Croisière du capitaine Lemoign dans la mer des Caraïbes et son escale à Boston (1678)


Introduction

Même à leur apogée, il est faux de croire que les seuls flibustiers faisaient la course contre les Espagnols en Amérique. Il arrivait parfois que quelques armateurs des ports de France y envoient aussi des navires armés en guerre pour donner la chasse à l'Espagnol. Bernard Lemoign, dont il est question dans les extraits reproduits ci-dessous, est l'un de ces corsaires européens. L'on remarquera toutefois que le corsaire, quoiqu'ayant pris à Saint-Domingue sa commission, préfère aller faire juger ses prises à la Martinique, siège du gouvernement général des îles d'Amérique, où les procédures sont plus régulières. Les deux pièces principales, qui sont en français, sont suivies par deux extraits de lettres anglaises. Dans la première de celles-ci, la venue de Lemoign à Boston est brièvement mentionnée en réponse à une enquête du Comité du commerce et des plantations. La seconde fut écrite une vingtaine d'années après l'événement, par un officier de la couronne britannique, emprisonné suite aux troubles régnant alors dans la colonie du Massachusetts (dont Boston est la principale ville), qui, en évoquant la venue de Lemoign, rappelle que plusieurs des membres de l'actuel gouvernement colonial entretiennent depuis fort longtemps des relations avec les flibustiers.


contribution (pour les pièces françaises): Dominika Haraneder.

le commissaire Jolinet au ministre Colbert [extrait]

Au bourg de Saint-Pierre de la Martinique, 19 décembre 1678.

(...) Il est venu en cette île par différentes voies, plusieurs matelots et soldats, des vaisseaux perdus aux Isles d'Aves que j'ai fait penser, médicamenter et nourrir par le munitionnaire et que j'ai remis ès mains de Monseigneur de Beauregard à l'exception de deux qui sont restés ici à l'hospital et quatre que j'ai embarqué pour la Rochelle sur le St-Jean de Bordeau auxquels j'ai fait fournir pour cinquante jours de vivres.

Un vaisseau venant du Sénégal, où il avoit chargé des nègres et des arabes, se perdit à la Capesterre de cette île, il y a huit jours, mais les Caraïbes l'ont si bien secouru de son naufrage que son équipage et presque tous les nègres et arabes ont été sauvés.

Le sieur Lemoign, commandant la frégate la Toison d'Or armée en course monsieur Pérou et consorts, m'écrit de Baston du 3 novembre où il a mené 4 navires, savoir: 2 de 24 pièces de canons, un de 20 pris sur les Espagnols et un de 26 sur les Hollandais qui, les uns et les autres, sont fort riches, mais que son équipage étant la plus grande partie d'Anglais qui, se trouvant dans un port de leur nation, se sont rendus maîtres desdites prises sans que le capitaine ait pu obtenir aucune justice du gouverneur. (...)


source: Archives nationales, Colonies, C8 A rec. 1, fol. 130-131.

l'intendant Patoulet au ministre Colbert [extrait]

Martinique, 2 novembre 1679.

(...) Il s'est perdu il y a plus de 20 ans un galion d'Espagne dans le canal de Bahamas qui était à ce qu'on assure, chargé de 16 milions. Il en a été pechés 8 et nouvellement les Espagnols y envoyant pour pêcher de nouveau, les flibustiers de St-Domingue ont surpris le vaisseau et les ustenciles destinés à cette pêche et s'en sont servi si utilement qu'ils en ont apporté à St-Domingue 135 à 150 saumons d'argent qui peuvent valoir 2 cent mille écus. On m'a assuré que Monsieur Pouancay avait résolu de renvoyer à cette pêche. Je crois, Monseigneur, qu'il est nécessaire que vous en soyez informé pour y donner les ordres qu'il vous plaira.

Un armateur pourvu d'une commission de M. de Pouancay, gouverneur de la Tortue et Côte de St-Domingue, a mené dans cette rade 3 prises faites sur les Hollandais dans le mois d'août de l'année passée, lequel devait faire son retour à St-Domingue où le gouverneur juge la prise dont il jouit du 10e. Cet armateur a demandé que les procédures en fussent faites par le juge de cette île pour être ensuite au conseil souverain et y être jugé, ce qui a été fait et lesdites prises et leur contenu ayant été adjugées au profit des armateurs, tout s'est vendu suivant les règlements et ordres de la marine. Cet armateur a fait 3 prises dans la baie de Matance en l'île de Cuba où Monsieur le vice-amiral a mouillé cette campagne. Elle était chargée de la valeur de 3 cent mil écus, mais comme l'armateur avait fait une partie de son armement à St-Domingue, son équipage était composé de plus de 2/3 d'Anglais, lesquels se sont rendus maîtres des prises et les ont prises et sont allés à Baston avec une 4e prise qu'ils ont mise à la côte après en avoir tiré tout ce qu'il y avait de bon. L'armateur les y a suivis espérant en avoir justice du conseil de Baston où il est resté près de 11 mois sans en avoir pu obtenir aucune. (...)


source: Archives nationales, Colonies, C8 A rec. 1, fol. 222-229.
anglais

Answers from Massachusetts to the 27 inquiries of the Committee for Trade and Plantation, etc. [extrait]

[sans date mais rédigé vers mai 1680]

...two years since, Captain Bernard Lemogne, a Frenchman, brought a Dutch prize taken on the Coast of Cuba. (...)


source: P.R.O. Calendar of State Papers, Colonial Series: America and West Indies, 1677-1680, no. 1360 (pièce jointe à la lettre du gouverneur Bradstreet du 18/28 mai 1680.

Edward Randolph to the R. H. the Lords of the Committee for Trade and Foreign Plantations [extrait]

(...) About fifteen years ago Captain l'Moin, a Frenchman, brought in two or three very rich Dutch prizes worth above one hundred thousand pounds. Mr. Richard Wharton one of the agents soliciting for the Charter (is in England) was L'Moin's attorney. He was a great undertaker for pirates and promotor of irregular trade. I forbear to trouble your Lordships with the instances of any more pirates who have been received and protected by some now in the present government. (...)

All which is humbly submitted by
Edw. Randolph.

From the common gaol in Boston, the 29 of May 1689 [8 juin 1689].


source: New York Colonial Documents, vol. III, p. 578.

LES ARCHIVES DE LA FLIBUSTE
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Le Diable Volant