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Bilan et contre-bilan (5)


Determinisme

La gauche « allemande » et « italienne » s'était nettement plus penchée sur la montée vers la guerre, les rapports politiques et de classe, que sur le conflit lui-même, et peu sur le génocide. Quand elle l'a fait, ce fut autant pour l'analyser que pour réagir contre son exploitation par le démocratisme.

Le point de départ d'Auschwitz ou le grand alibi ( Programme Communiste, 1960 ), est en effet polémique : la critique d'une affiche du MRAP. En 1996, après 15 ans de révisionnisme, le titre parait scandaleux. Mais le scandalisé parle-t-il du fait ou de son image ? Pour un néo-nazi, l'instrumentalisation d'Auschwitz par le sionisme sera toujours plus grave qu'Auschwitz lui-même. Pour un sioniste, le constat de cette instrumentalisation est déjà un pas vers la négation de l'Holocauste. A ce jeu de miroirs démultipliant leurs reflets â l'infini, le réel échappe. Pourtant un fait historique peut servir d'alibi sans perdre sa réalité, et une vérité manipulée n'en demeure pas moins vraie.

L'article n'est en rien négateur de l'antisémitisme systématique des nazis, qu'il vise au contraire â expliquer, l'attribuant au besoin du capitalisme d'éliminer une partie de la petite bourgeoisie. Vision réductrice : plus que de se débarrasser d'une catégorie sociale en trop, c'est pour réunir l'Allemagne, unifier un Volk, se donner comme universel en excluant, que le nazisme a lancé sa chasse au Juif. Mais en aucun cas, ici, la logique exterminatrice n'est niée. La thèse bordiguiste serait stupide et ignoble si elle faisait d'Hitler et de son parti les jouets quasi-irresponsables de forces aveugles, comme le soutiennent les révisionnistes noyant le poison sous des entités inaccessibles, « innocentes » par définition : la crise, la guerre... A moins de supposer les nazis inconscients, il ressort du texte qu'il se sont faits les agents volontaires d'une politique de « destruction » entamée avant 1933, muée ensuite en extermination.

Comme toute analyse re-situant un phénomène dans ses causes profondes, celle-ci est utilisable par un avocat des nazis, mais seulement en y découpant ce qui l'arrange. Procédé normal chez un avocat faisant feu de tout ce qui éloigne son client de l'acte incriminé, mais inadmissible chez qui prétend établir la signification historique d'un texte.

« Le capitalisme porte la guerre comme la nuée porte l'orage. » Avec une telle affirmation, on peut exonérer les chefs d'Etat de toute implication morale dans les conflits armés, ou se résigner aux guerres si l'on estime le capitalisme indépassable, ou conclure à la nécessité d'une révolution, ou encore... Mais celui qui étudie la phrase telle qu'elle a été écrite par Jaurès ne la rabat pas sur ses interprétations.

Auschwitz ou le grand alibi n'est pas fautif de complaisance au nazisme, seulement borné. A ceux qui le lisent de ne pas prendre la partie pour le tout, ni d'oublier qu'ils ont sous les yeux une polémique contre la vision idéaliste réduisant le racisme à une idéologie pernicieuse réfutable par une propagande humaniste : Programme Communiste tord le baton dans l'autre sens. Une lecture parallèle d'Auschwitz ou le grand alibi et des publications du MRAP en 1960 grossirait d'ailleurs les dossiers des releveurs de perles, tant les textes du MRAP regorgeaient d'omissions et réductions, par exemple sur l'antisémitisme d'Etat... en URSS.

Voir dans cet article bordiguiste le champ libre déblayé pour le révisionnisme serait aussi pertinent que lire Staline dans Marx : en théorisant l'histoire comme lutte de classes, le Manifeste Communiste ne fraye-t-il pas la voie à l'élimination des koulaks « en tant que classe »... Que de portes va-t-il falloir ouvrir ! Le Décalogue allume les bûchers de l'Inquisition, les pages du Contrat social tranchent comme la guillotine de la Terreur et le phalanstère débouche sur les charniers khmers rouges. Sans oublier la Question juive de Marx, pamphlet pré-révisionniste, ni L'Etat et la révolution, oeuvre pré-stalinienne ( la preuve : Staline l'a souvent citée ). La théorie de la porte ouverte ouvre la porte à trop d'amalgames pour être honnête.

Pendant des dizaines d'années, dans des textes aux noms de villes italiennes, les bordiguistes ont brodé sur ces thèmes sans verser dans le moindre révisionnisme. Le ver n'était pas dans la théorie. Peut-être dans un mode d'existence et d'action ?...


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