Femmes

La Chienne devenue cheffe de Meute

Fondatrice des Chiennes de garde, Florence Montreynaud mène désormais sa propre Meute et publie un essai drolatique sur trente ans de féminisme pratiquant.

Isabelle Falconnier
le 11 janvier 2001

C'est la faute aux toutous, tout ça. Aux métaphores canines, plutôt, «grrrr» et autres «ouah! ouah!» qui émaillaient les communiqués publics des Chiennes de garde. Aux masques de chiennes que les militantes arboraient à chacune de leurs apparitions. Aux «bergères allemandes» et autres «lévrières afghanes» dont s'étaient baptisés les groupes de travail de l'association. Car Florence Montreynaud aime les chiens autant que l'humour. Et en créant, le 8 mars 1999, le mouvement féministe les Chiennes de garde, l'auteur du best-seller «Le XXe siècle des femmes» (Nathan, 1989 et 2000) y apportait son style revigorant et engagé. Mais son humour ne lui vaut pas que des amitiés au sein de l'équipe et après quatorze mois elle quitte la présidence de l'association qui a fait des «insultes sexistes publiques en France» son cheval de bataille. Elle emmène ses fidèles et fonde le 28 septembre dernier sa propre Meute, consacrée cette fois à la lutte contre la publicité sexiste.

Paradoxe: leurs résultats, leur visibilité, les Chiennes de garde les doivent essentiellement à leur appellation si décriée, au point que «chienne de garde» est devenu dans les médias français synonyme de féministe. Depuis octobre Florence Montreynaud parcourt la France pour fonder des Meutes locales. Plus de 1000 personnes ont signé le Manifeste de la Meute contre la publicité sexiste, dont Amélie Nothomb, André Comte-Sponville, Annie Ernaux ou Frédéric Beigbeider. «Bienvenue dans la meute!», qui paraît aujourd'hui, rassemble cent objections, publiques ou anonymes, qui ont été faites aux Chiennes de garde. En cent réponses à des accusations comme «Vous êtes des intellos!» ou «Moi j'aime les machos!», Florence Montreynaud livre un parfait manuel de féminisme appliqué, drôle, sensé et intelligent.

-Isabelle Alonso, qui vous a succédé à la présidence des Chiennes de garde, publie ces jours «Pourquoi je suis une Chienne de garde» (Laffont), vous interdisant d'utiliser votre propre expression pour titrer votre livre. C'est Alonso contre Montreynaud?


-Eh oui, les féministes peuvent se disputer, ce sont des hommes comme les autres! Isabelle Alonso et moi défendons des idées voisines, mais si j'ai quitté les Chiennes, c'est pour pouvoir faire ce que je fais maintenant avec la Meute, plus de travail de terrain, de rencontres. Alonso contre Montreynaud? Non. Je n'ai pas lu son livre, mais chacune de nous a écrit un texte féministe, avec son style propre. Et la Meute descend directement des Chiennes, puisque ses responsables agissaient déjà avec moi au sein des Chiennes de garde. Il est vrai que j'ai été plus impliquée qu'elle dans l'association

-Vous recensez cent objections «adressées à ces féministes solidaires de femmes victimes d'insultes sexistes publiques». Quelles sont celles qui vous ont laissée sans voix?


-D'abord les femmes qui me disaient ne pas voir où était le problème: quel manque de solidarité Et puis l'accusation de populisme, de démagogie: c'est injsute! Jamais nous n'avons attaqué ni ridiculisé (encore moins mordu) les hommes, comme eux le font avec les femmes. Enfin l'accusation d'être politiquement correctes: ce n'est pas ce que veulent les féministes comme nous. Nous voulons une société plus harmonieuse, plus respectueuse, plus policée. Poliment n'est pas un gros mot! La politesse n'a rien à voir avec le politiquement correct. Poli ne veut pas dire policier, et je suis contre toute forme de censure!

-«Bienvenue dans la meute!» apprend avant tout à répondre à ces objections. On manque de manuels féministes?


