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LES
INSTRUMENTS JURIDIQUES DE LA COOPERATION TRANSFRONTALIERE
(par O. Channora&Y. Bunna)
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LA NOTION DE L'ETAT DE DROIT
OUCH Channora & YOUK Bunna
DEA d’Administration Publique, Université Lumière Lyon 2, France
INTRODUCTION
L’Etat de droit est une notion essentielle de l’organisation étatique ; il est une notion politique et juridique qui a pris de l’ampleur de l’analyse par des générations de juristes, il s’est vu propulsé sur la place publique. A la fin du XXe siècle, il se trouve au centre des débats philosophiques et politiques concernant le statut et le rôle de l’Etat. Les usages de la notion d’Etat de droit deviennent multiples qui entraînent une profusion et une surcharge de significations. De nouvelles doctrines de l’Etat de droit sont de plus en plus nombreuses ; le terme d’Etat de droit est devenu pluraliste et complexe qui tend à se consolider et s’enrichir de dimensions nouvelles : l’Etat de droit qui a muni de caractéristique mythique se construit peu à peu, à partir d’apports très diversifiés vers la réalisation concrète.
Aujourd’hui, la notion d’Etat de droit est une référence incontournable pour le mode d’organisation étatique. Elle est considérée comme une base idéologique indispensable sur laquelle l’Etat doit s’appuyer pour que sa légitimité politique et juridique ne soient pas sérieusement contestées par l’opinion nationale et internationale.- L’origine historique
La notion d’Etat de droit s’est originellement manifestée en Allemagne. Ce mot d’Etat de droit est à l’origine de la traduction du mot allemand « Rechtsstaat » qui est une référence à l’Etat libérale. Cette notion était même si peu connue que Carré de Malberg a dû commencer par employer le terme allemand de Rechtsstaat avant d’utiliser Etat de droit, qui n’en est que la traduction littérale. On constate que l’idée originale de Rechtsstaat est tout d’abord utilisée pour construire l’Etat libéral. En effet, avant l’apparition réelle de la notion Rechtsstaat, l’idée d’Etat libéral a été déjà démontrée dans les écrits d’Emmanuel Kant (en 1797) en vertus de laquelle l’Etat devait avoir pour objectif la protection de la liberté des individus et son action devait respecter les lois (Michel Fromont : République fédérale Allemagne, L’Etat de droit, R.D.P., 1984, p. 1204).
Cependant, c’étaient le théoricien libéral, Robert von Mohl ( Die Polizeiwissenschaftnach den Grundsätzen des Rechtsstaates, 1842) et le conservateur F.J.Stahl (Die philosophie des Rechts, 3e éd.1856) qui ont présenté l’expression d’Etat de droit pour la première fois dans leurs écrits. L’Etat de droit (Rechtsstaat) est avant tout une idée, celle selon laquelle l’action de l’Etat n’est légitime que si elle obéit au droit, c’est-à-dire à un ensemble de règles préétablies. Ainsi, la notion s’organise alors autour de trois idées majeures :
- La limitation du pouvoir de l’Etat en vue d’une plus grande protection de la liberté des individus;
- L’édiction des lois précises et l’établissement de tribunaux protecteurs des citoyens ;
- Cette théorie est étroitement liée au développement du constitutionnalisme allemand qui tend à établir dans toute l’Allemagne un système de monarchie limitée.
Ensuite, la notion d’Etat de droit a été développée par les auteurs de la seconde moitié du XIXe siècle, notamment par O.Bähr (1864), Lorenz von Stein (1869) et Rudolf von Gneist (1879). Selon ces auteurs, le principe de l’Etat de droit tend à définir plus précisément le statut des autorités administratives et à justifier tout à la fois le principe de légalité de l’administration et la création des voies de recours juridictionnelles contre l’administration. Ces auteurs ont employé ce terme pour trouver une solution juridique au contrôle par le juge des actes administratifs.
Dès le début, l’expression « Etat de droit » se concentrait ainsi sur les problèmes de droits fondamentaux des individus. Et la doctrine sur la notion d’Etat de droit s’affirmera à la fin du XIXe siècle, avec les écrits des « juristes d’Empire », Gerber, Ihering, Laband, Jellinnek, avant d’être développée en France, notamment par R.Carré de Malberg puis par autres juristes de droit public qui sont considérés comme ses disciples (les strasbourgeois). L’objectif poursuivi par ces auteurs est d’encadrer et de limiter la puissance de l’Etat par le droit ; par là, la théorie de l’Etat de droit exprime une volonté de renforcement de la juridicité d’un Etat entièrement coulé dans le moule du droit (J.Chevalier, l’Etat de droit, Montchrestien Clefs, 1999, p.10)
Concernant la conception d’Etat de droit par rapport conception juridique de l’administration française, Carrer de Malberg a remarqué que le principe allemand de légalité avait déjà « une portée plus large » que le principe française : en effet, alors que l’administration française est simplement tenue de ne pas contredire les lois, « le régime de l’Etat de droit signifie que les citoyens ne pourront se voir imposer d’autres mesures administratives que celles autorisées par l’ordre juridique en vigueur » (Carré de Malberg , Contribution à la théorie générale de l’Etat, 1920, tome I, p. 492).
Dans ce sens primitif, la notion d’Etat de droit a été reçue par la doctrine suisse, autrichienne, italienne et récemment par la doctrine française. En Angleterre, on trouve le terme de rule of law qui recouvre à peu près le sens de l’Etat de droit dans la doctrine allemande, et qui elle-même n’est pas une notion du droit constitutionnel. Par contre, la Constitution des Etats-Unis connaît le terme de due process of law, qui comme la notion d ‘Etat de droit allemande d’aujourd’hui, est une notion du droit constitutionnel dont la Cour suprême a déduit de nombreux principes ressemblant beaucoup aux principes dégagés de la notion d’Etat de droit par la Cour constitutionnelle fédérale.
Récemment, la notion d’Etat de droit est aussi entrée dans le droit européen. D’une part, on l’a inscrite dans la Charte du Conseil de l’Europe et dans la Convention européenne des Droits de l’Homme la notion de rule of law, dont la Cour européenne des Droits de l’Homme a par exemple déduit le droit d’accès aux tribunaux nationaux. D’autre part, la Cour de Justice des Communautés européennes, après avoir développé un certain nombre de principes généraux destinés à la protection des droits individuels, a groupé tous ces principes sous le principe directeur de l’Etat de droit, comprenant notamment la sécurité juridique (Albert Bleckmann, L’Etat de droit dans la Constitution de la République fédérale d’Allemagne, Pouvoirs 22, 1982, p. 8).
Cet objectif commun recouvre cependant des visions assez différentes du rapport entre l’Etat et le droit : l’Etat de droit c’est, tantôt l’Etat qui agit au moyen du droit, en la forme juridique, tantôt l’Etat qui est assujetti au droit, tantôt l’Etat de droit comporte des autres éléments. Le rapport complexe entre l’Etat et le droit dessine plusieurs figures possibles, plusieurs types de configurations de l’Etat de droit.- La définition
Le terme d’Etat de droit est un terme très populaire et couramment utilisé dans le langage politique et juridique. C’est un sujet remarquable du débat politique, philosophique, juridique des universitaires, des hommes politiques, et des citoyens. Actuellement, quand un sujet des droits de l’homme est soulevé ou la règle de droit est mise en cause, le mot d’Etat de droit ne sera pas oublié de prononcer.
Cette expression très attirant suscite à des nombreuses interventions de la part des juristes qui ont tenté de la définir autant que de l’expliquer. La question se pose alors sur l’origine et la signification de la notion de l’Etat de droit. Les différentes définitions de l’Etat de droit ont été données par des théoriciens qui se sont inspirées des variés environnements historiques, sociologiques et culturelles. Ainsi, l’Etat de droit a été différemment coloré.
L’Etat de droit est une composition de deux mots : l’Etat et droit . L’Etat et le droit sont les mots inventés et évolués suivant les différentes époques. L’expression « Etat de droit » associe deux termes dont la relation apparaît singulièrement complexe et susceptible de lectures contrastées.
Les définitions que les juristes du début du siècle ont pu donner de l’Etat sont à la fois fluctuantes, contradictoires et largement dépendantes des présupposés idéologiques de leurs auteurs. Les auteurs n’arrivent guère à s’entendre sur une définition : Duguit assimile Etat et gouvernants, Houriou définit l’Etat comme une institution, Eismein et Carré de Malberg voient en l’Etat la personnification juridique de la nation. C’est la théorie de l’Etat personne juridique qui s’est finalement imposée dans la doctrine contamporaine (Marie-Joëlle Redor, L’Etat dans la doctrine publiciste française du début du siècle, Droits – 15, 1992, p. 91).
La relation entre les deux termes Etat et droit que réunit l’expression a pu, du reste, changer de sens au gré des approfondissements théoriques, la mode intellectuelle de l’Etat de droit : un Etat qui a des lois et, pour les appliquer, des juges administratifs ou judiciaires, des lois et des juges qui, en le ligotant, l’empêchent de mal faire (Jean Cabonnier : Droit et Passion du droit sous la cinquième République, Flammarion, 1996, p.41) ; c’est le droit qui s’est donné la personne-Etat pour instrument de communication et d’action.
Cette expression fait ressortir le lien étroit, structurel, constitutif qui unit le droit et l’Etat, au point que les deux notions paraissent adhérer l’un à l’autre, se présupposer réciproquement, en formant un couple indissociable (J.Chevallier, Droit et Etat, in Revue interdis. D’études juridiques, Bruxelles, 1986, n° 17, p.1 et s.). l’Etat se présente comme l’incarnation même de l’idée de droit, il est défini à partir de ses finalités (la justice) (G.Gurvitch, L’idée de droit social, Paris, 1932, p.76), de son mode d’intervention dans les rapports sociaux (le procès) ou encore de sa puissance normative (la contrainte) (H.Kantorowicz, The definition of Law, 1958, p.78 et s.) ; il est le grand opérateur indispensable pour potentialiser la norme juridique, en lui donnant sa pleine efficacité. Donc la puissance de l’Etat s’exprime dans/par la norme juridique et passe par l’édiction de règles obligatoires. Par contre, l’Etat est tout entier imprégné par le droit, coulé dans le moule juridique ; la « juridicisation » apparaît comme un des traits distinctifs de l’Etat en tant que forme d’organisation politique. Cette présentation ne fait cependant que mettre en évidence l’existence d’une liaison fondamentale et réversible entre l’Etat et le droit (R.Charlier : L’Etat et son droit, leur logique et leurs inconséquences, Economica, 1984, p.29).
Hegel a exprimé sa vision sur l’Etat de droit selon laquelle l’Etat apparaît comme une entité distincte du droit même s’il demeure pourtant lui-même une entité juridique. Bien que sujet de droits et d’obligations, il conserve en effet une existence indépendante de l’ordre juridique cependant l’Etat se soumet au droit. Pour Kelsen, l’Etat personnifie au contraire l’ordre juridique ; il est en lui-même et avant tout un ordre juridique, même si tout ordre juridique ne fonde pas un Etat. L’Etat de droit représente la personnification d’un ordre juridique. Dans tel ordre de cet Etat, l’unité ultime et prééminence du droit et du pouvoir légitime, la puissance de l’Etat ne peut s’exercer que dans la mesure où les autres sujets de droit, même subordonnés, se trouvent efficacement influencés dans leur conduite par la connaissance qu’ils ont des normes auxquelles ils sont soumis tout autant que par leur accord avec celles-ci. Il a souligné le caractère tautologique de l’expression. l’Etat ne se réduit pas en effet à un simple phénomène de pouvoir, mais doit être analysé comme une institution, c’est-à-dire le pouvoir organisé selon des règles générales et objectives qui forment la matière d’un statut des compétences de l’Etat (Michel de Villiers, Dictionnaire de droit, constitutionnel, Armand Colin, p.91 et Guy Hermet, Dictionnaire de la science politique, Armand Colin, p. 101.).
On remarque qu’il y a certains auteurs qui emploient parfois d’autres expressions que Etat de droit, mais elles sont utilisées dans le sens équivalent ou dans le sens semblable à la définition que l’on donne d’habitude pour l’Etat de droit. Ainsi, Friedrich emploie plutôt constitutionnalisme (C.Friedrich, « Constitutions and Constitutionalisme », Encyclopaedia of the Social Sciences, 1968.), Max Weber domination légale (M.Weber, Economie et Société, t.I, p. 223s.). Au moment où la notion d’Etat de droit a été introduite en France, Carré de Malberg a défini la différence entre l’Etat de droit et l’Etat légal pour illustrer la signification propre de chaque terme. Car les deux termes différents peuvent parfois donner des illusions aux lecteurs. En effet, ils signifient, selon lui, deux définitions différentes.
L’Etat légal : est un système dans lequel le pouvoir ne s’exerce que conformément à la loi, ce qui entraîne, selon lui, une double garantie : d’une part les gouvernés sont garantis contre toute surprise, d’autre part, en raison de son caractère abstrait et général, la loi sera édictée dans un esprit relativement désintéressé et tous y seront soumis. C’est notamment l’administration qui ne peut s’exercer que secundum legum, en conformité avec les lois.
L’Etat de droit : est un Etat qui, dans ses rapports avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même à un régime de droit, et cela en tant qu’il enchaîne son action sur ceux par des règles dont les unes déterminent les droits réservées aux citoyens, dont les autres fixent par avance les voies et moyens qui pourront être employés en vue de réaliser les buts étatiques (Michel Troper, Le concept d’Etat de droit, Droits 15,1992, p. 52).
Aujourd’hui, la reconnaissance de l’existence d’un Etat de droit réside dans l’idée que l’Etat doit garantir les droits individuels, permettre le contrôle de la légalité de ses actes et élaborer en définitive les normes juridiques en conformité avec les règles démocratiques. L’expression d’Etat de droit connaît le développement fabuleux et au fur à mesure, elle est le modèle incontournable de l’organisation étatique.- L’expansion de la conception d’Etat de droit
Aujourd’hui, l’expression d’Etat de droit est employée partout et par tout, elle fait l’objet de livres, de débats et de colloques innombrables. L’Etat de droit est devenu un discours, producteur d’effets de légitimation et utilisé comme vecteur de domination : jouant un rôle comme argument d’autorité dans le débat politique et servant à asseoir la légitimité des gouvernants, sa diffusion à l’échelle mondiale traduit de manière tangible l’imposition d’un certain modèle politique, d’inspiration libérale (Albert Bleckmann, l’Etat de droit dans la Constitution de la République fédérale d’Allemagne, Pouvoirs 22, 1962, p.8). Tous discours politiques actuels de chaque Etat sont remarquablement favorables à l’Etat de droit.
Au XIXe siècle, La doctrine d’Etat de droit (Recthsstaat) a certes été largement répandue et discutée en Allemagne. Elle se développe sans cesse depuis sa naissance et aujourd’hui, elle devient une expression à la mode que l’on préfère unanimement utiliser. L’utilisation unanime de l’expression d’Etat de droit met en doute la signification exacte du mot. L’Etat de droit n’est pas seulement utilisé par les Etats libéraux mais aussi par anciens Etats communistes de l’Europe de l’Est, par les Etats qui viennent de sortir de la dictature. En Europe de l’Est de l’Est, cette expression est utilisée comme l’instrument du passage à l’économie du marché, une base de transition vers la démocratie libérale. Aux yeux des pays de l’Est, instaurer l’Etat de droit c’est rendre irréversible la rupture avec la dictature communiste totalitaire (Maurice Pierre Roy, Vents d’Est vers l’Europe des Etats de droit ?, P.U.F.Paris 1990, p.97-114).
L’Etat moderne devrait être un Etat de droit ; c’est la cas concret de plusieurs pays, récemment après le renversement d’une dictature, le nouveau régime n’a pas manqué de proclamer son intention d’établir un Etat de droit. En Argentine, le Président Raul Alfonsin déclarait ainsi le 10 décembre 1983, jour de son investiture qu’il était décidé à instaurer définitivement un Etat de droit (Le Monde 15/12/1983).
Il paraît la même phénomène en Asie, il y a plusieurs pays qui se proclament d’être l’Etat de droit. Cet idéal jusque là principalement occidental est repris en compte par les Etats africains, asiatiques, Europe de l’Est....
