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CHAPITRE IV E

 



LA MÉTHODE  DE  PIERRE FLUCHAIRE
par
Thérèse-Isabelle Saulnier


 

Et dire que ce bonhomme nous promet, et ce dès le début, dès la couverture de son livre intitulé La révolution du rêve, de nous livrer le "mode d'emploi de nos rêves", comme il l'appelle. On l'attend en vain, ce fichu "mode d'emploi"! Rien, absolument rien là-dessus! Après avoir terminé le livre, vous ne savez absolument pas comment procéder, tellement Fluchaire reste vague en ce qui concerne cette soi-disant méthode d'auto-interprétation des rêves. Pourquoi, alors, lui consacrer plusieurs pages? Parce qu'il va me permettre, au fur et à mesure que je présenterai ses idées, de faire la part des choses, de faire les distinctions qui s'imposent et de montrer ce qu'il ne faut surtout pas faire, lorsqu'on veut traiter les rêves avec sérieux, en véritable onirologue.

Fluchaire nous présente d'abord ce qu'il appelle "les trois conditions nécessaires pour faire l'interprétation de ses rêves". Ces conditions sont les suivantes:

1. Accorder de l'importance à tous ses rêves. Donc, prendre en note tous nos rêves et ne pas penser a priori que celui-ci est plus important que celui-là. - Sur ce, je suis parfaitement d'accord.

2. Avoir une grande honnêteté et un minimum d'objectivité vis-à-vis soi-même: il ne faut pas avoir peur de ses propres vérités ni de se confronter avec soi-même. - Tout à fait d'accord, là aussi. Il est bien évident que si l'on craint de se regarder en face ou de raviver certains souvenirs pénibles, nous n'arriverons à rien. Certaines personnes, d'ailleurs, subissent des échecs en analyse pour cette raison-là.

3. Avoir appris à interpréter ses rêves. - Mais justement, monsieur, si nous avons acheté votre livre, c'est parce que nous pensions que nous l'apprendrions avec vous!

Au niveau de la méthode comme telle, que nous propose-t-il au cours de ses 350 pages? En fait, il énonce des principes, fort utiles, certes, mais qui n'expliquent malheureusement pas comment procéder.

1) Étudier une succession de rêves, et non pas un seul isolément. - Vraiment? Si, après être passé au travers de notre premier rêve, nous ne résistons plus au mystère que recèle chacun des suivants, nous étudierons effectivement une "série" de rêves, c'est-à-dire un certain nombre. Rien n'empêche, cependant, que l'on puisse étudier un seul rêve et l'expliquer en son entier.

2) Faire le récit d'ensemble du rêve, c'est-à-dire le décrire le plus complètement possible, dans tous les détails, sans rien omettre. - C'est l'étape de la description, ce que tout le monde est capable de faire très facilement. Cependant, le "mode d'emploi", c'est après!

3) Faire des liens avec sa vie actuelle. - En effet, c'est essentiel.

4) Ne pas fonctionner avec ce qu'on a lu dans des livres, mais avec nos propres significations. - Je ne dis pas autre chose et mes critiques sont basées sur ce principe.

5) Revivre complètement le rêve.

6) Faire le décryptage. - !!! Mais comment? C'est ce qu'on veut justement savoir, c'est ce que Fluchaire nous a dit qu'il allait faire, mais là-dessus, motus et bouche cousue!


Mais peut-être que le chapitre XI (3e partie intitulée: "Réapprendre le rêve"), pourrait-il nous éclairer davantage sur le fameux "mode d'emploi"? Fluchaire y mentionne "les huit clefs pour comprendre ses propres rêves".

1. Connaître le rêveur

(À noter que c'est là une curieuse expression alors qu'il s'agit d'étudier ses propres rêves! Elle indique que Fluchaire fonctionne d'abord et avant tout dans l'optique qu'il est lui-même l'interprète d'un rêve qui n'est pas le sien. Mais passons.)

