburg. Quand il retourna dans son village, il se maria. Sa femme, Praskovie, lui donna 4 enfants, 2 garçons et 2 filles. Le fils aîné mourut alors qu'il n'était encore qu'un enfant et, le second garçon, Dimitri, était retardé. Les deux filles, Maria et Varvara atteignirent l'âge adulte et allèrent éventuellement demeurer avec leur père à St-Petersburg.
Un jour, alors qu'il travaillait au champ, Rasputin affirma avoir eu une vision de la Vierge Marie qui, selon lui, lui aurait ordonné de devenir pélerin. Il quitta donc sa famille et entama un voyage au cours duquel il marcherait 2,000 milles. Il finit par aboutir au monastère orthodoxe du Mont Athos en Grèce. Quand il rentra au pays, il était transformé, il acquit une renommée d'homme de Dieu même si ses sermons n'étaient pas précisément orthodoxes mais représentaient plutôt un mélange d'orthodoxie et de principes hérétiques. Quoiqu'il en soit, il se montra rapidement un prêcheur convaincant parmi les pauvres de Pokrovkoie d'autant plus qu'il possédait une grande habileté à manipuler les gens.
L'autre côté de la personnalité contradictoire de Rasputin était son engouement pour le sexe, il appréciait particulìèrement de dormir avec une ou plusieurs femmes nues, son appétit sexuel était insasiable.
Rasputin apparut à St-Petersburg pour la première fois en 1903, un an avant la naissance d'Alexei. Il fut reçu par plusieurs prêtres orthodoxes importants comme le père Jean de Kronstand, le patriache Teophan qui était le confesseur d'Alexandra et l'évêque Hermogen de Saratov; tous furent stupéfiés par la ferveur religieuse de Rasputin et par son habileté à prêcher. Ils le bénirent et le considérèrent comme un starets. Rasputin débuta sa vie à St-Petersburg sous la protection des 'princesses monténégrines'. Ces deux soeurs étaient la grande-duchesse Militsa et la grande-duchesse Anastasia, filles du roi Nicholas I du Montenégro. Elles étaient respectivement mariées à deux frères, le grand-duc Peter Nicolaievitch et le grand-duc Nicholas Nicolaevitch, cousins d'Alexander III. Ce sont ces deux dames qui amenèrent Rasputin à Tsarkoe Selo le 1er novembre 1905. Nicholas II écrivit dans son journal: 'Nous avons pris le thé avec Militsa et Stana (Anastasia). Nous avons fait la connaissance d'un homme de Dieu, Grigory, de la région de Tobolsk.'
On ne peut pas dire avec certitude quand Rasputin soulagea Alexei pour la première fois mais, on croit que c'est vers 1907. Son influence sur le tsar et la tsarine ne fut pas immédiate mais graduelle. Petit à petit, il commença à se faire accepter à Tsarkoe Selo dans l'intimité de la famille impériale. Il arrivait généralement une heure avant le dîner, il avait l'habitude de s'assoir parmi les membres de la famille et de leur raconter des contes et des légendes russes. Tous les enfants l'aimaient bien, Nicholas et Alexandra aussi. Rasputin les appelait Batiushka et Mathuska (père et mère dans le langage des paysans russes). Peu à peu, Alexandra se convainquit que Rasputin était un messager de Dieu; il représentait l'union du tsar, de l'Église et du peuple et, par dessus tout, il pouvait aider son fils. Elle croyait sincèrement que sa capacité à guérir Alexei était le résultat de la prière; elle se tourna donc vers Rasputin car elle croyait qu'il représentait la seule chance de sauver son fils.
Selon Robert K. Massie, l'explication médicale possible à l'habileté de Rasputin à guérir le tsarevitch hémophile était l'hypnose mais, ce n'est pas prouvé historiquement. En fait, il prit des leçons d'hypnotisme mais seulement en 1913, plusieurs années après avoir commençé à traiter le garçonnet. Il est prouvé que les pertes de sang chez un hémophile peuvent être aggravées par un état de stress émotionnel comme la colère ou l'anxiété. Il est aussi possible qu'une diminution de stress émotionnel agisse de façon salutaire sur le saignement; le flot de sang dans les capillaires du patient va décliner une fois que le calme et le bien-être lui seront rendus. Rasputin avait le pouvoir de calmer Alexei avec ses histoires et sa voix dominante et profonde. Si l'hypnose n'est pas en cause, on ne peut toutefois nier que Rasputin ait eu un pouvoir de suggestion sur l'enfant.