Pourquoi l’expression d’Etat de droit connaît-elle une telle ampleur de propagation ?. D’après Maurice-PierreRoy, la notion d’Etat de droit fait partie de la profession de foi sans laquelle l’Etat n’est pas un minimum de respectabilité internationale. L’attrait de l’Etat de droit libéral est particulièrement grand pour les Etats modernes après la guerre froide. Cette mode ne cesse de gagner du terrain dans le tiers monde où l’on admet de plus en plus que l’Etat moderne devait être un Etat de droit. Tout Etat qui se respecte est désormais tenu de se présenter sous aspect avenant,
de se parer des couleurs chatoyantes de l’Etat de droit, qui est un label nécessaire sur le plan international (J.Chevalier : L’Etat de droit, Montchrestien, p.7). l’Etat de droit est devenu une référence incontournable, un des attributs substantiels de l’organisation politique, au même que la démocratie, avec laquelle il entretient des rapports complexes : moyen de réalisation de l’exigence démocratique (J.Habermas, Droit et démocratie, 1992, Gallimard, 1997 : étude fondamentale sur les relations entre droit et la démocratie).
Les multiples références à l’Etat de droit qu’on trouve désormais dans la constitution et surtout dans les textes internationaux contribuent puissamment à l’enracinement d’un concept, lesté d’un contenu juridique ; l’Etat de droit n’est pas seulement une figure rhétorique, mais implique bien un certain modèle d’organisation politique. L’Etat de droit renvoie à une réalité avec la dimension fondamentale du processus de construction étatique, à savoir le lien étroit, structurel, constitutif qui unit le droit à l’Etat.
l’Etat de droit en tant que un mode d’organisation du pouvoir et de la société, il
revêt de plus en plus une acception subjective, qui tend simplement à opposer les régimes démocratiques aux dictatures de toutes espèces réputées étrangères au droit.
L’unanimité de l’utilisation de telle expression est forcément suspecte et l’on ne peut s’empêcher de penser que cette référence constante à l’Etat de droit, dans des discours par ailleurs si différents, doit cacher quelques ambiguïtés et reposer sur quelques confusions. De fait, dès qu’on cherche à préciser ce qu’est cet Etat de droit, dont on ne saurait plus se passer, on ne peut manquer d’être frappé par plusieurs incertitudes.
Il est certain qu’il y a d’écart qui existerait entre les proclamations solennelles et les pratiques politiques effectives, notamment à l’Est et au Sud, mais aussi le flou qui entoure un concept par nature polysémique et à géométrie variable, témoigneraient bien de ce processus d’idéologisation. Il y a toujours de problèmes de la mise en œuvre de l’Etat de droit, la confrontation des philosophies politiques et sociales comme en Asie on invente la conception de valeur asiatique qui s’oppose à la valeur occidentale ce qu’on appelle la notion différente sur la question des droits de l’homme. Il n’y a pas la valeur unique et universelle des droits de l’homme. l’Etat de droit risquerait avoir plusieurs formes d’application selon chaque Etat.
Dans une telle situation, la notion d’Etat de droit peut servir à une meilleure compréhension du droit constitutionnel, de la notion des droits de l’homme par la doctrine. Cette notion grouperait ainsi tous les instruments développés par le droit constitutionnel pour servir à la protection des droits fondamentaux que chaque Etat doit assurer au niveau minimum et acceptable.
Le débat sur l’Etat de droit se révèle infiniment plus complexe en réalité. Il n’est pas aussi simple sur le plan théorique que, non plus sur le plan pratique. L’étude sur l’Etat de droit doit porter sur son origine, son évolution, la pratique, les caractères hétérogènes de chaque Etat.
- Le problématique
La réflexion sur la compréhension philosophique de l’Etat de droit est vraiment délicate. Le Professeur M.´A. CiuroCaldani (université de Rosario) rappelle que l’expression est équivoque et qu’elle est une conquête de la culture occidentale à un moment donné de son histoire, il situe cependant cette notion davantage dans le courant constitutionnaliste : l’Etat de droit est celui qui est soumis à un régime juridique distinct de lui et reste un instrument très grand de réalisation de justice. L’Etat de droit aura toujours une constitution matérielle et une constitution culturelle, lesquelles ne lui donneront son existence que lorsqu’elles seront toutes deux reconnues, l’Etat de droit s’inscrit donc dans une vision humaniste de la personne de chaque individu, par le respect des droits de l’homme et de leurs déclarations.
Carré de Malberg a souligné qu’il serait conforme à l’esprit de l’Etat de droit « que la Constitution détermine supérieurement et garantisse aux citoyens ceux des droits individuels qui doivent demeurer placés au-dessus des atteintes du législateur ». « le régime de l’Etat de droit est un système de limitation, non seulement des autorités administratives, mais aussi du corps Législatifs ». Réaliser l’Etat de droit supposerait, par conséquent « que les citoyens soient armés d’une action en justice qui leur permette d’attaquer les actes étatiques vicieux qui léseraient leur droit individuel » (Eric Maulin : Le principe du contrôle de la constitutionnalité des lois dans la pensée de R.Carré de Malberg, R.F.D.C. p.95).
Dès l’origine, la doctrine de l’Etat de droit s’est alors située à plusieurs niveaux différents, entre lesquels les interférences et glissements sont constants. D’abord, l’Etat de droit renvoie à une certaine conception de l’ordre juridique étatique : à travers la soumission des gouvernants à la loi, assortie de la garantie d’un recours possible devant un juge indépendant, c’est le principe de la hiérarchie des normes qui se trouve posé ; les divers organes de l’Etat sont tenus au respect des normes supérieures et l’Etat de droit sera d’autant plus développé que cette dépendance sera mieux assurée. Mais le problème de l’Etat de droit peut être posé au niveau plus profond de la soumission de l’Etat au droit : il s’agit alors de trouver un principe de limitation subjective ou objective de l’Etat par le droit, qui interdise toute possibilité d’arbitraire étatique ; la question de l’Etat de droit devient dès lors indissociable de celle de la nature même de l’Etat. Enfin, l’Etat de droit se caractérise par un certain contenu du droit en vigueur, sous-entendu par un ensemble de valeurs et de principes (D.Rousseau, De l’Etat de droit à l’Etat politique ?, in l’Etat de droit, précité, p.173) visant à assurer aux citoyens des garanties effectives contre l’Etat (J.L.Quermonne : les régimes politiques occidentaux, Seuil, Politique, 1986, p.106) : trouvant « son principe, sa fin et sa détermination dans l’individu concret » (D.Colas, L’Etat de droit, p.VIII), l’Etat de droit ne serait pas réductible à un simple dispositif technique d’aménagement de l’ordre juridique ; et tout progrès de la défense et la protection des droits de l’homme devrait être assimilé à un renforcement de l’Etat de droit (B.Barret-Kriegel, L’Etat et la démocratie, La Documentation française, 1986).
L’Etat de droit exprime la conviction que l’autorité de règle de droit doit être conçu, comme le moyen d’assurer la promotion des libertés essentielles et des droits fondamentaux ( Jean Massot : L’exécutif dans le projet de réforme constitutionnelle, R.F.D.C. p.240) l’Etat de droit apparaît aussi comme un dispositif d’encadrement et de canalisation du jeu politique ; dans tous les cas, Etat et démocratie forment désormais un couple inséparable, dont les éléments se présupposent réciproquement.
Autour de l’interprétation de la notion d’Etat de droit, certaines questions sont soulevées sur les caractères idéologiques et mythiques de l’Etat de droit. M.Gounelle a exprimé sa vision selon laquelle L’Etat de droit présente sans aucun doute les caractères d’un mythe: fortement connotée, l’expression charrie en effet un ensemble d’images, de représentations qui expliquent les profondes résonances qu’elle suscite
( M.Gounelle, Introduction au droit public français, Montchrestien, 1979, p.72.).L’explication sur les concepts philosophiques, politiques et juridiques (Partie I) et l’illustration approfondie sur le continu et les mécanismes de la garantie de l’Etat de droit seront utiles pour débarrasser les incertitudes autour de question posée (Partie II).
PARTIE I : LES CONCEPTS PHILOSOPHIQUES, POLITIQUES ET JURIDIQUES D’ETAT DE
DROITLa notion d’Etat de droit apparaît dès la seconde moitié du XIXe siècle chez les grands théoriciens allemands du droit public. L’impact de ce thème commencera à ramener les juristes de se plonger dans les conceptions originales d’Etat de droit (Chapitre I), qui essaient de démontrer les différentes significations du mot afin de dégager le vrai sens du terme (Chapitre II).
CHAPITRE I : LES CONCEPTIONS ORIGINALES D’ETAT DE DROIT
Les concepts d’Etat de droit font l’objet de l’analyse très délicate des juristes allemands et français à travers l’examen sur les événements sociaux de chaque pays. l’Etat de droit est posé comme une valeur philosophique, politique et juridique, qui recouvre des significations multiples mais aussi très hétérogènes, il se présente comme une notion floue et à géométrie variable.
§ - I – La nuance entre les conceptions allemande et française
Dès son origine, L’Etat de droit s’est développé sans cesse sur la base doctrinale, des nombreux juristes allemands et français ont participé activement au processus de la valorisation de cette notion ; jour après jour, l’Etat de droit se perfectionne de mieux en mieux sur le plan juridique et politique en ne négligeant pas le plan pratique.
A – La conception allemande
La doctrine allemande du Rechtsstaat élaborée par les juristes allemands au XIXe, elle s’est construite à partir d’une série d’apports doctrinaux, qui eux-mêmes évolueront en fonction du contexte politique. On remarque qu’il y a deux conceptions du Rechtssaat qui coexistent dès son origine (M.J.Redor, L’Etat dans la doctrine publiciste française du début du siècle, Droits, n°15, 1992, p. 91). D’une part, R. Von Mohl s’inscrit dans une perspective libérale en cherchant, en réaction contre l’Etat autoritaire (obrigkeitsstaat), à limiter la sphère d’action de l’Etat et à mieux protéger les libertés individuelles. D’autre part, F.J.Stahl conçoit le droit comme un moyen d’organisation rationnelle de l’Etat et de normalisation de ses rapports avec les administrés. On voit dès ce moment poindre les deux versions autour desquelles gravitera toute l’histoire de la théorie de l’Etat de droit, l’une substantielle, qui s’attache au contenu du droit en vigueur en nourrissant cet ordre d’un certain nombre de droits et libertés, il s’agit au cours des années 80, d’une pensée philosophique qui est attachée à l’élucidation et à la dénonciation des systèmes totalitaires ; l’autre formelle, qui privilégie l’aménagement de l’ordre juridique étatique. On se rend compte alors des impasses d’un formalisme abstrait qui peut aboutir à considérer les Etats totalitaires eux-mêmes comme d’authentiques Etat de droit (le nationalisme s’est d’ailleurs revendiqué comme tel), en oubliant que la théorie de l’Etat de droit s’est épanouie sur un certain terreau idéologique ; l’existence d’un ordre juridique hiérarchisé est insuffisante pour que l’on puisse parler d’Etat de droit (J. Chevalier, Etat de droit et ses transformations, CF n°288, oct-déc, 1998, p.5).
La conception formelle tendra cependant progressivement à s’imposer : définissant avant tout le statut de l’administration (M.Fromont, République fédérale d’Allemagne : L’Etat de droit, RDP, 1984, p. 1203), le Rechtsstaat deviendra l’Etat dans lequel l’administration est assujettie à la loi et où des voies de recours juridictionnelles existent contre elle ; et la théorie de l’auto-limitation, dans laquelle la doctrine allemande place le fondement du Rechtsstaat, renforce ce formalisme, en plaçant le droit dans l’orbite de l’Etat et en excluant toute interrogation sur son contenu intrinsèque.
Aux yeux de ses théoriciens, la caractéristique essentielle du Rechtsstaat est que, dans ses rapports avec les administrés, et pour tout ce qui concerne leur statut individuel, l’Etat agit sur la base de règles générales, de normes, préexistantes. Cette exigence prend son véritable sens à l’égard de l’administration et constitue le principe fondamental de différenciation entre l’Etat de droit (Rechtsstaat) et l’Etat de police (Polizeistaat). La doctrine du Rechtsstaat conduit en pratique à affirmation de la suprématie de la loi sur l’administration : non seulement celle-ci doit s’abstenir d’agir contra legem, mais encore elle est tenue de n’agir que secundum legem, en vertu d’une habilitation légale (J. Chevalier, L’Etat de droit, Clefs, 1999, p. 17). Le Rechtsstaat signifie donc que l’administration, non seulement ne peut imposer de manière discrétionnaire d’obligations juridiques aux assujettis, mais encore doit se borner à faire application particulière et individuelles des règles légales, en s’en tenant à l’exécution des lois. On mesure dès lors la portée politique de la théorie du Rechtsstaat qui à la fois constitue un rempart contre l’arbitraire, en imposant l’intervention du Landtag pour tous ce qui touche aux droits individuels et préserve les prérogatives de l’Exécutif, en mettant l’Etat lui-même hors de sphère de la loi (B.Barret Kriegel, 1992). Cette analyse est adossée à une vision plus générale du rapport entre le droit et l’Etat qui conforte ce point de vue formel.
D’après les juristes allemands, le rapport entre l’Etat et le droit a fait apparaître la conception d’autolimitation en vertu de laquelle le droit est considéré comme une véritable contrainte pour l’Etat : non seulement l’Etat ne pourrait supprimer l’ordre juridique lui-même (Jellinek, l’Etat moderne et son droit, Trad., Paris, 1911) sans saper les fondements de son institution, mais encore il est amené à respecter spontanément les lois. Deux raisons l’expliquent : d’une part, parce qu’il y trouve « intérêt », dans la mesure où le droit en vigueur sera d’autant mieux respecté que lui-même aura commencé à s’y conformer (Ihering, L’évolution du droit , Trad., Paris, 1901 ) ; d’autre part, parce que la pression sociale – ce qu’Ihering appelle le « sentiment national du droit ». la limitation n’est qu’intrinsèque et découle seulement du processus d’objectivation de sa volonté dans un ordre juridique caractérisé par la stabilité, la cohérence et la hiérarchisation ; elle apparaît dès lors bien fragile et dépend moins de la puissance même du droit que du réseau de croyances sur lesquelles repose l’organisation politique. l’Etat a le privilège de se fixer à lui-même les règles encadrant l’exercice de ses pouvoirs, et éventuellement de les modifier en respectant le courant des idées des citoyens.
Après la deuxième Guerre Mondiale, la notion d’Etat de droit en droit constitutionnel allemand groupe un certain nombre de principes constitutionnels plus concrets. Il s’agit du principe de la séparation des pouvoirs, du principe de la primauté et de la réserve de la loi, du principe de la protection de la confiance des individus dans l’action publique, des droits fondamentaux eux-mêmes, et de la protection juridictionnelle de ces droits fondamentaux (Albert Bleckmann, l’Etat dans la Constitution de la République fédérale de l’Allemagne, Pouvoirs, n° 22, 1982, p.7).
Le droit devient ainsi le moyen apte à résoudre tous les problèmes, la politique se couche dans le manteau du juriste (Albert Bleckmann, p.22)
La juridicisation de la vie politique et administrative en Allemagne correspond à un certain de la tradition Allemagne, où en raison de la primauté de l’Etat de droit l’argumentation juridique tendait toujours à repousser l’argumentation politique et où, par conséquent, il y avait une certaine tendance au monopole des juristes dans la politique et dans l’administration (A. Bleckmann, p. 16). Les arguments juridiques passent devant la considération de la valeur intrinsèque des arguments politiques, économiques et sociaux (même sur le plan politique intérieur qu’extérieur).
B – La conception française
En France les premiers développements qui sont consacrés à la théorie du Rechtsstaat datent en 1911 des manuels de droit constitutionnel de L.Duguit et d’A.Eismein. Les écrits de ces auteurs sont trop marqués par la tradition philosophique et politique allemande. La théorie de l’Etat de droit va venir en France se greffer sur une tradition politique et institutionnelle spécifique, héritée de la Révolution, par rapport à laquelle son statut est ambigu : permettant de valoriser celle-ci, par effet de labellisation, elle va aussi contribuer à la faire évoluer, en apportant des arguments nouveaux à la critique des institutions de la Troisième République.
Certains éléments fondamentaux de la théorie formelle de l’Etat de droit dégagés par la doctrine allemande étaient inscrits depuis longtemps dans le droit positif français – ce qui explique en partie le dédain manifesté par les juristes français vis-à-vis d’une théorie à leur yeux trop marquée par le contexte politique germanique.
