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L'accueil des firmes étrangères et les risques pour l'industrie française : le cas de l'industrie automobile par Jacques Calvet, Président PSA ("La France et l'investissement international" ENAMensuel août-sept.1997) Après un rappel historique de l'industrie automobile en France et de sa situation actuelle et constaté l'expansion du marché européen de l'automobile depuis 1950, Jacques Calvet constate une certaine saturation depuis 1992. La mondialisation est une chance pour la France et l'Europe mais elle exige une réciprocité avec certains pays tels que le Japon et la Corée compte tenu de leur excédent de la balance commercial automobile avec l'Europe. Dans la construction automobile stricto sensu, la France n'a pas été par le passé et ne sera vraisemblablement pas à l'avenir, une terre d'accueil pour les investissements étrangers. La raison en est simple : c'est notre pays qui fut au début du XXe siècle le berceau de l'industrie automobile mondiale ; c'est sur son sol que l'on retrouve, à l'aube du XXIe siècle, le siège d'entreprises automobiles devenues largement internationales et figurant en bonne place au palmarès des entreprises européennes. RAPPEL HISTORIQUE ET SITUATION ACTUELLE Le développement de l'industrie automobile française, reflet de l'histoire de notre pays, ne s'est pas pour autant effectué sans à-coups et sans modifications importantes de structure. Il s'est même régulièrement accompagné d'incursions capitalistiques de firmes étrangères attirées par le savoir-faire et l'originalité française. Après la création des premiers sites de production (pays de Montbéliard, Billancourt, Javel) par des actionnariats familiaux de renom, les circonstances de l'après-guerre ont donné lieu à des modifications rapides du paysage automobile français : à la libération, Renault est tombé dans le giron étatique ; l'usine de Poissy est passée successivement dans les mains de Ford, celles de Fiat, puis celles de Chrysler ; seules Peugeot, Citroën et Panhard ont alors conservé un actionnariat français d'origine familiale. Au cours des vingt dernières années, les mouvements croisés se sont poursuivis. En 1978, PSA Peugeot Citroën rachetait les filiales européennes de Chrysler (ce qui a impliqué le retour de l'usine de Poissy sous direction française) ; en 1994, la tentative de coopération de Renault avec Volvo, entamée de longue date, était finalement abandonnée avant la privatisation de la firme française ; cette même année était inaugurée à Valenciennes l'usine Sevel Nord, détenue à parité par Fiat et PSA Peugeot Citroën. Plus récemment, on annonçait la création en France de la société MCC, filiale en participation de Mercedes et de SMH Swatch, avec le projet en cours de réalisation d'une usine terminale de production dans l'est de la France. Pour que le tableau automobile soit complet, il faut également évoquer les usines fournisseurs : Ford et GM ont choisi respectivement Bordeaux et Strasbourg pour établir leurs usines de boites de vitesses automatiques dont les productions sont destinées à l'Europe mais aussi aux États-Unis. Bien des grands fournisseurs indépendants (Bosch, Lucas, Garett...) disposent en France d'importantes unités de production. Les implantations de firmes étrangères en France restent cependant modestes dans notre industrie si on la compare à d'autres secteurs d'activité, ou si on met la France en parallèle avec les pays avoisinants. L'évolution des marchés et des capacités de production européenne ainsi que les échanges commerciaux de l'Europe avec le reste du Monde apportent un éclairage supplémentaire pour comprendre cette particularité française. DES CAPACITÉS DE PRODUCTION AUTOMOBILE PLUTÔT EXCÉDENTAIRES EN EUROPE Depuis le début des années 1950 et jusqu'en 1992, les marchés européens ont connu grâce à l'augmentation des niveaux de vie, une forte expansion globale, rythmée par quelques infléchissements d'intensité variable (à la suite du premier choc pétrolier notamment). Pour répondre à cette demande croissante, les augmentations de capacité requises ont d'abord été réalisées au sein des usines existantes des constructeurs européens les plus anciens (parmi lesquels figurent les filiales de production en Europe des constructeurs américains Ford et GM). Par la suite, ces augmentations de capacité ont nécessité la création de nouveaux sites principalement situés en Espagne et en Grande-Bretagne ; elles ont alors comporté l'entrée dans ces deux pays de constructeurs non européens. C'est enfin, dans les anciennes provinces orientales de l'Allemagne et dans les pays de l'Europe centrale et orientale que s'est poursuivie cette extension quasi continue des capacités de production. Le choix des pays ou des zones géographiques retenues pour les implantations de nouveaux sites s'explique par des raisons tant politiques qu'économiques. En Espagne, marché à potentiel de croissance très élevé à cette période, l'unique moyen pour les constructeurs automobiles de prendre des positions commerciales intéressantes dans ce pays était d'y installer des usines de production (à l'époque l'Espagne disposait de droits de douane élevés et imposait des contraintes d'intégration locale et de réexportation). Pour ces raisons et sans doute