POLITIQUE DE COMPROMIS![]() Les sociaux-démocrates allemands avaient pendant la guerre honteusement trahi la cause du mouvement ouvrier. lis étaient ensuite, contre leur gré, devenus les héritiers de la révolution allemande; mais ils n'en comprenaient pas le sens et en désapprouvaient les objectifs. Leur nature profondément bourgeoise qui, dans les heures décisives, s'était révélée à nu les a de nouveau conduits sur le chemin de l'opportunisme. C'était le chemin de la trêve, de la collaboration des classes, du front populaire avec les démocrates et les cléricaux. La ligne de partage entre prolétariat et bourgeois fut repoussée dans la classe bourgeoise elle-même entre petite et grande bourgeoisie. Le prolétariat n'avait plus de représentation propre. La lutte des classes n'était plus menée qu'à travers de pseudo-combats, elle était pratiquement liquidée. Pour s'opposer à cette trahison ouverte, les formations d'extrême gauche mirent en avant le mot d'ordre : Pas de compromis avec la contre-révolution 1 Retour à la ligne claire de la lutte des classes ! ![]() Il s'agissait donc d'un cas très concret, d'une prise de position, politique sur un problème déterminé, à un moment et dans une situation déterminés qui exigeait une décision en Allemagne. Et non pas d'un programme pour l'éternité; pour l'univers entier, pour l'histoire de toutes les révolutions futures. C'était simplement la position de l'avant-garde révolutionnaire de la classe ouvrière allemande en 1919 contre la politique de compromis social-démocrate. Il s'agissait en l'occurrence de pédagogie dialectique directe. ![]() Mais Lénine, incapable de la reconnaître comme telle, éleva ce problème, qu'il fallait résoudre dialectiquement, à un problème général et fit d'une revendication à traiter par la dialectique une revendication abstraite de principe. ![]() Restant fidèle à sa vieille méthode polémique, il opposa aux problèmes de la révolution prolétarienne en Allemagne l'expérience de la révolution bourgeoise en Russie. ![]() Ainsi il écrit : « Jusqu'à la chute du tsarisme, les sociaux-démocrates révolutionnaires russes recoururent maintes fois aux services des libéraux, c'est-à-dire qu'ils passèrent quantité de compromis pratiques avec ces derniers.... tout en soutenant sans discontinuer la lutte idéologique et politique la plus implacable contre le libéralisme bourgeois et contre les moindres manifestations de son influence au sein du mouvement ouvrier. Les bolchéviks ont toujours suivi cette politique ». [12] ![]() Socialistes et libéraux marchaient plus ou moins la main dans la main dans le combat contre le tsarisme. Tous deux voulaient la chute du tsarisme, c'est une évidence tactique. Mais qu'est-ce que cela a à faire avec les revendications de l'extrême gauche en Allemagne ? Les démocrates et les cléricaux voulaient-ils peut-être la chute du capitalisme ? La social-démocratie ne la voulait pas même. Les forces d'extrême gauche, qui par contre la voulaient contre eux, devaient-elles admettre et appuyer le compromis des trois partis contre-révolutionnaires ? Et uniquement parce que les bolchéviks l'avaient pratiqué dans une situation et des conditions toutes différentes ? Cette prétention est vraiment trop stupide pour valoir encore un mot de réfutation. ![]() Les autres arguments de Lénine ne se tiennent pas mieux : « Après la première révolution socialiste du prolétariat, écrit-il, après le renversement de la bourgeoisie dans un pays, le prolétariat de ce pays reste encore longtemps plus faible que la bourgeoisie, d'abord simplement à cause des relations internationales étendues de cette dernière, puis à cause du renouvellement spontané et continu, de la régénération du capitalisme et de la bourgeoisie par les petits producteurs de marchandises dans le pays qui a renversé sa bourgeoisie. On ne peut triompher d'un adversaire plus puissant qu'au prix d'une extrême tension des forces et à la condition expresse d'utiliser de la façon la plus minutieuse, la plus attentive, la plus circonspecte, la plus intelligente, la moindre fissure entre les ennemis, les moindres oppositions d'intérêts entre les bourgeoisies des différents pays, entre les différents groupes ou catégories de la bourgeoisie à l'intérieur de chaque pays, aussi bien que la moindre possibilité de s'assurer un allié numériquement fort, fût-il un allié temporaire, chancelant, conditionnel, peu solide et peu sûr. Qui n'a pas compris cette vérité n'a compris goutte au marxisme, ni en général au socialisme scientifique contemporain. » [13] ![]() Lénine parle ici de la tactique de compromis après la victoire de la révolution. Il pense là à un parti qui voulait la révolution, luttait pour elle et sacrifiait tout pour obtenir la victoire. C'était peut-être le cas en Russie, mais il en allait tout autrement en Allemagne. ![]() Depuis le début, la social-démocratie a lutté contre la révolution en Allemagne. Elle s'y est opposée par tous les moyens, elle l'a freinée là où elle le pouvait, elle a lancé contre elle la soldatesque bourgeoise pour