La théorie allemande de l’autolimitation suscitera en France de vives critiques, notamment de la part de Michoud, Duguit, Hauriou et Jèze, au motif qu’elle interdirait toute véritable limitation de l’Etat par le droit. Et aussi Carré de Malberg qui a démontré que toutes théories visant à trouver au droit un fondement extérieur à l’Etat, sous le couvert du droit naturel ou de la solidarité sociale, auraient en effet, selon lui, échoué. L’observation démontre que « l’Etat seul possède la puissance de conférer aux règles destinées à régir la conduite et les relations humaines cette force exécutoire spéciale qui caractérise le droit » ; l’Etat est le seul créateur du droit et il est vain de chercher la source du droit positif au-delà de sa puissance et de s volonté car c’est l’Etat qui dispose seul de la puissance de coercition matérielle, il ne peut donc être que la seule source du droit positif ( P. Reynaud, Droit naturel et souveraineté nationale dans la pensée juridique française. Remarques sur la théorie de l’Etat chez Carré de Malberg, Commentaire, n°22, été 1983, p.384 et s.)
Dès lors, il faut aussi admettre qu’il n’existe au-dessus de l’Etat souverain aucune puissance qui soit capable de limiter juridiquement et qu’est donc la source du droit qui limite sa puissance.
Carré de Malberg : la puissance de l’Etat qui s’exprime à travers la norme juridique est une force régie par le droit et s’exerçant dans les formes et selon les conditions fixées par l’ordre juridique. Cet ordre juridique ne lie pas seulement les sujets mais aussi l’Etat : tant que subsiste le droit en vigueur, l’Etat est tenu de s’y conformer et s’il a la possibilité de l’abroger, il ne peut de le faire qu’au prix de la création d’un nouvel ordre qui continuera à limiter sa puissance. Ainsi, l’Etat est-il par essence même et constitutivement limité par le droit. Carré de Malberg retrouve les accents d’Hauriou pour souligner que c’est au moment où elle s’institutionnalise dans une organisation durable, régie par des principes juridiques que la puissance de l’Etat devient «par là-même » limitée.
La référence à la théorie de l’Etat de droit fait d’abord ressortir la singularité du cas français. Pour Carré de Malberg, la France n’appliquerait pas le régime de l’Etat de droit mais le système de l’Etat légal, qui s’en différencie au moins sur deux points essentiels : d’une part, la loi n’est pas seulement la limite de l’activité administrative mais aussi sa condition, la fonction administrative se ramenant à l’exécution des lois ; d’autre part, la primauté de la constitution sur la loi n’est pas assurée puisque celle-ci peut faire l’objet d’aucun recours. Alors que l’Etat de droit est établi simplement et uniquement dans l’intérêt et pour la sauvegarde des citoyens, dont il place les droits au-dessus de toute atteinte, même du législateur, l’Etat légal se rattache à une conception politique ayant trait à l’organisation fondamentale des pouvoirs et tend purement à assurer la suprématie du corps législatif. D’un côté, l’Etat légal va plus loin que l’Etat de droit, puisqu’il implique la subordination aux lois de l’ensemble des actes administratifs, même ceux qui n’intéressent pas directement les citoyens ; mais d’un côté, il est en retrait par rapport à l’Etat de droit, dans la mesure où il exclut tout mécanisme de limitation du législateur lui-même. En réalité, le système de l’Etat légal tel qu’il est établi en France ne concerne et ne régit, outre la justice, que l’administration (J. Chevalier, L’Etat de droit, Clefs, 1999, p.30).
En France la théorie de l’Etat de droit va donc servir l’appui théorique à la dénonciation de la souveraineté parlementaire inhérente au régime de l’Etat légal (Carré de Malberg, p. 492). A l’issu de la souveraineté parlementaire, la loi qui est l’expression générale (sous l’influence de Rousseau) est perçue comme un acte incontestable et sacré, dont le bien-fondé ne saurait être mis en doute (J. Chevalier, La dimension symbolique du principe de légalité, R.D.P, 1990, n°6, pp. 1651.)
La théorie de l’Etat de droit remet en cause le privilège d’incontestabilité dont bénéficiait, jusqu’alors, la loi en droit français, elle vient légitimer l’institution d’un contrôle de constitutionnalité des lois.
Mais la théorie de l’Etat de droit servira aussi, comme en Allemagne, d’appui solide de la construction doctrinale d’un droit administratif en plein essor, l’administration est assujettie au droit et les garanties offertes aux administrés sont renforcées par le biais de l’élargissement du contrôle du juge administratif sur les actes administratifs (J. Chevalier, Les fondements idéologiques du droit administratif français, in Variations autour de l’idéologie de l’intérêt général, PUF, p. 1979).
§ - II – Les réflexions doctrinales sur la notion d’Etat et de droit
L’Etat de droit s’associe par deux mots : l’Etat et le droit qui servent comme la base de réflexions philosophiques, politiques et juridiques des juristes du droit public. Il s’agit des débats doctrinaux sur le lien entre l’Etat et le droit, et en plus, leur identité font l’objet de discussions très intensives.
A – Les conceptions autour de la notion d’Etat et de droit
L’Etat et le droit sont des mots qui ont les racines très anciennes et l’Etat de droit est une expression inventée traditionnellement pour faire face à la réalité politique au point de vue de la limitation de l’Etat par le droit. Il suscite des questions : ou bien le droit est une création de l’Etat ; ou bien il est censé prendre sa source en dehors de l’Etat. Kelsen a démontré que le droit et l’Etat sont une seule et même réalité : aussi est-il parfaitement vain de chercher à les dissocier et l’expression « Etat de droit » ne peut-elle être qu’une pure et simple tautologie, un « pléonasme » (Kelsen, Théorie pure du droit, 1934, Trad de la 2e éd : Dalloz, 1962, p.411 ets), tout Etat étant nécessairement, en tant qu’ordre juridique, un Etat de droit. Kelsen affirme l’absolue identité de l’Etat et du droit, qui constituent selon lui un seul et même ordre de contrainte : de même que l’élément spécifiquement politique de l’Etat réside dans la contrainte que certains individus ont la faculté d’exercer en son nom, le signe distinctif du droit est de réagir par la contrainte à l’inexécution de ses prescriptions ; le droit est donc « précisément ce même ordre de contrainte qu’est l’Etat ». En tant qu’organisation politique, l’Etat ne peut être pensé que comme « ordre juridique » et, réciproquement, l’ordre juridique est un Etat dès l’instant où il présente un certain degré de centralisation.
Kelsen assimile l’Etat à l’ordre juridique, en en faisant la pure et simple personnification de cet ordre et le produit de ses déterminations ; ce n’est plus que l’autre nom de l’ordre juridique.
On est en présence d’un Etat, et donc d’un Etat de droit ; ce qui importe n’est pas le contenu des normes juridiques, le degré variable de démocratie et de sécurité juridique qu’elles comportent, mais le seul constat de l’existence d’un ordre de contrainte efficace (J. Chevalier, L’Etat de droit, R.D.P., 1988, p. 360).
L’analyse de Kelsen fait l’objet du débat contradictoire de la part des théoriciens qui entendaient faire du droit une réalité extérieure et supérieure à l’Etat.
Pour Hauriou (Hauriou, Précis du droit constitutionnel, 2e éd., Paris, Sirey, 1929, p. 136), le normativisme kelsenien ferait disparaître l’Etat comme « réalité vivante », pour l remplacer par un ordonnancement abstrait de règles, mais encore, en interdisant toute analyse du contenu des règles, il néantiserait l’idéal de justice qui est au principe même du droit. Ainsi toute réelle limitation de la puissance étatique par le droit serait exclue (Hauriou, p. 11).
Plus généralement, l’analyse kelsenienne de l’Etat de droit appelle un certain nombre d’objections. sans doute, elle a le mérite de montrer que le droit et l’Etat ne peuvent être envisagés indépendamment l’un de l’autre : il s’agit de deux phénomènes simultanés, indissolublement liés et qui se présupposent réciproquement. De même que le droit implique un processus d’extériorisation des disciplines collectives, traduit par l’émergence de l’Etat, la puissance étatique s’exprime dans/par la norme juridique : tout comme le droit prend appui sur l’Etat, l’Etat se présente comme une entité juridique, gouvernée et régie par le droit. Ce pendant, droit et Etat ne sauraient pour autant être identifiés. D’une part, l’Etat ne se réduit pas au droit. En considérant l’Etat comme un simple ordre juridique formel, Kelsen aboutit à en faire une « totalité » cohérente et stable, en ignorant la dynamique sociale et politique dont il est le produit et les forces qui l’agitent en permanence et le font évoluer : projection de l’ « institué », l’ordre juridique n’est qu’un des éléments constitutifs, un des « moments » de l’Etat qui, comme toute institution, se caractérise par un mouvement continu et tournoyant de déconstruction/reconstruction des formes établies (J.Chevalier, L’analyse institutionnelle, in L’institution, P.U.F., 1981, p. 3 et s) ; au demeurant, loin de s’épuiser dans l’édictions de la norme juridique, la puissance étatique s’exprime d’abord et avant tout par l’usage de la force matérielle, de la contrainte « physique » qui, comme l’a souligné Max Weber, est le signe distinctif de l’Etat. d’autre part, et à l’inverse, le droit ne se réduit pas à l’Etat. Le principe kelsenien de l’identité du droit et de l’Etat signifie, non seulement que l’Etat et le droit sont un seul et le même ordre de contrainte, mais encore que l’Etat est devenu « l’ordre juridique total », qui intègre et ramène à lui tous les autres : « son droit, en tant que suprême, est le seul vrai droit ». D’après M.Hauriou, même si cette conception traduit bien la volonté de l’Etat d’imposer sa suprématie juridique et de contrôler l’ensemble des flux sociaux, cette conception néglige la complexité de la vie sociale et la diversité consécutive du droit : malgré ses prétentions totalisants et sa recherche de l’exclusivité, l’ordre juridique étatique ne parvient jamais à ramener à lui et à condenser l’intégralité des phénomènes juridiques ; il se trouve pris à revers et court-circuité par des règles juridiques qui se forment en de multiples lieux et échappent au moins partiellement à sa médiation.
Par ailleurs, en interdisant toute analyse du contenu de l’ordre juridique, Kelsen vide le concept d’« Etat de droit » des significations politiques et idéologiques qu’il a historiquement revêtues : au nom de l’Etat de droit, ont été conquises un ensemble des garanties conte l’arbitraire des gouvernants ; et ses significations concrètes ne sauraient être purement et simplement évacuées au profit d’un formalisme abstrait.
B – L’attachement juridique de l’Etat au droit
Il semble que l’expression d’Etat de droit désigne deux types de relations entre l’Etat et le droit : l’Etat de droit serait ou bien l’Etat soumis à un droit qui lui serait extérieur, ou bien simplement un Etat qui agit au moyen du droit. M. Troper a affirmé qu’il n’y a évidemment pas de soumission possible de l’Etat au droit, si c’est l’Etat qui fait le droit ; mais c’est ses organes qui sont soumis au droit (Michel Troper, Le concept d’Etat de droit, Droits – 15, 1992, p. 55).
Duguit et Hauriou affirment, conjointement à propos de l’Etat de droit, l’idée selon laquelle l’Etat est considéré comme organe de la volonté des gouvernants qui doit être subordonné à un ordre objectif qu’il n’a pas lui-même créé et en reposant, soit sur la « solidarité sociale » (Duguit) ; soit sur une « constitution sociale » préexistante (Hauriou). Ces auteurs font référence à la primauté de la Déclaration de 1789 ; mais, à l’inverse, Carré de Malberg et Esmein estiment que la Déclaration a perdu toute valeur juridique, même s'ils adhèrent à la philosophie révolutionnaire, ils ont affirmé le principe selon lequel « l’Etat souverain ne peut être limité que par les règles qu’il a lui-même créées ».
Cette relation fondamentale entre le droit et l’Etat découle de l’intégration de la sanction dans la définition du droit : pour Carré de Malberg, une règle de conduite ne devient une règle de droit que dans la mesure où elle possède la sanction matérielle, c’est-à-dire son exécution est garantie et son inexécution est réprimée, par l’intervention d’un pouvoir de contrainte ; l’ordre juridique tout entier est l’œuvre de l’Etat et repose sa volonté propre. Cette position a confirmé la théorie de Jellinek qui soulignait que l’Etat reste « maître de se fixer sans cesse à lui-même les règles qui sont de nature à le limiter ». L’Etat qui est « l’unique source du droit » (Ihering, L’évolution du droit , Trad., Paris, 1901 ;), détient seul la puissance de contrainte, c’est-à-dire le pouvoir de formuler des ordres qui s’imposent par eux-mêmes, de manière irrésistible. Etant l’expression de la puissance intrinsèque de l’Etat, le droit ne lui est par suite ni antérieur, ni supérieur. Puisque l’Etat est à l’origine du droit. Puisque c’est de lui que dépend le contenu de l’ordonnancement juridique, mais que l’Etat a le privilège de se fixer à lui-même les règles encadrant l’exercice de ses pouvoirs, et éventuellement de les modifier.
Duguit souligne que « si l’Etat ... n’est soumis au droit que parce qu’il le veut bien, quand il le veut et dans la mesure où il le veut, en réalité il n’est point subordonné au droit ». il s’agit de fonder l’Etat de droit sur des bases plus solides, en faisant du droit une réalité distincte de l’Etat. le fait générateur du droit se situe en dehors de l’Etat. le droit naturel a pendant longtemps servi de référence à tous ceux qui entendaient dégager le droit de l‘emprise de l’Etat. Pour lui, c’est « l’état de conscience » de la masse des individus composant un groupe social donné qui est la source créatrice du droit : il y a en effet droit quand cette masse « comprend et admet qu’une réaction contre les violateurs de la règle peut être socialement organisée ». le droit n’est donc nullement une création de l’Etat et l’expression de sa suprématie, mais un fait social : il se forme spontanément dans l’esprit des hommes , sous l’influence de deux sentiments : celui de la sociabilité et celui de la justice. C’est la double conscience qu’une règle est essentielle pour le maintien de la solidarité sociale et qu’il est juste de la sanctionner qui provoque sa transformation en règle de droit ; existant ainsi en dehors de l’Etat, et sans que soit requise son intervention, cette règle s’impose à lui objectivement, comme elle s’impose à tous les individus. Duguit : la norme sociale devient juridique par transmutation spontanée et avant même son constat par l’Etat.
Hauriou qui se trouve dans le même courant d’idée n’est pas si éloignée de la vision de Duguit. Il a précisé que l’Etat doit être maintenu comme le dépositaire de toute puissance et le support permanent du pouvoir. L’Etat repose en effet, comme toute institution, sur le consentement coutumier, la disparition du consensus des membres (citoyens) frapperait l’Etat d’illégitimité. de ce fait, l’Etat ne peut être considéré comme la source exclusive du droit.
Selon les théoriciens du droit objectif, (F. Gény, Science et technique en droit privé positif, 4 Vol, 1914 – 1925), le droit ne saurait être réduit aux seules règles « formelles » ou « techniques », qui résultent de l’intervention de l’Etat : il y a derrière ces règles une réalité juridique antérieure et plus profonde sur laquelle s’appuie leur édition ; le texte officiellement posé n’est jamais en fait que la cristallisation d’une norme juridique déjà présente, bien que de manière latente, au sein du groupe social.
Pour G.Burdeau, l’Etat est limité par le droit dans la mesure où « sa puissance est juridiquement conditionnée par l’idée de droit qui la légitime » ; l’Etat n’est pas le fondement du droit : il « ne se limite point ; il naît limité », les gouvernants ne sauraient aller à l’encontre de l’idée de droit à laquelle le groupe se réfère.
Ces théories qui visent à faire du droit une réalité extérieure, antérieure et supérieure à l’Etat ne parviennent pas à atteindre véritablement leur but.
Ainsi, en construisant sa propre version de l’Etat de droit , la doctrine ne vient-il à buter, elle aussi, sur le problème de la limitation de l’Etat par le droit : la soumission des organes de l’Etat aux contraintes d’un ordre juridique hiérarchisé donne sans aucun doute à voir un Etat régi par le droit ; elle laisse en revanche en suspense la question de la position de l’Etat par rapport à ce droit.
