TUEURS NES

L'écran fantastique - numéro 138 octobre/novembre 1994 - pages 22 à 27

Avec la délirante et sanglante équipée de deux "serial killers" fous d'amour et de violence Oliver Stone réalise "L'Orange Mécanique des années 90"...


Entretien avec Oliver Stone

Né à New York en 1946, de mère française et de père américain, Oliver Stone, après avoir sillonné les mers d'Asie, s'engage à 21 ans dans la 25ème Division d'Infanterie, stationnée près de la frontière Cambodgienne, puis rejoint la 1ère Division de Cavalerie. Blessé à deux reprises, il est rapatrié en novembre 1968 et se voit décoré de l'Etoile de Bronze et du Purple Heart. Fortement marqué par ses expériences, il reprend le chemin de l'Université et passe un diplôme de cinéma à New York en 1971. Il commence alors à écrire des scénarios dont Seizure, qu'une société canadienne produit en 1974. Il se fixe ensuite à Hollywood et remporte en 1978 un Oscar et le prix de la Writers Guild pour le scénario de Midnight Express. Il adopte parallèlement l'autobiographie de Ron Kovic, Né un 4 juillet, écrit et réalise le thriller The Hand interprété par Michael Caine et cosigne avec John Millius le scénario de Conan le Barbare. Il tente de financer Platoon, un récit autobiographique inspiré par ses expériences militaires. Mais la violence du propos dérange les producteurs hollywoodiens, qui jugent le script intournable. En 1985, Stone rencontre le journaliste Richard Boyle, qui lui inspire le script de Salvador. Le film, tourné à chaud dans un style proche du reportage, suscite l'enthousiasme de la critique américaine et remporte deux citations à l'Oscar. Fort de ce succès, Stone peut enfin réaliser Platoon, qui consacre son talent d'auteur-réalisateur et lui vaudra l'Oscar du meilleur film et de la meilleure mise en scène. Puis viendront successivement Wall Street, Talk Radio, Né un 4 juillet, et Les Doors, en 91. La même année, il se livre avec JFK à une minutieuse reconstitution de l'assassinat de Kennedy inspirée par les recherches du procureur Jim Garrison, qui connaîtra un large succès critique et populaire. En 1993, il boucle sa "trilogie vietnamienne" avec Entre ciel et terre. Oliver Stone a également produit ou coproduit Blue Steel, Le mystère Von Bülow (1990), South Central (1992) et la fameuse série TV de science-fiction "Wild Palms".


Quel est, selon vous, le thème principal du film ?

Parmi les raisons qui vous incitent à faire un film, il y a celle, qu'une fois achevé, il puisse par lui-même traduire l'objet de son propos. C'est toujours très difficile de résumer quelque chose de si complexe et ambigu. D'une certaine façon, Tueurs nés traite du monde s'écroulant autour de nous, tout est si rigide et conditionné de nos jours qu'on en devient "deshumanisé". Certaines personnes peuvent survivre dans cet univers au travers de la violence, en contribuant elles-mêmes à cette violence. Nous sommes enfermés dans un système surchargé par les différents médias, une société où l'on construit de plus en plus de cellules pour punir les gens, là où un travail de prévention du crime serait bien plus efficace. La police véhicule une image si importante que nous nous dirigeons vers un pays où la milice règnera en maître. Le film aborde aussi le problème des enfants maltraités par leurs parents, celui d'une violence transmise de père en fils au fil des générations successives. L'une des raisons pour laquelle la relation entre le jeune homme et la jeune fille est si tourmentée vient du fait qu'ils ont un passé lourd d'un sérieux contentieux en la matière. Le films montre cet aspect des relations parents/enfants, et les dégâts qui peuvent en découler par la suite. C'est un regard exempt d'humanité porté sur une société qui est à bout, dans tous les sens du terme. D'une certaine manière, ces deux meurtriers deviennent des antihéros. Ce sont les porte-paroles d'une sorte d'intégrité qui a été complètement enfouie, bafouée et corrompue par un establishment où les valeurs ne sont plus; tout est désormais question d'argent, d'audimat, de budgets plus gros pour construire des prisons plus vastes et des corps de police plus importants. La police est corrompue, les prisons sont corrompues, les médias sont corrompus...

Quel est votre point de vue sur la violence telle qu'on la montre en général ?

