Réponses à quelques e-mails

mariage et bouddhisme

question 59




La voie juste n'est-elle pas limitée ?

La question comprend plusieurs sous-questions qui sont détaillées en gras en tête de chaque paragraphes.



voir le texte complet de la question



Réponse :

La question comprend plusieurs sous-questions qui sont détaillées en gras en tête de chaque paragraphes.

Je tiens à avertir le lecteur ou la lectrice de cette réponse que la question posée paraît reposer sur des à priori concernant les principales définitions du bouddhisme. Je recommande de lire au préalable le texte intégral de la question. C'est pour répondre à ces a priori, qui circulent toujours en ce qui cocnernent le bouddhisme et qui sont aussi compréhensibles compte de la spécificité de la démarche bouddhique et qui peuvent être le fruit de lectures ou de commentaires d'auteurs mal renseignés que j'ai choisi de répondre à cet e-mail.


* * *

Sincèrement, je ne vois pas ce que je peux répondre à ce que votre " question ". Je pense que le bouddhisme ne correspond peut-être pas à votre manière de voir les choses.

Je tiens à dire en préambule que toutes les affirmations que vous prêtez au bouddhisme sont fausses et c'est pourquoi je souhaite apporter les précisions suivantes.

Si le bouddhisme dit qu'une conduite est juste ou pas, c'est qu'elle le juge ainsi. Et s'il y a justice, c'est qu'il y a une forme de bien et de mal. Ces notions ne sont d'ailleurs pas très développées par le bouddhisme, sûrement par ce qu'elles entravent l'esprit, mais elles y sont présentes.

…/

Je ne critique pas la méditation dans le bouddhisme mais plutôt ses notions de "juste et universelle voie". Car si quelque chose est juste, bon ou bien, ne faut-il pas énoncer ce qui ne l'est pas ?

Les bouddhistes ne décrètent pas ce qui est universellement juste ou vrai. Je ne sais d'où vous tirez une telle extension de la pensée bouddhique. Je ne sais pas d'où vous tirez cette affirmation que tiendrait le bouddhisme que "la méditation dans le bouddhisme est une juste et universelle voie". Vous ne trouverez pas sur le site " Le Bouddhisme Theravâda " une telle affirmation.

Au contraire, le bouddhisme est une voie modulable à l'infini que tout un chacun se doit se s'approprier en fonction de sa propre sensibilité. C'est bien la raison pour laquelle on parle ici de méthode, de moyen, de remède qui se doit d'être mis en œuvre au travers d'une équation dont chacun se doit de définir les variables.

C'est aussi la raison pour laquelle il n'y a ni dogmes, ni affirmations, ni obligations, ni interdits, ni cadres stéréotypés …

Non seulement le bouddhisme est une voie modulable, mais la méditation, si c'est une technique qui en tant que telle doit être encadrée (la posture, l'accès la concentration, la stabilité de la concentration ...), son contenu est strictement personnel et individuel. C'est pourquoi vous ne trouverez pas sur ce site de descriptions de contenus de méditation car ces événements ne regardent personne d'autre que la personne qui les vit.

Peut-être interprétez-vous le mot juste dans une acception juridique. Hors, c'est justement une dimension qui est totalement absente du bouddhisme, car il n'y a pas d'instances pour définir ce qui est juste. Il n'y a pas non plus d'instances pour juger ce qui est juste et ce qui ne l'est pas. Peut-être cela vous manque-t-il, ou cela vous gêne-t-il, mais il n'y a pas dans le bouddhisme de définition arbitraire du juste et de vrai. Ne cherchez donc pas à l'y introduire, car alors vous ne rencontrez pas les correspondances à cette logique, qui appartient à d'autres courant, mais décidément pas au bouddhisme.

Je vous rappelle en outre que le bouddhisme ne cherche en rien à vous convaincre. Si vous êtes convaincu, vous êtes libre de rejoindre le bouddhisme. Si vous n'êtes pas convaincu par vous-mêmes et sur vos propres critères d'appréciation, personne ne vous demande de rejoindre le bouddhisme.

Je me permets de vous dire que vous avez tort quand vous dites " Si le bouddhisme dit qu'une conduite est juste ou pas c'est qu'elle le juge ainsi ". D'abord, je comprends que vous interprétez le mot " juste " comme un jugement ou comme quelque chose de juridiquement juste, c'est à dire conforme à une règle ou à une loi pénale, et non pas comme " précis, pertinent, opportun, fructueux ". Peut-être que l'introduction à la présentation de l'octuple noble sentier et l'explication du mot sammâ, devrait insister d'avantage sur ce point, mais je vous affirme ici que c'est cette seule acceptation du mot " juste " (comme " précis, pertinent, opportun, fructueux ...") qu'il faut retenir.