CHAPITRE II : L’ATTACHEMENT DE VALEUR LIBERALE A
L’ETAT DE DROITDepuis la naissance, l’Etat de droit s’est développé progressivement suivant les contextes politiques et juridiques. A l’aube de XXe siècle, tout Etat cherche à être l’Etat de droit en prouvant les caractéristiques différents de la démocratie, du respect des droits et des libertés à travers le perfectionnement de son propre ordre juridique. Le processus de la légitimité politique et juridique n’est pas négligé en valorisant le droit sur la politique dans le fonctionnement de l’organisation de l’Etat.
§ - I – L’Etat vers la légitimité politique et juridique
On se rend compte des impasses d’un formalisme abstrait qui peut aboutir à considérer les Etats eux-mêmes comme d’authentiques Etat de droit par le biais de renforcer les éléments juridiques et politiques de l’Etat qui s’épanouissent sur une certaine référence idéale.
A –Le passage de l’Etat de police à l’Etat de droit
L’Etat de droit est une notion inventée par les juristes allemands afin de limiter le pouvoir de la Monarchie en assurant les garanties des droits et les libertés aux citoyens. C’est-à-dire de faire le passage de l’Etat de police à l’Etat de droit. Il est certain que le droit trouve une place importante dans l’Etat de police, mais dans ce régime, le droit est purement instrumental, sur lequel l’administration dispose d’une totale maîtrise. Les administrés ne sont pas juridiquement respectés. L’administration est libre dans son action, le droit n’est que l’expression et de condensé de la toute puissance administrative (J.Chevalier, L’Etat de droit, Clefs, 1999, p. 16).
Carré de Malberg définit que l’Etat de police est celui dans lequel l’autorité administrative peut, d’une façon discrétionnaire et avec une liberté de décision plus ou moins complète, appliquer aux citoyens toutes les mesures dont elle juge utile de prendre par elle-même l’initiative, en vue de faire face aux circonstances et d’atteindre à chaque moment les fins qu’elle se propose » (Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, Paris, Sirey, 1920-1922, p.488). L’Etat de police est donc fondé sur le bon plaisir du Prince : il n’y a, ni véritable limite juridique à l’action du pouvoir, ni réelle protection des citoyens contre le pouvoir. Par contre, l’Etat de droit c’est un Etat qui, dans ses rapports avec ses sujets et pour la garantie de leur statut individuel, se soumet lui-même à un régime de droit. L’administration ne peut rien imposer qui ne soit explicitement prévu par les règles ; et les administrés pourront les invoquer devant une autorité quelconque pour obtenir l’annulation, la réformation ou la non-application des actes administratifs qui les auraient enfreintes. l’Etat de droit a pour but de prémunir et de défendre les administrés contre l’arbitraire des autorités étatiques » (Carré de Malberg, précité, p.490).
L’Etat de droit s’oppose à l’Etat de police dans la mesure où le droit n’est plus seulement un instrument d’action pour l’Etat, mais aussi un vecteur de limitation de sa puissance (J-P.Henry, Vers la fin de l’Etat de droit, cette Revue, 1977, p.1208 :). J.P. Henry démontre que l’Etat de droit est « un système d’organisation dans lequel l’ensemble des rapports sociaux et politiques sont soumis au droit » ; il implique donc à la fois la soumission au droit et la sanction d’un juge indépendant : il signifie que l’administration est soumise à un ensemble de règles extérieures et supérieures, qui s’imposent à elle de manière contraignante et constituent à la fois le fondement, le cadre et les limites de son pouvoir (J.Chevalier, l’Etat de droit, R.D.P, 1984, p. 330). Il y a des règles qui tracent le champ de compétences de l’administration et les actes administratifs se trouvent sous le contrôle d’un juge. Ce contrôle juridictionnel est indispensable à la réalisation de l’Etat de droit ; il peut être exercé, soit par le juge ordinaire (Justizstaat), soit par des tribunaux spéciaux (Sondergerichte), mais l’indépendance de la juridiction administrative soit comparable à celle des juridictions ordinaires (R.Jacquelin, Les principes dominants du contentieux administratif, Girard et Brière, 1899). Concrètement, l’administration est désormais liée par la règle de droit et tenue d’agir conformément au droit. Le droit administratif est désormais fondé sur le souci de renforcer les garanties offertes aux administrés contre l’arbitraire administratif ; la puissance publique qui appartient originalement à l’administration connaît la mutation très profonde. Les règles juridiques sont de mieux en mieux valorisées en limitant la sphère d’action de l’administration, et en même temps les mécanismes de protections des administrés sont améliorés.
B – L’Etat de droit et la démarche de la solidification d’ordre juridique
L’Etat de droit est devenu une formule incontournable qui joue comme argument d’autorité dans le débat politique et dont l’invocation suffit à produire un série d’effets de légitimation du pouvoir publique. Actuellement, la légitimité d’un Etat sera internationalement reconnue quant cet Etat est considéré comme l’Etat de droit. L’Etat de droit porte en lui une symbolique du pouvoir, qui constitue un puissant vecteur de légitimation de son exercice. L’Etat de droit ramène les autorités publiques « au même niveau que les autres citoyens », le principe de légalité montre que les gouvernants « sont eux-mêmes susceptibles d’être gouvernés en tant que gouvernants » (P.Amselek, L’évolution générale de la technique juridique dans les sociétés occidentales, Revue du droit public, 1982, p.278).
L’Etat de droit, « ce n’est pas le gouvernement des hommes, c’est le règne des normes. Le pouvoir n’est autre chose qu’exécution subordonnée, réalisation de ce qui doit être selon les normes » (W.Leisner, L’Etat de droit : une contradiction, Mélanges Eisemann, Paris, Cujas, 1974, p. 66).
L’idéal de l’Etat de droit, c’est la suppression de tout pouvoir discrétionnaire de l’administration ; il faut mettre en œuvre des normes juridiques qui doivent être suffisamment précises et détaillées pour commander l’intégralité de la décision de celui qui n’apparaît plus alors que comme un simple exécutant. La fonction des organes exécutifs est censée se réduire à l’application des lois : les gouvernants et les fonctionnaires ne peuvent agir qu’en vertu d’un titre légal, et leur action s’inscrit nécessairement dans le cadre tracé par lois en vigueur. Il convient d’évoquer du processus de la juridicisation intégrale qui est au cœur de l’Etat de droit, il entraîne, en effet au niveau symbolique l’effacement du phénomène de pouvoir, qui tend à se transformer en une compétence, entièrement régie par la droit. L’Etat de droit commence par la mise en place de la valorisation des normes juridiques et la qualité du contrôle juridictionnel. Le juge se voit assigner la fonction de garantir le respect des lois, il ne ferait qu’appliquer la loi, en tirant les conséquences de la hiérarchie des normes, il n’exercerait pas lui-même de pouvoir. Et son indépendance ne ferait que témoigner de la transcendance du droit par rapport au politique. Les constituants percevront ainsi la fonction exercée par les juges comme une fonction d’application purement mécanique de la loi (M. Verpeaux, La notion révolutionnaire de juridiction, Droits, 1989, n°9, p.36) : juger consiste, au terme d’un raisonnement syllogistique, à faire application de la loi aux situations particulières ; « ministère de la loi », le juge doit s’en tenir strictement à la lettre du texte, en suivant fidèlement la volonté du législateur. On n’oublie jamais que le contrôle de la constitutionnalité de la loi est vraiment important dans le déroulement de l’Etat de droit. Il s’agit d’harmoniser les hiérarchies de la norme juridique et d’assurer la garantie des droits et des libertés reconnus par la constitution.
L’Etat de droit apparaît comme indissociable d’un mode de légitimation « légal-rationnel » (M.Weber), dans lequel l’autorité des gouvernants, et plus généralement de l’ensemble des organes de l’Etat, est fondée sur un statut légal.
Actuellement, la notion d’Etat de droit met accent sur le rôle du droit au détriment du politique et en valorisant la fonction des juristes, la théorie de l’Etat de droit donne un moyen d’encadrer et de canaliser les transformations d’un Etat, investi par le suffrage universel et devenu interventionniste, en assurant la continuité des principes libéraux ; à ce titre, elle a servi de moyen de régulation sociale et politique. (J. Chevalier, L’Etat de droit, Clefs, 1999, p. 69.). La théorie de l’Etat de droit a pour effet de parachever le processus de construction de l’Etat comme entité juridique ainsi que de fournir au droit public les certitudes nécessaires en travaillant la réalité juridique et politique.
Le renforcement de l’ordre juridique se fait par le respect strict de la loi par tout le monde, c’est-à-dire tous les citoyens (les gouvernants et les administrés) sont au pied de légalité de loi et le juge doit être impartial et appliquer la loi de manière juste et équitable. La société où la le droit règne c’est l’Etat de droit mais à condition que le droit soit fait dans l’intérêt général, par contre la société où le pouvoir politique gouverne l’Etat au détriment du droit, l’Etat n’est qu’un moyen d’exploitation et d’oppression sur le peuple. Dans tel Etat, on va voir nettement que le droit n’est pas bien appliqué et respecté, il n’est que utilisé dans un but favorisant l’intérêt personnel ou d’un groupe.
L’Etat de droit est une entité fonctionnant sur la base du droit dont le continu répond aux exigences de la population ; et il est une organisation étatique dont les normes juridiques sont hiérarchisées et respectées par le moyen concret des contrôles juridictionnels.
§ - II – Le fondement libéral de l’Etat de doit
L’Etat de droit repose sur le fondement qui est considéré comme libéral par des juristes, il s’agit de l’idée de la démocratie et des libertés et des droits de l’Homme qui sont attachés très étroitement à l’idée originale de l’Etat de droit. Aujourd’hui, L’Etat qui manque ces éléments n’est plus considéré comme l’Etat de droit en sens moderne du terme.
A – Le lien entre l’Etat de droit et la démocratie
Selon Rousseau, l’Etat est créé par voie d’accord, au moins tacite, entre les membres de la communauté nationale, c’est le produit d’un pacte entre les individus, liés à la nécessité de « trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune la puissance et les biens de chaque associé » (J. J. Rousseau, Du contrat social ou Principes du droit public, livre 1, chap. 6). Cette origine consensuelle a fait naître le principe selon lequel le pouvoir de l’Etat est politiquement et juridiquement limité ; il s’agissait de la procédure de légitimer la résistance du peuple à l’oppression du pouvoir publique ; il produit des conséquences remarquables sur la présence consensus qui est indispensable à son existence et à sa survie. La disparition éventuelle de consentement du peuple frappera l’Etat d’illégitimité. L’idée que la loi est une expression de la volonté générale est en effet un soubassement fondamental de l’Etat de droit ; et c’est sur elle que vient s’appuyer la structure de l’ordre juridique.
A travers l’affirmation de la suprématie de la loi, à la formation de laquelle les citoyens participent par l’élection du Parlement ; alors l’Etat de droit est associé à l’idée de représentation nationale et de parlementarisme.
La théorie de l’Etat de droit implique une certaine conception de la démocratie, dans laquelle les représentants élus sont tenus au respect de règles juridiques supérieures : à ce titre, elle apparaît comme un compromis entre l’idéologie démocratique et les valeurs libérales ; tout en enregistrant la poussée démocratique, elle entend l’encadrer et la canaliser par le droit. C’est le processus de démocratisation des institutions en Allemagne pour la substitution du Rechtssaat au Polizeistaat (J.Chevalier, L’Etat de droit, Clefs, 1999, p. 58). Et on voit que la notion de la démocratie est parfaitement liée à l’Etat de droit car le principe démocratique a pour effet, de mettre l’administration, dans les pays libéraux, entièrement sous la coupe des élus : dépourvue de légitimité propre, l’administration n’est légitime que pour autant que, et dans la mesure où, elle obéit aux élus (J.Chevalier, Science administrative, PUF, Thémis, 1994, p. 262).
Comme tout mythe, l’Etat produit des effets de réalité, en influant sur la nature des équilibres politiques et sur la conception traditionnelles de la démocratie. L’Etat implique en effet que la liberté de décision des organes de l’Etat soit, à tous les niveaux, limitée par l’existence de règles dont le respect est garanti par l’intervention d’un juge, de ce fait, il y a bien antinomie entre l’Etat en la conception traditionnelle de la démocratie (Jürgen Habermas, Droit et démocratie, 1992, Paris, Gallimard, 1997) ; fondée sur la toute puissance des élus, tirant leur légitimité du suffrage universel.
Aujourd’hui, la conception de la démocratie tend à prévaloir dans les sociétés contemporaines. La démocratie n’est plus synonyme de pouvoir sans partage des élus. Elle suppose encore le respect du pluralisme, la participation directe des citoyens aux choix collectifs et la garantie des droits et libertés ; l’Etat de droit devient ainsi le vecteur d’une démocratie juridique ; qui est aussi une démocratie de substance fondée sur les droits et une démocratie de procédure, impliquent le respect de certaines règles par les autorités publiques. La démocratie favorise le maintien en puissance du pouvoir juridictionnel ; le juge apparaît comme la clef de voûte et la condition de réalisation de l’Etat de droit : la hiérarchie des normes ne devient effective que si elle est juridictionnellement sanctionnée et les droits fondamentaux ne seront réellement assurés que si le juge là pour en assurer la protection. Au delà de l’essor des juridictions constitutionnelles, devenues des acteurs à part entière du jeu politique. Cette montée en puissance s’est traduite par l’émergence d’un nouveau pouvoir judiciaire, n’hésitant plus à traquer les pratiques de corruption politique (Denis Salas, Le tiers pouvoirs vers une autre justice, Paris, Hachette, 1998). Plus généralement, la justice tend à apparaître comme la nouvelle scène de la démocratie (Antoine Garapon, Le gardien des promesses : le juge et la démocratie, Paris, Editions Odile Jacob, 1996) ; offrant aux citoyens la possibilité d’interpeller directement les gouvernants.
Né dans la dénombre du champ juridique, l’Etat s’est trouvé investi, au fil de sa diffusion dans le champ social et politique, d’une portée symbolique, d’une puissance évocatrice, voire d’une force émotionnelle nouvelle, qui sont venues surdéterminer le contenu conceptuel dont les juristes l’avaient à l’origine lesté. Il reste que, si elle prend appui sur les ressorts d’un imaginaire occidental formé au culte du droit, cette dimension mythique risque peut-être de s’éroder avec le temps, l’Etat de droit retrouvent alors les chemins bien balisés de la dogmatique juridique. (J. Chevalier, L’Etat de droit et la transformation, Cahiers français-288)
Ces principes de l’Etat de droit demandent ainsi que la démocratie se feront dans le cadre d’une procédure strictement fixée, qu’elle n’interviennent pas de la façon évidente dans les droits fondamentaux et que le juge contrôle si l’action du parlement est arbitraire (violation de l’égalité devant la loi). Le principe de l’Etat de droit prévoit aussi de façon claire la compétence du juge pour interpréter et appliquer et appliquer même les notions très indéterminées de la Constitution qui se trouvent notamment dans les droits fondamentaux.
B – La présence indispensable de la liberté et des droits de l’HommeL’Etat de droit implique en effet une certaine conception des rapports entre l’individu et l’Etat, qui sous-tend tout l’édifice juridique : non seulement la puissance de l’Etat trouve ses limites dans les droits fondamentaux reconnus aux individus, ce qui crée ainsi la possibilité d’une « opposition au pouvoir fondée sur le droit (C.Lefort,, Droits de l’homme et politique, Libre n° 7, 1980, p. 25), mais encore elle a pour finalité même, pour justification ultime la garantie de ces droits.
Il repose en fin de compte sur l’affirmation de primauté de l’individu dans l’organisation sociale et politique, ce qui entraîne à la fois l’instrumentalisation de l’Etat, dont le but est de servir les libertés, et la subjectivisation du droit, qui dote chacun d’un statut, lui attribue un pouvoir d’exigibilité et lui confère une capacité d’action (L.Ferry, A. Renaut, Philosophie politique, III Des droits de l’homme à l’idée républicaine, PUF, 1985, p. 72).
L’Etat de droit s’inspire d’une méfiance de principe vis-à-vis d’un Etat dont on cherche à encadrer et à limiter la puissance pour éviter qu’elle ne devienne oppressive ; comme le vieux adage indique : celui qui détient le pouvoir risque de l’abuser. Cette problématique apparaît dès l’Ancien Régime, les théoriciens de l’absolutisme, les philosophes s’efforcent de penser rationnellement l’ordre politique en l’appuyant sur l’idée de consentement (contrat social) et en lui assignant pour finalité la sécurité collective et la protection de chacun des membres. Pour résoudre le problème, le droit est appelé à cristalliser cette nouvelle conception du lien politique, en encadrant l’exercice du pouvoir et en garantissant les libertés individuelles(B.Barret-Kriegel, Etat de droit, in Dictionnaire constitutionnel, Paris, PUF, 1992, pp. 415ss ).