Donc, il faut se connaître soi-même, identifier ses particularités, ses habitudes, son langage, sa position sociale, ses contraintes, ses désirs, ses amours et ses haines, ses relations, ses ambitions, ses doutes et ses craintes, sa situation familiale, ses problèmes professionnels, sa formation et, enfin, ses convictions philosophiques, religieuses et morales, selon lui. Avouons qu'il exagère passablement le travail préalable qu'il est utile de faire avant de commencer une auto-analyse de ses rêves; pas besoin d'en faire autant pour pouvoir commencer! Toutes ces données, d'ailleurs, ne pourront faire autrement que de venir au fur et à mesure de nos analyses, en temps et lieu.

Un principe découle de cette première "clé": il ne faut jamais sortir un rêve de son contexte temporel, et il faut renoncer à tout savoir préalable; la signification d'un symbole n'est jamais "standard", elle relève d'abord et avant tout de la personne qui rêve. - Je n'ai jamais affirmé autre chose, et je m'attendais à ce que Fluchaire respecte ce principe. Or, lorsqu'il se fait "interprète", il utilise lui-même une signification standard extérieure à la personne qui a fait le rêve. Son "interprétation" du rêve que nous reproduisons plus bas en est un superbe exemple.

2. Le phénomène de projection

Il faut nous voir nous-mêmes à travers les personnes de notre rêve, et identifier des espaces de notre monde intérieur dans les lieux où nous nous retrouvons, affirme Fluchaire. Là-dessus, j'exprime mon net et catégorique désaccord: les personnes de nos rêves ne nous représentent pas nécessairement (c'est parfois le cas, mais pas toujours), et les lieux doivent souvent être pris objectivement, pour ce qu'ils sont ou représentent en tant que tels. (Par exemple, une école est un lieu d'apprentissage; un hôtel est un lieu de passage; un chalet est un lieu de repos et de loisir; etc.)

Cela dit, il est vrai que le phénomène de projection existe et joue beaucoup dans les rêves; nous projetons bien souvent nos propres qualités et défauts sur d'autres personnes, ce qui donne beau jeu à notre Surconscient de s'en servir pour nous amener progressivement et délicatement à mieux nous connaître. Cependant, ce n'est pas toujours le cas; j'ai montré, dans le chapitre consacré aux personnages de nos rêves, dans mon Guide d'analyse des rêves I, que ceux-ci pouvaient représenter bien autre chose que nous-mêmes. Il faut voir cas par cas, rêve par rêve, pour savoir si nous devons nous attribuer les caractéristiques de la personne à laquelle on a rêvé, ou la prendre telle qu'elle est.

3. Nos besoins du moment

Fluchaire dit que nous devons tenir compte du fait qu'un rêve nous fournit ce dont nous avons besoin à ce moment-là: "C'est notre être total qui préside à nos rêves et il sait ce qui manque le plus à notre conscient. Par le rêve, il va essayer de nous le fournir, soit par compensation, soit par complémentarité. Si le rêveur a besoin d'être secoué ou alerté, il va lui apporter des expériences horribles; s'il a besoin d'informations, il va lui apporter des faits, des renseignements; s'il a besoin d'être enseigné, guidé, il va lui donner des leçons, des orientations..." (p. 258)

A vrai dire, cela me semble un peu simpliste - quoique vrai dans l'ensemble; c'est un fait que notre Surconscient, producteur de rêves, sait ce dont nous avons besoin, mais il ne fonctionne pas toujours ni nécessairement par compensation ou complémentarité. Si j'ai besoin d'être secouée, je ne ferai pas nécessairement des rêves "horribles"; ce peut être le cas (un cauchemar qui réveille subitement), mais je peux tout simplement faire un rêve impressionnant, qui va me donner des sensations un peu plus fortes que d'habitude ou, encore, un rêve tout ordinaire que je pense insignifiant, mais qui ne lâche pas prise et me revient régulièrement à la mémoire au cours de la journée. "L'horreur" peut se présenter, alors, en cours d'analyse plutôt que dans le rêve!

Si j'ai besoin d'informations... Je me demande sérieusement ce que Fluchaire entend exactement par là. S'il dit vrai, alors c'est un genre de rêve que je ne fais jamais! Ou alors, s'il entend que notre Surconscient peut nous aider en cas de blocage en nous fournissant, la nuit suivante, un indice, je suis parfaitement d'accord: cela arrive en effet souvent et j'en ai donné un exemple au chapitre 4 de mon tome I, avec l'analyse intégrale du rêve "Tout d'un coup".