On atteint un stade très bizarre. La criminalité n'a pas beaucoup évolué, dans le sens où les crimes violents qui sont commis sont les mêmes depuis les années 70. C'est le traitement de cette criminalité par la télévision qui a pris des proportions excessives de nos jours (1). On atteint le paradoxe suivant : à Washington, le gouvernement fait pression sur la télévision pour qu'il y ait moins de violence. Les chaines réagissent alors en réduisant tous les crimes à un simple champ / contre-champ où le méchant tire et le gentil tombe raide mort. C'est en fait terriblement dangereux, car cela banalise l'acte criminel; il devient "aisé" de tuer. Je pense qu'à la télévision, si l'on veut montrer un acte de violence, il faut être réel, démonstratif, authentique, et faire peur. Il faut voir le méchant tirer violemment, le sang gicler partout, et l'acteur se contorsionner dans d'atroces souffrances, une souffrance laide, apeurante, choquante. Car c'est là la véritable vocation de l'art : véhiculer une expérience. On ne voit pas cela à la télévision. Ce qui se passe actuellement, c'est que l'on retrouve toute cette violence dans les journaux télévisés de part le pays. Ces journaux traquent la violence parce qu'elle vend bien. On dépêchera un envoyé spécial n'importe où dans le monde où l'on pourra récupérer des images du dernier meurtre en ville, avec des plans de l'hôpital et des corps sortant des ambulances. Si possible, il faut que ce soit une histoire sordide où un gosse s'est fait tuer dans des situations incroyables. Et les informations ne sont plus dévouées qu'à cela, tirant ainsi profit de la censure imposée aux oeuvres de fiction. Les journaux télévisés vont continuer à montrer cette violence, en faire sensation, la "célébrer" tout en se faisant de l'argent. L'information telle que je m'en souviens étant enfant est révolue. Le sérieux et la dignité que l'on pouvait ressentir lors de la couverture d'événements à l'étranger ont disparu. Maintenant, on ne fait que courir après les ambulances, comme O.J.Simpson sur l'autoroute (2). Ainsi que l'a récemment écrit Octavio Paz : "Les anciens avaient des visions, nous, on a la télévision !". Ces jeux de cirque, ces gladiateurs nous dévitalisent. On se moque complètement de la violence, tout ce qui importe désormais, c'est le prochain choc émotionnel. Mon film ne cherche pas à promouvoir la violence réaliste. Natural Born Killers montre tout de façon extrême, presque à la limite d'un effet humoristique, car le but d'un style satirique est d'exagérer, de distordre, pour que les gens soient amenés à s'interroger à propos de cette violence. C'est le but principal du film, amener les gens à réfléchir à la violence qui les entoure, non pas à la violence telle que les médias nous la montrent, car les médias en font des jeux du cirque. J'ai pris deux jeunes personnes attirantes, que je mets dans une situation problématique, et ils deviennent des tueurs en série, qui assassinent sans raison, ils sont tarés. En même temps, les médias sombrent dans l'hystérie et mettent ces gens là à l'affiche pour en faire des héros. En agissant ainsi, les médias rejoignent le même niveau de folie et de perversion que celui des meurtriers. Je montre aussi du doigt les prisons, où les gardiens deviennent complètement fous sous la pression du système, de même que le policier qui les pourchasse et qui perd tout souvenir de son code moral. Il semblerait que le système tout entier soit devenu plus corrompu, même si cela n'affecte pas en totalité le système judiciaire et pénitentiaire. Un film est une satire qui exagère les faits, comme dans Orange Mécanique. On prend les moments les plus exacerbés et on les reporte à l'écran, on ne dit pas nécessairement que ce sont des situations normales. Je pense honnêtement, que pendant les deux ans passés à faire ce film, ce qui pour nous était une satire au début est presque devenu réalité entre-temps. Entre O.J.Simpson, les frères Menendez, Lorena Bobbitt et Tonya Harding, Rodney King, Joey Buttafuoco, et quelques autres pseudo-célébrités, on ne sait plus où donner de la tête dans le monde réel. Ce qui se passe dans mon film pourrait se passer demain. C'est une progression frappante, je suis très surpris. Lorsque nous avons commencé à l'écrire, en 1992, le thème du film paraissait presque réaliste. Lorque nous l'avons terminé en 1994, il était devenu parfaitement réaliste. Il ne se passait pas de semaines sans que les médias ne bombardent l'Amérique avec un nouveau drame feuilletonesque susceptible de faire grimper les ventes, rapporter de l'argent et surtout entretenir l'hystérie collective. Lorsque Tonya Harding réussit à faire 5 ou 6 fois la "Une" du New York Times, nous avons sans doute compris confusément que le Siècle de l'Amérique s'achèverait sur l'Ere de l'Absurde.