Cette démarche est celle des révolutionnaires qui, en réaction contre les excès de l’absolutisme monarchique, entendent proclamer les droits inaliénables de l’homme face au pouvoir et soumettre l’Exécutif à la volonté de la Nation ; on la retrouve au long du XIXe siècle, au fil de la lutte contre les résurgences de l’absolutisme, et l’épanouissement de la théorie de l’Etat de droit coïncidera avec l’événement d’un Etat libéral qui entend contenir les interventions de l’Etat dans la vie sociale, au nom du primat accordé à l’individu et des bienfaits présumés de l’ordre « naturel ». Au cœur de l’Etat de droit, il y a donc fondamentalement l’idée de limitation du pouvoir, par le triple jeu de la protection des libertés individuelles, de l’assujettissement à la Nation et de l’assignation d’un domaine restreint de compétences : la structuration de l’ordre juridique n’est qu’un moyen d’assurer et de garantir cette limitation, à travers les mécanismes de production du droit. L’Etat de droit recouvre ainsi une conception au fond des libertés publiques, de la démocratie et du rôle de l’Etat, qui constitue le fondement sous-jacent de l’ordre juridique. (J.Chevalier, L’Etat de droit, Clefs, 1999, p. 54-55).
En effet, l’Etat de droit est né dans les idées de garanties des libertés et des droits de l’Homme. Au fur et à mesure, les juristes du droit public les ont introduit dans la conception substantielle de l’Etat de droit. Ainsi, derrière la conception formelle de l’Etat de droit dominante se profile une conception substantielle sous-jacente, qui trouve en France dans la Déclaration de 1789 des références solides et aux Etats-Unis dans la Déclaration de l’indépendance des Etats-Unis en 1776 ( Déclaration de Thomas Jefferson). Les droits de l’Homme deviennent la conception philosophique, sociale, politique et juridique qui se sont attachés fortement à l’Etat de droit.
La mise en place de l’Etat de droit se pose souvent des problèmes sur le protection des droits de l’Homme. Ainsi, La pratique occidentale estime de plus en plus que pour réaliser pleinement les droits fondamentaux il ne suffit pas d’un texte abstrait dans la constitution mais qu’il faut une masse de casuistique juridictionnelle fixant peu à peu un véritable régime, un standard complet et précis des droits de l’Homme dont on peut déduire objectivement les limitations du pouvoir étatique dans chaque cas individuel (Albert Bleckmann, L’Etat de droit dans la constitution de la République fédérale d’Allemagne, pouvoirs-22, 1982, p.15)On voit les conséquences nées de ce propos que le problème des droits fondamentaux aujourd’hui est donc qu’il ne s’agit plus seulement de protéger l’individu contre la toute puissance de l’Etat. mais l’Etat est seul aujourd’hui capable de réaliser pleinement les droits fondamentaux en mettant en œuvre les mécanismes nécessaires et efficaces pour que son peuple soit à l’abri de l’arbitraire du pouvoir publique. Si un Etat souhaite d’être l’Etat de droit, il faut avoir la version minimale du respecte des droits de l’Homme comme M. Troper indique que si l’Etat de droit est présenté comme désirable, c’est parce qu’il est considéré comme une garantie de la liberté et de la démocratie, c’est-à-dire comme un moyen ou un instrument. (Michel Troper, Le concept d’Etat de droit, Droits – 15, 1992, p. 58).
PARTIE II : LE CONTENU DES PRINCIPES DE L’ETAT DE DROIT ET LES MECANISMES DE LA GARANTIE
La notion de l’Etat de droit groupe un certain nombre de principes. Il s’agit du principe de la séparation des pouvoirs, du principe de la primauté du droit, du principe de la protection des droits fondamentaux… (chapitre I). La concrétisation de ces principes exige l’intervention protectrice de différents organes juridictionnels
(chapitre II).
CHAPITRE I : LES GRANDS PRINCIPES SOLENNELLEMENT
RECONNUSEléments constitutifs de la notion d’Etat de droit peuvent se ramener aux quelques grands principes ayant des caractères, philosophique, politique et juridique qui sont apparus à des époques différentes : la séparation des pouvoirs, la primauté du droit, la hiérarchie des normes…, et le respect des libertés et des droits de l’homme par l’Administration.
§ - I – Les théories politique et juridique de l’Etat de droit
Parmi les théories juridique et politique de l’Etat de droit, on trouve que, historiquement, la séparation des pouvoirs est le premier élément constitutif de l’Etat de droit. Ces théories reconnaissent également la nécessité de la primauté du droit et de la hiérarchie des normes pour que l’Etat de droit soit bien respecté.
A – La séparation des pouvoirs
Le principe de la séparation des pouvoirs a été inventé au XVIIIe siècle par Montesquieu, dans son ouvrage « De l’esprit des lois ». Il est une technique d’organisation constitutionnelle lié au libéralisme. Ce principe a connu beaucoup d’interprétations des philosophes et des juristes. Selon Montesquieu et tous les auteurs du XVIIIe siècle, y compris Jean-Jacques Rousseau, le principe de séparation des pouvoirs signifie qu’un homme ou un même collège ne doit pas cumuler l’exercice de tous les pouvoirs. Il faut que ceux-ci soient répartis entre plusieurs autorités et peu importe de quelle manière (Guillaume Bacot, L’esprit des lois « la séparation des pouvoirs » et Charles Eisenmann,, RDP, 1984, pp. 115 et s.)
Il y a une autre interprétation qui va un peu plus loin que celle de la première en indiquant que le principe de la séparation des pouvoirs comporte deux règles : celle de la « spécialisation » et celle de l’« indépendance » (M. Troper, La séparation des pouvoirs et histoire constitutionnelle française, LGDJ, 1973). La spécialisation signifie que les trois fonctions juridiques de l’Etat, législatif, exécutif et juridictionnel sont attribués à trois organes distincts et chacun doit exercer une seule fonction et ne doit pas participer à l’exercice des deux autres. D’après la règle de l’indépendance, les organes doivent être dépourvus de tout moyen d’action réciproque ( absence de dissolution, de responsabilité, etc.). La combinaison de ces deux règles est censée produire un équilibre entre les organes respectifs des trois fonctions.
Cette théorie a été critiquée par Carré de Malberg qui a montré que la spécialisation ne produirait pas un équilibre entre les organes mais une hiérarchisation, car ces fonctions ne sont pas égales mais sont bien hiérarchisées (Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l’Etat, CNRS, 1960, pp. 432 et s.):
Sur un autre plan (Guillaume Bacot, L’esprit des lois « la séparation des pouvoirs » et Charles Eisenmann, préc,) le principe de la séparation des pouvoirs de Montesquieu a été utilisé en doctrine en tant que de critère de classement des régimes politiques, et plus particulièrement de ces deux modes d’organisation et de fonctionnement du pouvoir politique que sont le régime présidentiel et le régime parlementaire. Le fondement essentiel du principe est que « le pouvoir est dangereux pour la liberté ». C’est une expression éternelle que « tout homme qui a du pouvoir est porté à abuser ». Il faut que, par la disposition des choses, « le pouvoir arrête le pouvoir ». La doctrine de la séparation est d’ailleurs totalement étrangère à tous les régimes de dictature, quelque soient les formes de cette dernière. La séparation des pouvoirs est en effet recette de liberté, or le propre d’une dictature, c’est de supprimer la liberté comme fondement du pouvoir.
Nous étudierons successivement les théories allemandes et les théories françaises qui utilisent la notion de séparation des pouvoirs pour définir le fondement de l’Etat de droit :
En Allemagne, la règle fondamentale de la séparation des pouvoirs découle implicitement de l’article 20, alinéa 2 de la Loi fondamentale (la Constitution allemande), aux termes duquel « la souveraineté est exercée par le peuple au moyen d’élections et de votations populaires et par les organes spécialisés des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ».
Cette règle ne joue pas de façon très stricte dans les rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif et parfois même de façon moins stricte qu’en France : par exemple, la Cour constitutionnelle fédérale a admis que le législateur prévoit l’approbation d’un règlement administratif par un organe parlementaire. Cela tient à ce que le système parlementaire suppose un contrôle mutuel des deux pouvoirs. Cependant, le principe de séparation des pouvoirs a permis à la Cours de s’opposer à des lois de Länder qui dépouillent les gouvernements provinciaux d’une partie de leur pouvoir de nommer les fonctionnaires.
La Loi fondamentale a établi le régime parlementaire qui comporte nécessairement une certaine collaboration des pouvoirs législatif et exécutif. Elle permet à l’Administration de participer à la législation par l’émission de règlements habilités par la loi, et au législateur de participer à l’action de l’Administration par le contrôle de son activité. C’est pourquoi la doctrine allemande conçoit ce principe de la séparation des pouvoirs plutôt dans le sens américain des checks and balances.
Au contraire, la règle de la séparation des pouvoirs joue de façon très stricte dans les relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Le principe de l’indépendance es tribunaux est expressément consacré par l’article 97, alinéa 1 de la Loi fondamentale : « les juges sont indépendants et ne sont soumis qu’à la loi ».
Selon Albert Bleckmann (A. Bleckmann, L’Etat de droit dans la constituion de la République fédérale d’Allemagne, Pouvoirs – 22, 1982, pp. 5-25), dans le droit allemand, le contrôle par le juge du législateur et de l’exécutif, loin de porter atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, est au contraire une conséquence nécessaire de la notion de l’Etat de droit. Tout le principe de la séparation des pouvoirs est considéré comme un moyen essentiel de la protection de l’individu contre toute-puissance de l’Etat.
Quant à la Constitution française, elle voit dans ce principe plutôt qu’un instrument de la protection des individus un moyen pour protéger le législateur et l’Administration contre l’intervention du juge. Dans un certain sens, il s’agit ainsi de la protection de la « souveraineté » du Parlement et de l’exécutif.
Le principe de la séparation des pouvoirs a été reçu comme exprimant la raison d’être de toute Constitution, d’où la rédaction de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a point de Constitution ». Mais ce principe de séparation des pouvoirs, d’après A. Bleckmann, a été rejeté « catégoriquement » par les constitutions des pays d’ex-bloc de l’Est qui plutôt suivent les idées de Jean-Jacques Rousseau (A. Bleckmann, L’Etat de droit dans la constituion de la République fédérale d’Allemagne, Pouvoirs – 22, 1982, pp. 5-25). Le principe de la séparation des pouvoirs a récemment trouvé une nouvelle expression dans les lois protégeant la sphère privée des individus. On a en effet tendance à considérer tout le système des compétences étatiques non pas comme une simple expression de la répartition des tâches, mais comme une forme spéciale de la protection des individus, et ainsi comme une émanation du principe de l’Etat de droit.
Nous constatons enfin que le principe de la séparation des pouvoirs a joué un rôle important dans le débat sur la constitutionnalité des traités fondant la Communauté européenne. On a en effet parfois souligné que le transfert du pouvoir législatif au conseil des ministres, donc à un organe exécutif, constituait une violation du principe de la séparation des pouvoirs ainsi que du principe démocratique. Les doctrines allemande et française sont par contre de l’avis que les constitutions allemande et française ne peuvent pas imposer à la communauté européenne leur conception de la séparation des pouvoirs. Pour la constitutionnalité des traités européens, il suffirait que ces traités établissent un système de checks and balances propre aux institutions internationales qui a, comme le système allemand, pour but d’arrêter le pouvoir par le pouvoir.Le respect du principe de la séparation des pouvoirs n’est pas suffisant pour que l’Etat soit bien établi, mais il faut encore que ces pouvoirs séparés doivent respecter le droit qui est noyau de l’Etat de droit.
B – La primauté du droit
Ce principe a été forgé par la doctrine allemande pour rendre compte du contenu de l’alinéa 2 de l’article 20 de la Loi fondamentale : « le pouvoir législatif est soumis à l’ordre constitutionnel ; les pouvoirs exécutif et judiciaire sont soumis à loi et au droit ». Cela signifie que les trois pouvoirs de l’Etat doivent respecter le droit et, plus précisément, que le droit doit donner à l’Etat « sa forme et sa dimension » ( Michel Fromont, République fédérale d’Allemagne, l’Etat de droit, RDP, N° 5 1984, pp. 1204-1226)
Ce nouveau principe recouvre assez largement les deux principes : la séparation des pouvoirs (soumission du juge à la loi), déjà vue et la soumission de l’administration aux lois que nous étudierons postérieurement. Il les déborde toutefois dans la mesure où les trois pouvoirs (et non plus seulement les deux pouvoirs chargés traditionnellement de
l'exécution des lois) sont désormais tenus de respecter la constitution et le droit. Deux nouvelles règles sont ainsi introduites : la suprématie de la constitution et le respect du droit naturel.
La suprématie de la constitution est la grande innovation (nous étudierons sa garantie ultérieurement en chapitre II). Dorénavant, les règles constitutionnelles, comme en Allemagne, l’idée de constitution déploie enfin tous ses effets et entraîne la soumission des trois pouvoirs aux règles constitutionnelles. Parmi elles, figurent notamment les droits fondamentaux dont l’article 1, alinéa 3, proclame également la suprématie dans les termes suivants : « les droits fondamentaux lient le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire à titre de droit directement applicable ».
De ce fait, nous pouvons constater que les droits fondamentaux exercent une influence décisive sur les différentes branches du droit au développement desquelles participent les trois pouvoirs. Le respect de ces droits fondamentaux est une exigence pour l’existence complète de l’Etat de droit.
Le principe de primauté de droit ne revêt le caractère d’une réelle limitation (habilitation juridique : tout usage de la force matérielle doit être fondé sur une norme juridique ; l’exercice de la puissance se transforme en une compétence, instituée et encadrée par le droit), que dans la mesure où le droit lui-même est construit sous la forme d’un ordre juridique hiérarchisé.
C – La hiérarchie des normes
La hiérarchie des normes est une structure du droit selon laquelle, et sous réserve de critères complémentaires, la valeur d’un acte est fonction de la place de son auteur dans l’organisation des pouvoirs publics. Selon Hans Kelsen, dans son ouvrage « Théorie pure du Droit » (Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 1962, Dalloz), la hiérarchie des normes signifie que « le droit se forme par degrés du haut en bas d’une pyramide hiérarchisée ». La hiérarchie des normes suppose que droit étatique se présente comme un édifice formé de niveaux superposés et subordonnés les uns aux autres : une norme n’est valide que si elle satisfait, par ses conditions d’émission et/ou dans son contenu, aux déterminations inscrites dans d’autres normes de niveau supérieur. Pour Kelsen, chaque norme trouve en effet le fondement de sa validité dans une autre norme hiérarchiquement supérieure, qui règle sa création et dont elle n’est que l’ « application », tout en état elle-même la condition de validité de normes de niveau inférieur. Des mécanismes de régulation de nature juridictionnelle (juge constitutionnel, juge administratif) sont créés pour vérifier cette conformité et éventuellement retirer de l’ordonnancement juridique des normes imposées.
En droit interne, la Constitution qui est œuvre du souverain (le pouvoir constituant) reste au sommet de la hiérarchie. Viennent ensuite les actes à valeur législative : d’abord, la loi organique, votée par le Parlement selon une procédure très légèrement plus solennelle que la procédure ordinaire ; puis, la loi ordinaire. La dernière catégorie est celle des actes administratifs qui est prise en compte ici la qualité d’autorité administrative de l’auteur de l’acte : Président de la république et/ou Premier ministre pour le décret, Premier ministre, ministres, autorités locales pour les arrêtés. A titre complémentaire, une hiérarchie sera établie au sein de ces actes administratifs selon la procédure ou selon le contenu. Ainsi, selon la procédure, le décret en Conseil d’Etat l’emporte sur le décret simple et, selon le contenu, un décret comportant une mesure individuelle ne peut déroger aux dispositions d’un décret réglementaire (et il en va de même pour les arrêtés interministériels, ministériels, préfectoraux ou municipaux).
En ce qui concerne les engagements internationaux, il faut bien distinguer :
Au stade de l’introduction d’un engagement international dans l’ordre juridique interne, la Constitution définit à l’article C. 54 une exigence de compatibilité entre la Constitution et l’engagement internationale. Cette exigence est subordonnée à une saisine du Conseil constitutionnel pour faire constater une éventuelle contrariété (par exemple, le cas de la saisine du Conseil constitutionnel relative à la signature du traité de Maastricht par la France en 1992).
