Chers internautes,
c’est en ma qualité d’éditrice que je vous souhaite la bienvenue sur
ce site d’humour qui voit le jour en ce premier décembre 2002.
Je serai
parfaitement honnête avec vous en disant que c’est par la volonté de
mes supérieurs que je me suis engagée à agir à titre d’éditrice du
site « vulgairement vôtre ». Oui la paie est excellente et les
avantages sociaux, alléchants – mais c’est tout de même bien peu
lorsque l’on considère l’odieux de cette tâche ingrate qui m’a été
assignée contre mon gré : à savoir d’apporter un peu d’intelligence
et surtout de décence sur ce site vulgaire, grossier et complètement
irrespectueux de tout ce que je considère personnellement comme les
limites raisonnables de la moralité et du savoir-vivre.
Pour être plus
claire, je suis ici pour veiller à ce que les frères Duguay, les
concepteurs du site, n’en mènent pas trop à leur guise et qu’ils
fassent preuve d’un peu de retenue et de respect : deux concepts
fondamentaux qui semblent leur avoir complètement échappés
jusqu’ici.
À titre personnel,
sachez que je suis une jeune femme dans la fin de la vingtaine et
que je travaille pour une grande maison d’édition de la région
métropolitaine. J’ai fait mes études de littérature et de théologie
au collège des Sœurs Grises et suite à cela, je suis partie faire du
bénévolat pendant deux ans en Afrique centrale, à soigner les
malades et apporter un peu de réconfort aux Pygmées et autres
indigènes de la région. Je suis revenue au Québec avec l’intention
d’y écrire un livre sur mes expériences altruistes en Afrique –
livre intitulé « Amour et malaria ».
Entre temps, je
suis entrée à l’emploi de cette maison d’édition pour laquelle je
travaille toujours. Et c’est à cette époque que j’ai fait la
rencontre des frères Duguay, qui venaient tout juste à ce moment de
soumettre le premier d’une longue série de manuscrits douteux et
calomnieux.
C’est à mon plus
grand désarroi que m’est incombée la charge d'évaluer la valeur de
leur premier manuscrit, un recueil de contes de Noël qui avait pour
titre « Le père Noël a une hache ». C’était un ouvrage horrible et
morbide, tapissé de jurons et de descriptions violentes et crues, à
vous faire dresser les cheveux sur la tête. J’avoue avoir failli
perdre connaissance en parcourant pour la première fois les pages
souillées par le café, la cigarette et une étrange substance
poisseuse de ce manuscrit infect qui n’était ni plus ni moins qu’un
affront à tout ce qui est bon pur et inspirant.
J’ai eu tôt fait
de dénigrer la valeur de cet ouvrage diabolique auprès de mes
employeurs et heureusement, à cette époque, ceux-ci prêtaient encore
attention à mes opinions et mes conseils. Ce manuscrit ainsi que les
cinq qui ont suivi ont tous été refusés. Mais si vous les aviez lus,
tout comme moi, vous auriez probablement été de mon avis qu’il
aurait mieux valu les brûler tout simplement et débarrasser le monde
d’une littérature aussi blasphématrice.
Mais en ce qui me
concerne, je n’étais pas au bout de mes peines avec ces frères
Duguay.
Pourrez vous
croire que malgré le fait que j’eus été leur adversaire la plus
coriace dans leur quête à la publication, que j’ai dit tant de mal
d’eux qu’il m’a fallu me confesser de toute urgence auprès de la
Mère Supérieure des Sœurs Grises, et bien, malgré tout cela, l’un
des deux, je ne me souviens plus si c’était Roland ou Armand (il n’y
a tellement pas de différences entre eux), est venu me voir pour me
demander si je voulais sortir avec lui, un de ces soirs. Vous
imaginez quel culot il faut avoir ! Bien sûr, j’ai refusé
catégoriquement, d’autant plus qu’il me fallait aller lire pendant
trois heures aux enfants autistiques de l’hôpital Notre Dame, comme
à tous les vendredis et les samedis soirs.
Mais cela ne l’a
pas arrêté et par la suite il n’a cessé de m’envoyer des courriers
électroniques et de me téléphoner à la maison comme au bureau afin
de me soutirer un rendez-vous. Il me disait qu’il voulait faire la
paix entre nous et qu’il ne devait pas y avoir de rancune. Il disait
également qu’il souhaitait me démontrer une autre partie de sa
personnalité, soulignant que, caché derrière ses gros mots et son
esprit tordu, se trouvait un jeune homme intelligent et sensible.
C’est du moins ce qu’il racontait.
Par charité
humaine et parce que le bruit de mon téléphone qui sonnait du matin
au soir commençait à me rendre folle, j’ai bien voulu accepter son
offre, lui disant que ce n’était qu’une occasion spéciale et que
d’ordinaire, je ne sortais jamais (ce qui était et est toujours la
vérité). Il m’a demandé si je voulais aller au cinéma. J’ai accepté
bien que ce ne soit pas dans mes habitudes de fréquenter ce genre
d’endroits turbulents.