Si vous retenez cette seule acceptation de mot juste, vous voyez bien qu'une même action pourra avoir dans un contexte donné un effet propice et dans un autre contexte un effet néfaste. Il ne s'agit donc pas de juger une action, in abstracto et façon définie en lui rattachant définitivement une valeur juste ou injuste, mais d'apprécier si telle action aura des effets favorables ou défavorables.

Puisque votre préambule est erroné, l'induction que vous en impliquez ("Et s'il y a justice c'est qu'il y a une forme de bien et de mal ") est donc également fausse. J'affirme ici que vous ne trouvez pas une telle affirmation sur le site " Le Bouddhisme Theravâda ", j'affirme ici que cette affirmation n'intéresse pas le bouddhisme et que le bouddhisme ne s'intéresse pas à cette mécanique . Je souligne également que vous ne trouverez pas dans les textes du site " Le Bouddhisme Theravâda " aucune mention, directe ou indirecte, et sous quelque que forme que ce soit à l'opposition purement dialectique du bien et avec le mal.

Peut-être souhaitez vous introduire malgré tout cette notion dans le bouddhisme, mais elle ne s'y trouve pas. Là encore, si vous le faite, vous ne trouvez pas dans le bouddhisme les correspondances à cette logique.

Dans le bouddhisme il n'y a pas de justice, et surtout de justice dans le sens où visiblement vous l'entendez. Dans le bouddhisme vous êtes le seul juge de vos actes. Et c'est bien pourquoi il convient de bien comprendre les éléments qui composent tout être vivant, notamment au travers des cinq agrégats et de leurs déclinaisons (et il ne s'agit pas seulement de soi même, mais aussi des autres) et de bien comprendre ce qui préside à la motivation de nos actions, notamment au travers de la production conditionnée.

Alors vous pourrez dire, mais c'est trop compliqué pour moi j'ai besoin d'une instance extérieure qui décide à ma place ce que je dois faire ou ne pas faire. Un tel système ne se rencontre évidemment pas dans le bouddhisme et un tel système ne permet pas de définir ce que vous devez faire ou ne pas faire.

Dans le bouddhisme il n'y a pas de justice, non seulement par ce que vous êtes le seul juge de vos actes, mais aussi parce que ce sont vos actes qui en définitive vous jugent (et ce quelle que soit l'interaction des tiers). C'est la loi bouddhique du karma.



Le fait d'être neutre ne conduit à aucune conduite possible

Là encore vous ne pouvez pas affirmer que " le bouddhisme prône la neutralité et que le fait d'être neutre ne conduit à aucune conduite possible ". Vous ne trouverez nulle part dans le site " Le Bouddhisme Theravâda " la moindre affirmation que les bouddhistes doivent être neutres, ou que la voix du milieu est la voie de la neutralité (entre quoi et quoi ?). Vous ne trouverez ici aucune affirmation de cette sorte.

L'attitude du bouddhisme ne consiste jamais à être neutre. L'attitude du bouddhisme consiste à essayer de comprendre ce qui est en jeu dans l'événement qui se déroule et dans lequel mes actions prennent leur place. Ce n'est pas une attitude neutre que de chercher à comprendre ce qui se passe, plutôt que de se laisser entraîner par la mécanique des événements. Une fois cette compréhension acquise, le bouddhiste est toujours enclin a prendre la décision qui aura le plus de conséquences positives compte tenu de sa compréhension de la situation.

Les bouddhistes qui s'engagent dans la voie bouddhique ont à l'esprit d'intervenir sur le monde de trois façons qui sont d'ailleurs les trois engagements initiaux de la voie bouddhique : 1°) entreprendre des actions aux conséquences positives, 2°) ne pas entreprendre des actions aux conséquences négatives, 3°) s'engager dans le développement mental. Vous voyez que cela n'a rien à voir avec le fait d'être neutre.

En outre, la notion de neutralité suppose une position déjà particulière par rapport à l'événement qui se déroule, comme si on pouvait s'en soustraire ou rester en dehors. La notion de neutralité suppose aussi une position arbitrale entre deux extrêmes sans qu'il y est investissement dans l'événement qui se déroule. Cette attitude n'a rien à voir avec la voie du milieu du bouddhisme.



Car toutes conduites entraînent à terme une souffrance et un plaisir, comme un défaut peut devenir une qualité et inversement, le bouddhisme juge toutes ces conduites et se réapproprie une conduite : la voie du milieu.