Au contraire, une fois l’engagement international ratifié et entré en vigueur, il n’y a pas de contrôle de constitutionnalité possible. Cela signifie qu’une norme interne, y compris de droit constitutionnel, ne peut lui être opposée. Il s’agit de la conception du monisme dans les rapports du droit international et le droit interne : tout traité en vigueur lie les parties, doit être exécutés par elles de bonne foi (la règle pacta sunt servanda), et s’impose aux lois antérieures comme postérieures (article 55 de la Constitution ; CE, 20 oct. 1989, Nicolo).
La notion de hiérarchie des normes peut être interprétée autrement par l’esprit des définitions des principes de constitutionnalité et de légalité. D’après ces principes, pour être valide un acte doit avoir été pris par l’autorité compétente en respectant les règles de forme et de fond posés par les textes hiérarchiquement supérieurs. Encore faut-il qu’il y ait une juridiction qui puisse être saisie, et que cette juridiction se reconnaisse compétente pour faire constater l’inconstitutionnalité ou l’illégalité. Ainsi la loi référendaire est-elle une loi « hors-hiérarchie » dès lors que son adoption par le peuple souverain la rend insusceptible d’être contrôlée par le juge constitutionnel (Cons. Const. 6 nov. 1962).
Au delà de la hiérarchie des normes, l’Etat de droit va désormais être entendu comme impliquant l’adhésion à un ensemble de principes et de valeurs des libertés et des droits de l’homme qui bénéficieront d’une consécration juridique explicite et seront assortis de mécanismes de garantie appropriée.
§ - II – La limitation du pouvoir au sens du respect des droits
fondamentauxOn a organisé des systèmes de limitation de pouvoir par la soumission de l’administration aux lois pour que les libertés et les droits de l’homme qui sont le socle de l’Etat de droit, soient bien respectés. L’Etat de droit repose également sur une certaine vision du rôle imparti à l’Etat dans la vie sociale.
A – La soumission de l’administration aux lois
Le principe de soumission de la l’administration aux lois est apparu en Allemagne au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Il se décompose lui-même en plusieurs principes :
Le premier principe est celui dit de la légalité administrative. Il a une double signification : d’une part, l’administration ne doit pas contredire la loi, d’autre part, l’administration ne peut agir que sur la base d’une habilitation légale. Le principe allemand de non-contradiction de loi correspond sensiblement au principe français de légalité de l’action administrative. Le principe français de légalité de l’action administrative signifie une exigence de conformité au droit de tout acte administratif. La légalité ne désigne pas seulement l’ensemble des lois mais aussi les engagements internationaux (traités, accords, conventions) et actes assimilés (actes communautaires) qui imposent aux lois (article 55 de la Constitution française), et les principes généraux du droit dont le Conseil d’Etat, qui les a dégagés, impose le respect à l’administration. Tous ceux dont les intérêts sont lésés par des actes administratifs illégaux peuvent, soit par un recours direct dit « pour excès de pouvoir » (recours enfermé dans un délai strict de deux mois), soit en soulevant ultérieurement (et sans condition de délai) une exception d’illégalité, obtenir la rétablissement de la légalité.
En revanche, le principe du domaine réservé à la loi, en droit allemand, rappelle certes la théorie correspondante développée en France sous les IIIe et IVe Républiques : en effet, à l’origine, il signifiait que seule la loi pouvait autoriser l’administration à apporter des restrictions au droit de propriété ou à une liberté individuelle. Mais la portée de ce principe a évolué depuis 1949 : non seulement la notion d’atteinte à un droit fondamental a pris une ampleur imprévue du fait de la multiplication et de l’extension des droits individuels consacrés par la constitution, mais encore la doctrine, puis le juge constitutionnel ont considéré que toute règle essentielle devait être posée par la loi elle-même.
L’autre principe découlant de l’idée de soumission de l’administration aux lois est celui du contrôle juridictionnel de l’administration. Il sera étudié dans le cadre de la deuxième chapitre, consacrée aux mécanismes de protection de l’Etat de droit.L’esprit essentiel de l’Etat de droit est, aussi, de bien garantir les libertés et les droits de l’homme reconnus par textes nationaux et internationaux.
B – La consécration des droits fondamentaux
Aujourd’hui, nous constatons que, dans tous les pays libéraux, les droits fondamentaux qui sont inscrits dans des textes de valeur juridique supérieure, sont les bases très importantes de l’Etat de droit. Le non-respect de ces droits fondamentaux entraîne la violation de l’Etat de droit. En France, cette démarche a été tracée par la révolution dans la Déclaration solennelle de 1789 : « les droits naturels, inaliénables et sacrés par l’homme ». Cela signifie que ces droits fondamentaux doivent être mis à l’abri de toute atteinte des pouvoirs institués. Mais, au début, cette Déclaration n’a pas été considérée comme un texte de droit positif. Désormais, les droits fondamentaux bénéficient d’une consécration juridique explicite par les processus de constitutionnalisation et d’internationalisation en tant placés aux étages les plus élevés de l’ordre juridique : la hiérarchie des normes devient ainsi un moyen de protection des droits.
Le processus de constitutionnalisation des droits fondamentaux
Le processus de constitutionnalisation des droits fondamentaux a été réalisé en Allemagne depuis 1949, en Italie et en France après 1971, par l’incorporation de ces droits fondamentaux dans les textes constitutionnels. Cette constitutionnalisation a pour effet d’élargir considérablement la sphère d’un droit constitutionnel qui ne concerne plus seulement les institutions et les normes mais encore les libertés. Partout, on trouve désormais « un bloc de constitutionnalité », formé d’un ensemble de règles placées sous la protection des juridictions constitutionnelles et mises à l’abri de toute intervention du législateur.
En Allemagne, il est évident que, après la Seconde Guerre mondiale, un tournant capital (constitutionnalisation des droits fondamentaux) a été pris : les droits de l’homme constituent pour la République fédérale une référence incontournable, une fondation nécessaire qui marquent la rupture radicale avec le régime national-socialiste. Il se traduit par la consécration de la notion d’« Etat de Droit » qui, dans la tradition allemande, intègre la protection des droits fondamentaux des citoyens. Cette logique est progressivement imitée par les autres pays européens, notamment par l’intermédiaire des juridictions constitutionnelles.
Ce processus de constitutionnalisation des droits et des libertés tend à se développer même dans les pays où certaines traditions juridiques y faisaient obstacle. Ainsi, au Canada, une Charte est venue constitutionnaliser en 1982 un ensemble de valeurs et de principes fondamentaux. En Grande-Bretagne, aussi, l’idée d’une Déclaration des droits progresse, en dépit du principe de souveraineté parlementaire et de l’absence de Constitution écrite.
Nous étudierons ensuite le processus d’internationalisation de ces droits dans le cadre de la Déclaration universelle des droits de l’homme et au niveau européen.La Déclaration universelle des droits de l’homme
La Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1945 par l’Assemblée générale des Nations Unies, a constitué la premier étape dans la direction d’internationalisation des libertés et des droits de l’homme. L’objectif de cette Déclaration était de bâtir le premier instrument d’une protection effective des droits de l’homme au niveau mondial. Cependant, le texte, très ambitieux dans son contenu est critiqué pour sa portée qui est surtout symbolique et morale à cause de faute de mécanismes de protection adéquats : simple déclaration qui n’a pas été ratifiée, elle n’a pas la valeur d’une convention engageant les Etats.
En revanche, les deux Pactes internationaux adoptés le 16 décembre 1966, l’un relatif aux droits civils et politiques, l’autre relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, complétés par des conventions particulières, disposent eux de cette force juridique : ils sont entrés en vigueur pour la France le 4 février 1981 après leur ratification par les lois du 25 juin 1980, et ils sont donc incorporés au droit interne. Par ailleurs, la mise en place du comité des droits de l’homme a institué un mécanisme de contrôle, au moins concernant l’application du Pacte relatif aux droits civils et politiques. A partir de ce socle commun ont été élaborés des instruments régionaux de protection des droits de l’homme, tels que la Convention européenne (1950), la Convention américaine (1969) ou encore la Charte africaine de l’homme et des peuples, qui mettent l’accent sur les rapports entre l’individu et le groupe et les droits des peuples.Au niveau européen
En Europe, la consécration des droits fondamentaux résulte avant tout de l’adoption de la Convention européenne des droits de l’homme en 1950 sous l’égide du Conseil de l’Europe. L’adoption de ce texte a pour but de consolider la démocratie et le respect des droits de l’homme au niveau européen. Partant de l’idée que les Etats membres du Conseil de l’Europe ont en charge « un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit », la convention stipule que le maintien de la justice de la paix repose, d’une part sur « un régime politique véritablement démocratique », d’une part sur « un commun respect des droits de l’homme ».
La Convention donne notamment, en dehors des recours émanant des Etats, la faculté aux personnes physiques qui estiment leurs droits fondamentaux violés, ainsi qu’aux groupes, la faculté d’introduire une requête « individuelle » contre l’un des Etats membres. Le droit de recours individuel a été accepté par la France le 3 octobre 1981. Les procédures de contrôle ont longtemps comporté l’intervention de trois instances : la Commission qui exerce un rôle de filtrage, le Comité des ministres, doté du pouvoir de trancher certains litiges et la Cour, saisie par la Commission ou par l’Etat poursuivi. Les arrêts rendus par la Cour apportent une contribution essentielle à la construction de l’Etat de droit.
Directement applicable, la Convention est intégrée à l’ordre juridique des Etats membres et dispose, entant que convention internationale, d’une autorité supérieure à celle des lois. Il appartient au juge national d’estimer cette primauté en tenant compte de l’interprétation donnée au niveau européen. Si le juge français a longtemps été réticent, il apparaît de plus en plus sensible aux dispositions de la convention, notamment en matière pénale. Il y a de larges convergences entre la jurisprudence du Conseil constitutionnel et celle de la Cour de Strasbourg : non seulement les techniques d’interprétation et de contrôle sont similaires, mais encore la conception des droits est devenue très proche.
Dans le cadre de la Communauté européenne, le droit communautaire n’est pas resté indifférent au problème des droits fondamentaux : si dans les Traités, ce problème relevait, sauf quelques exceptions (liberté de circulation et interdiction de toute discrimination) de la compétence des Etats, la Cours de justice des communautés a été amenée à construire progressivement une jurisprudence relative aux droits fondamentaux. D’abord, la Cours de justice affirme que le respect de ces droits fondamentaux « fait partie intégrante des principes généraux du droit » dont elle assure le respect. Puis, elle refuse d’admettre des mesures « incompatibles avec les droits fondamentaux reconnus et garantis par les Constitutions des Etats membres » ou avec « les instruments internationaux des droits de l’homme auxquels les Etats membres ont adhéré ou coopéré ». Enfin, elle se réfère à la Convention européenne elle-même. De façon générale, les Etats membres se sont engagés à respecter « les droits fondamentaux tels qu’ils résultent des Constitutions des Etats membres ainsi que de la Convention européenne ». Le Parlement européen a adopté le 12 avril 1982 une Déclaration des droits et libertés fondamentales posant les principes de base d’une « communauté de droit fondée sur le respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux ». Après que le traité de Maastricht ait institué une « citoyenneté européenne » assortie de plusieurs droits fondamentaux (libre circulation, droit de vote, protection diplomatique), les principes de liberté, de démocratie et de respect des droits et libertés ont été explicitement inscrits par le traité d’Amsterdam du 2 octobre 1997 qui prévoit un mécanisme de sanctions à l’encontre des Etats qui ne respecteraient pas les droits fondamentaux.
Un « Etat de droit européen » tend ainsi à superposer aux « Etats de droit nationaux », à travers un « bloc de supra-nationalité » constitué des droits fondamentaux directement applicables aux ressortissants des Etats membres.
Ce double processus de constitutionnalisation et d’internationalisation permet au bloc des droits fondamentaux de bénéficier d’une double reconnaissance, constitutionnelle et internationale, et d’une double protection, nationale et européenne.
C – La question du rôle de l’Etat
L’Etat de droit implique une stricte délimitation du rôle imparti à l’Etat dans la vie sociale. L’idée de la distinction du public et du privé, à travers le découpage symbolique de l’espace social en deux sphères soigneusement cloisonnées, l’Etat d’une part, la société d’autre part, a pour fonction première de fixer des bornes à l’emprise étatique sur la vie sociale et d’établir un écran d’arrêt infranchissable. L’Etat ne peut tout faire car il y a des limites objectives à son action, qui résultent de la nature des choses.
La règle est la non-intervention et les activités sociales sont en principe libres : l’Etat se voit assigner un domaine d’action exceptionnel et résiduel qui couvre les tâches socialement indispensables mais qu’il est seul à pouvoir assumer parce qu’elles touchent à la souveraineté ou à l’ordre public. Pour le reste, et notamment pour tout ce qui concerne les échanges économiques, il doit laisser libre cours à l’initiative privée en s’abstenant de toute action qui risquerait de fausser le fonctionnement du marché. Il y a donc répartition rigoureuse des tâches entre public et privé et les administrés doivent disposer de garanties juridiques pour s’opposer à toute empiétement de l’Etat sur le domaine qui leur est réservé en propre. Cette conception s’inspire à la fois d’une évidente méfiance vis-à-vis d’un Etat dont l’expansionnisme est perçu comme une menace permanente pour les libertés individuelles et d’une croyance profondément ancrée en possibilité pour la société de vivre en état d’autorégulation. D’une part, il faut que les activités sociales échappent dans toute la mesure du possible à l’emprise du public et que l’Etat réduise ses interventions au strict nécessaire. Il vaut mieux que la vie et l’initiative soient diffuses dans tout le corps social plutôt que d’être concentrée dans un seul organe qui dispose d’un pouvoir infini de contrainte et d’un infini de taxation. D’autre part, l’équilibre du système social est d’autant mieux assuré qu’il résulte du libre jeu de ses lois naturelles de fonctionnement et non d’une régulation étatique qui risque de les fausser et de les dénaturer.
L’Etat de droit est absolument indissociable de la présentation d’un Etat minimal, respectueux de l’autonomie du social et ne sortant pas du cadre de ses attributions légitimes : le principe de la liberté du commerce et de l’industrie apparaît ainsi comme un élément constitutif de l’Etat de droit, en traduisant en termes juridiques le dogme du caractère subsidiaire de l’intervention étatique.
Ces différents principes d’Etat de droit ne s’appliquent généralement pas de façon isolée, mais en se combinant avec les autres règles constitutives de l’Etat de droit. Ils contribuent, en particulier, à renforcer les mécanismes de la garantie de l’Etat de droit en permettant au juge le pouvoir de veiller au strict respect du principe général de l’Etat de droit.
CHAPITRE II : LES MECANISMES DE LA GARANTIE DE L’ETAT DE
DROITL’Etat de droit ne se caractérise pas seulement par les principes qui le gouvernent, mais encore par l’efficacité du système juridictionnel visant à assurer le respect. L’institution d’un contrôle juridictionnel sur les actes administratifs et celle d’un contrôle de constitutionnalité peuvent certainement renforcer l’Etat de droit et assurer le règne de la loi puisque le juge apparaît comme « la clef de voûte et la condition de réalisation de l’Etat de droit » (Jacques Chevallier, L’Etat de droit et ses transformations, Cahiers Français, Doc. française, N°288, pp.3-8).
§ - I – La garantie de la justice administrative
Le système du contrôle de l’activité administrative par un juge indépendant est un aspect essentiel de l’Etat de droit. Il permet de garantir le respect par l’administration de la hiérarchie des normes et des droits fondamentaux. Ce système du contrôle par le juge administratif s’effectue de manière différente d’un pays à l’autre. En France, l’approfondissement du contrôle du juge administratif résulte d’un double mouvement : l’élargissement du contrôle exercé sur l’activité administrative et le perfectionnement de ce contrôle juridictionnel.
A – Les différentes modalités du contrôle de l’activité administrative
Les modalités de ce contrôle sont très variables selon les pays libéraux. Nous consacrons, ici, trois grands modèles : le modèle anglo-saxon, le modèle français et le modèle allemand. Tous ces modèles sont compatibles avec la logique de l’Etat de droit.
Le modèle anglo-saxon prévoit que tous les litiges administratifs sont confiés au même juge qui tranche les litiges ordinaires. Il s’agit du juge judiciaire qui est seul compétent pour toutes les affaires administratives et les affaires ordinaires. Dans le système anglo-saxon, il n’y a pas de juridiction spécialisée pour trancher les affaires administratives car, conformément aux préceptes de la rule of law, l’administration est traitée comme les simples particuliers et soumise aux mêmes juridictions.