Il avait eu la
gentillesse de me laisser choisir le film que nous irions voir. J’ai
donc fait quelques recherches dans le journal et à ma grande
déception, il n’y avait guère de films qui ne faisaient usage d’une
façon ou d’une autre de la violence et du sexe dans leur contenu.
J’ai donc appelée une vieille amie afin qu’elle me conseille un bon
film général qui était encore à l’affiche. Elle m’a recommandé « Les
ailes de la colombe ». C’est ainsi que j’ai fait mon choix.
Quand j’ai annoncé
à Roland le choix de mon film (Maintenant, je me souviens que
c’était Roland, car il avait beaucoup plus de tatous sur les bras
que son frère Armand), je l’ai entendu grincer des dents à l’autre
bout du fil. Mais il a dit que c’était correct puis il est venu me
chercher avec son vieux Plymouth 1977 qui empestait l’alcool à plein
nez.
Une fois au cinéma
(j’étais soulagée car à un moment j’ai cru qu’il allait m’emmener
dans son repaire ou je ne savais quoi – mais c’est seulement qu’il
avait pris un raccourci via un champ de construction), il m’a
demandé de l’attendre un peu plus loin pendant qu’il allait acheter
nos billets. Il est revenu en me disant qu’il n’y avait plus de
place pour « les ailes de la colombe » et qu’il avait été forcé de
se rabattre sur la version « director’s cut » de Natural Born
Killers qui jouait dans la salle 4. Je n’avais jamais entendu parler
de ce film mais Roland m’a rassurée en me disant que c’était une
histoire d’amour. J’aurais dû me méfier en voyant le genre de monde
qu’il y avait dans la salle quand nous y sommes pénétrés. Un film
d’amour et il n’y avait que des hommes dans la salle ? Quelque chose
n’allait pas.
Je vais vous
épargner les détails de ce film monstrueux dont je n’ai regardé que
les vingt premières minutes, avant de me sauver de la salle à toutes
jambes, à jamais souillée et traumatisée par la violence des images
qui s’étaient succédées devant mes yeux, ce jour-là. J’étais en état
de choc et ne sachant plus trop où se trouvait le chemin de la
sortie, je suis entrée par erreur dans une autre salle où l’on
jouait un autre film.
Ce film c’était
« les ailes de la colombe » et la salle était aux trois-quarts vide.
C’est à ce moment
que j’ai su que Roland Duguay s’était bien moqué de moi. Il n’est
jamais sorti de la salle pour venir s’excuser ou quoi que ce soit.
Je suis revenue chez moi en taxi et à mon grand étonnement, il y
avait un message sur mon répondeur. Un moment, j’ai cru qu’il
s’agissait peut-être de Roland, repentant, qui se confondait en
excuses. Mais non ! C’était un message de Armand, son frère, qui me
demandait si je n’avais pas envie d’aller voir un gala de combats
extrêmes avec lui, le lendemain soir.
J’étais subjuguée.
Et vous savez
quoi, je le suis toujours, même cinq ans après ces tristes
événements. Je suis subjuguée que mon chemin croise encore celui des
frères Duguay. Je suis abasourdie qu’après toutes leurs tentatives
infructueuses de se faire publier, ils se soient retournés vers le
cyberespace afin de propager, telle une maladie tropicale, le fruit
de leur imagination perverse et malade. Et ce qui me choque le plus,
c’est qu’ils aient reçu l’approbation et l’appui de la maison
d’édition pour laquelle je travaille. Selon eux, ce sera une bonne
façon de tester s’il y a oui ou non un auditoire pour entendre et
apprécier le genre d’humour absurde et salé dont ils sont passés
maître au fil du temps.
Et comme si je
n’étais pas assez affectée par cette décision inexplicable de la
part de mes patrons, voilà qu’ils ont décidé que ce site avait
besoin d’un éditeur. Et c’est moi qu’ils ont choisie pour remplir ce
rôle. J’ai eu beau protester mais ils n’ont jamais voulu changer
d’idée. J’avoue que l’idée de donner ma démission m’a trotté à
l’esprit mais je me suis dit que ce serait une preuve de faiblesse
de ma part – une preuve que je suis incapable de livrer une
bataille.
Mais je me suis
retroussé les manches et j’ai accepté la terrible assignation. Les
frères Duguay n’auront pas la partie aussi facile qu’ils le croient.
C’est moi qui vous en fait le serment.
Chers internautes,
c’est sur la promesse de ne jamais faillir à la tâche de voir à ce
que ce site soit le plus respectable possible que je vous remercie
de votre attention et que je vous souhaite une bonne journée.
Édith Lavertu
éditrice en chef
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