Pour ce qui en est de l’inceste, j’avais déjà abordé la question dans le chapitre La religion du Proche Orient meneuse d’hommes. Que l’on se rappel simplement que cette notion est fort variable d’une société à une autre. Jadis, nous nous marions encore entre cousins germains en Europe ; certains le font encore, mais cela devient assez mal vu du fait des problèmes génétiques éventuels liés à la consanguinité. Les pharaons se mariaient entre frères et sœurs ; des tribus amérindiennes ne se souciaient guère des liens de parentés ; les Papous de Nouvelle Guinée, entre autres, ne prennent en compte que la lignée maternelle pour établir les liens de parenté (le père étant inconnu ou difficilement certifiable à leurs yeux) ; les Arabes épousent parfois leurs sœurs (dans le cas des mariages polyginiques soronales) … Je pense qu’une distinction s’impose quand même lorsque l’on parle d’inceste. S’agit-il d’une relation parent – enfant, frère – sœur, cousin – cousine ? Est-ce juste une relation sexuelle ou est-ce pour procréer ? Le lien de parenté est-il connu, certain ou non ? Tout dépend évidemment des circonstances pour juger du caractère moral d’un type inceste. La mentalité des personnes concernées par la relation joue, à mon avis, un rôle primordial (le marquis de Sade ne m’aurait sûrement pas contredit). Il est évident qu’une relation du type parent – enfant qui a pour but la procréation, alors même que ce genre d’union est totalement contraire aux mœurs de la société ou de la religion de ces personnes risque de passer moins bien qu’un relation entre deux cousins qui ne se savent même pas cousins et qui n’a comme but qu’une relation amoureuse sans procréation. Le contexte psychologique est très important. Une fois que cela crée des troubles chez une personne que d’avoir des relations avec un parent, fut-il éloigné de cinq générations, l’inceste devient mauvais. Il ne faut pas oublier que l’inceste est une notion propre à l’homme. Les animaux ne s’en soucie pas (d’où le caractère naturel malgré tout). Voyez les chats, oh combien incestueux ! La raison du problème est donc d’ordre socio-psychologique. D’une part, si des enfants en sont le fruits, il faut que ceux-ci aient une place dans le système des générations (ce peut être troublant d’avoir un père qui est aussi notre grand-père et une mère qui est aussi notre sœur ). Il faut donc se soucier, outre le problème génétique, des conséquences psychologique que l’inceste peut avoir sur les enfants qui en naîtrait. D’autre part, l’inceste doit être accepté comme quelque chose de normal par ceux qui le pratique, afin qu’il ne s’agisse plus que d’une relation « normale ». Une fois qu’il n’y a pas procréation, l’inceste a plus de chance d’être mieux accepté parce qu’il ne compromet la vie de personne extérieur à la relation. Maintenant, chacun est libre de penser et d’agir comme il veut à ce sujet ; l’inceste serait-il encore pratique courante et communément admise dans notre société, cela n’obligerait en rien quelqu’un de le pratiquer s’il n’en a pas envie – pas plus qu’on ne choisit ses partenaires amoureux dans la vie actuelle. C’est juste une question d’ouverture d’esprit et de ne pas condamner ce que les autres font alors qu’on ne vit pas à leur place. Il en va de même pour les relations homosexuelles ; ce n’est pas parce qu’on trouve ça choquant pour nous même, qu’on ne voudrait pas agir de la sorte ou que l’on trouve ça anti-naturel que l’on doit condamner moralement. La morale alors ne serait que la sensibilité de chacun, ce qui la rendrait tout à fait incompréhensible pour les autres, chacun étant unique, et je dirais même, évoluant en permanence dans sa propre sensibilité. Il y a trop de morales ; elles s’annulent toutes, que doit-on faire ? Il faudrait définir certains critères universels que tout homme accepterait. Malheureusement (ou heureusement pour la diversité), c’est impossible. Des milliers de personnes on déjà essayé. Ce ne sont pas des règles, ni des obligations qu’il faut trouver. Ce n’est même pas une façon de penser du style « il faut agir en vertu d’un devoir » ou « il faut faire le bien » (résultat) , « il faut vouloir faire le bien » (volonté). La notion même de bien ou de mal n’a pas de sens en soi. Ce n’est ni concret, ni dans aucun cas objectif (preuve en est des différentes morales). Imaginez vous inviter à dîner chez quelqu’un. Comment faut-il vous comporter pour agir convenablement, afin de ne pas choquer votre hôte par votre attitude à table ? C’est là quelque chose qui semble aisé. Votre but est de rester poli et de faire tout pour que cela se passe pour un mieux. C’est ici que l’on va pouvoir apprécier toute l’antinomie qu’il peut y avoir d’une mentalité à une autre. Vous allez donc dîner dans une famille thaïlandaise. Les plats sont devant vous, il ne reste qu’à vous servir, comme c’est coutume là-bas. Vous vous servez une assiette « normale » (pour vous) de riz et de viande, en fonction de votre appétit et en ne surchargeant pas votre assiette. Vous disposez d’une fourchette et d’une cuillère pour manger. Vous manger donc normalement avec votre fourchette. Savez-vous que vous avez probablement choquer vos hôtes par votre comportement barbare ? En effet, chez les Thaïlandais, tout d’abord on mange avec la cuillère et pas la fourchette, ce qui reviendrait autrement à manger avec un couteau chez nous, d’avoir mis des piques dans sa bouche. Vous venez de choquer une première fois la sensibilité de personnes différentes de vous. Ensuite, vous vous êtes servi abusivement et autant de viande que de riz. On ne se sert que par petite portion, quitte à se resservir cinq fois si il faut. En outre, l’homme humble prend plus de riz que de viande. Pour finir vous avez achevé votre assiette, ce qui aura sûrement frustré la famille qui vous invitait. Il faut laisser un peu dans son assiette pour montrer que l’hôte est généreux. Votre comportement lui a fait sentir qu’il vous a laissé dans le manque (alors que vous avez peut-être forcé pour achever votre assiette, par « politesse »). Allez maintenant, après votre expérience thaïlandaise, dans une famille norvégienne. Vous savez qu’on mange avec la fourchette (il n’y a pas de cuillère, de toute façon) et vous laissez un peu dans votre assiette afin de montrer à l’hôte comme il est généreux. Vous voilà devenu le pire des impolis, parce que justement vous n’avez pas su vous servir en fonction de votre appétit et achever votre assiette (En Norvège, on se sert dans les casseroles, même dans les restaurants, justement pour qu’on adapte les quantités en fonction de notre estomac). Voilà deux conceptions de la politesse tout à fait différentes, dues à la fois à la culture, à la façon de penser et à la sensibilité propre de chacun, ce qui montre une fois de plus le lien étroit qui existe entre ces facteurs. La culture est une prédisposition de penser collective, alors que la façon de penser est personnelle et la sensibilité n’est pas un mode de pensée (mais la précède). Pourquoi les Anglais ont-ils une préférence à mettre les mains en-dessous de la table lorsqu’ils ne les utilisent pas et les Belges, les Hollandais et les Allemands au-dessus ? Pourquoi les français attachent-ils tant d’importance à la nourriture et les Anglais quasiment pas ? C’est encore là une question de sensibilité culturelle, sans doute lié à la langue. |