Le modèle français est différent avec celui de l’anglo-saxon puisqu’il se caractérise à la fois par l’existence d’une juridiction spécialisée dans le contentieux administratif et par le statut particulier de cette juridiction par rapport à l’administration active. Le modèle allemand est assez proche de celui du français car il existe aussi une juridiction administrative spécialisée, mais elle forme une branche de l’organisation judiciaire.
Nous constatons qu’il y a une évolution vers le « rapprochement » entre ces trois modèles, dont les traits spécifiques tendent à s’atténuer (Jacques Chevallier, l’Etat de droit, Montchrestien, 3e édition, 1999). Si, au Royaume-Uni, les juges du droit commun conservent une compétence générale pour trancher les litiges relevant aussi 0bien du droit commercial ou du droit civil que du droit administratif, la multiplication des juridictions d’attribution (administrative tribunals) débouche sur une forme de spécialisation. Donc, l’unité de juridiction n’exclut pas en pratique la mise en place de juridictions spécifiques. De même aux Etats-Unis, la structure apparemment unitaire du système judiciaire est trompeuse puisque non seulement des juridictions administratives ont été mises en place pour statuer sur certains litiges, mais surtout la procédure administrative est elle-même largement juridictionnalisée. A l’inverse, l’existence d’un ordre juridictionnel administratif n’empêche pas, comme en France, qu’une partie importante des litiges concernant l’administration soient jugés par le juge judiciaire.
Désormais, nous trouvons que le perfectionnement de l’Etat de droit, particulièrement en France, résulte logiquement de celui du contrôle exercé sur les actes administratifs et celui des garanties de l’indépendance des juges appelés à statuer sur les litiges administratifs. Le juge administratif a été amené d’élargir le principe de légalité afin de bien conforter l’assujettissant juridique de l’administration.
B – La nouvelle étendue de la légalité
Pour maintenir la subordination juridique de l’action administrative et pour combler les failles de la législation, le juge administratif a intégré progressivement dans le « bloc de légalité » la Constitution (C.E. Sect. 12 févr. 1960, Société Eky), les traités (C.E. Ass. 30 mai 1952, Dame Kirkwood) et aussi des « principes généraux du droit » d’origine jurisprudentielle. Cependant, la référence constitutionnelle sera utilisée avec prudence par le juge administratif de chaque pays. En Allemagne, le juge administratif n’a pas hésité à se référer, en dehors de la loi, aux règles inscrites dans la Loi fondamentale et aux conséquences qui en ont été déduites par la Cour constitutionnelle. Mais, en France, l’existence d’une loi est considérée comme faisant écran et interdisant d’apprécier directement la conformité d’un acte administratif à la Constitution ; ce n’est que très récemment qu’une évolution s’est produite par le renforcement des bases constitutionnelles du droit administratif.
Le dynamique du contrôle juridictionnel va amener le juge administratif à dégager certaines règles, dont il imposera, même sans texte, à l’administration le respect. Avec ce processus, la hiérarchie des normes sera donc complétée par des normes d’origine jurisprudentielle. Ce pouvoir normatif du juge administratif provient des trois aspects essentiels. D’abord, le juge administratif a un pouvoir assez libre pour interpréter les lois existantes et peut aller dans certains cas jusqu’à contredire la lettre même de leurs disposition (la jurisprudence contra legem). Ensuite, en l’absence des textes écrits, le juge peut créer les règles jurisprudentielles (jurisprudence praeter legem). Enfin, c’est la consécration de principes d’application très générale.
Le développement de la théorie des principes généraux du droit entre 1940 et 1960 s’expliquait par, selon certains auteurs ( T. Bouffandeau et R. Cassin, Etudes et documents du Conseil d’Etat, 1947), le fait que le juge administratif s’était efforcé d’amortir les secousses brutales que connaît alors l’ordre juridique et de suppléer une légalité devenue défaillante pour assurer la continuité de certains principes fondamentaux du doit public. Mais, pour certains, le juge se bornerait seulement à constater l’existence de certains principes, en partant de la Déclaration de 1789 puis du préambule de 1946, qu’il intégrerait ainsi de facto au droit positif. Cependant, selon J. Rivero (J. Rivero, Le juge administratif français : un juge qui gouverne, Dalloz, 1951, tome I, p. 21et s.), l’analyse de la jurisprudence montre bien que la théorie des principes généraux du droit est le produit d’une démarche prétorienne d’un juge qui, s’il puise son inspiration dans ces textes, n’entend pas pour autant être lié par eux et se borner à transcrire librement leurs prescriptions.
Nous constatons que la détermination de la place occupée par ces normes d’origine jurisprudentielle permet d’approfondir la théorie de l’ordre juridique. Après 1958, la thèse de la valeur législative, conforme à la vision classique de l’ordre juridique et à la problématique kelsénienne, se heurtera à la nouvelle conception de la loi. Selon Kelsen, au moment où les tribunaux créent par leurs décisions des normes générales ils entrent « en concurrence avec l’organe de législation institué par la Constitution » ( Hans Kelsen, Théorie pure du droit, 1962, Dalloz, pp. 336 et s.). Au début, ces principes généraux du droit n’ont pas reçu de force constitutionnelle. La doctrine a également rejeté la valeur constitutionnelle de ces principes en se ralliant aux analyses de R. Chapus et de Carré de Malberg (Carré de Malberg, Contribution à la théorie générale de l ’Etat, CNRS, 1960, pp. 455 et s.) selon lesquelles la valeur d’une norme dépend du rang de l’organe qui l’édicte. D’après ces deux auteurs, comme le juge administratif a un rang inférieur à celui du pouvoir législatif mais supérieur à celui de l’autorité administrative la plus élevée, les principes généraux du droit ont donc valeur infra législative et supra décrétale.
L’impact de cette jurisprudence sur l’ordre juridique a été ambigu. D’un côté, les principes généraux du droit confortent la hiérarchie des normes en renforçant l’assujettissant du pouvoir réglementaire. De l’autre cependant, ils contredisent les impératifs de sécurité, prévisibilité, stabilité sur lesquels en fin de compte la hiérarchie des normes repose. Il y a aussi des interrogations sur l’opportunité d’une codification ou d’une référence plus explicite à la Déclaration de 1789 et au Préambule de 1946. Le fait que le Conseil ait érigé les principes inscrits dans ces textes en principes à valeur constitutionnelle modifie profondément les donnés du problème. Après cette décision, le Conseil d’Etat applique directement la déclaration et le préambule en tenant compte de l’interprétation donnée par le Conseil constitutionnel, voire en dégageant lui-même certains principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.
La nouvelle étendue de légalité a permis au Conseil d’Etat d’atténuer la portée des innovations les plus spectaculaires de la Constitution de 1958 (la modification constitutionnelle du rapport de l’Exécutif à la loi) et de les rendre compatibles avec la structure classique de l’ordre juridique. Appliquant une jurisprudence ancienne relatives aux périodes de confusion des pouvoirs, le Conseil d’Etat a d’abord coulé les décisions prises au titre de l’article 16 dans le moule de la hiérarchie des normes en différenciant leur régime juridique (C.E. Ass. 2 mars 1962, Rubin de Sevens et autres). Il a ensuite transposé aux ordonnances prises sur l’habitation législative (C.E. Ass. 24 nov. 1961, Fédération nationale des syndicats de police) ou référendaire (C.E. Ass 19 oct. 1962,Canal, Robin et Godot) la jurisprudence inaugurée en matière de décrets-lois, en les considérant jusqu’à leur ratification comme des actes administratifs soumis à son contrôle. Enfin, le Conseil d’Etat se déclare compétent pour connaître des règlements autonomes et les soumet aux principes généraux du droit (C.E. Sect. 26 juin 1959, Syndicat général des ingénieurs-conseils). Il a fait prévaloir la hiérarchie traditionnelle entre loi et règlement et donné tort à ceux qui avaient pu croire que l’article 37 avait hissé le pouvoir réglementaire au niveau du pouvoir législatif. Le pouvoir réglementaire autonome perd progressivement sa spécificité et la loi est redevenue, comme avant 1958, l’acte normatif de droit commun et les règlements ont repris leur rang de textes d’application.
Le maintien de la position juridiquement subordonnée de l’administration est une condition indispensable de sauvegarde de l’Etat de droit. Mais, il n’est pas à lui seul suffisant : encore faut-il que des mécanismes efficaces de contrôle permettent d’en assurer concrètement le respect. Le contrôle juridictionnel apparaît dans cette perspective comme la garantie effective de l’Etat de droit.
C – La garantie de l’indépendance du juge administratif
Le renforcement de l’indépendance du juge administratif peut inévitablement contribuer à une meilleure protection de l’Etat de droit. En France, au début du siècle, les Conseils de préfecture restaient très dépendantes du Préfet. Les décrets-lois de 1926 ont réalisé l’émancipation des Conseils de préfecture et la réforme de 1953 les a transformés en véritables Tribunaux, juges de droit commun en matière administrative. Même si les membres des Tribunaux administratifs restaient statutairement des fonctionnaires rattachés au ministère de l’Intérieur, leur indépendance ne faisait plus de doute. Cette indépendance a été affirmée par la loi du 6 janvier 1986, qui consacre le principe d’inamovibilité, institue un conseil supérieur pour la gestion des carrières et renforce les garanties d’ordre procédural. La loi du 31 décembre 1987 a supprimé le rattachement au ministère de l’Intérieur et a institué des Cours administratives d’appel.
Cette indépendance n’entraîne cependant pas une séparation complète avec l’administration active. Il y a des liens organiques et fonctionnels très étroits qui subsistent et aboutissent à une véritable interpénétration. Le Conseil d’Etat participe activement, en tant que conseiller du gouvernement, à l’activité normative de l’Exécutif. Et en plus, il joue un rôle de censeur à l’égard des actes administratifs. Ce cumul, qui constitue un élément majeur de spécificité de la juridiction administrative française, a été vivement critiqué par la Cour de Strasbourg (Procola c/ Luxembourg, 1995).
L’efficacité de la protection de l’Etat de droit dépend de l’exercice concret du contrôle juridictionnel sur les actes administratifs. Or, l’élargissement de la légalité n’a pas suffi à contrebalancer la marge d’autonomie croissante dont le gouvernement et l’administration disposent sur le plan normatif. Certes, le développement de la jurisprudence sur les principes généraux du droit a permis de combler les interstices de la légalité, mais cette voie est plus compliquée que celle du contrôle de la stricte légalité et le juge ne l’emprunte qu’avec prudence. Les principes généraux sont là pour sanctionner les actes les moins justifiables de l’administration. En revanche, ils sont mal adaptés à un contrôle régulier, quotidien de l’action administrative et surtout ne sauraient prévaloir sur une disposition législative expresse.
Le véritable enjeu de l’Etat de droit se situe donc au niveau des rapports entre la loi et le règlement. Sur ce plan, il n’est pas faux de parler d’une véritable crise du principe de légalité car si la loi reste formellement prééminente, elle tend à devenir un cadre normatif de moins en moins contraignant. Les lois se présentent davantage comme des textes d’habilitation qui ouvrent à l’administration des domaines nouveaux d’intervention et étendent le champs de ses compétences, que comme des dispositifs visant à borner et à limiter sa puissance. Elles constituent pour elle moins des freins ou des entraves que des moyens de développer sa capacité d’action et de renforcer sa liberté d’appréciation. Le « peut », selon Jacques Chevallier, tend de plus en plus à se substituer au « doit » ou tout au moins à en être le corollaire indissociable (Jacques Chevallier, L’Etat de droit, RDP, N° 2, pp. 340-341). Le législateur se contente dans la plupart des cas de fixer au gouvernement et à l’administration certains objectifs généraux en leur confiant le soin de les préciser en termes de programmes d’action et en leur laissant toute latitude en ce qui concerne les conditions de leur réalisation. L’administration dispose ainsi d’un très large pouvoir discrétionnaire dans l’application. La loi ne comporte plus en général qu’une contrainte de but ; c’est à l’administration de choisir les moyens les plus appropriés pour atteindre les objectifs voulus par le législateur.
Ce large pouvoir d’appréciation laissé à l’administration rend difficile l’exercice du contrôle juridictionnel. Comment censurer l’administration pour violation de la loi alors que le législateur lui-même a évité de subordonner la mise en œuvre de ses pouvoirs à des conditions trop précises ? Le principe de légalité risque ainsi d’être vidé de toute substance. Le juge administratif s’est efforcé de parer à ce risque en adaptant son contrôle aux mutations de la légalité. Il tend de plus en plus à subordonner la validité de ses actes à la double adéquation aux objectifs définis par le législateur et aux circonstances concrètes en suivant l’administration sur le terrain du fait. En partant du principe managérial de « l’économie de moyens » ( Jacques Chevallier et D. Loschak, Rationalité juridique et rationalité managériale dans l’administration française, R. F. A. P. N° 24, oct.-déc. 1982), il va vérifier que les mesures prises par l’administration étaient nécessaires, compte tenu des buts de la loi, et proportionnées. Toutes les atteintes portées aux droits et libertés individuelles seront illégales dès l’instant où elles apparaîtront superflues ou excessives eu égard à la finalité de l’action administrative. A première vue, il semble que par cette démarche le juge administratif substitue son appréciation à celle de l’administrateur et s’engage dans la voie du jugement d’opportunité. Néanmoins, cette jurisprudence doit être envisagée dans une perspective un peu différente puisque si le juge administratif a été amené à étendre son contrôle aussi loin, c’est en effet pour censurer les décisions arbitraires, déraisonnables ou mal étudiées.
Le resserrement du contrôle n’est cependant suffisant. La séparation avec l’administration active a en effet conduit le juge administratif après 1872 à marquer les distances en s’interdisant de se substituer à elle ou de lui donner des ordres. L’efficacité du contrôle juridictionnel s’en est trouvé de ce fait amoindrie. La difficulté de suspendre l’application des décisions administratives illégales et surtout l’absence de moyen de contraindre l’administration à exécuter les décisions rendues à son encontre compromettent gravement les fondements mêmes de l’Etat de droit. Mais, depuis les années quatre-vingt, un système de renforcement de l’efficacité du contrôle juridictionnel a été mis en place : d’une part, une meilleure exécution des décisions juridictionnelles a été recherchée, d’abord par la mise en place en 1980 d’une procédure d’astreinte, puis par l’introduction en 1995 de moyens nouveaux destinés non seulement à combattre les refus d’exécution, mais surtout à prévenir l’exécution (pouvoir d’injonction, astreintes préventives) ; d’autre part, le développement des procédures d’urgence (référé-provision en 1988, référé pré-contractuel en 1993, suspension d’exécution d’une décision en 1995…) montre qu’on s’efforce de rattraper le retard pris en ce domaine par la juridiction administrative.
Il reste pourtant que la hiérarchie des normes qui est formellement sauvegardée tend à être faussée de manière plus insidieuse par la modification de l’équilibre constitutionnel des pouvoirs, qui place l’Exécutif au centre du dispositif de création du droit. L’exécutif dispose, par le jeu d’un parlementarisme rationalisé et majoritaire, d’une emprise croissante sur le processus législatif. La pratique des validations législatives montrait que cette emprise pouvait aller jusqu’à corroder la base de la hiérarchie des normes. Le Conseil constitutionnel a, par ses trois décisions (décisions du 22 juillet 1980, 24 juillet 1985 et 26 juin 1987), fort opportunément encadré strictement cette pratique.
Cette jurisprudence montre bien que la garantie ultime de l’Etat de droit tend à se déplacer vers le sommet de la pyramide par le biais du contrôle exercé sur les lois par le Conseil constitutionnel.
§ - II – La prééminence constitutionnelle : le contrôle de la
constitutionnalitéLe contrôle de constitutionnalité des lois est une condition essentielle de l’Etat de droit puisqu’il garantit la suprématie de la Constitution, acte juridique suprême sur lequel s’appuie l’ordre juridique tout entier. En absence de ce contrôle, la Constitution n’a plus qu’une valeur symbolique et l’édifice normatif se trouve déstabilisé. Le développement de ce contrôle a été spectaculaire en Europe à la suite de la Seconde Guerre mondiale. Ce système du contrôle par le juge constitutionnel s’effectue de manière différente d’un pays à l’autre. En France, l’institution en 1958 d’un contrôle de constitutionnalité des lois constitue une innovation de portée théorique et pratique considérable et contribue considérablement au développement de l’Etat de droit.