Notre "être total" nous donne des leçons, des orientations? Encore là, je suis très sceptique: l'inconscient est moralement neutre, ni moral, ni immoral; amoral, dit lui-même Fluchaire. Comment pourrait-il alors nous donner des leçons de morale? Le plus que l'on est en droit d'affirmer ici, c'est que le Surconscient, à travers ce qu'on appelle des "rêves d'avertissement", peut nous présenter une situation du style: "Si, alors...", car il fonctionne selon une loi d'équilibre des énergies psychiques: si tel équilibre est rompu, s'il y a excès par-ci et insuffisance par-là, alors se présentera telle conséquence automatique dans notre vie. Mais, d'après moi, ces "rêves d'avertissement" sont rares et probablement faits par des personnes en état de dépression grave ou de maladie nerveuse sérieuse.

4. Le but est plus important que la cause

Il faut, dit Fluchaire, chercher la finalité des rêves plutôt que leur causalité, en se demandant non pas: "D'où vient ce rêve?" mais: "Où mon rêve veut-il en venir?" Fluchaire va jusqu'à affirmer: "Le rêve est une anticipation plus qu'une représentation du passé dans laquelle on chercherait en vain, souvent en perdant son temps et son "latin", ce qu'il y a puisé bien qu'il ne s'en détache jamais. La seule grande question à se poser est la suivante: où mon rêve veut-il en venir?" (p. 258)

Que le but (c'est-à-dire le sens, le message du rêve) soit plus important que sa cause (c'est-à-dire la source, l'origine des images du rêve), j'en conviens: nous les étudions précisément pour savoir ce qu'ils nous disent! Mais que la seule grande question que nous devions nous poser soit celle-là, c'est nettement contraire à la méthode même de l'analyse des rêves et de ses principes de base. Toute image, tout élément de rêve, en effet, nous vient de quelque part; l'identifier est nécessaire - et extrêmement précieux - pour en découvrir le sens caché. La plupart de nos rêves nous parlent soit de notre vie actuelle, présente, soit de notre passé et tout spécialement de notre enfance. Qu'il soit une anticipation de l'avenir ne peut donc s'entendre comme prédiction; si, par contre, Fluchaire veut dire que cette "anticipation de l'avenir" se trouve dans ce que nous apporte le secret du rêve, alors va: il est bien évident que ce que nous en retiendrons, c'est ce que nous y aurons découvert et qui nous servira pour l'avenir!

On ne perd jamais son temps (mais parfois son latin, oui) en faisant, en cours d'analyse, des détours sur des moments de notre passé; bien au contraire de ce que Fluchaire affirme, ils sont toujours utiles et extrêmement enrichissants; s'ils ne nous ont pas permis de comprendre le sens de tel rêve lorsque nous en avons parlé, il n'y a pas de quoi penser qu'on a perdu notre temps: ce dernier sera récupéré lors de l'étude d'un rêve subséquent, de sorte que le travail qui a été fait à ce moment-là n'aura plus besoin d'être fait.

5. L'instinct de conservation

Fluchaire écrit que les rêves mettent en jeu, peut-être, en quelque sorte, comme leur seul vrai personnage principal, notre instinct de conservation ou de préservation et de prolongation de la vie. C'est cet instinct fondamental qui expliquerait, selon lui, les rêves où sont impliqués des rapports de force se manifestant dans des discussions, des poursuites, des affrontements, des combats et parfois même, dans des tueries...

Que dire d'autre, là-dessus, sinon ceci: voilà que se manifestent la morale et la philosophie de l'individu; pour lui, tout s'explique par cet instinct de conservation. - Avouons que c'est un peu plat comme vision de l'être humain! (Ici, c'est la prof de philo qui parle!)

6. Le plan objectif et le plan subjectif de l'interprétation

(Cette sixième "clé" forme en fait les clés 6 et 7 de Fluchaire. Comme elles parlent exactement de la même chose, je les ai regroupées.)

