Alfonso Reyes

Traduction de Claude Major et de Guy Lévis Mano


Iphigénie cruelle (fragment)

Mais je suis tel que tu m'as fait, Déesse,
entre les lignes égales de tes flancs:
comme un sûr fil à plomb de maçon,
et comme toi; comme une truelle froide.

Sur l'axe de ta narine rectiligne,
personne ne vit se froncer tes sourcils,
ni se plier les recoins
inexorables de ta bouche,
d'où fuit un cri interminable
déjà pénétré de silence.

Qui te caressera le cou,
trop robuste pour être pris en main,
supérieur au creux mesquin de la paume,
qui est la mesure de l'humain appétit?

Elle
Et pour qui te fallait-il
détacher l'X
de tes bras ceinturés et enduits
comme d'atroces jarretières au tronc,
entre lesquels pointent
les nombreux cornillons
de ton buste de femelle d'élevage?

Qui a jamais vu trembler sur ton ventre
l'éclat bleu de ton nombril?
Qui a bien pu apercevoir
la bouche hermétique
de tes deux jambes verticales?

Autour de toi dansent les astres.
Aïe! Du monde, oui, tu flageoleras, Déesse!
Et enfin, ce qu'en toi je vénère le plus:
les pieds, où tu reçois les offrandes
et où j'ai trouvé berceau et giron;
tu les fais des doigts en compas
où peut s'abriter un homme adulte;
les racines par où tu bois
les tonneaux rouges du sacrifice, à chaque lune.


La menace de la fleur

Fleur des pavots
leurre-moi sans m’aimer.

Comme tu exagéres ton parfum,
comme tu exaspéres ta rougeur,
fleur qui te peins des cernes
et exhales l’âme au soleil!

Fleur des pavots.

Une te ressemblait
par la rougeur dont tu nous trompes,
et aussi parce qu’elle avait
comme toi, les cils noirs.

Fleur des pavots.

Elle te ressemblait…

(Et je tremble rien qu’à voir
ta main posée dans la mienne:
je tremble qu’un jour ne vienne
où tu serais devenue femme!)


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