A – Les systèmes et les méthodes du contrôle de constitutionnalité
Il y a deux grand systèmes du contrôle de constitutionnalité : le modèle américain et le modèle européen. Le modèle américain, dans lequel ce contrôle est exercé par voie d’exception par les tribunaux ordinaires. En 1803 (arrêt Marbury v/ Madison), la Cour Suprême avait affirmé que la supériorité de la Constitution s’imposait à tous, y compris les tribunaux qui devaient en assurer le respect. N’importe tribunal peut et même doit refuser d’appliquer une loi qu’il juge inconstitutionnelle, sous réserve cependant de l’interprétation en dernière instance de la Cour suprême fédérale qui est garante de l’uniformité des décisions. Ce système a été adopté au Canada, au Japon, ainsi que dans quelques pays européens. Quant au modèle européen, il confie à un organe spécial, une Cour constitutionnelle, la responsabilité de ce contrôle. Ce système, introduit en Autriche en 1920 à l’initiative de Kelsen, a été progressivement institué dans la plupart des pays européens : Italie en 1947, Allemagne en 1949, France en 1958, Turquie en 1961, Yougoslavie en 1963, Portugal en 1976, Espagne en 1978…. Il suppose la mise en place d’un tribunal spécialement constitué à cet effet et qui peut statuer sur saisine directe d’autorités politiques ou juridictionnelles, voire de particuliers.
Les conditions de saisine des Cours constitutionnelles sont de plus en plus proches avec celles de la Cour suprême. Par exemple, en Allemagne, si le recours constitutionnel est ouvert à tout citoyen qui prétend être lésé par un acte quelconque de l’Etat dans un de ses droits fondamentaux, il est pratiquement toujours dirigé contre un jugement en compte tenu de la règle de l’épuisement préalable des voies de recours ordinaires. C’est la tendance de rapprochement des deux systèmes. Les particularismes des Cours constitutionnelles tendent progressivement à s’atténuer du fait d’un mouvement de juridictionnalisation croissante, traduit par le développement du caractère contradictoire de la procédure, la recherche de modalité de saisine par les citoyens (projet de 1989 en France) et une meilleure articulation avec les tribunaux de l’ordre judiciaire et administratif. La justice constitutionnelle semble ainsi être poussée à une intégration croissante au système juridictionnel de droit commun.
Les méthodes utilisées par les Cours constitutionnelles contribuent à étendre de manière croissante leur influence dans le système politique en leur donnant les moyens de mener une véritable politique jurisprudentielle.
D’une part, le juge constitutionnel dispose d’une maîtrise sur les normes de référence qu’il applique, soit sous forme d’interprétation, soit par la construction même de ces normes à partir d’une tradition politique (exemple de la catégorie des principes fondamentaux contenus dans les lois de la République dégagée par le Conseil constitutionnel. C’est à lui qu’il incombe dans tous les cas de préciser leur contenu et leurs implications. Il n’hésite pas à en tirer des conséquences nouvelles par un travail constant d’élargissement et d’approfondissement. La règle du due process of law posée aux Etats-Unis par le 14e amendement a ainsi pris depuis la Seconde Guerre mondiale une portée toute nouvelle en servant de point d’appui au développement de la jurisprudence de la Cour suprême en matière de droits fondamentaux.
D’autre part, le juge constitutionnel a tendance à peser toujours davantage sur le processus de production des normes, au lieu de déclarer simplement la conformité ou l’annulation d’une norme. En recourant à des formules telles que les réserves d’interprétation qui fixent le sens du texte pour éviter toute dérive possible, ou les directives d’application qui énoncent les conditions auxquelles doit répondre la mise en œuvre d’une loi, il contribue à lier le pouvoir d’appréciation de ceux qui sont chargés de l’application. En cas de déclaration d’inconstitutionnalité, il n’hésite pas à faire indiquer au législateur les principes auxquels il est tenu de se conformer pour éviter une nouvelle censure (technique de l’« inconstitutionnalité amendable » ou de la « constitutionnalité potentielle » (C. Wiener, F. Humon, La loi sous surveillance, Ed. O. Jacob, 1999).
Donc, la juridiction constitutionnelle a conquis progressivement une position centrale au sein des institutions des pays libéraux. A travers la garantie des équilibres constitutionnels et la protection des droits et libertés, elle exerce une influence majeure sur le système politique, qui est souvent critiquée comme « gouvernement des juge ». Sur ce plan, le Conseil constitutionnel français ne fait pas exception à la règle.
B – Le contrôle de constitutionnalité, garantie de l’Etat de droit ?
Après l’essai échoué de 1946, l’introduction en 1958 en France d’un véritable contrôle de constitutionnalité des lois représente une innovation de portée juridique et politique considérable. Ce contrôle de constitutionnalité met fin à la puissance illimitée du Parlement en le contraignant au respect des normes supérieures sur lesquelles s’appuie l’ordre juridique tout entier.
Pendant longtemps, le Conseil constitutionnel a été considéré bien davantage comme le régulateur de l’activité normative des pouvoirs publics que comme un authentique juge constitutionnel, chargé de protéger les droits et libertés. Le tournant crucial qui allait complètement transformer l’image de marque du Conseil a été pris au début des années soixante-dix, avec l’extension du champ des normes à valeur constitutionnelle (décision du 16 juillet 1971) et de l’élargissement des conditions de saisine (loi du 29 octobre 1974). En intégrant dans le « bloc de constitutionnalité » les disposions de la Déclaration de 1789, du préambule de 1946, et corrélativement les « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », le Conseil se donnait les moyens d’un véritable contrôle au fond de la loi. Et les possibilités nouvelles de saisine offertes aux parlementaires de l’opposition allaient permettre de corriger certains abus du parlementarisme majoritaire. Tout en préservant le pouvoir discrétionnaire du législateur, le Conseil vérifie que la loi n’est contraire à aucun principe et à aucune règle de valeur constitutionnelle. La loi n’est donc plus un acte discrétionnaire soustrait à tout contrôle. Sa position théoriquement subordonnée dans la hiérarchie, par rapport à la Constitution elle-même mais aussi aux textes fondamentaux auxquels elle se réfère, est désormais sanctionnée théoriquement. Ainsi, les normes constitutionnelles voient-elles leur prééminence consacrée et garantie contre l’emprise possible du législateur : elles retrouvent leur place au sommet de l’édifice normatif.
Cependant, cette vision très positive de la contribution apportée par le Conseil constitutionnel à l’achèvement de l’Etat de droit a des nuances, d’une part par le constat de certaines limites du contrôle exercé, d’autre part par son caractère quelque peu équivoque au regard des exigences mêmes de l’Etat de droit.
Même si la nature juridique du Conseil constitutionnel ne saurait faire de doute, en dépit des particularismes de son intervention (contrôle préventif, absence de débat contradictoire…), il n’en reste pas moins que le mode de contrôle de constitutionnalité des lois aménagé en 1958 présente un certain nombre d’inconvénients par rapport aux autres systèmes existants. Certes, la nature préventive du contrôle a le double mérite d’éviter la mise en application de textes inconstitutionnels et d’exclure toute incertitude quant à la valeur des lois en vigueur. Néanmoins, ce contrôle est facultatif, sauf cas particuliers (règlements des Assemblées, lois organiques) et il ne peut être mise en œuvre qu’à l’initiative de certaines autorités. Le Conseil, s’il se reconnaît le droit de soulever d’office la question de la constitutionnalité des dispositions non critiquées, ne disposant pas d’une faculté d’auto-saisine. Il est dès lors possible qu’une loi échappe à sa censure et bénéficie de ce fait d’une immunité au moins relative. Pour parer à ce risque, un projet de révision constitutionnelle avait été lancé le 14 juillet 1989 à l’initiative du Président de la République afin de permettre aux justiciables de saisir le Conseil constitutionnel par voie d’exception de lois portant atteinte à leurs droits fondamentaux. Ce projet qui aurait profondément modifié la logique du contrôle et la place du Conseil dans les institutions, a cependant échoué devant le Sénat.
Parallèlement, l’impact de la jurisprudence du Conseil sur l’ordre juridique est controversé. Le principe même d’une censure de la loi ne va pas de soi et reste parfois jugé incompatible avec le principe démocratique. La « volonté nationale », selon R. de La Charrière (Pouvoirs, n°13, 1991, p. 35), puisse être tenue en échec par les « juges irresponsables ». Il décelait dans la jurisprudence du Conseil le prolongement d’une « volonté de combattre le règne de la loi » apparue au début de la Troisième République dans les milieux conservateurs et débouchant sur un véritable culte de la juridiction. Dès lors, le « triomphe de l’Etat de droit » deviendrait une « menace pour la démocratie ». même si ce point de vue est resté assez isolé et si les dénonciations du « gouvernement des juges » se sont faites plus rares avec le temps dans le monde politique, le conflit latent de légitimité subsiste.
Cette contestation a été alimentée par le travail prétorien que le Conseil a été amenée à accomplir pour tracer les contours du « bloc de constitutionnalité ». Ce faisant, il aurait selon certains non pas « parachevé », mais bel et bien « détruit » la théorie de l’Etat de droit( D. Rousseau, in D. Colas, L’Etat de droit, PUF, 1987, p. 176). Cette démarche conduit en effet, d’abord à la dévalorisation de la Constitution puisqu’au terme d’un processus continu de constitutionnalisation des principes qui n’y sont pas formellement inscrits vont être dotés de la même valeur qu’elle, et à l’impressionnisme puisque le flou des principes laisse au Conseil toute latitude d’appréciation. Les normes constitutionnelles perdent dès lors tout caractère de certitude, précision, stabilité. Elles deviennent plastiques et adaptables en fonction d’interprétation « souveraine » du Conseil. Ainsi, se trouve ruinée l’idée même de constitutionnalité et subvertis les fondements de l’Etat de droit. On retrouve ici la contradiction déjà relevée à propos du pouvoir normatif du juge administratif. Si cette dérive a effectivement pu être redoutée dans les années soixante-dix, le Conseil a cependant fait preuve depuis le début des années quatre-vingt d’une plus grande rigueur, en se référant pour l’essentiel aux dispositions contenues explicitement dans la Déclaration de 1789 et le Préambule de 1946. Sa référence aux « principes fondamentaux contenus dans les lois de la République » ne se trouve plus que dans un très petit nombre de décisions. Le Conseil opte pour la combinaison et non pas la hiérarchisation des principes inscrits dans ces textes.
Il reste qu’on ne saurait pour autant nier le caractère « constructif » de l’interprétation donnée, ce qui contribue à entretenir une relative incertitude quant à la portée des normes constitutionnelles. Le « bloc de constitutionnalité » qui est à géométrie variable selon la nature des actes contrôlés, est aussi un « en formation continue », que le Conseil construit au fil de ses décisions ( D. Rousseau, in D. Colas, L’Etat de droit, PUF, 1987, p. 177).
Encore plus, l’existence d’un contrôle de constitutionnalité ne permet pas d’affirmer qu’il y a réellement une hiérarchie entre la Constitution et la loi dans la mesure où lorsqu’il annule une loi, le juge constitutionnel édicte en même temps une norme au niveau législatif (l’annulation d’un acte s’analysant comme l’édiction d’un acte contraire) et une forme de portée constitutionnelle (puisqu’il interprète les dispositions constitutionnelles). Ce constat fait ressortir une des ambiguïtés fondamentales de la théorie de l’Etat de droit : le juge ne peut en effet être posé comme une garantie du respect de la hiérarchie des normes qu’à la condition de considérer l’interprétation comme un acte de reconnaissance et non pas de volonté.
CONCLUSION
Depuis le début des années quatre-vingt dix, l’Etat de droit n’a pas seulement été promu au rang de référence politique incontournable dans l’ordre interne, mais il bénéficie encore d’une consécration internationale. Explicitement inscrit dans une série de textes et de documents internationaux, il est devenu, sur cette scène aussi, une des figures imposées du discours politique. Les deux aspects sont évidemment liés. La promotion internationale du thème de l’Etat de droit est le prolongement de la place nouvelle qu’il a conquise dans les pays occidentaux. Mais, à l’inverse, elle contribue à asseoir la croyance en son bien-fondé en le parant des attributs de l’universalité. Ce processus d’internationalisation témoigne bien des enjeux nouveaux sous-jacent au thème de l’Etat de droit : celui-ci a été utilisé comme arme politique dans l’affrontement avec bloc soviétique ; et sa domination désormais sans partage montre que le modèle juridico-politique libéral est devenu hégémonique dans la vie internationale.
Amalgamant les traditions franco-allemand de l’Etat de droit et anglo-saxonne du rule of law, la notion internationale d’Etat de droit signifie le « règne du droit », c’est à dire l’idée d’un pouvoir fondé sur le respect du droit mais aussi limité par le droit à travers un ensemble des droits fondamentaux bénéficiant d’une reconnaissance internationale. Au terme de la conférence réunie à Rome sous l’égide des Nations-Unies, l’adoption le 17 juillet 1998 du traité créant une Cour pénale internationale a pu être présentée par le secrétaire général comme « un pas de géant sur la voie du respect universel des droits de l’homme et de l’Etat de droit ».
L’hégémonie de cette conception libérale de l’Etat de droit se traduit en pratique par l’élimination des versions concurrentes : l’accent mis en 1988 en URRS sur la promotion d’un « Etat socialiste de droit » s’inscrivait encore dans la perspective d’une concurrence idéologique avec les Etats occidentaux. L’effondrement de l’URSS va porter un coup fatal à cette prétention, la version libérale de l’Etat de droit s’imposant dès lors comme la seule légitime et exclusive de toute autre. Sans doute, subsiste-t-il des versions hétérodoxes, par exemple en Chine, qui ne s’est pas affranchie de la conception instrumentale de la loi (rule by law plutôt que rule of law). Mais, ces versions sont désormais perçues comme des survivances à espérance de vie limitée.
Le thème de l’Etat de droit va ainsi se propager avec une exceptionnelle rapidité à l’Est comme au Sud. L’adhésion générale et ostentatoire des pays en transition et des pays en développement à l’Etat de droit montre bien que celui-ci est devenu une véritable dogmatique. La diffusion de l’Etat de droit est spectaculaire. La plupart des nouvelles Constitutions des pays de l’Est et du Sud se réfèrent explicitement à l’Etat de droit.
Les Constitutions des pays en transition proclament solennellement leur adhésion à l’Etat de droit. Par exemple, l’article 1er de la Constitution de Russie, approuvée par référendum le 12 décembre 1993, déclare ainsi que la Fédération de Russie est « un Etat démocratique, fédéral, un Etat de droit, ayant une forme républicaine de gouvernement ». Des formules comparables se retrouvent dans tous les pays de l’Est (voir l’art. 4 de la Constitution de Bulgarie du 12 juillet 1991 ou l’art. 1 § 3 de la Constitution de Roumanie du 21 novembre 1991). Ce mouvement identique s’est produit dans les pays en développement notamment dans les pays africains et pays asiatiques. Le processus de démocratisation, illustré par la fin du système de parti unique, s’est accompagné de l’introduction du thème de l’Etat de droit. Non seulement la référence à l’Etat est devenue rituelle dans les nouvelles Constitutions, mais encore l’organisation d’un contrôle de constitutionnalité des lois et l’énumération des droits fondamentaux traduisent en souci nouveau de protection contre l’arbitraire politique.
Ces proclamations solennelles ne sont cependant pas à elles seules suffisantes pour attester de l’existence d’un authentique Etat de droit : entre le discours et la pratique, la marge est souvent considérable. Le cas de la Russie est à cet égard exemplaire. Le rapport établi le 14 mai 1998 par le Conseil de l’Europe montre que la situation n’a pas sensiblement évolué depuis la réforme et que le « principal problème qui subsiste dans la Fédération de Russie » demeurant « le respect insuffisant de l’Etat de
droit " . Il en va de même dans les pays africains, en l’absence notamment d’une véritable indépendance de la justice. Le poids des traditions autoritaires est tel que les mécanismes délicats de l’Etat de droit s’en trouveront faussés.
Ces écarts ou ces dérives ne remettent cependant pas en cause le système de croyances qui entourent désormais l’Etat de droit : celui-ci est devenu dans les sociétés contemporaines un véritable dogme qui ne laisse place à aucune incertitude.
**************************** BIBLIOGRAPHIE
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