Non, vous ne pouvez pas dire non plus que "toute conduite mène à terme à une souffrance et à un plaisir". Le bouddhisme a une vue claire sur les choses, il considère que les actions, les sentiments qui en découlent ou qui naissent de la rencontre du sujet avec le monde extérieur, sont des trois catégories, ou bien plaisantes, ou bien déplaisantes ou bien ni plaisantes ni déplaisantes. Le bouddha historique explique très bien cela dans le Kassapa Sutta.

Votre comparaison n'est pas appropriée. Quand un défaut devient une qualité, c'est le contexte qui change et qui fait que ce qui faisait défaut dans une situation donnée, fait une qualité dans une situation autre. De même, quand un problème se simplifie au cours du temps, c'est bien souvent que le point de vue change et que des événements nouveaux surviennent pour donner un sens différent à un événement initial qui lui n'a pas changé. Les conduites et les actes du quotidien sont relativement simples et tournent le plus souvent autour des mêmes problématiques évoquée par exemple dans le Veludvareyya Sutta.

Vous ne pouvez pas affirmer que le bouddhisme juge les conduites et se faisant, choisit un moyen terme que vous appelez voie du milieu. Le bouddhisme ne juge rien. Le bouddhisme ne juge personne. Le bouddhisme ne juge aucune situation. C'est d'ailleurs pourquoi, il n'y a pas de conception du bien et du mal, parce qu'il n'y a pas de posture de jugement dans la démarche bouddhique.

Le bouddhisme se contente de constater si une action a des conséquences positives, favorables, fructueuses, bénéfiques, agréables, altruiste, dans le sens du bien général … ou bien si une action a des conséquences négatives, défavorables, infructueuses, désavantageuses, égoïstes, grégaires … Se faisant, le bouddhisme veut comprendre pourquoi telles actions qui pourtant génèrent des conséquences aussi néfastes pour celui qui les engage et/ou pour les autres, pourquoi donc ces actions sont malgré tout engagées, réalisées, conduites, développées et poursuivies. Le bouddhisme va donc chercher les explications, notamment dans la constitution physico-psychologique du sujet.

Le bouddhisme ne se réapproprie aucune conduite, mais cherche à appliquer un remède rationnel à une situation purement factuelle. C'est l'énoncé des quatre nobles vérités qui est l'explication fondamentale de la démarche bouddhique.

Qu'est-ce donc que cette voie du milieu que vous semblez vouloir mettre un peu à toutes les sauces ? Non, ce n'est pas d'être neutre quand il y a deux contraires. Non, ce n'est pas non plus chercher un moyen terme à toute chose, qui serait la valeur moyenne entre deux extrêmes. La voie du milieu vous est présentée dans ce site sous plusieurs citations. Tout d'abord dans l'historique pour l'exposé de l'histoire du mouvement bouddhique au sujet de la similitude entre les quatre vérités et la méthode diagnostique de la médecine indienne. Mais ce qui fonde la découverte et le développement de la voie du milieu c'est le premier paragraphe du premier discours du bouddha historique le Dhamma Cakkappavattana Sutta qui dit :

"Il y a deux extrêmes qui doivent être évités à ceux qui s'engagent dans la recherche de la vérité. Quels sont ces extrêmes ? S'attacher aux plaisirs des sens, ce qui est bas, vulgaire, terrestre, ignoble et engendre de mauvaises conséquences, et s'adonner aux mortifications, ce qui est pénible, ignoble et engendre de mauvaises conséquences. Evitant ces deux extrêmes, ô bhikkhus, le Tathagata a découvert le chemin du milieu qui donne la vision, la connaissance, qui conduit à la paix, à la sagesse, à l'éveil et au Nibana. "

Cette stance est le fruit d'un long travail du bouddha historique et que l'on peut résumer par sa propre vie. Dans la première partie de sa vie avant d'atteindre l'éveil, comme prince héritier il a été couvert de privilèges et d'avantages, il jouissait d'une fortune suffisante pour ne pas avoir à gagner sa propre subsistance, tous ses besoins étaient pourvus, il avait accès sans autre restriction que son seul jugement à tous les plaisirs que son époque lui permettait. Il alla jusqu'au mariage et eut même un enfant. Pourtant, tous ces moyens mis au service de la satisfaction complète de tous ses désirs, ne permirent pas la moindre libération face à la souffrance (voyez dukkha plutôt que souffrance), à la maladie, au vieillissement et à la mort. Dans la deuxième partie de sa vie avant d'atteindre l'éveil, il se livra à des nombreuses austérités, croyant que la libération adviendrait d'une restriction totale des sens. Ces exercices extrêmes furent conduit avec une telle radicalité, qu'il faillit en mourir. Il comprit que les austérités ne conduisaient pas d'avantage à la libération face à la souffrance, la maladie, le vieillissement et la mort. C'est ainsi qu'il en vint à développer cette voie du milieu, qui n'est pas un moyen terme entre plaisir et mortification, mais autre chose, une troisième voie.

