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« Bilan » Contre-Révolution en Espagne - Présentation (16)


ANTI-STALINISME

De même que les massacres fascistes aident à obscurcir la nature du fascisme, de même la répression stalino-socialîste aide souvent à passer l'essentiel sous silence. M. Ollivier dénonce Le Guépéou en Espagne, mais, lui aussi, pose seulement le problème des partis, non de l'Etat [66] . La liquidation du P.O.U.M. est l'occasion de faire passer ce parti pour le plus radical. Il aurait seulement été trop faible pour jouer un grand rôle.

Si le gouvernement républicain « vient de ressusciter la lutte de classes » [67] , celle-ci oppose donc le prolétariat à la bourgeoisie républicaine comme à celle qui soutient Franco. Or, Ollivier n'appelle nullement à la destruction de l'Etat républicain. Au contraire : il faut se battre pour « les réalisations socialistes »... attaquées l'été suivant en Aragon par l'Etat républicain.

Le Comité pour la Révolution Espagnole [68] dénonce la répression contre le P.O.U.M. parce qu'elle affaiblit la guerre des républicains contre Franco : en agissant ainsi, la République se priverait d'un appui nécessaire dans le peuple. Ce comité ne dit mot du comportement conciliateur et criminel de la C.N.T. et du P.O.U.M. en mai 1937. Ainsi la calomnie et l'ignominie socialo-staliniennes ne reçoivent d'autres réfutations publiques ( exceptées les quelques publications de la gauche communiste ) que de gens qui défendent en réalité la même ligne politique, et ne s'opposent que sur les méthodes, sans comprendre qu'une telle ligne implique obligatoirement de telles méthodes. L'antifascisme voudrait la « vraie » démocratie gâtée par le capitalisme, eux voudraient le « vrai » antifascisme gâté par le stalinisme.

Dans sa préface à Le Stalinisme bourreau de la révolution espagnole, 1937-1938, Rosmer écrit : « Il faut d'abord battre Franco. Mais après la victoire, il y aura... des règlements de comptes et la Révolution reprendra sa marche en avant » [69] . Cette répression réussie montre pourtant qu'il n'y a pas de révolution espagnole. La dénonciation unilatérale des crimes staliniens ( qui sont d'ailleurs autant des crimes socialistes ) voile le reste. La « lutte contre la répression », qui prend la forme de l'anti-stalinisme comme elle prenait avant celle de l'antifascisme, ne constitue jamais par elle-même un programme révolutionnaire. Isolée en tant que telle, comme dans l'antifascisme, elle aboutit nécessairement à pratiquer la politique du moindre mal, à soutenir le plus tolérant contre le plus répressif ( les socialistes « valent mieux » que le P.C.. les Etats-Unis que l'U.R.S.S., ou l'inverse, etc. ). Comme si les socialistes ( surtout en Espagne ) n'avaient été complices des staliniens, évitant de mentionner les procès de Moscou, et invitant Jouhaux à arbitrer les conflits dans l'U.G.T. au profit du P.C. ! [70]

Pendant la guerre froid, on verra resurgir l'antifascisme chez certains courants intermédiaires entre les partis officiels et les révolutionnaires, mais cette fois sous forme d'un soutien au « monde libre » contre les pays de l'Est jugés encore plus répressifs et monstrueux. Le totalitarisme remplace le fascisme comme ennemi principal. Pour d'autres, comme Sartre, le « moindre mal » sera au contraire représenté par les P.C. et l'U.R.S.S. L'antistalinisme est le pire produit du stalinisme. Cela vaut pour tous ceux qui se font une spécialité de dénoncer les crimes et répressions staliniennes ou léninistes [71] .

 
Notes
[66] Le Guépéou en Espagne. Les journées sanglantes de Barcelone ( du 3 au 9 mai 1937 ), Spartacus, 1937, pp. 2-3.

[67] Le Guépéou en Espagne. Les journées sanglantes de Barcelone ( du 3 au 9 mai 1937 ), Spartacus, 1937, pp. 28-9.

[68] Le Guépéou en Espagne. Les journées sanglantes de Barcelone ( du 3 au 9 mai 1937 ), Spartacus, 1937, pp. 30-1.

[69] Brochure de Katia Landau, épouse de Kurt Landau, « ancien secrétaire de l'Opposition de gauche internationale[trotskyste] , solidaire du P.O.U.M. contre Trotsky » ( Broué, Témime, La révolution et la guerre d'Espagne, Ed. de Minuit, 1961, p. 278 ), tué par les staliniens. Le reprint de l'édition originale ( Spartacus ) en 1971 s'accompagne d'une « critique d'ultragauche » qui fait encore de la révolution un problème de forme, d'organisation démocratique : les groupes révolutionnaires doivent être « autonomes » et « se fondre dans l'organisation spontanée que se donne le prolétariat » ( p. 49 ).

[70] Alba, op. cit., p. 340.

[71] Par exemple, après 1945, Masses, les Cahiers Spartacus, La Révolution Prolétarienne, Monatte dans Trois scissions syndicales, V. Serge dans Le nouvel impérialisme russe, etc. Après guerre le P.O.U.M. en exil sera pour l'alliance la plus large contre le fascisme, monarchistes inclus, mais sans le P.C., par antitotalitarisme. Cf. « Sur les « cas particuliers » », Internationalisme, no. 35, juin 1948, reproduit dans le Bulletin d'Etude et de Discussion de Révolution Internationale, no. 6.

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