Votre traitement de la violence pour ce film diffère des visions habituelles...

Quand j'en arrive au réalisme dans la violence que j'ai déjà abordé dans mes films (j'ai déjà montré ce qu'une balle peut faire dans Platoon et Né un 4 juillet), c'est généralement obscène, dégoûtant et choquant. Dans ce film, j'ai délibérement choisi de m'en écarter parce que ça ne m'intéressait pas de faire quelque chose de réaliste sur un tueur en série. Ca a déjà été fait dans d'autres films, et bien fait. Je pense à In Cold Blood, Reservoir Dogs ou à Henry, Portrait of a Serial Killer. Ces films étaient excellents, et il n'y avait donc aucun intérêt à refaire un film où l'on voit des gens coupés en morceaux. Je préférais me pencher sur l'idée de la violence. Je pense que les personnes sensibles et intelligentes qui regarderont ce film comprendront qu'il illustre une projection d'eux-mêmes, ce que nous sommes devenus, ce qui nous entoure quotidiennement. Ce film est dérangeant par cette dimension inquiétante de la réalité américaine, qu'il nous permet d'observer comme un tableau surréaliste. Je ne crois pas qu'il y ait un seul plan du film qui soit répugnant, tout va très vite (il doit y avoir entre 2500 et 3000 points de montage). C'est un film très nerveux. J'ai écrit pour Midnight Express une scène où un type se fait mordre puis arracher la langue, et pour Scarface, une scène où il est question de démembrement à la tronçonneuse. Ces scènes là m'ont attiré pas mal de problèmes. Ici je n'ai pas du tout recherché ce genre d'effet. Je voulais que l'idée principale du film soit la violence, qu'il montre que le système de valeurs culturelles de l'Amérique a atteint un stade où les tueurs arrivent à devenir des héros (ou des antihéros, cela revient au même) de la société. La police et les prisons sont devenus suspects. Il n'existe aucune loi nationale, aucune censure télévisuelle ou cinématographique qui empêche les réalités virtuelles créér par les médias d'investir nos vies. Comme le dit Eddie Vedder dans la chanson "Footsteps" : "Jadis, nous nous contentions du suicide pour mettre fin à nos souffrances. A prèsent, nous avons besoin de la souffrance d'autrui... innocents d'autrefois... victimes sans défenses d'aujourd'hui. Nous avons engendré un monstre... une armée de monstres." Avec les jeux vidéo, les simulateurs, les consoles interactives, la prolifération des "news" et des émissions basées sur la réalité saisie en direct, seconde par seconde, il est inévitable que la représentation de la violence devienne de plus en plus réaliste.

La violence paraît souvent excessive dans le film...

Tout en acceptant cet air du temps, cette dramatisation criminelle héritée d'Orange Mécanique et des films de Sam Peckinpah, j'ai cherché à donner une vision satirique d'une pénible évidence : à savoir que le crime est devenu si fou, si excessif, si abrutissant et si anesthésiant que le panorama criminel de l'Amérique des années 90 présenté dans ce film en arrive à offrir des aspects cocasses, à l'instar des médias qui en rendent compte avec tant de zèle. La violence est donc traitée avec humour dans Natural Born Killers. On a fait des projections privées à Seattle et à Chicago, et les spectateurs de moins de trente ans se marraient pendant le film, ce qui était l'effet recherché. Tout au début du film, un couteau traverse une fenêtre avant de se planter dans le dos de quelqu'un. Toute personne un peu lucide sait pertinemment qu'il n'y a aucune chance que ce genre de tir aboutisse. Cette scène établit le degré de chaos et de folie du film, et les personnes qui ont ri à cette scène ont tout compris.

Comme dans J.F.K., vous avez recours à une technologie extrêmement performante, créant des innovations sur le plan visuel...