La voie du milieu, ce n'est pas la voie intermédiaire entre deux méthodes, c'est comme dans la montagne, quand on prend des chemins, c'est le seul qui passe, c'est le seul chemin qui traverse la montagne et vous permet de rejoindre l'autre versant, c'est le seul qui conduit effectivement à la libération. C'est ainsi qu'il faut entendre cette notion de voie du milieu.



La voie juste n'est-elle pas limitée ?

Comme vos préambules sont erronés la question finale que vous posez l'est aussi. Vous prêtez arbitrairement une cécité à la justice. Pour le bouddhisme, la justice c'est un acte et c'est un acte comme les autres et il peut avoir des conséquences positives ou négatives. Comme je vous l'ai déjà écrit plus haut, non seulement le bouddhisme ne juge pas, mais la notion de juste dans le bouddhisme correspond uniquement à une notion de justesse et de précision et non pas à une notion de " juste " au plan juridique ou légal.

La voie du milieu c'est la voie énoncée dans le Dhamma Cakkappavattana Sutta, donc elle se rapporte uniquement aux quatre nobles vérités et tend à la libération de toute personne qui souhaite librement y souscrire. La voie du milieu se rapporte à son objet, et seulement à son objet, c'est à dire la libération énoncée dans les quatre nobles vérités. Voilà tout !

Votre notion de " limitée " ne s'applique pas ici, car on ne devrait s'interroger que sur son efficacité.

J'espère que ces précisions vous permettront de mieux comprendre ces conceptions spécifiques du bouddhisme, de ne pas mélanger les acceptations des termes qui sont choisis, de ne pas prêter au bouddhisme des affirmations auxquelles il est parfaitement étranger, de ne pas introduire dans le bouddhisme des contenus philosophiques qui appartiennent à d'autres courants, de ne pas tirer des implications erronées à partir de préambules inexacts et qui ne proviennent en tout cas pas de notre site " Le Bouddhisme Theravâda " …

Ceci étant dit, vous avez raison de réagir face à des discours ou à des gens qui prétendent vous dire ce qui est juste et vrai. Pour le bouddhisme, il appartient à chacun de le savoir. Il existe dans tous les courants une tendance à vouloir se substituer au libre arbitre de chacun. Pour ma part, cette tendance est incompatible avec le bouddhisme, même si elle se rencontre également dans le bouddhisme. Et même si ce sont des bouddhistes qui prétendent vous dire ce qui est juste et vrai, vous avez raison de ne pas forcément avoir envie de penser comme eux.

J'espère avoir répondu à votre question.





Texte complet de la question

La voie juste n'est-elle pas limitée ?

Si le bouddhisme dit qu'une conduite est juste ou pas c'est qu'elle le juge ainsi. Et s'il y a justice c'est qu'il y a une forme de bien et de mal. Ces notions ne sont d'ailleurs pas très développées par le bouddhisme, sûrement par ce qu'elles entravent l'esprit, mais elles y sont présentes.

Car toutes conduites entraînent à terme une souffrance et un plaisir, comme un défaut peut devenir une qualité et inversement, le bouddhisme juge toutes ces conduites et se réapproprie une conduite: la voie du milieu.

Bien que ces jugements se basent sur une connaissance des extrêmes de l'être et prônent une certaine neutralité ou non-être, celle-ci est aussi un extrême.

Le fait d'être neutre ne conduit à aucune conduite possible à part la méditation et donc une certaine évasion du monde et une perte du contact humain.

Je ne critique pas la méditation dans le bouddhisme mais plutôt ses notions de "juste et universelle voie". Car si quelque chose est juste, bon ou bien, ne faut-il pas énoncer ce qui ne l'est pas ?

La justice est aveugle et la voie juste est limitée.

Qu'en pensez-vous?

retour en haut de la page







Retour au menu principal avec applet
Retour au menu principal sans applet

Aller au sommaire des questions


Vous pouvez laisser un message à teravada@hotmail.com

Cette page a été créée le 21 avril 2001.


L'URL de ce site est http://www.oocities.org/Athens/Forum/2359
© Conception, textes et photographies : Christian Prud'homme ©
Les images et les textes sont copyrightés - texts and pictures are copyrighted