Fluchaire nous dit qu'il faut d'abord rechercher la signification la plus directe, littérale, puis symbolique des éléments du rêve. - En cela, je suis parfaitement d'accord avec lui: après avoir fait la description du rêve, le premier travail consiste toujours à détailler davantage chacun de ses éléments et ce, par rapport à ce qu'ils sont ou représentent objectivement, réellement, pour nous. Ensuite, et ensuite seulement, s'il y a lieu, on peut chercher à savoir s'ils ne symboliseraient pas une réalité psychique quelconque, voire même une réalité objective ou une personne que nous connaissons. Ce "symbolisme" n'est cependant pas toujours présent dans un rêve. Pour plus de détails sur ce point, voir mon Guide d'analyse des rêves I, chapitre IV, p. 67 à 78.

7. Ai-je bien interprété?

L'interprétation est la bonne, dit Fluchaire, lorsque le ou la rêveuse y adhère totalement et spontanément. - Ici encore, Fluchaire nous donne cette "clé" dans l'optique où nous avons interprété le rêve de quelqu'un d'autre et non le nôtre. À titre d'illustration, il présente son interprétation du rêve que lui a fait parvenir une femme détenue préventivement pour meurtre, interprétation que je critique d'ailleurs rigoureusement plus bas et que j'ai aussi présentée dans mon Guide d'analyse des rêves 1, deuxième partie, dans la section sur les animaux. Comme la dame s'est montrée d'accord, Fluchaire a pensé que son "interprétation" était juste. Mais on peut acquiescer à ce que dit quelqu'un non pas parce que c'est vrai, mais pour toute autre raison. En ce qui concerne l'auto-analyste, il ou elle sent toujours si sa traduction du rêve (de son rêve) est satisfaisante et complète. Dans le cas contraire, un doute, même minime, nous tracasse et nous "chicote": on a l'impression que ce n'est pas tout à fait cela ou que ça pourrait être autre chose. Mais, mieux que cela, l'indice le plus sûr pour révéler que la traduction est exacte, complète et véridique, c'est lorsque le rêve est expliqué en chacun de ses éléments et que tout se tient, qu'il n'y a pas de contradiction entre le sens donné à tel élément et à tel autre, que la traduction (que l'on peut mettre en parallèle avec la description du rêve) forme un tout et correspond à la situation de la personne. Critère sûr, mais disons qu'un tel résultat, frisant la perfection, est plutôt rare...

Fluchaire applique sa méthode

Vous noterez ici que notre ami ne nous présente pas l'interprétation de l'un de ses rêves, mais celle d'un rêve que lui a envoyé une femme et qu'il s'est mis en frais d'expliquer selon ses propres significations ou, plutôt, selon certaines significations toutes faites d'avance, qui n'ont probablement rien à voir avec celles de la rêveuse. Vous noterez aussi combien l'auteur ne respecte même pas les principes de base qu'il a formulés. Voici donc l'extrait de son livre incluant et la description du rêve, et son interprétation.


"Voici le rêve que nous a adressé une femme (M.F.T.) en détention préventive, accusée d'un assassinat (qu'elle n'avait peut-être pas commis) (nous avons respecté l'orthographe exacte): "J'étais chez moi et je voyais un sanglier dans le parc du voisin et il était sorti pour se sauver. Alors dans mon rêve j'ai ramasser une taule en fer et je frappais pour qu'il face marche arrière et qu'il retourne dans son parc. J'y suis arrivée avec beaucoup de lutte et avec la taule j'ai fermer le trou pour plus que le sanglier se sauve." 


Tout prisonnier rêve souvent de sa liberté ("elle était chez elle"); le sanglier est un animal sauvage qui symbolise donc la liberté et ce d'autant plus qu'il s'était évadé du parc du voisin. Tout animal (ou être vivant) vu dans le rêve représente le rêveur lui-même; la lutte avec cet animal pour lui faire réintégrer son parc symbolise la lutte qui se déroulait dans son propre inconscient entre son désir de liberté et la peur de cette même liberté (ce qu'elle nous a confirmé par la suite: sa peur de se retrouver en face de ses accusateurs).
Elle a pris une tôle en fer pour lutter contre l'animal et le faire rentrer dans le parc. Tôle (phonétiquement) signifie prison; d'ailleurs elle l'a écrit taule." (p. 260-261)

Critique

Voilà une interprétation qui semble simple, claire et définitive (la rêveuse a confirmé, nous dit-il, mais cette confirmation n'a peut-être bien rien à voir avec l'interprétation donnée. Nous y reviendrons.)