-Oh oui! De tout temps, on a voulu empêcher les femmes de se servir de leur cerveau: ce n'est qu'en 1924 qu'elles ont eu le droit en France d'apprendre la philo et le latin, car on avait peur qu'elles deviennent des raisonneuses. Parce qu'une féministe, c'est quelqu'un qui utilise aussi sa raison pour dire: ce n'est pas juste. Et qui explique pourquoi. On manque tout autant de matériel pédagogique sur le féminisme! La façon dont sont présentées les féministes dans la presse est toujours aussi caricaturale. Et l'école n'enseigne quasiment pas l'histoire des mouvements pour les droits des femmes, encore moins les concepts féministes, comme celui, fondamental, du machisme.

-Les machos n'ont pas attendu les féministes pour se comporter comme tels.


-Non, mais ce sont les féministes qui ont commencé à dénoncer ce système de domination qu'est le machisme. Le sexisme n'est qu'un aspect du machisme, il y en a bien d'autres. Le machisme se traduit par des violences dirigées contre l'autre, contre le faible, contre l'«anormal»: femme, enfants, homosexuels, infirmes, etc. Il se fonde sur la force et la hiérarchie alors que les féministes veulent un monde d'égalité et de droit.

-La chasse aux machos est-elle vraiment encore d'actualité?


-Pas la chasse, mais le désir de les empêcher de nuire. C'est à la mode chez les jeunes de se proclamer macho, ou pour une femme de dire qu'elle aime les machos. Lors de débats, on m'oppose souvent des machos-fiers-de-l'être lors de débats: c'est une forme de provocation, certes, mais pas seulement. On le voit par exemple avec la préparation des élections communales en France, il y a encore beaucoup de gens qui pensent que la place de la femme est à la cuisine ou au lit Il y a toujours des résistance très fortes à l'égalité.

-L'appel à l'intelligence, ça marche?


-Je ne connais personne qui ait résisté à une discussion honnête sur les Chiennes de garde: certains chapitres résument des mois de débats L'appel à l'intelligence passe encore mieux avec de l'humour, qui a toujours été la force des faibles. A la Marche mondiale des femmes, à Bruxelles le 14 octobre dernier, j'ai vu la même banderole qu'en 1977: «Travailleurs de tous les pays, qui lave vos chaussettes?» Elle montre la nécessaire pérennité des idées féministes autant que l'efficacité de l'humour. Dans les années 30 déjà, en Suisse, les féministes ont traîné à Berne un énorme escargot en carton-pâte pour dénoncer la lenteur du suffrage féminin! Et quelle meilleure preuve de l'efficacité de l'humour que le succès de ce nom que j'ai inventé, Chiennes de garde!

Votre nouvelle association, la Meute, lutte contre la publicité sexiste. Vous avez lancé une première action contre la publicité télévisée de la Croix-Rouge française mettant en scène la top model Adriana Karembeu? Est-ce vraiment le plus urgent?


-La publicité sexiste est aujourd'hui la manifestation la plus visible du machisme! Pour les insultes sexistes dans la vie publique, nous avons fait le ménage: à l'Assemblée nationale les femmes ne sont plus insultées et dans la conscience des Français il y a une féministe qui réagira la prochaine fois qu'une femme politique se fera traiter de pouffiasse. Quand on arrive en France, les publicités sexistes sautent aux yeux, dans les magazines et sur les murs, alors qu'elles n'existent plus au Québec ou en Suède. La mode en publicité est au sado-masochisme chic: ces images donnent des modèles aux hommes et sont autant de miroirs dévalorisants pour les femmes, car elles banalisent les clichés sexistes.

-Après «Chienne de garde», vous prétendez inventer un autre mot, «adelphité»?


-«L'utopie d'aujourd'hui est la réalité de demain», a dit Hugo. Je suis une idéaliste qui pense que le monde peut être amélioré. Les féministes y travaillent, et en mixité! Nous avons une nouvelle forme de relation à inventer entre hommes et femmes. Jamais dans l'histoire de l'humanité nous n'avons approché à ce point de ce lien que j'appelle (à partir de la racine des mots grecs frère et sur) adelphité: c'est autre chose que l'amour ou l'amitié, c'est un mélange de fraternité et de sororité. L'adelphité ne nie pas la sexualité mais la sublime ­ une sorte de partage très profond d'humanité. Je ressens cela envers les hommes qui sont engagés dans la Meute, qui veulent changer le monde avec moi.

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