l'étouffer dans le sang. La social-démocratie était à chaque instant l'alliée, la complice et l'acolyte de la contre-révolution. Sa position à l'égard de la révolution culmina en une alliance avec les partis réactionnaires de la bourgeoisie pour régir de concert et à leur profit la contre-révolution. ![]() Celui qui comprend une goutte au marxisme saisira qu'admettre un tel compromis, c'est admettre la trahison social-démocrate, et que cautionner ce compromis équivaut à soutenir la contre-révolution. C'est l'effet qu'aurait eu en Allemagne à cette époque la formule de Lénine et c'est pourquoi l'extrême gauche la rejeta. Ils crièrent aux indépendants, aux communistes, aux masses révolutionnaires : Pas de compromis ! Il n'y a pas en Allemagne de parti politique auquel vous pourriez vous allier pour faire la révolution ! Leur position était la seule à correspondre aux exigences de la révolution dans cette situation. ![]() La polémique de Lénine se perd donc dans les nuages. Ses insultes et son vacarme n'ont aucun rapport avec la réalité. Il court sus à des ennemis politiques qui n'existent que dans ses hallucinations. Il se couvre de ridicule dans une lutte contre des moulins à vent. ![]() Aussi longtemps que des compromis sont utiles pour faire avancer la révolution, l'extrême gauche n'y met pas d'objections. Mais elle lutte contre les compromis passés avec les contre-révolutionnaires qui ont pour but d'empêcher la révolution, de la combattre ou de la priver de sa victoire. Telle était la situation en Allemagne en 1919. L'extrême gauche avait les deux pieds sur le terrain de la révolution et Lénine était de l'autre côté de la barricade. ![]() Si l'on relit aujourd'hui le chapitre du livre de Lénine sur les compromis, si l'on compare ses épanchements polémiques et les résultats ultérieurs de cette politique léniniste de compromis obtenus par Staline, on ne trouvera aucun des péchés capitaux de la stratégie bolchévique qui ne soit devenu pratique bolchévique sous Staline. ![]() C'est le traité de Versailles, pour la signature duquel l'extrême gauche devait s'engager selon Lénine et contre laquelle les vassaux de Staline protestèrent plus tard à haute voix aux côtés du clan de Hitler. ![]() C'est le national-bolchévisme de Laufenberg et Wolffheim, dénoncé comme « une absurdité inouïe » par Lénine, tandis que plus tard Radek encensa avec la bénédiction de Staline l'espion nazi Schlageter comme un héros national et que le nationalbolchévisme faisait des ravages dans la politique russe. ![]() C'est la Société des Nations, une compagnie rapace de bandits et d'exploiteurs selon Lénine, que le prolétariat devait fuir comme la peste, tandis que Staline demanda plus tard, conformément à la politique léniniste de compromis une place et une voix au sein de cette honnête compagnie et s'y sentit bien jusqu'à son exclusion. ![]() C'est le concept de peuple, d'après Lénine une concession condamnable à l'idéologie contre-révolutionnaire de la bourgeoisie, alors que par la suite Dimitrof fit sur l'ordre de Staline une politique de compromis en règle sous forme d'un mouvement de « front populaire ». ![]() C'est... -- mais à quoi bon donner d'autres exemples et preuves de la funeste politique de compromis de Lénine qui a conduit à tant de confusions, d'errements et de contradictions inconcevables, à tant de conséquences réactionnaires et de défaites ? Elle entraîna invariablement le fiasco, le discrédit, la perte du prestige révolutionnaire, la désertion des masses et la catastrophe politique la plus totale. ![]() L'histoire allemande aussi bien que l'histoire russe ont donné totalement raison aux thèses de l'extrême gauche. Ici avec Staline, là avec Hitler. Et l'histoire a fait de l'exigence d'extrême gauche d'alors, conditionnée par une situation historique déterminée, une exigence valable aussi pour les révolutionnaires d'aujourd'hui. Chaque compromis entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires affaiblit, d'après toutes les expériences faites au cours de la révolution, non pas les contrerévolutionnaires, mais les révolutionnaires. ![]() Et tout affaiblissement de la révolution par un compromis conduit nécessairement à l'effondrement prématuré ou à la faillite finale du mouvement révolutionnaire. ![]() Toute politique de compromis dans la révolution prolétarienne conduit donc inévitablement à la défaite. ![]() Le compromis par lequel la social-démocratie allemande avait commencé, se termina en fascisme. La théorie du compromis de Lénine fut mise en pratique et conduite à son terme par le stalinisme. ![]() Ici et là, c'est la contre-révolution. Compromis et contre-révolution sont aujourd'hui des synonymes politiques parfaits. ![]() Lénine a tiré à boulets rouges sur l'extrême gauche. Aujourd'hui ces boulets frappent la social-démocratie allemande, le stalinisme et le parti bolchévik dans le monde entier. ![]() Et c'est Lénine lui-même qui est emporté par le dernier. ![]() [12] voir Le Gauchisme. Ed. 10-18 p. 104. ![]() [13] Voir Le Gauchisme. Ed. 10-18 p. 102 sq. |