aussi pour profiter de coûts de main-d'uvre peu élevés, Citroën, Fiat, Ford puis GM ont créé de nouvelles usines dans ce pays. L'Espagne, aujourd'hui pleinement intégrée dans l'Union économique et monétaire est ainsi devenue un pôle de production notable pour la plupart des constructeurs européens. La Grande-Bretagne, quant à elle, a été le cheval de Troie utilisé par les constructeurs japonais pour pénétrer le marché de l'Union européenne par le biais des usines dites transplants. Les constructeurs japonais se heurtaient en effet à un double problème : une situation conflictuelle avec les Européens en raison de l'excédent devenu insupportable de leurs échanges automobiles avec l'Europe ; une revalorisation probable du yen susceptible de nuire à la progression de leurs exportations vers le vieux continent. Ils ont dès lors opté pour la création de nouvelles capacités de production en retenant un pays, la Grande-Bretagne, où l'industrie automobile nationale s'était fortement dégradée, ce qui a entraîné une attitude très généreuse à leur égard de l'administration anglaise. La balance automobile de la Grande-Bretagne est pourtant restée sérieusement déficitaire vis-à-vis du reste du monde (5,5 milliards de livres en 1995) en raison des importations de composants en provenance du Japon et en dépit de la création de nouveaux flux d'exportations de voitures japonaises made in Britain. En Europe centrale et orientale, les évolutions récentes des capacités de production automobile résultent, pour une bonne part, des accords d'association signés avec ces pays par les instances communautaires. Profitant de coûts de main-d'uvre peu élevés mais aussi de la possibilité de vendre en Europe occidentale des voitures passant les frontières de l'est avec des droits d'entrée limités voire nuls, les constructeurs japonais et coréens produisent (ou s'apprètent à produire) dans ces pays des véhicules bénéficiant d'avantages compétitifs notables. Ces véhicules concurrenceront rapidement les productions de l'Europe occidentale. La politique allemande d'aide à la réindustrialisation des provinces de l'est a, en outre, conduit les constructeurs allemands à délocaliser dans les nouveaux Lander. L'installation de ces nouvelles capacités de production en Europe, qu'elles soient nationales ou étrangères, s'est accompagnée de progrès continus de productivité sur les sites anciens et d'aménagements d'horaires de travail autorisant une optimisation de la production. L'offre automobile européenne s'en est trouvée accrue d'autant et apparaît aujourd'hui excédentaire face à une demande qui pour sa part s'est stabilisée, voire réduite. Au total, le marché automobile européen paraît largement saturé. Ses perspectives d'évolution à moyen terme, au regard des capacités de production existantes, ne permettent pas de considérer que des implantations étrangères supplémentaires d'usines terminales en France pourraient être globalement bénéfiques à notre pays. DES OPPORTUNITÉS POUR LES FOURNISSEURS En revanche, des opportunités subsistent pour les fournisseurs de l'automobile, qu'ils fassent partie intégrante des constructeurs, ou qu'ils soient équipementiers indépendants : Les pièces principales (moteurs, boîtes, suspensions) sont généralement intégrées chez les grands constructeurs. L'évolution des capacités disponibles pour ces pièces est par conséquent parallèle à celle des unités d'assemblage ; les besoins en capacités nouvelles pouvant être orientées vers des sites français restent donc limités. Néanmoins, l'incidence des coûts de main-d'uvre étant beaucoup plus faible sur le prix de vente de ces organes, qu'elle ne l'est sur le prix de vente des véhicules, notre pays dispose, pour attirer sur son sol des projets de ce type, d'atouts non négligeables : un environnement technologique de qualité, les services industriels qui y sont associés, des facilités logistiques. Les extensions de capacité en boîtes de vitesses de Ford et GM illustrent cette possibilité. Pour les équipementiers étrangers, la présence sur le sol français d'une industrie automobile importante et de qualité est évidemment un élément très favorable. Elle s'assortit d'une politique de partenariat étroite et structurée entre fournisseurs et constructeurs et d'un tissu industriel dense et de bon niveau. C'est pour toutes ces raisons que des fournisseurs étrangers comme Bosch, Lucas, Garett, etc. ont implanté en France des usines de production importantes. En outre, alors que le marché automobile est amené à progresser modérément en volume, celui de l'équipement automobile connaît une croissance plus soutenue sous l'effet de l'enrichissement des véhicules en nouveaux équipements de sécurité ou de confort : sacs gonflables, climatisation ou encore, dans un avenir proche, système de navigation/guidage ou d'anti-collision. Ces nouveaux besoins représentent pour des entreprises leaders dans ces domaines autant d'opportunités d'investir en France et de produire à proximité des deux clients majeurs que sont PSA et Renault. C'est ainsi que deux fournisseurs de compresseurs de climatisation se sont récemment installés en France : le Japonais Sanden à Rennes, l'Américain Delphi Harrison à Douai. Les constructeurs français souhaitent cependant que pour certains de leurs