La horde et le troupeau

Le spectacle des bêtes est aussi instructif
Que celui des humains peut être vomitif,
Mais l’un évoque l’autre. Lecteur, sois attentif.

Considérons, veux-tu, dans la farouche Afrique,
Ces innombrables gnous calmes et pacifiques.

Errant ici et là, ils paissent à leur aise
Lors même que, là bas, tapis dans la broussaille,
Des lycaons retroussent leurs babines mauvaises,Alléchés par la chasse, les tueries, la ripaille.

Voyant un jeune veau s’isoler de son groupe,
Les chiens, poltrons tout seuls, mais déchaînés en troupe,
L’encerclent, le bousculent, tout prêts pour la curée.
Cependant, ils se figent, soudain désemparés,
Car la mère, en alerte, a surmonté sa peur
Et fond au grand galop sur ces vils prédateurs.
Ruant et encornant, elle disperse enfin
La horde glapissante, qui reste sur sa faim.

Or, des fauves, jamais, ne sont découragés.
Ceux-ci ont repéré une femelle âgée,
Et, bien qu’elle se trouve parmi ses congénères,
C’est d’elle qu’ils entendent faire leur ordinaire.

Sûrs d’eux, la bave aux crocs, ils encerclent leur proie,
Ils jappent, excités, devant ce mets de choix,
Puis, ils frappent ensemble, et, vivante, ils dévorent
La pauvre vieille infirme, que le troupeau ignore.

S’étant vite écartés du spectacle navrant,
Soulagés que le sort, sur autrui, soit tombé,
Indifférents à celle en train de succomber,
Les gnous broutent en paix, car ils sont tolérants…

Si tous avoient agi comme celle d’entre eux
Qui sauva son petit des gueules répugnantes,
Ils eussent mis en fuite la meute exaspérante
Et tenu en respect, dès lors, tous les fâcheux.

* *
*

Faut-il vraiment, lecteur, être universitaire
Pour entendre ce conte clair comme du cristal ?
Si tu n’as point saisi, prends donc le RER :
La savane y sévit, sauvageonne et brutale.

Serions-nous, par hasard, devenus bovidés ? 
Dieu nous a-t-il voulus lâches et inhibés ?
Et le devoir chrétien de tendre l’autre joue
Nous contraint-il toujours de dire amen à tout ?

p.c.c. : Stofflet

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