Il y a un témoignage de la grande-duchesse Olga Alexandrovna, la soeur de Nicholas, dans lequel elle relate comment Rasputin guérissait son frère de ses crises: 'Le pauvre enfant gisait sur son lit de douleur, de larges marques noires sous les yeux et son petit corps tordu et sa jambe, terriblement enflée... Tôt le matin, Alicky m'appela dans la chambre d'Alexei... Le petit garçon n'était pas que réveillé mais, il semblait aussi en bonne santé. Il était assis dans son lit, la fièvre était disparue, ses yeux étaient clairs et brillants et il n'y avait plus un signe d'enflure sur sa jambe. J'ai appris par Alicky que Rasputin n'a même pas touché l'enfant, il est seulement resté debout à son chevet et a prié.'
À son arrivée à St-Petersburg, Rasputin avait l'aspect d'un clochard. Ses cheveux longs et gras pendaient en mèches sur ses épaules, sa barbe était pleine de noeud et inscrustée de saletés; ses mains étaient crasseuses et ses ongles noirs. Il dormait et passait ses journées dans ses vêtements de paysan. Après que le succès lui ait souri à Tsarkoe Selo, son habillement se modifia. Maintenant, ses chemises étaient de soie, certaines d'entre elles avaient même été fabriquées par Alexandra elle-même. Il portait une magnifique croix d'or autout du cou, cadeau de l'impératrice. Mais, il conservait ses cheveux graisseux et sa barbe emmêlée.
Rasputin n'était pas populaire seulement auprès de la famille impériale mais aussi auprès de quelques dames de la haute société de St-Petersburg. Il les intéressait à cause de sa nature spirituelle et de sa sensualité. Il prêchait sa doctrine de rédemption par le péché parmi ces dames et, elles étaient impatientes d'aller au lit avec lui, ce qu'elles considéraient comme un honneur, pour mettre en pratique sa doctrine. Rasputin organisait des fêtes dans son appartement, le sexe et l'alcool en étaient les éléments primordiaux. Bientôt, ses activités se répandirent dans tout St-Petersburg. On disait même qu'il était l'amant d'Alexandra et de sa fille.
En 1910, une femme du nom de Vishniakova, qui était la nounou des enfants impériaux, alla passer des vacances, sur l'avis d'Alexandra, à Pokrovskoie avec Rasputin. Une nuit, Rasputin s'introduisit dans la chambre de Vishniakiva et la séduisit. De retour à Tsarkoe Selo, la femme raconta à l'impératrice son affreuse expérience avec le starets mais, Alexandra refusa de la croire. La gouvernante des enfants, Sofia Ivanovna Tiutsheva n'appréciait pas la présence de Rasputin dans la chambre des grandes-duchesses quand celles-ci s'apprêtaient à se mettre au lit et, elle demanda à Alexandra d'interdire à Rasputin l'accès à cette pièce après lui avoir mentionné les rumeurs qui couraient au sujet du starets. Alexandra répondit qu'elle ne croyait pas de telles calomnies qui selon elles provenaient de personnes mal intentionnées qui souhaitaient ruiner 'Père Grigory'. Nicholas interrogea aussi Tiutsheva. Quand elle lui raconta ce qui se passait, il lui demanda: 'Vous ne croyez donc pas en la sainteté de Grigory? Et, si je vous disais que pendant toutes ces années difficiles, si j'ai survécu, je le dois seulement à ses prières?' Tiutsheva répondit: 'Vous avez survécu à cause des prières de toute la Russie votre Majesté'. Nicholas lui affirma qu'il ne croyait pas les histoires qui circulaient à propos de Rasputin. Tiutsheva, éconduite, se rendit chez la soeur d'Alexandra, la grande-duchesse Elizabeth (Ella) pour tenter de la persuader de parler à l'impératrice. Quand Ella voulut mettre Alexandra en garde contre Rasputin, l'impératrice prit ses distances vis-à-vis sa soeur.
