Transphénoménologie de l'amour.

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Variations sur le thème amour

J'ai déjà vécu dans le Vieux Québec. C'est la raison pour laquelle l'intrigue du roman que je commence se déroulera ici. Les vieux souvenirs peupleront les moments vides pendant lesquels je n'écrirai pas. Par exemple, j'ai passé la partie la plus intéressante de ma jeunesse ici, entre 1950 et 1964... Il faut dire qu'alors, je ne comprenais pas grand chose aux événements de la vie... Maintenant, c'est une autre histoire. J'ai envie de parler, de raconter, de créer, un peu à la manière de Blackie, mon chien qui n'arrête pas de pisser, quand je l'amène promener. Il marque paraît-il son domaine. Moi je marque le mien sur Internet.

La ruelle où j'emménage est étroite et située non loin de la demeure de Fanny Shwattzer. J'ai a peu près son âge. je me dis qu'il ferait bon d'aller voir ce qu'elle est devenue après les événements de 1977... J'ai raconté l'histoire d'alors dans un essai intitulé: Phénoménologie d'un assassinat... On le trouve à l'adresse suivante:

"http://albert-dufour.net"

J'espère bien que cette dame se porte bien. Elle est une de celles à qui j'ai pensé au moment où j'ai décidé de venir vivre ici...

Il est vraiment formidable, ce quartier: les maisons s'échafaudent en cascades aux coloris inimaginables...Je suis ébahi par cette perspective aux lignes étonnamment variées. Je crois que c'est beaucoup mieux que ce que j'ai pu voir à IMAX. Tout contraste avec cette formidable fenêtre qui sépare la pénombre de la pièce du paysage lumineux.

Je rêve présentement face à cette vision magnifique qui remplit tout mon être dont le projet est en voie de réalisation. Ce projet, il est né d'une idée, celle de la liberté. Mes pensées sont claires, habité que je suis d'une conscience qui ne saura jamais se définir, certain de l'assertion selon laquelle je ne suis pas ce que je suis, que je ne suis pas ce j'ai été, que je serai ce je veux être... sans jamais y parvenir. Donc, face à moi-même, capable de tout voir, voyant sans voir, rempli tout en étant vide, ayant fait l'épochè, c'est-à-dire ayant mis le monde entre parenthèse, sachant qu'il existe mais pensant comme s'il n'était pas... Je suis un homme neuf, dépouillé et riche à la fois, naissant et ayant l'expérience, remettant le sens en suspens.

Vouloir réaliser à travers un idéal de franchise, mon être-en-devenir tout en étant être-du-passé, est-ce possible et comment en prendre conscience lorsqu'on sait qu'il y a intermédiarité de l'un à l'autre, dans ce moi qui est conscience? Y a-t-il possibilité d'être ce qu'on veut devenir sachant que l'on porte déjà le futur en soi? Qu'ai-je été, ma vie durant, pour vouloir me vider des souvenirs et risquer ... quoi?

C'est le mur sombre de l'appartement que je regarde maintenant... Si je juge à partir de mes expériences , l'exploration de la conscience s'établit à divers niveaux lesquels se décalquent indéfiniment. Tel est l'apanage du réseau des individus humains...Mais déjà, je sens comme un vertige... J'éprouve de la difficulté à penser comme si mes poumons manquaient d'air...

Le niveau de la conscience universelle est plus profond et moins facilement identifiable. Un rappel de certains souvenirs d'enfance m'aident à cerner le sujet: un des chocs les plus marquants de ma vie fut la prise de conscience d'exister à titre d'individu séparé des autres. Peut-être, la coupure arrive-t-elle vers trois ans. Je pourrais décrire la période précédant cette prise de conscience, comme "existence" psychologique pure, se déroulant comme si, corps et âme, j'avais été dans ma mère ou plutôt j'étais insconscient en moi-même, conscient dans et avec le milieu dans lequel j'interagissais... Sans m'en rendre compte, je m'étais décoordonné peu à peu, d'un noyau primitif de conscience jusqu'à la conscience.