On s'est beaucoup amusé sur le film, notamment à essayer des choses qui n'avaient jamais encore été faites. Nous voulions complètement y intégrer les médias, car Micky et Malory sont vraiment les produits d'une génération télé. Ils ont moins de vingt ans, et ont grandi en regardant la télé. Au début du film, on voit une vieille dame zapper frénétiquement. On commence par 1950, puis 60 puis 70 sur la démission de Nixon, puis on passe à 80, puis à 90 sur une émission de poursuite de flics, et on finit sur un démon qui hurle : ce qui nous amène au temps présent. On a aussi de l'animation, du 8mm, du 16mm et beaucoup de scènes en vidéo. On peut s'imaginer le passé de Micky et Mario au travers d'un sitcom.
C'est leur seule façon de se raccrocher à la vie, la leur étant si détraquée. Leurs parents sont des personnages de sitcoms tellement ils sont tarés. On s'est attaché dès le début à montrer que ces gosses sont à l'aise dans ce milieu des médias, ils ont grandi avec. On a pris pas mal de libertés avec ces différents formats d'image. On a aussi fait beaucoup de plans utilisant de la rétro-projection, où l'on voit un autre film se dérouler derrière les personnages. La plupart de ces images permettent de connaître leur passé pendant qu'ils vivent au présent. Dans ces images, on peut déceler les racines du totalitarisme et de l'oppression. On peut voir le degré de violence atteint dans le 20ème siècle, et pourquoi ces personnages ont émergé. Ce siècle a vu Hitler, Staline, l'Arménie, et quantité d'autres génocides de masse, et tout ça sur les écrans. Les projections en arrière-plan de documents sur Hitler, Staline, le Vietnam, l'Arménie, etc. montrent à quel point nous sommes embourbés dans ce siècle et cherchant, comme disait Paz, une "issue". Le choix de ces personnages de devenir du jour au lendemain des tueurs n'est pas spontané, ça leur a été transmis.
La violence a déjà été implantée, chez eux, chez leurs parents, dans ce siècle. On a essayé d démontrer certains de ces points, avec si l'on peut dire des technologies de pointe en matière de cinéma.

Vous avez également mélangé les formes narratives...

Oui, nous changeons brusquement de registre et de point de vue à l'intérieur de chaque scène, multipliant les plans en caméra portée et les cadrages-choc : plusieurs séquences sont tournées à la manière des reality-show télévisés, afin de rappeler les techniques manipulatrices du petit écran qui font de chaque fait divers criminel un spectacle de masse, les intrusions dans la vie privée de victimes en détresse alternant avec les propos absurdement solennels d'interviewers/psycho-sociologues improvisés. Bousculer les conventions narratives permet de tendre un miroir au spectateur, de brouiller délibérement les frontières entre réalité et émotion. D'obliger le public à une vigilance extrême face à cette épopée amoureuse en forme de satire.

Quels étaient vos objectifs en écrivant le scénario ?

Nous nous étions donné plusieurs objectifs : explorer la mentalité d'un couple de jeunes tueurs parmi les plus violents jamais vus à l'écran, mettre en scène le cirque médiatique et la fascination collective suscités par leurs sanglants exploits, livrer la chronique de deux amants en cavale, pénétrer leurs rêves et leurs visions, traquer leurs démons, et faire la satire de l'exploitation mercantile de leurs crimes. Montrer comment deux "âmes perdues", deux enfants de la violence deviennent des "serial killers", haïs autant qu'adulés, prendre à parti le spectateur, le pousser à s'interroger sur ses propres réactions, ses propres émotions face au comportement criminel et à sa mythification. Bref alerter, choquer, désorienter et informer le public, lui tendre un miroir, reflèter les excès d'une société déchirée par d'insolubles contradictions.

Vous portez un jugement sévère sur les spectateurs...

La civilisation du spectacle est sans pitié. Les spectateurs n'ont pas de mémoire, donc, pas de remords ni de véritable conscience. Ils oublient vite et ne réagissent pas plus aux scènes de mort et de destruction de la Guerre du Golfe qu'aux déhanchements de Madonna ou de Michael Jackson. Ils attendent le Grand Baîllement anonyme et universel annonciateur de l'Apocalypse et du Jugement Dernier de la société du spectacle. Nous sommes condamnés à cette nouvelle version de l'Enfer : un perpétuel face à face entre ceux qui ont les honneurs de l'écran et ceux qui les regardent. Selon la mentalité américaine, il parait plus important de faire parler de soi que de réussir dans ses études. Dans notre culture, le savant est obscur et Billy le Kid célèbre. Nous sommes une race de prédateurs qui impose sa loi à autrui, comme on le constate avec le Vietnam, le monde des sports et celui du Barreau. Y a-t-il une issue? Je l'ignore, mais il faut la chercher...

Mickey et Mallory apparaissent plutôt sympathiques...

