José Gorostiza

Traduction de Claude Couffon


Pauses I

La mer, la mer!
Je la sens tout en moi.
Et rien que d'y penser,
si à moi, si à moi,
ma pensée a un goût de sel.


Tina Modotti

Tina Modotti, Gannets

Mort sans fin (fragments)

I

Rempli de moi, assiégé dans mon épiderme
par un dieu qui me noie, insaisissable,
leurré peut-être
par sa radieuse ambiance de clartés
occultant ma conscience répandue,
mes ailes brisées en esquilles d'air,
mes pas qui, maladroits, tâtonnent dans la boue;
rempli de moi, repu, je me découvre
dans l'image étonnée de l'eau
qui est et seulement cahot immarcescible,
écroulement d'anges tombés
dans le délice intégral de son poids,
qui n'a rien d'autre
que son visage en blanc
à demi enfoncé, déjà, comme un rire qui meurt,
dans le tulle fin du nuage
et dans les funestes cantiques de la mer
— arriére-goût de sel ou blanc de cumulus
plus qu'une simple hâte d'écume traquée.
Pourtant — ô paradoxe! — contrainte
par la rigueur du verre qui la clarifie,
l'eau prend forme.
Y creusant ses assises, elle construit,
assume un âge de silences amer,
un doux repos de jeune morte,
souriante, que déflore
un au-delà d'oiseaux
en débandade.
Dans le filet de cristal, mailles qui l'étranglent,
ici, comme en l'eau d'un miroir,
elle se reconnaît;
enchaînée ici, goutte à goutte,
et dans la gorge, fané, son trope d'écume,
quelle nudité d'eau la plus intense,
quelle eau plus eau
rêve en son orbe tournesol,
chantant déjà une soif de gel équitable!
Mais quel verre — aussi — plus prudent
que celui-ci qui s'arrondit
comme une étoile en grain,
que celui-ci qui, pour une héroïque promission, s'allume
comme un sein habité par le bonheur
et offre à l'eau, ponctuel,
une éclatante fleur
de transparence,
un œil fusant vers les hauteurs
et une fenêtre aux cris lumineux
sur cette liberté incandescente
qui s'épuise au-dedans de candides prisons!

IV

Intelligence, solitude en flammes,
qui conçoit tout sans le créer!
Elle feint la chaleur de la boue,
son émoi de substance endolorie,
l'irascible amour qui lui donne sa beauté
et l'élève au-delà des ailes
où seul pleure le rythme
des étoiles,
mais ne lui transmet pas le souffle qui le dresse
et reste à cultiver sa propre joie,
unique en Lui, immaculée, seule en Lui,
inexprimable réticence,
amoureuse crainte de la matiére,
angélique égoïsme qui s'échappe
comme un cri d'exultation sur la mort
— intelligence, lande de miroirs! —
glaciale émanation de roses pétrifiées
sur la cime d'un temps paralytique;
pulsation scellée;
tel un réseau de tremblantes artères,
hermétique système de maillons
qui se hâte ou s'attarde à peine
selon l'intensité de son plaisir;
abstinence angoissée
qui pressent la douleur et ne la crée,
qui écoute déjà dans la steppe de ses tympans
monter le gémissement du langage
mais ne le pousse;
qui respire, rien d'autre, les essences
et se maintient ainsi, rancœur tenace,
une, et exquise, avec son dieu stérile,
sans élever entre elle et lui
la sourde tristesse de la chair,
sans admettre en sa parfaite unité
la brutale ironie de cette discorde
que nourrissent, inconciliables, vie et mort,
l'une et l'autre se succédant
comme la nuit succède au jour,
l'une et l'autre campées dans la cellule
comme dans un lent crépuscule,
las ! un néant de plus, aigre, stérile,
avec Lui, avec moi, avec nous trois;
comme le verre et l'eau, mais un néant
qui concentre son blanc silence
sur la rive mortelle des paroles
et dans l'imminence même du sang
             ALLÉLUIA! ALLÉLUIA!