Je suis envahi par l'idée du Mitsein: c'est le moi, l'autre, le ça, l'horizon total rayonnant à travers un conscient de la conscience, celle-ci se situant dans un infini dont le centre est partout, décentralisant l'être de ce qu'il est pour le rendre, structure et objet propres de lui-même...Enfant, j'agis mais non-concient, mon agir est agi à travers ma mère et le milieu ambiant. Ce pourrait être la vie du poisson dans l'eau, celle de l'animal agissant dans le milieu dont il ne saurait se séparer pour être agi dans le sens de l'être-soi. L'imitation, le symbolisme, l'intuition sont des données de la conscience du milieu en connection, donc, non finis, mais en voie de structuration perpétuelle tels les mécanismes assimilation-accommodation menant temporairement à l'adaptation ...

Je ramène le regard vers la fenêtre, posant l'existence réelle du réflété-en-moi en rapport à mon existence personnelle. J'ai besoin de suspendre cette oscillation temporairement...

Je retombe soudain dans une saisie du moment où, à l'hôpital, lors de la dernière opération, je vis (vivre) la gestalt de la crucifixion... J'ouvre les yeux et je suis dans mon lit mais en position verticale, suspendu dans le vide, n'osant plus bouger, absolument certain que le moindre geste me précipitera par terre où je m'écraserai. Je vis la suspension, dans et à travers un monde qui m'observe, tout à fait réel, et je me sens plus mal que dans n'importe quel cauchemar. Le phénomène que je vis n'est pas une illusion. Je vis l'angoisse de m'écraser au moindre mouvement. Je sais que je peux bouger mais le moindre geste me précipitera. Mon corps est sans protection. Mes mains n'ont rien où s'accrocher. Le chute, si elle arrive me tuera... Je suis paralysé dans des attitudes qui bloquent mes moindres réflexes de défense. Je suis entièrement dépendant de cette force qui me retient en place et qui , si elle m'abandonnait me condamnerait au gouffre de la mort... Je me demande comment il se fait que je ne glisse pas... Et ceci n'est pas un rêve: les médecins sont là, ma fille est là aussi. Je sais pourtant que je suis le sujet d'une illusion mais j'en suis partie vivante, assimilée; je vis une angoisse profonde, le moindre mouvement des mains romprait l'équilibre... Je tourne malgré tout la tête vers la droite, espérant que la réalité réapparaîtra doucement... La réadaptation se fait progressivement... Le visage de ma fille est là, les murs se replacent, la perspective reprend ses droits... Mon intuition était juste... Je refais le même geste. Le même phénomène se reproduit. L'illusion se décalque de la réalité. La peur réapparaît et passe au retournement de la tête. L'angoisse s'amenuise. Ce phénomène, j'ai pu le reproduire deux jours durant... Je m'amusais à regarder le plafond pour revivre l'illusion de la crucifixion. L'angoisse était passée...

Cette vision était attribuable au fait que, couché sur le dos, rivé au lit dans une position où les yeux fixaient le plafond, le moindre abaissement de position des yeux en ligne directe, amenait une rotation de l'horizon de 90 degrés, ce qui situait automatiquement mon corps à la position verticale... En inclinant la tête à droite, je retrouvais la position réelle des choses. J'avais appris le truc du changement angulaire pour me resituer dans la réalité. J'étais successivement dans-hors phénomènes ... Le vécu de cette expérience me situait comme partie de la structure d'une gestalt complexe, la pregnance de la forme imbibait le circuit de la connaissance et sa réalité factice . L'observation que je tirai de ce fait fut qu'en dehors de cette-expérience-vive, une conscience préexistait à ce phénomène: la mise en doute par rapport au vécu-possible ne venait pas du vécu lui-même, dans lequel j'était immergé, mais de l'existence d'une sous-conscience qui m'était inconnue tout en étant partie de moi...

Je me tire de ce re-vécu qui n'est maintenant plus seulement souvenirs mais émotions. Le phénomène est encore vivant dans ma pensée et la pregnance des formes apparentées à l'angoisse ( ou calquée sur ses formes ) a tendance à vouloir dominer mes pensées. Le sentiment de solitude, de vide-à-la-présence, s'empare de moi. Il me faut regarder le paysage qui est comme embué d'une trainée d'absence, d'une brume à travers laquelle les formes tardent à se préciser... Est-ce une simple peur du décor nouveau, est-ce un malaise physique... Je reviens aux méditations de base, je me concentre...

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