Policiers, gardiens, établissements pénitentiaires, journalistes, tous font partie à l'évidence d'un immense et bizarre réseau de châtiment cruellement totalitaire. Dans ce contexte, il est inévitable que des tueurs tels que Mickey et Mallory, par essence des anti-héros, émergent à la surface d'un système anonynement répressif et captivent le coeur et l'esprit des Américains en quête d'un visage humain, qu'il s'agisse de Bobbitt, Buttafuoco ou Anita Hill protestant contre les injustices de la vie moderne.
Kafka avait tort : l'individu n'est pas condamné à être brimé et sans visage; il a toujours la possibilité d'apparaître à la télévision, peu importe que ce soit comme candidat à un jeu ou comme acteur d'un fait-divers. Pour quelqu'un qui passe sa vie en prison, un moment au soleil est toujours bon à prendre. Certes, Mickey et Mallory ne respectent rien et ne connaissent pas le remords. Ce sont un peu les caricatures Swiftiennes et Voltairiennes de nos pires cauchemars. Mais ils sont eux-mêmes le produit de la violence. Une violence montrée comme un héritage transmis de génération en génération, des parents aux enfants, et ce, jusqu'à la fin des temps...

Vous citez à plusieurs reprises Orange Mécanique : Natural Born Killers en est-il également l'héritage direct?

La satire pour être efficace, doit provoquer un "choc". Les idées marginales ou subversives ont toujours troublé les contemporains. Kubrick, avec Orange mécanique, a semblé outrepasser les limites de la violence. Des années auparavant, Bunuel et Dali, avec un oeil et un rasoir, ont choqué et offensé. De même, Eisenstein avec un landau et des lunettes brisées... Tout est, à mon avis, une question de style. Les Grecs les premiers ont eu recours à des baquets de sang et des yeux énucléés. L'art ne doit pas faire de distinction entre les sujets. Eliminer certains thèmes sous prétexte qu'ils ne seraient pas "politiquement corrects" conduit fatalement à la perte des libertés fondamentales...

La bande son est particulièrement dense...

Je pense qu'on a battu le record en ce qui concerne le nombre de minutes de musique dans un film. On a utilisé quelques 130 morceaux musicaux. Je ne voulais pas d'une musique composée pour le film, donc, pas de compositeur. Je désirais prendre des morceaux à leur source. Pour chaque scène, nous avons une ambiance particulière. On passe de l'opéra au hard rock, à Bob Dylan, à Nine Inch Nails. On a Rock 'n Roll Nigger de Patty Smith, qui est un superbe morceau des années 70 qui n'a jamais eu le succès qu'il méritait. On a mélangé tous les styles, de la musique vieillotte à la plus branchée. On a de la musique pakistanaise, etc... Ce film est l'un des plus complexes qui soit de ce point de vue, on a parfois deux ou trois morceaux en même temps. La musique joue un rôle très important dans ce film. Elle est très émotionnelle, très entraînante : elle accompagna d'ailleurs le tournage des scènes de violence, leur conférant la fluidité et la beauté troublante d'un spectacle dansé. La musique nous permet de prendre certaines libertés visuelles, en ouvrant nos esprits pour que certains effets passent, invisibles...


Propos recueillis par Tom Fiedler (Trad.: Philippe Chambin)

(1) : Du 17 février au 27 mai 1994, la télévision américaine a diffusé 45 émissions sur des meurtres, interviewé plusieurs tueurs en série et enquêté longuement sur leurs victimes. La journaliste Diane Sawyer s'est entretenue avec Charles Manson, et Stone Phillips avec Jeffrey Dahmer. Le célèbre animateur Phil Donahue a demandé l'autorisation de filmer et montrer une éxécution capitale. Des programmes comme "Inside Edition", "Hard Copy", "A Current Affair" et "Prime Time Live" se sont spécialisés dans les reportages choc, en "direct live", qui battent des records de popularité. Durant le premier semestre 94, ils ont notamment livré en pâture aux téléspectateurs :
- le drame d'une employée de la Poste trucidée par son compagnon
- la sanglante récidive d'un "serial killer" libéré sur parole après 22 ans de détention
- une confrontation entre le meurtrier d'un enfant de 3 ans et le père de ce dernier
- le portrait d'un homme qui avait mitraillé les innocents passagers du Long Island Railroad
Sans compter les procès de plusieurs meurtriers et des kyrielles de téléfilms et docudrames policiers "tirés d'histoires vraies"...

(2) : Des dizaines de millions d'Américains ont suivi, fascinés, la cavale télévisée d'O.J.Simpson, l'ancienne gloire du football américain soupçonnée d'avoir assassiné sa femme et l'hypothétique amant de celle-ci.




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