plus importants fournisseurs susceptibles de passer sous contrôle étranger (citons le cas de Valeo), un actionnariat français important soit maintenu. La relation de confiance corollaire d'un partenariat étroit nécessite en effet un équilibre dans la répartition des ventes d'un fournisseur automobile à ses différents clients constructeurs. Si de grands fournisseurs d'origine américaine ou japonaise en venaient à dominer le marché, cet équilibre risquerait d'être rompu au détriment des constructeurs français. Au delà de la nationalité de l'actionnariat des fournisseurs, c'est la proximité des centres de décision et des centres d'étude et de recherche qui reste primordiale ; la stratégie adoptée par le fournisseur à l'égard du client constructeur dépend en effet largement de la distance géographique qui le sépare de ce dernier. LES EFFETS DE LA MONDIALISATION DE L'INDUSTRIE AUTOMOBILE L'expansion des marchés automobiles européens, américains et japonais devrait rester relativement limitée à l'avenir. A contrario le potentiel de croissance des marchés des pays en développement devrait se renforcer, qu'il s'agisse de l'Amérique latine, de l'Asie, voire des pays de l'Europe centrale et de la Russie. S'ils veulent saisir cette croissance, les constructeurs automobiles doivent (et ils le font déjà) investir dans des unités de production locale, à des échelles capables d'assurer la pérennité de leur présence compétitive. Il s'agit en outre de répondre à la volonté politique souvent protectionniste de ces pays d'accueil qui, soucieux de se constituer une industrie automobile nationale, exigent un contenu local élevé de la production. Ces orientations stratégiques nouvelles vont notablement influer sur les structures de production en Europe comme en France dans une triple mesure : elles vont modérer les flux d'exportation de voitures produites sur le vieux Continent et destinées à ces pays émergents ou, en tout cas, orienter ces flux sur les modèles de haut de gamme ; elles vont nécessiter une modification du type de prestation fourni par les constructeurs depuis leurs bases nationales. Ils substitueront à l'exportation de véhicules montés la fourniture d'engineering, l'assistance technique et la vente de pièces ; elles vont appeler un accompagnement des constructeurs par leurs fournisseurs : la plupart des pays concernés demandent un taux d'intégration locale élevé ; parallèlement les constructeurs automobiles souhaitent limiter les risques en retrouvant, dans ces zones, des partenariats confiants avec leurs fournisseurs habituels. Le bilan global pour l'industrie française de ce nouveau déploiement géographique devrait rester positif malgré une tendance inévitable à l'accroissement des flux d'investissement à l'étranger supérieur aux flux des investissements étrangers en France : pour le constructeur comme pour le fournisseur de composants, les flux de vente augmentent, même s'ils changent de nature ; pour l'engineering français la construction d'unités à l'étranger offre des opportunités nouvelles, ce qui a nécessairement un effet d'entrainement sur les fournisseurs français de biens d'équipement. UNE RÉCIPROCITÉ NÉCESSAIRE AVEC LES PAYS QUI ONT UN DÉSÉQUILIBRE DE LEURS BALANCES AUTOMOBILES Le Japon et maintenant la Corée dégagent un excédent significatif de leur balance commerciale automobile avec l'Europe. Pour le Japon c'est grâce à un yen longtemps (et sans doute à nouveau) sous-évalué que les constructeurs japonais ont pu aisément prendre des parts d'un marché dont il est maintenant difficile de les déloger. La Corée suit la même voie avec un won nettement sous-évalué qui favorise l'expansion continue des ventes coréennes en Europe. Dans ces deux pays, on observe une mobilisation des organisations socio-économiques qui tend à limiter la pénétration des marques étrangères sur leur territoire et à favoriser, notamment dans l'automobile, une spécialisation de leurs exportations. Il est donc primordial que l'Union européenne prenne enfin les moyens d'une politique monétaire, industrielle et commerciale commune destinée à corriger ces déséquilibres en limitant l'expansion des ventes en provenance de ces pays ou en exigeant un accroissement significatif des parts de marché européennes en Corée et au Japon. La France est devenue un des pays les plus convoités d'Europe pour les investissements étrangers et la part du secteur industriel sous contrôle étranger ne cesse de croître. La construction automobile constitue une heureuse exception à cette règle. Elle le doit à la taille et à la compétitivité de son industrie automobile, solidement ancrée sur le territoire national et dépassant largement les frontières françaises pour plus des deux tiers de son chiffre d'affaires. En s'appuyant sur les arrières solides que constitue un marché européen saturé mais d'un volume important, les constructeurs français ont tous les atouts pour occuper dans les pays émergents des positions industrielles fortes, susceptibles d'ouvrir à leurs fournisseurs de toutes nationalités de nouveaux pans d'activité. C'est essentiellement par ce biais et par effet de ricocher que l'automobile peut être à l'origine d'activités nouvelles pour des firmes étrangères. Jacques CALVET
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