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Le terrain qu'Ernest avait appelé le parc était situé à l'arrière de la maison. Il était coincé entre la falaise abrupte et une haie de cèdres, épaisse et haute, de chaque côté du terrain. On y trouvait des espaces aménagés pour la conversation. Près du cap, un potager laissait voir des légumes en pleine croissance. Le long du solage, des bouquets de fleurs s'épanouissaient. Certaines plantes marquaient du retard. Le peu de temps d'exposition au soleil expliquait ce phénomène.
- Une beer ? offrit Ernest qui avait tout juste indiqué à Boudedieu l'endroit où s'asseoir.
- Ce n'est pas de refus. La chaleur est vraiment présente, ici.
Ernest partit, revint avec une nappe à carreaux qu'il étendit sur la table de parterre. Il disparut à nouveau, réapparut portant deux gobelets et un pot de bière d'où ruisselait des gouttelettes d'eau.
- Je l'achète toujours en fût, expliqua-t-il, en posant le tout sur la table.
- Ce sont des goûts fort légitimes, répondit le détective en observant la main velue d'Ernest qui versait la bière.
- Mon plaisir, Monsieur, c'est de m'en caler une ou deux derrière le gosier. Je me souche après ça et je dors du sommeil du juste.
Il vida le bock d'une seule lapée.
- J'ai connu un homme qui faisait comme vous. Il prenait sa bière sur les quais en regardant passer les bateaux.
- Le fleuve, mon cher Monsieur, je le vois à journée longue des fenêtres de mon bureau. Tenez, je pourrais vous décrire le moindre de ses soubressuts... Après plus de vingt ans dans le même édifice, imaginez ! s'exclama Ernest en montrant les baraquements du quai de la gare maritime. Il faut bien regarder par les fenêtres de temps à autres, surtout quand on n'a personne pour nous surveiller, précisa-t-il. Mais dites-moi, Eggraegore, cette affaire de Biel, c'est sérieux pour qu'un homme comme vouds s'en occupe?
- C'est très sérieux... Quant à l'enquête, elle en est toujours au point de savoir comment s'est produit l'accident.