Pourquoi Fluchaire a-t-il précisé: "(qu'elle n'avait peut-être pas commis)"? Ce détail m'a frappée à la lecture, car la culpabilité ou l'innocence de la rêveuse peut fort bien être déterminante pour le sens exact du rêve, et particulièrement pour celui du sanglier.

Être chez soi dans notre rêve alors qu'on est en prison dans la réalité ne signifie sûrement pas automatiquement que le rêve parle de notre liberté. Il y a abus, ici, de la part de notre savant "interprète".

Le sanglier vient du voisin, voisin sur lequel Fluchaire ne dit mot. (Le pourrait-il, d'ailleurs, puisqu'il n'en connaît rien?) Or, qui est ce voisin pour la rêveuse? Il aurait été très important de le savoir; c'est là un de ces petits détails de rêve en apparence insignifiants (au point que Fluchaire n'en a pas tenu compte) mais qui donnent bien souvent l'orientation du rêve. Nous aurions pu alors savoir si son interprétation allait ou non dans le bon sens (par exemple, si ce voisin pouvait effectivement représenter pour elle ses "accusateurs").

Pourquoi le sanglier vient-il du parc du voisin? C'est là un autre petit détail qui n'est peut-être pas sans importance: il aurait pu sortir de la cave, de la cuisine, de la chambre à coucher ou du salon, pourquoi pas? Ces divers lieux, comme je l'ai expliqué dans la deuxième partie de mon Guide d'analyse des rêves I, à propos de la maison, ont chacun une signification différente.

En fonction des deux remarques précédentes, notons combien il aurait été important d'avoir des précisions sur ce mystérieux voisin: a-t-il bel et bien un parc? Y a-t-il des animaux? Que représente ce parc pour la rêveuse, ainsi que le voisin lui-même? Lui a-t-il déjà "fait problème"? Les réponses à ces questions pourraient être très éclairantes!

Comment sait-elle que le sanglier "était sorti pour se sauver"? Pourquoi tient-elle tant à ce qu'il "retourne dans son parc"? (Tiens, ici ce n'est plus le parc du voisin mais celui du sanglier... Très significatif, à mon sens!)

Elle a écrit: "qu'il face marche arrière". Faut-il prendre la faute d'orthographe pour un lapsus scriptae (une faute involontaire et tout à fait inconsciente au niveau de l'écriture) et travailler sur le sens possible du mot "face" au sens de "figure"? - À mon sens non, car on voit bien que la rêveuse n'est pas une championne de l'écriture. Cependant, l'expression "marche arrière" a sûrement, elle, un sens. Marche arrière... Alors qu'on est en prison, en détention préventive pour meurtre... (Meurtre, soit dit en passant, dont il pourrait être fort utile de connaître la nature et les circonstances, car ce rêve lui est certainement relié.)

Quel est le sens de l'instrument servant à "faire retourner" le sanglier dans son parc? Il s'agit d'une "taule en fer". Qu'est-ce que cette tôle évoque chez la rêveuse? Quant à moi, cet objet n'évoque absolument rien, mais je ne suis pas la rêveuse et j'aurais besoin de son aide!

Elle a fermé le trou (par lequel le sanglier s'était enfui, j'imagine) à l'aide de cette tôle; voilà qui est très intéressant! Et cela explique peut-être pourquoi c'est cet objet qui s'est présenté sur son chemin plutôt que tout autre! Personnellement, face à un tel rêve qui me vient de l'extérieur (et notons que ce même rêve a été adressé - sans doute par la poste - à M. Fluchaire), je reste avec une série de questions et non avec de belles réponses toutes prêtes d'avance. N'étant pas la rêveuse, je ne peux pas y trouver une explication qui vient de l'extérieur (en l'occurrence moi, ici). M. Fluchaire, lui, le peut - ou prétend le pouvoir. Or, que trouve-t-il comme explication et, surtout, que vaut-elle?

