Transphénoménologie

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Je retrouve sur la table de Célia les mêmes mets que ceux d'alors: tiges de céleri ( branche d'amour ), laitue dans une sauce préparée, pain baguette, condiments, etc. Le pâté aux huitres fumant est déposé sur la table. Nous nous faisons face. Elle sourit et je fais de même alors qu'elle découpe le pâté. Je tends l'assiette...

- Je croque une branche d'amour. Les appelles-tu encore de même ?

- Pourquoi changerais-je ? répond-elle en souriant.

- Je n'en sais rien. Ça me rappelle tellement de souvenirs...

Nos yeux complices se rencontrent et nous rions de bon coeur.

"J'avais découvert auprès d'elle le véritable esprit de jeunesse... C'est au Carré D'Youville que le tout s'était déclanché... Il y avait danse, ce soir-là. A la porte Kent, nous avions entendu les premières mesures de la musique. C'était une mazurka. En bas, la place baignait dans un flot de lumières. Sur l'immense surface, se démenait une foule ivre de mouvements et de bruits. Au centre, le palais de glace dressait ses tours rutilantes. Au sommet des murailles, les pages sonnaient la trompette aux sons desquels accourait la jeunesse de la ville. Les danseurs occupaient la vaste enceinte, amplifiant la musique de leurs chants joyeux, multipliant les gestes que démesuraient les ombres. On aurait dit une mer de feu vomissant les étonnantes peuplades des ses abîmes. J'avais plongé dans l'enfer. Une flamme perfide circula dans mes veines, déclancha des bouillonnements de vie dans mon cerveau. Le feu de l'enfer ne correspondait plus à cette souffrance décrite dans les froides théologies d'étude. Je sentais des sensations chaudes pétiller en moi. C'était inimaginable, infiniment agréable et doux..."

- Tu te souviens de la première fois ?

Je lui raconte mes pensées, et je poursuis...

- Tu étais tout près de moi. Nous avions tendu les bras, les joues vivement froides, les yeux perlant d'étincelles... Nous nous étions enlacés, indifférents du monde qui n'existait plus pour nous. Toi, moi, le ciel, le soir, la nuit, qu'y avait-il au-delà?

- Nous avions bu, ce soir-là. Je ne sais pas si ce nous fut véritablement utile! Je me souviens que tu ne voulais perdre aucun des instants de cette soirée.

- Entraînés par la foule, nous avons dansé autour du palais. Les joies de l'amour et ta présence m'apparaissaient une illusion dont je ne voulais plus me séparer. Je ne voulais plus te quitter. Tu m'avais permis de conquérir mon angoisse de l'autre et un sens de la vie. Tes charmes avaient opéré un miracle... Tu m'aurais frappé que je t'aurais présenté l'autre joue. Nous formions une dualité monovalente, comme si je me perdais dans ta présence. Je te plaisais en me plaisant. Avec toi, tout s'était animé: les trompettes des pages sonnaient le ralliement général à la joie alors que sur les remparts, les étendards du carnaval et leurs bonhlommes se tordaient sous la pussée de la brise. Il devait certainement y avoir des esprits follets pour gambader dans le ciel de la ville, à l'exemple des humains...

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