La première Douma de 1905 ne pouvait parvenir à s'entendre avec le tsar. Ses membres exigeaient le suffrage universel, une réforme radicale de la propriété des terres, la libération des prisonniers politiques et le renvoi de tous les ministres mandatés par le tsar qui devaient être remplacés par des ministres approuvés par la Douma. Terrifié, Nicholas ordonna au ministre Ivan Goremikyn (le successeur de Witte) de rejeter toutes les demandes de la Douma. Goremikyn fut hué par les membres de la Douma qui criaient que le pouvoir exécutif devait s'incliner devant le pouvoir législatif. Nicholas décida que la Douma devait être dissoute mais il croyait que Goremikyn n'était pas l'homme approprié pour faire face à une situation si difficile. Le ministre démissionna en juillet 1906 et fut remplacé par Piotr Arkadievitch Stolypin. Stolypin résilia la Douma et en créa une seconde en février 1907. Quand celle-ci tenta à son tour de défier le gouvernement, elle fut aussitôt dissoute. Une troisième Douma vit le jour à l'automne de 1907. Cette fois, ses membres étaient des conservateurs, 45 prêtres orthodoxes se trouvaient parmi eux. Finalement, la Douma et le gouvernement pouvaient travailler en harmonie.
La période de temps que Stolypin passa au ministère (1906-1911) en fut une de grands progrès pour la Russie. Il réduisit le terrorisme en instaurant des cours martiales à travers tout le pays, ces cours pendaient les terroristes trois jours après leur arrestation. Il mit fin à l'inefficace système de travaux communautaires de la terre et introduisit le concept de la propriété privée. Pendant cette même période, la Russie fut favorisée par une température clémente et de bonnes récoltes. Le système ferroviaire fut amélioré et la production de charbon et de fer prit de l'ampleur. Le progrès était tel que le leader bolchévique en exil, Vladimir Illich Ulianov Lénine craignait de ne jamais pouvoir se réinstaller en Russie.
Mais, tout n'allait pas aussi bien que les apparences pouvaient le laisser supposer. En août 1906, Stolypin fut victime d'une tentative d'assassinat; une bombe explosa dans sa maison située aux limites de St-Petersburg. Il s'en sortit sans dommage mais, son fils et sa fille furent grièvement blessés. Stolypin reçut une lettre de Nicholas II: 'Il y a quelques jours, j'ai reçu la visite d'un paysan de la région de Tobolsk, Grigory Rasputin, qui m'a apporté une icône de St-Simon Verkhouturie. Il a fait forte impression sur Sa Majesté et sur moi-même... il éprouve le désir de vous rencontrer et de bénir votre fille blessée avec l'icône. J'espère que vous trouverez une minute pour le recevoir cette semaine.' Rasputin visita bien la jeune fille mais Stolipyn le détesta profondément.
Dans les années qui suivirent la naissance d'Alexei, la santé d'Alexandra déclina dangereusement. L'angoisse qu'elle éprouvait devant la maladie de son fils causa chez-elle un désordre psychosomatique qui la prostrait pendant des semaines dans son lit. Quand Alexei avait une crise, elle devait s'aliter afin de recouvrer ses forces. Elle souffrait également de sciatique. Son mauvais état de santé la força à s'isoler à Tsarkoe Selo; comme on gardait le secret autant sur sa maladie que sur celle d'Alexei, son éloignement de la société de St-Petersburg lui valut d'être impopulaire auprès de celle-ci. Elle était entourée seulement par un petit groupe de personnes triées sur le volet; certains membres de la famille, certains officiels et quelques serviteurs. Comme elle était timide, elle ne se faisait pas des amis facilement. Sa seule véritable amie était Anna Vyrubova, la fille d'un compositeur nommé Alexander Tanayev, qui avait déjà été à la tête de la chancellerie impériale et sa mère était une Tolstoï. Anna rencontra Alexandra pour la première fois dans la maison de son père. En 1901, quand Anna attrapa la fièvre typhoïde, Alexandra l'inclut parmi les gens qu'elle visitait régulièrement dans les hôpitaux. Anna développa une adoration obsessive pour la tsarine, quand elle fut remise de sa maladie, elle fut invitée à prendre le thé à Tsarkoe Selo; à partir de là, une grande amitié naquit entre la tsarine de 29 ans et la jeune Anna de 17 ans.