Tout prisonnier rêve souvent de sa liberté, dit-il. Nous ne le chicanerons pas là-dessus, mais nous dirons cependant que cette "vérité" ne veut pas dire que c'est le sujet de ce rêve. (Notons que la rêveuse est en prison, mais "en attendant".)

"Le sanglier est un animal sauvage qui symbolise donc la liberté et ce d'autant plus qu'il s'est évadé du parc du voisin." - Animal sauvage, oui, et ce détail est important. (Il faut savoir, ici, ce que cet animal représente pour la rêveuse, et non pour l'interprète!)

Ce sanglier symbolise la liberté? D'où vient le lien fait si facilement et si gratuitement par M. Fluchaire entre "sauvage" et "libre"? Parce qu'un animal sauvage fait peur? (Il prétend que la rêveuse a peur de sa liberté mais, en fait, ce qui l'angoisse, c'est d'affronter ses juges, et non sa liberté!) Parce qu'elle-même est en prison? Parce que le sanglier s'est évadé du parc? Ici, j'ai bien peur que notre interprète n'opère un petit glissement de sens par rapport à ce qu'a dit la rêveuse: "Il était sorti pour se sauver." S'évader et se sauver ont-ils exactement le même sens? La rêveuse a-t-elle l'impression que le sanglier était prisonnier comme elle? Ce n'est pas sûr, même si M. Fluchaire en semble tout à fait certain. Ce que je vois, quant à moi, c'est que la rêveuse souhaite vivement que cet animal "prenne son trou"! Elle souhaite donc qu'il retourne en "prison"!!

"Tout animal (ou être vivant) vu dans le rêve représente le rêveur lui-même." - C'est là une affirmation hâtive et purement gratuite, purement automatique, une véritable manie de tous ces gens soi-disant spécialistes des rêves et des symboles. Pourtant, notre ami a bien dit et répété que les symboles étaient personnels et qu'une interprétation ne pouvait se faire en dehors de la personne qui a fait le rêve. Il a même soutenu qu'une seule interprétation était souvent insuffisante et devait être complétée par une ou même plusieurs autres. Ce dernier point n'est pas nécessairement vrai, loin de là, mais puisque Fluchaire le croit, lui, nous voyons que c'est un principe de base qu'il ne respecte même pas!

Le travers de ce genre d'interprétation que l'on rencontre malheureusement si fréquemment (et que Fluchaire lui-même déplore, n'est-ce pas incroyable?) est précisément de reposer sur des significations toutes faites, toutes préparées d'avance, et de ne tenir compte que d'un seul sens. C'est ce que Fluchaire a malencontreusement fait ici, particulièrement en ce qui concerne le sens de l'animal du rêve, associé tout à fait arbitrairement à la liberté de la rêveuse (nous avons vu que cette explication tenait fort mal debout), et de l'animal tout court.

Le sens qu'ont, dans le rêve de X, tels éléments ou symboles ne relève pas d'une symbolique "officielle" et "objective", mais de la personne elle-même. Curieusement, une bonne majorité d'auteurs se tuent à nous le dire dans leur partie théorique, mais se dépêchent de l'oublier au plus vite dans leur "abécédaire" qui complète cette partie. Très étrange... Pour vous en rendre compte, vous n'avez qu'à lire à ce propos L'interprétation des rêves de Pierre Daco ou, encore, absolument aberrant et contradictoire, le livre de Claude B. Tedguy, Comprendre et utiliser vos rêves. M. Tedguy nous a d'abord appris que les rêves avaient une signification psychologique; or, tout son abécédaire de symboles est fonction d'une interprétation mécanique entièrement et exclusivement axée sur une prédiction d'avenir. De la pure superstition et de la pure auto-contradiction! De la pure auto-démolition, aussi, car cet abécédaire vient détruire toutes les belles vérités que l'auteur a exposées dans sa partie théorique! Il faut le faire!

Thérèse-Isabelle Saulnier

Références:

Daco, Pierre, L'interprétation des rêves, coll. "Marabout service", Verviers 1979.

Fluchaire, Pierre, La révolution du rêve, éd. Dangles, coll. "Psycho-soma", St Jean-de-Braye 1985.

Tedguy, Claude B., Comprendre et utiliser vos rêves, éd Québécor, Montréal 1986.


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