East Sea


Premiers témoignages de l'exode

"C'était horrible, je ne veux pas revivre ça, je préfère me brûler": Abdoul Salam, 32 ans, qui a fui la région de Mossoul dans le nord de l'Irak "il y a quinze jours", raconte l'exode inhumain des 908 Kurdes embarqués à bord de l'East Sea.


Pour fuir le régime irakien de Saddam Hussein, cet ancien marbrier dit avoir payé 4.000 dollars, plus 1.000 dollars pour son enfant. "On n'avait aucune notion du temps. Deux ou trois fois, on a cru que le bateau allait couler. C'était horrible", répète-t-il .


"On est passé d'Irak en Turquie dans un camion"
, poursuit Majid Salah, 65 ans, lui aussi originaire de Mossoul. Une ration de combat à la main, qu'il s'en va donner à sa mère centenaire, Majid se souvient: "nous n'avions pas mangé depuis deux jours, on ne savait pas si c'était le jour et la nuit". Pour lui et les huit membres de sa famille, il dit avoir payé 10.000 dollars. Un prix à la hauteur des souffrances qu'ils disent avoir endurées en Irak: "je voulais me sauver. Là-bas, il y a la torture et la mort", raconte Mahmoud, 20 ans, en jeans et haut de survêtement. "On est venu jusqu'à la frontière turque. On a payé 300 dollars aux militaires et aux passeurs, qui travaillent ensemble. Puis on a été enfermé dans un camion".


Ismaël, 30 ans, qui ne donne pas son nom, dit également s'être mis en route "il y a quinze jours": "en Irak, on nous a mis dans un camion qui était fermé. Puis, à bord du bateau, on nous a menacés. Ils nous ont donné des coups de pied". Les membres de l'équipage étaient encagoulés et ne parlaient que par injonctions: "assis", "dedans"... Moustache foncée et veston gris, Ismaël a payé 3.000 dollars pour lui et sa petite fille de deux ans, Nadia.


"C'était dur, j'avais très faim"
, lance sans plus de commentaire Rami, onze ans, bonnet orange vissé sur la tête. "On a marché, on a marché", répète une vieille femme, tatouages au menton et au front. Et l'avenir ? "On attend", répond-elle.

Les réfugiés de l'East Sea demandent l'asile politique à la France

Quelque 900 clandestins kurdes, échoués samedi sur une plage du sud-est de la France, se remettent doucement de leur voyage à fond de cale sur un navire rouillé, après une nuit dans un camp militaire. Après une visite médicale, ils ont subi les premiers interrogatoires permettant de lancer les procédures d'asile.

Les 910 réfugiés kurdes, qui ont passé la nuit au chaud dans un camp militaire de Fréjus après s'être échoués samedi sur la cote varoise, ont subi les premiers interrogatoires permettant de lancer les procédures de demande d'asile. demandent tous l'asile politique à la France, a déclaré un responsable du Congrès national du Kurdistan. "Ils demandent tous l'asile. Ils considèrent qu'ils sont persécutés sur place, en Irak, et que leur vie est danger", a dit à Reuters Alim Ahmet, 39 ans. Responsable du Congrès national du Kurdistan pour la région, Alim Ahmet est venu d'Aubagne, près de Marseille, à la demande des autorités françaises, pour coordonner à Fréjus le travail des cinq interprètes chargés d'aider les réfugiés dans leurs démarches. "Une vingtaine d'autres interprètes sont attendus de Paris dans les heures qui viennent", a-t-il précisé.

DEBUT DE LA PHASE ADMINISTRATIVE

Daniel Canepa, le préfet du Var qui a visité dimanche le camp des réfugiés tenu par la Croix-Rouge dans des locaux du 21e Régiment d'infanterie de marine, a déclaré à la presse que la première phase d'audition des clandestins par la PAF (Police de l'air et des frontières) était pour l'instant terminée. A présent, la phase administrative concernant leur séjour en France va pouvoir débuter. Le tribunal de grande instance de Draguignan, qui se rendra sur place, devra entendre dans les jours qui viennent tous les réfugiés pour décider si leurs demandes d'asile sont recevables. "Il s'agit de prendre la situation individuelle de chacun, de réunir les éléments pour voir si la première étape, c'est-à- dire la demande d'asile, le statut de réfugié, est ou non reprise par le gouvernement", a souligné le préfet. Les réfugiés - parmi eux se trouvent 250 femmes et 480 enfants - peuvent être maintenus pendant plus de 20 jours en "zone de rétention". Au-delà de ce délai une décision devra être prise à leur égard : ou leur refoulement ou l'acceptation de leur asile politique, ce qui les autorisera alors à circuler sur le territoire français. Des fonctionnaires de l'Ofpra, l'organisme du ministère des Affaires étrangères chargé d'accorder le droit d'asile, doivent arriver sur place dès lundi pour étudier les dossiers qui auront été constitués.

A LA RECHERCHE DE L'EQUIPAGE

Les recherches se poursuivaient par ailleurs pour retrouver le capitaine et l'équipage qui ont volontairement échoué le vraquier East Sea sur la côte avant de prendre la fuite. Une chaloupe qui leur a permis d'abandonner le navire, échoué sur une plage proche de Saint-Raphaël (sud-est) avec ses centaines de passagers qui ont vécu entassés pendant huit jours dans la cale, a été retrouvée vide dimanche matin au large, selon la police.

Le canot de trois à quatre mètres, portant des «inscriptions en grec», affichait de nombreuses traces de coups de hache, comme si on avait voulu le faire disparaître en le coulant. D'après la police, capitaine et équipage ont vraisemblablement abandonné le bâtiment quelques heures avant son échouage. Un second canot, qui se trouvait à bord du bateau battant pavillon cambodgien, a également été endommagé à coups de hache, selon la police.

L'East Sea lui-même a sombré dans la nuit de samedi à dimanche au large de Cannes alors que tous ses passagers l'avaient quitté et qu'il était remorqué vers un port militaire.

Le capitaine et l'armateur, qui sont tous deux identifiés et qui seraient Irakiens, sont activement recherchés, a indiqué le directeur central adjoint de la Police aux frontières (PAF), Daniel Chaz. Citant les témoignages des clandestins, le capitaine et ses hommes se présentaient encagoulés à leurs passagers, selon M. Chaz.

UNE JUTEUSE FILIERE

Les clandestins ont été acheminés par une «filière irakienne» recrutant des candidats à l'émigration près des frontières turques et syriennes, a-t-il ajouté. «Ces gens ont été amenés à passer la frontière turque moyennant une somme de 200 ou 300 dollars par personne», a-t-il déclaré. «Ils ont ensuite été pris en charge par une autre filière, également irakienne, qui les a conduits dans un premier temps dans des fermes isolées dans l'attente, dans les 10 ou 12 jours, d'un bateau prêt à partir», selon M. Chaz.

Plusieurs réfugiés, interrogés par la presse samedi, avaient affirmé avoir en outre payé quelque 200 dollars pour monter à bord de l'East Sea, puis 2.000 dollars une fois sur le bateau. (AFP)

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