Alexandra poussa Anna vers un mariage sans amour avec Alexander Vyrubov, un survivant de la bataille de Tsushima (pendant le conflit russo-japonais), mentalement dérangé. Le mariage eut lieu en 1907. Quand Anna découvrit les problèmes mentaux de son mari, ajoutés à son impotence, elle obtint une lettre du Saint-Synode accordant la dissolution de son mariage. Se sentant coupable de la mésaventure d'Anna, Alexandra l'invita à accompagner la famille impériale dans sa croisière annuelle dans les fjords finlandais. L'impératrice découvrit qu'Anna était une personne à laquelle elle pouvait accorder sa confiance sans que celle-ci en attende quelque chose en retour. Après cette croisière, leur amitié s'était encore renforçée.
Anna devint une sorte de messagère entre Alexandra et Rasputin, elle se trouvait aussi sous l'influence de Rasputin et celà ne la rendit pas populaire auprès du peuple qui l'accusa, à tort, de participer aux orgies du supposé 'saint homme'. Anna prouva la fausseté de ces accusations en 1917, après l'abdication de Nicholas, quand elle se soumit à un examen et fut publiquement déclarée vierge.
En 1911, un groupe d'hommes du clergé dirigé par l'évêque Hermogen, qui avait précédemment été stupéfié par Rasputin, et un jeune moine appelé Serge Iliodor, confrontèrent Rasputin avec des preuves irréfutables de ses orgies sexuelles. Rasputin et Iliodor avaient déjà été amis et avaient déjà fait ensemble une retraite sur les berges de la Volga. Rasputin attrapait les femmes et les embrassait sur les lèvres devant Iliodor, ce que ce dernier désapprouvait. Le starets parla également à son ami du pouvoir qu'il détenait sur le tsar et la tsarine; il lui dit que ceux-ci s'inclinaient devant lui, s'agenouillaient même devant lui et lui embrassaient les mains. Il lui dit aussi que Nicholas croyait qu'il était le Christ incarné et qu'il embrassait fréquemment Alexandra, même devant ses filles. Il remit à Iliodor une liasse de lettres écrites par la tsarine.
Après avoir été confronté avec les prêtres, Rasputin accepta hystériquement sa culpabilité. Il fut traîné dans la chapelle et forcé de jurer, devant l'icône, qu'il laisserait les femmes et la famille impériale tranquilles. Mais, deux jours plus tard, Rasputin se précipita à Tsarkoe Selo et raconta à Alexandra sa propre version de la confrontation. Furieuse, Alexandra envoya Hermogen dans un monastère et ordonna à Iliodor de s'exiler. Le moine prit sa revanche en publiant les lettres que Rasputin lui avait remises. La plus significative de ces lettres disait: 'Mon bien-aimé, inoubliable professeur, rédempteur et mentor. Que c'est ennuyant sans vous. Mon âme n'est en paix et je ne relaxe que quand vous, mon professeur, êtes assis à mes côtés. J'embrasse votre main et repose ma tête sur votre épaule bénie... je ne souhaite qu'une chose, m'endormir pour toujours sur votre épaule et dans vos bras... J'implore votre Sainte Bénédiction et j'embrasse vos mains sacrées. Mama.'
Tout St-Petersburg colportait la rumeur que Rasputin était l'amant d'Alexandra. Le ministre Stolypin, ennemi de Rasputin, vit là l'opportunité de le bannir de la ville et d'ordonner une enquête sérieuse sur les activités du starets. Il présenta un rapport à Nicholas qui le lut mais ne fit rien de plus. Stolypin, agissant de son propre chef, ordonna à Rasputin de quitter St-Petersburg. Alexandra protesta mais, Nicholas appuya son ministre et Rasputin dut partir.
Alexandra se mit à haïr le ministre; il l'avait privée du seul homme qui pouvait soulager la douleur de son fils. En septembre 1911, Nicholas, Stolypin et le ministre des finances, Vladimir Kokostov, se rendirent à Kiev pour dévoiler une statue d'Alexander III. Par hasard, Rasputin se trouvait à Kiev ce jour-là, parmi la foule qui s'était rassemblée pour voir le tsar. Quand il vit Stolypin, il s'exclama: 'La mort suit sa trace, la mort chevauche sur son dos'. Le jour suivant, alors qu'il assistait à une performance à l'Opéra, Stolypin fut assassiné sous les yeux de Nicholas par un jeune révolutionnaire du nom de Mordka Bogrov.
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